Les corrections

blog corrections

Corriger un roman, ça n’est pas comme corriger une dictée. C’est un travail d’une toute autre ampleur. Oui, l’usage du même verbe pour décrire les deux situations risque de nous induire en erreur, mais il s’agit de faire bien plus que de rajouter des « s » à la fin des mots au pluriel et de marquer les points sur les « i » et les barres des « t. »

Encore que cette dimension existe, et qu’elle est importante. Avant de la balayer sous le tapis, elle mérite d’être mentionnée. Oui, une des raisons d’être de la phase de correction d’un roman, c’est de dénicher et de se débarrasser de toutes les erreurs d’orthographe, de grammaire et de typographie que vous pouvez rencontrer, afin que, si possible, il n’en reste aucune. C’est de la dératisation.

Mais les corrections, c’est tellement plus que ça. Pour reprendre une métaphore utilisée lors du billet précédent, l’écrivain est comme un sculpteur : après avoir accumulé suffisamment de terre glaise lors de la rédaction du premier jet, c’est au cours des corrections qu’il lui donne sa forme définitive. En tout cas, pour un écrivain qui appartient à l’espèce des Bricoleurs, c’est ainsi que ça se passe. Pour les Architectes et les Explorateurs, cette étape est moins cruciale mais elle est importante malgré tout.

Relire un texte que l’on connaît bien, ça devient assez écœurant à la longue

Car que corrige-t-on exactement lors des corrections ? En bref : tout. Notez d’ailleurs que le mot « corrections », je le note au pluriel depuis le début. Ce n’est pas un hasard. Des passages, sur votre texte, vous allez en faire plusieurs, je vous le garantis. Avant d’être terminé, un roman doit être relu plusieurs fois, de la première à la dernière page, intégralement, jusqu’à ce qu’il ait l’aspect qu’on souhaite lui donner.

Ça n’est pas toujours rigolo à faire, d’ailleurs : relire un texte que l’on connaît bien, une fois, deux fois, cinq fois, ça devient assez écœurant à la longue. À force de recommencer à le corriger encore et encore, vous vous surprendrez probablement à vous mettre à détester ce texte dans lequel vous avez mis tellement de vous-mêmes. Mais c’est très bien : chaque relecture vous familiarise davantage avec tout ce qui fonctionne et tout ce qui ne fonctionne pas dans votre histoire, et vous procure la vision d’ensemble nécessaire pour opérer les bons choix de corrections.

Et cela concerne les domaines les plus divers. La grammaire, c’est une chose. Mais vous allez également opérer des relectures pour vérifier que votre personnage fonctionne, que votre structure est bien construite, que les moments d’émotion sont correctement amenés, que l’action est claire, que le style est approprié, que les dialogues fonctionnent, qu’il n’y a pas de longueurs, que tous les éléments nécessaires à la compréhension de l’histoire sont présents, mais qu’on ne noie pas le texte sous les textes d’exposition, etc… Passez votre texte au peigne fin : tout doit être relu, tout doit être revu, comme un avion de ligne dont on démonte chaque rivet lors de sa grande révision. Et une fois que c’est fait, on recommence. Et on recommence. Et encore.

Afin de prendre du recul, il peut être salutaire de laisser s’écouler deux ou trois semaines

Ça signifie que vous n’avez pas à régler tous les problèmes de votre texte lors du premier jet. Au contraire : si vous tentez de le faire, vous allez sans doute perdre du temps et même vous enliser. Mieux vaut attendre de disposer d’un texte complet, terminé, afin que vous puissiez analyser ce qui fonctionne et ce qui doit être modifié. C’est à ça que sert la phase de correction.

Si vous le jugez nécessaire, afin de prendre du recul, il peut être salutaire de laisser s’écouler deux ou trois semaines entre le moment où vous complétez le premier jet et celui où vous entamez les corrections. De cette manière, vous pourrez revisiter le texte avec un œil neuf. De même, certains auteurs jugent qu’un changement de support les aide à considérer leur livre d’un œil neuf : ils font donc les corrections sur une version papier du manuscrit, avant de les copier dans le fichier informatique original. Ça vaut la peine de tenter le coup.

