Écrire le mystère

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Quelque chose se produit de soudain et inattendu. Quelqu’un cherche à comprendre ce qui s’est passé, qui en est responsable et quelles ont été ses motivations et les moyens dont il s’est servi. Voilà, en quelques mots, ce qui caractérise le mystère, ce point d’interrogation qui forme le moteur d’un nombre hallucinant de romans.

Quelque chose n’est pas su et quelqu’un déploie des efforts pour révéler la vérité : il suffit de rajouter quelques détails et on débouche sur des genres littéraires très populaires. Ainsi, cette proposition de base, on peut la formuler ainsi : quelqu’un meurt dans des circonstances violentes et mystérieuses ; un enquêteur cherche à découvrir qui l’a tué et pourquoi. Et voilà qu’on obtient le whodunit, ou roman à énigme, cette déclinaison populaire du roman policier à laquelle Agatha Christie a si richement contribué.

On le comprend bien, tous les romans policiers ne sont pas des mystères. Certains sont des romans à suspense, des thrillers, des études psychologiques sur des flics au bord de la crise de nerfs. Il y en a qui s’intéressent davantage à l’effet que la proximité du crime produit sur ceux qui le côtoient qu’à la manière dont ils résolvent des enquêtes.

L’événement mystérieux n’est pas nécessairement un crime

À l’inverse, tous les mystères ne sont pas des romans policiers. Pour commencer, ce ne sont pas tous des histoires d’assassinat, puisqu’on peut très bien se passer du motif du crime de sang : et si l’événement déclencheur n’était pas un meurtre mais un vol, un viol, un enlèvement, un coup d’État ? Il suffit qu’il y ait un instigateur qui ne souhaite pas que la vérité soit révélée et un enquêteur qui travaille activement à ce qu’elle le soit pour que les mécaniques de l’intrigue soient en place. D’ailleurs, l’enquête ne constitue pas forcément l’intrigue principale du roman : elle peut très bien n’être qu’un à-côté, alors que le cœur du narratif est d’une toute autre teneur.

L’événement mystérieux n’est même pas nécessairement un crime au sens où on l’entend généralement : dans sa « Trilogie new-yorkaise », Paul Auster propose trois variantes d’une enquête dans laquelle un individu cherche à comprendre pour quelle raison une personne a décidé de disparaître et de s’abstraire soudainement des règles de la société. Dans ses romans de fantasy « Mémoires du Grand Automne » Stéphane Arnier met en scène plusieurs personnages qui cherchent à comprendre comment et pour quelles raisons les mécanismes de la reproduction au sein d’une communauté vivant dans un arbre géant ont été altérés. Ici, on se situe loin d’Hercule Poirot, mais on est malgré tout dans un mystère qui fonctionne de manière très similaire à ceux des histoires d’enquêtes criminelles.

Pour constituer un roman à énigme, celui-ci doit comporter un certain nombre d’éléments qui constituent l’intrigue. Il faut un élément déclencheur, le fameux mystère, qu’il va falloir résoudre ; il faut un enquêteur, la personne qui est chargée ou qui prend sur elle d’établir la vérité ; un instigateur, soit celui qui se trouve à l’origine de toute l’affaire et qui a intérêt à ce que la vérité n’éclate pas. Tous les autres personnages sont là pour compliquer l’affaire, soit parce qu’ils viennent rappeler l’impératif du respect de la loi, soit parce qu’ils cherchent à faire échouer l’enquêteur, soit parce qu’ils lui fournissent des fausses pistes.

Fournir les mêmes indices à l’enquêteur et au lecteur

Traditionnellement, un récit centré sur une enquête commence par l’irruption du mystère dans le quotidien. Quelqu’un, par métier ou en raison des circonstances, se met en tête de l’élucider. Afin d’y parvenir, il collecte des indices et des témoignages qu’il tente d’assembler les uns aux autres en faisant preuve de déduction, jusqu’à parvenir à la vérité. Le contrat entre l’auteur et le lecteur dans ce genre de littérature consiste généralement à fournir les mêmes indices à l’enquêteur et au lecteur : le mystère obéit à la logique et il est possible de l’élucider en se servant uniquement des informations contenues dans le roman. Un bon whodunit, c’est un livre où le lecteur doit bien admettre que la conclusion était parfaitement logique une fois que celle-ci lui est révélée, mais où il n’arrive pas à la trouver lui-même.

Pour y parvenir, cela réclame une intrigue bien charpentée et une mise en scène des informations digne des meilleurs prestidigitateurs.

Davantage que dans la plupart des autres genres romanesques, le mystère doit être doté d’une structure narrative très solide. La meilleur manière de se la représenter, et celle qui va vous faciliter considérablement la vie si vous vous mettez en tête d’écrire ce genre d’histoire, c’est de comprendre que l’intrigue d’un roman à énigme constitue un double narratif : il y a l’histoire du crime et l’histoire de l’enquête. La raison d’être de la seconde (l’enquête) constitue à reconstituer la première (le crime). Le crime ne nous est raconté qu’indirectement, comme une histoire fantôme dont on ne fait que deviner les contours, qui nous sont révélés progressivement, pièce par pièce, afin de maximiser le suspense : le monde dans lequel s’est inscrit le meurtre, les lieux, les circonstances, les objets utilisés, les témoins, la victime, se transforment en indices qui permettent d’élucider le mystère.

Un double narratif dédoublé

On le comprend bien, ce double narratif est lui-même dédoublé : il y a l’enquête menée par l’enquêteur à l’intérieur du roman, et celle que mène le lecteur, le livre en main. La différence entre les deux, c’est que le romancier va tout faire pour que ce dernier, bien qu’il ait toutes les clés, soit incapable de percevoir lesquelles vont le mener à la vérité avant la conclusion du roman.

