Les enjoliveurs de phrases

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Quand on parle de style, il y a pas de choix « juste » ou « faux » ai-je eu l’aveuglement d’écrire récemment. Et s’il est vrai que personne ne va pouvoir démontrer qu’un style en particulier est supérieur aux autres dans toutes les situations, il n’en reste pas moins que si votre réflexion sur l’approche stylistique de l’écriture en est à ses balbutiements, je ne peux que vous conseiller d’aller droit au but.

Si elle est loin d’être la seule approche qui fonctionne, celle qui consiste à viser le dépouillement constitue un bon point de repère, parce que le minimalisme est toujours plus facile à appréhender que le baroque. J’aurai l’occasion de revenir sur ces deux extrêmes dans un prochain billet. Cette semaine, j’ai l’intention de vous décourager de toutes mes forces de recourir à deux artifices : les adverbes et les accumulations.

La route de l’Enfer est pavée d’adverbes

Les adverbes, c’est le mal. Les adverbes ont été inventés par le Malin pour tenter les auteurs et enliser leur style dans des bourbiers dont jamais il ne parviendront à s’extraire. « La route de l’Enfer est pavée d’adverbes » a écrit Stephen King, qui, n’en doutons pas, connaît par cœur cet itinéraire.

Mais qu’est-ce qu’un adverbe demanderons celles et ceux d’entre nous pour qui les souvenirs de l’école semblent trop lointains ?

L’adverbe est un mot invariable qui précise ou change le sens d’un verbe, d’un adjectif, ou d’un autre adverbe. Bien souvent, il se termine en « –ent », comme le mot « souvent » qui figure dans cette phrase, et qui se trouve par une incroyable coïncidence être un adverbe. Les adverbes précisent les circonstances de lieu, de temps ou de manière dans lesquelles se déroule une action.

Les adverbes sont pareils aux bibelots que votre grand-mère trouve si jolis

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils constituent une tentation mortelle pour bien des écrivains. Les adverbes sont des enjoliveurs de phrases. Plutôt que de se cantonner à s’en servir lorsqu’ils sont nécessaires, de nombreux auteurs les utilisent à tort ou à travers pour décorer leur prose, tels des amateurs de bagnoles qui tunent leur caisse. « Ah », vous dites-vous, « Je vais glisser quelques adverbes par-ci, par-là… Ça va captiver l’attention du lecteur, et il aura l’impression que j’écris super bien… »

Erreur. Il est vrai que les adverbes peuvent servir à gonfler un style, à le siliconer pour lui donner du relief. Mais bien souvent, les adverbes ne servent à rien si ce n’est à encombrer une phrase. Ils sont pareils aux bibelots et aux cadres miniatures que votre grand-mère trouve si jolis et qu’elle dispose partout dans son appartement. En parlant de l’attention du lecteur, pensez également à l’attention négative, celle qui lui donnera envie de reposer le bouquin, une fois confronté à un style qui privilégie l’artifice à la substance. Les adverbes mènent au kitsch.

« Avant de traverser complètement la ruelle étroite, il regarda prudemment à gauche et à droite, puis il courut très rapidement de l’autre côté. »

Est-ce que tout cela est bien nécessaire ? Le verbe « Traverser » implique déjà un passage d’un bord à l’autre, il est donc inutile de rajouter l’adverbe « Complètement. » Toutes les ruelles sont étroites, c’est ce qui les distingue des rues. Comme le principe même de regarder à gauche et à droite avant de traverser constitue une mesure de prudence, l’adverbe « Prudemment » n’a pas davantage sa place. Enfin, courir, c’est aller vite, dès lors ajouter « rapidement », ou pire « très rapidement » constitue un pléonasme. Dès lors, n’est-il pas préférable d’écrire :

« Avant de traverser la ruelle, il regarda à gauche et à droite, puis il courut de l’autre côté. »

La plupart du temps, une phrase sans ornement est plus efficace. Et si vous avez du mal à vous en convaincre, dites-vous que dans un roman, toutes les phrases ne sont pas destinées à attirer l’attention sur elles : certaines n’ont qu’une fonction formelle et ont tout à gagner à rester aussi simples que possible.

Mais même si vous souhaitez tout de même embellir votre style, il existe de meilleures options que les adverbes pour y parvenir. « Les adverbes sont les outils de l’écrivain paresseux » a écrit Mark Twain. À la place d’y recourir, mieux vaut trouver un mot au sens plus précis : le vocabulaire est votre allié et le temps passé à trouver le mot juste n’est jamais gâché. Partant de ce principe, voici ce que peut devenir notre phrase de référence :

« Avant de franchir la ruelle, il la scruta puis fonça. »

En trouvant des verbes plus adaptés, la phrase se retrouve à la fois plus courte et plus élégante. Traquez donc sans relâche les adverbes lors de la phase d’écriture, et pourchassez les survivants lors de la relecture afin que votre style gagne en efficacité.

En particulier, renoncez aux adverbes qui ne sont que des amplificateurs de sens, comme « Très », « Beaucoup », « Particulièrement », voire même « Bigrement » ou « Fichtrement » pour les plus aventureux. Plutôt qu’écrire « Très beau », préférez « Magnifique. » Plutôt que « Il avait très peur », écrivez « Il était terrifié », « Il était épouvanté », « Il était en proie à la panique. » Vous pouvez également opter pour une métaphore, c’est à cela qu’elles servent, comme nous avons déjà eu l’occasion de nous en apercevoir.