Un petit exemple de correction, pour bien comprendre ce que ça implique : vous venez d’achever une première relecture de votre roman et vous réalisez que certaines choses importantes ne fonctionnent pas. Le début, en particulier, est lent et on s’y ennuie à mourir.

Reste à savoir pourquoi : est-ce que le langage est trop opaque ? Est-ce que les personnages sont impénétrables et nous empêchent de nous sentir les bienvenus dans le récit ? Est-ce que l’histoire ne commence pas au bon endroit et qu’il faudrait couper quelque part ? Est-ce que l’incipit et la première page manquent d’efficacité ? Il n’y a pas de raison toute faite : si vous parvenez à identifier un souci, tentez plusieurs approches pour débloquer la situation. En principe, l’une d’elle devrait donner de bons résultats et vous permettre de progresser. Le fait de prendre un peu de distance vis-à-vis du texte doit vous aider à être lucide et à trouver la solution. Après tout, personne n’est mieux placé que vous pour dire ce qui fonctionne ou pas dans votre histoire.

Quand vous opérez une correction quelque part, cela peut avoir des conséquences sur le reste du texte

Cela dit, un texte littéraire, c’est un biotope dynamique, en évolution constante. Chaque élément modifié, c’est comme ajouter une espèce invasive dans un étang : ça bouleverse l’équilibre. Quand vous opérez une correction quelque part, cela peut avoir des conséquences sur le reste du texte. C’est un peu l’effet domino : en changeant quelque chose, vous pouvez constater que toute une série de problèmes se règlent comme par magie, mais vous pouvez aussi observer qu’un petit changement est susceptible de modifier la dynamique de votre histoire et causer d’autres problèmes qui doivent être résolus à leur tour.

Pour revenir à notre exemple : imaginons que je découvre que le début du roman ne fonctionne pas parce que le protagoniste s’y montre beaucoup trop passif. En le faisant agir davantage, en lui permettant de devenir le moteur de l’intrigue, une nouvelle dynamique se met en place, qui rend le premier chapitre bien plus intéressant. Problème réglé, je jubile.

Cela dit, en poursuivant ma relecture, je réalise que, en me basant sur mon plan, mon personnage principal est supposé être au bord de la dépression au début du roman : en modifiant sa façon d’agir pour le rendre plus proactif, il ne peut désormais plus apparaître comme déprimé, ce qui va m’obliger à modifier les interactions qu’il était supposé avoir par la suite avec des personnages principaux, des amis qui lui apportent leur soutien. Tout à coup, ce sont de nombreuses scènes interconnectées qui n’ont plus de sens du tout. Zut.

On a parfois l’impression que le chaos surgit de partout

Si ça se trouve, un petit correctif va m’obliger à réécrire des pages, voire des chapitres entiers. Cela peut être décourageant, parce que, lors de cette phase, on a parfois l’impression que le chaos surgit de partout et que deux problèmes nouveaux apparaissent pour chaque solution trouvée, mais avec l’expérience, on réalise que chaque correction bien réfléchie améliore malgré tout l’état général du roman.

Par exemple, en réécrivant les premières interactions entre mon protagoniste et ses amis, maintenant que je ne peux plus le présenter comme déprimé, je découvre qu’il est plus élégant de lui trouver un problème pratique, comme un souci d’argent. En agissant de la sorte, je remplace une condition émotionnelle, vague et peu enracinée dans mon narratif, par une situation dramatique avec des causes et des solutions définies, et peut-être même que je vais découvrir que ce manque de thunes se connecte parfaitement avec un autre élément d’intrigue qui intervient plus tard dans mon récit (« Ah, mais alors il a une bonne raison de rencontrer Clara à la banque au chapitre 4 ! »)

Peu à peu, vous allez réaliser que vos modifications vous obligent à en faire d’autre, oui, mais que la solidité de l’ensemble s’en trouve renforcée. L’intrigue est mieux charpentée, les personnages mieux dessinés, votre voix plus affirmée, et au bout d’un moment, vous vous rendez compte, après quelques relectures, que vous êtes en présence d’un texte qui fonctionne. Peut-être que vous vous serez un tout petit peu éloigné du plan, peut-être que ce n’est pas exactement ce que vous avez prévu, mais ce que vous obtenez au final, c’est la meilleure version de votre histoire que vous pouvez imaginer.