Attention tout de même, avant de sortir les fourches et les torches et de nous lancer tous ensemble dans une purge vengeresse anti-adverbes, il faut tout de même préciser que parfois, certains adverbes sont à leur place et ne méritent pas d’être écartés.

Dans quelles conditions un adverbe devient-il recommandable ? Quand il est indispensable. Voici quelques exemples de phrases où le sens recherché ne saurait se passer d’un adverbe : « J’ai choisi la voiture vert clair » : ici, il n’y a que l’adverbe pour distinguer le véhicule choisi d’une éventuelle voiture vert foncé. « Le Parlement a voté la nouvelle loi récemment » : tout l’objet de la phrase est de communiquer quand la loi a été adoptée, l’adverbe est donc à sa place.

Trouver une seule image forte est plus efficace qu’opter pour deux images en concurrence l’une avec l’autre

En-dehors des adverbes et avant de conclure, j’attire votre attention sur un autre tic de romancier qui présente les mêmes tristes symptômes. Bien moins connus et donc moins redoutés que les adverbes, ce que j’ai choisi d’appeler les accumulations, ce sont les cas de figure où un auteur accumule plusieurs qualificatifs pour décrire une situation, une action, un personnage, là où un seul mot aurait largement fait l’affaire.

« La soirée était interminable et pénible, et ma fille, nerveuse et impatiente, se comportait avec une effronterie et un agacement croissants. »

On s’en aperçoit dans cet exemple : les accumulations sont des enjoliveurs au même titre que les adverbes, en cela qu’ils donnent l’impression d’augmenter la substance de la phrase alors qu’ils ne font que la rallonger et l’alourdir. Trouver une seule image forte est plus efficace qu’opter pour deux images en concurrence l’une avec l’autre, donc décidez-vous, et comme avec les adverbes, trouvez le mot juste :

« La soirée était interminable et ma fille, impatiente, se comportait avec une effronterie croissante. »

Pourquoi certains auteurs (dont je fais partie) ont tendance à utiliser deux qualificatifs là où un seul est suffisant ? Pour remplumer leur style, certes, mais également parce que leurs priorités ne sont pas à la bonne place. Bien souvent, un auteur débutant qui décrit une scène partira d’une image, d’une impression qu’il a en tête et qu’il va chercher à retranscrire en mots le plus fidèlement possible. Ainsi, dans notre exemple, l’auteur se sera imaginé une soirée à la fois « interminable » et « pénible » et il aura de la peine à renoncer à un de ces deux termes, de peur de s’écarter de l’idée qu’il cherche à communiquer.

En réalité, il ferait mieux de moins penser à lui et de davantage penser à ses lecteurs, eux qui ignorent tout de ce qui se passe dans la tête de l’écrivain et ne se soucient que de ce qui se retrouve sur la page. Eux s’en fichent, qu’il vous faille deux mots pour coller au plus près du concept que vous aviez en tête à la base. Dans presque tous les cas, retenez un seul de ces mots, laissez-le exister pour lui-même et vous verrez qu’à lui seul, il aura bien plus de puissance évocatrice que ce que vous aviez prévu à la base.

Plutôt qu’écrire « Une tempête de sable gigantesque et meurtrière », préférez « Une tempête de sable meurtrière » et laissez cette notion de meurtre mariner dans le cerveau de celles et ceux qui vous lisent, sans l’embarrasser d’ornements superflus. En chemin, vous vous éloignerez peut-être un peu de ce que vous aviez en tête, mais vous aurez touché le lecteur, et c’est bien plus important.

⏩ La semaine prochaine: montrer plutôt que raconter

34 réflexions sur “Les enjoliveurs de phrases

  1. Que ce texte est juste, Julien. Trouver LE mot, le ton qui cernera en peu de mots ce que l’on ressent lors de l’écriture, sans s’y perdre. Épurer, chercher exactement le mot qu’il faut, cerner l’action dans le vocabulaire. Ouf… c’est exactement cela. Merci pour ce rappel. Merci encore pour ta générosité.

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  2. Mais si on inverse les adverbe, on obtient des trucs drôles, non ?
    « Avant de traverser prudemment la ruelle étroite, il regarda rapidement à gauche et à droite, puis il courut (très complètement) de l’autre côté. »

    merci pour cet excellent et remarquablement juste billet, comme à l’accoutumée (un adverbe s’est glissé dans cette phrase….)

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  9. J’essaye d’en supprimer en maximum en corrigeant mais ils sont comme du chiendent.
    A peine en ai-je arraché un que deux autres repoussent déjà inexorablement, la preuve…
    Comme au jardin c’est une lutte sans fin, j’ai donc renoncé au gazon anglais.
    Je leur lâche même parfois la bride. Je sais je joue avec le feu, mais quitte à flanquer ses personnages dans des situations inextricable autant paumer un instant le lecteur dans une jungle adverbiale, ça peut les connecter émotionnellement parlant. (Et Cambronne! Quand je dis qu’ils poussent comme du chiendent…)

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