⏩ La semaine prochaine: Corrections – la checklist

 

 

21 réflexions sur “Les corrections

  1. Oui : à chaque fois que j’entends un auteur dire qu’il est « triste de quitter ses personnages » parce qu’il a terminé son roman, je ne peux empêcher une voix mesquine dans ma tête de répondre « oh, toi, tu n’as pas assez bossé ton livre ! ». Tant que vous n’en avez pas marre de réécrire encore et encore vos chapitres, vous n’avez pas fini 😉
    En même temps, c’est aussi un bon indicateur. Quand vous en êtes à la dixième passe mais que vous prenez encore plaisir à relire un chapitre, a priori, c’est qu’il n’est pas trop mauvais. Si vous soupirez et que vous êtes tentés de sauter quelques paragraphes, en revanche… 😉

    Aimé par 3 personnes

  2. Pour moi il y a une différence entre les corrections (les questions de grammaire, orthographe, etc.) et les révisions (revoir la structure, le rythme, le développement des personnages…), mais c’est peut-être juste un anglicisme de ma part. ^^’
    Sinon j’ai relevé une petite erreur, tu as écris : « il peut être salutaire de laisser s’écouler deux ou trois semaines entre le moment où vous complétez le premier jet et celui où vous achevez les corrections. » Je suppose que tu voulais dire entamer. 🙂

    Aimé par 1 personne

  3. Pingback: Corrections: la checklist | Le Fictiologue

  4. Deux-trois semaines entre le premier jet et le deuxième … Oui, ou alors plusieurs années ça marche aussi ^^ Mais je crois que je suis un cas un peu extrême.
    Par ailleurs, au sujet du concept « à force de se relire 10 fois on commence à détester son roman » … Eh bien, je ne suis pas d’accord. J’ai plutôt observé le contraire. Plus je le relisais et plus j’en étais fière. S’il restait des passages que je n’aimais pas, c’était le signe qu’il fallait les supprimer ou les modifier. D’ailleurs, je tique toujours quand je vois des auteurs dire : « pff, ça m’ennuie de devoir écrire cette scène, je voudrais aller à la suivante qui est plus intéressante ». Justement, si une scène arrive à ennuyer l’auteur, alors il y a toutes les chances qu’elle ennuie aussi le lecteur ! Alors que je pense qu’aimer son propre texte est un prérequis indispensable pour le soumettre à un public 🙂

    Aimé par 1 personne

  5. Et c’est là que je me rends compte… que je ne suis pas pressée d’en être à cette étape ! xD
    Très bon article, je pense que tu mets le doigt sur quelque chose de fondamental quand tu parles des choses qu’on modifie et qui dialoguent entre elles. Ce doit être l’objectif de toute bonne correction. Il peut aussi être bien de faire appel à des bêta-lecteurs, éventuellement. Le regard extérieur peut aider à mettre le doigt sur ce qui ne va pas !

    Aimé par 1 personne

  6. Pingback: Tue tes chouchous | Le Fictiologue

  7. Pingback: Anatomie d’une scène réécrite | Le Fictiologue

  8. Pingback: Achever les corrections | Le Fictiologue

  9. Pingback: Tous les articles | Le Fictiologue

  10. Pingback: Écrire le combat | Le Fictiologue

  11. Pingback: Écris tous les jours | Le Fictiologue

  12. Pingback: Des arcs narratifs pour construire une histoire | Le Fictiologue

Laisser un commentaire