Des coups de théâtre viennent ruiner les hypothèses les plus vraisemblables ; la crédibilité d’un témoin ou d’un indice est remise en question ; l’état émotionnel de l’enquêteur ou ses biais cognitifs lui font négliger des aspects significatifs de l’enquête ; un détail qui semblait sans importance était, en réalité, crucial ; le mystère se révèle être inscrit dans un contexte plus large qui en modifie le sens (par exemple, ce que l’on pensait être un crime passionnel n’était en réalité qu’une mise en scène dans le cadre d’une affaire d’espionnage ; ou un meurtre domestique s’avère être un acte de l’œuvre d’un tueur en série) ; la nature même du crime initial peut même, à la fin, se révéler être différente de ce que l’on pensait depuis le début (le meurtre était un suicide, ou il n’a jamais eu lieu, ou il s’agit des conséquences accidentelles d’un autre crime).

Deux mots encore d’une variante populaire: inversion du schéma traditionnel du roman à énigme, ce que les amateurs du genre ont surnommé le howcatchem, par opposition au whodunit, est une histoire dans laquelle l’identité du coupable est connue du lecteur depuis le début, et où l’intérêt consiste à voir de quelle manière l’enquêteur parvient à la découvrir. Inventé par l’auteur anglais R. Austin Freeman, le howcatchem a été popularisé par la série télévisée « Columbo. »

⏩ La semaine prochaine: Éléments du mystère

18 réflexions sur “Écrire le mystère

  1. Article super intéressant, qui décortique bien les mécanismes sous-jacents d’un genre extrêmement difficile à travailler (raison pour laquelle j’admire tant les auteurs de polars).

    Pour compléter, je dirais que le mystère peut être utilisé à petite dose dans tous les autres genres littéraires. Il ne sera pas au coeur de l’intrigue, bien sûr. Mais il permettra d’apporter un peu d’épaisseur.

    Par exemple (dans un roman classique) : Qu’est-il arrivé à tel personnage pour qu’il réagisse ainsi ? Si vous donnez la réponse d’emblée, le lecteur aura moins d’intérêt pour le personnage que si vous laissez planer un peu de mystère et que vous donnez des indices sur le passé tourmenté du personnage. Bien dosé, cela peut être un formidable levier.

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    • J’ai moi aussi énormément d’admiration pour les auteurs de polar, et il est clair que si j’en étais un, j’aurais rédigé un billet plus complet, mais je dois m’accomoder de mes limitations dans ce domaine.

      Ici, j’appelle « mystère » le genre où un personnage cherche à découvrir la vérité à travers une enquête. Ce que tu décris, c’est plutôt ce que j’ai choisi d’appeler du suspense, sur lequel je vais revenir dans un prochain billet (ou deux).

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  2. Je trouve les enquêtes horriblement difficiles à écrire ! J’ai une admiration éperdue pour les auteurs qui arrivent à tenir le lecteur en haleine et en même temps à proposer une solution pas trop tirée par les cheveux. En tout cas en temps que lectrice, je ne devine jamais qui est le coupable, je tombe tête la première dans toutes les fausses pistes (d’ailleurs je suis nulle au Cluedo ^^).
    Mais comme ça fait effectivement un ressort narratif très efficace, si tu as davantage de conseils concrets pour s’y prendre, je suis très preneuse.

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  3. C’est un genre que j’affectionne particulièrement mais pour le moment je n’ai pas encore osé m’y aventurer totalement. J’ai commencé avec des intrigues de polar plutôt simples, des nouvelles, en ce moment je suis sur une novella de ce type. Qui sait peut-être qu’un jour je tenterais le roman policier. Merci pour cet article !

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  4. Merci pour le clin d’œil au Grand Automne !
    Comme je l’expliquais sur Twitter, avant de découvrir la fantasy à l’adolescence, j’ai dévoré presque tous les « Club des Cinq » et plus d’une quarantaine d’Agatha Christie. Il n’est donc pas étonnant que ce schéma soit quasi-automatique pour moi. Le principe d’enquête fonctionne très bien, quel que soit le genre ou sous-genre qu’on écrit. En revanche, pour des raisons assez évidente de construction narrative, je suppose qu’il vaut mieux être un auteur architecte pour monter ce type d’histoires…
    🙂

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    • Oui, j’en suis sûr. A titre personnel, l’idée même d’avoir à mettre en place une intrigue de ce type – une vraie, une complexe, une centrale – m’effraye au plus haut point.
      Quant à moi, les lectures de mon enfance, c’était plutôt Jules Verne, les classiques de la science-fiction et la bande dessinée américaine, ce qui n’étonnera personne. 😂

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  7. Un article très intéressant 🙂
    En fait l’intrigue de type mystère peut se retrouver dans beaucoup de genre différent. Quand on y regarde bien, la saga Harry Potter est une série de mystères (avec un schéma du type un complot se trame à l’école, Harry, Ron et Hermione mène l’enquête pour débusquer le coupable).

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      • genre : c’est (évidemment) une grande et belle histoire d’amour, avec héros et faire-valoir, mais « qui aime qui » ?
        ou l’héroïne (ça marche aussi pour le héros, bien sûr) sait qu’elle est aimée, mais ne sait pas pas qui ?
        ou il/elle a tous les symptömes de la romance, chabadababa, feuilles d’automne, frisson printanier, coeur qui s’emballe…, mais se demande de qui elle/il est amoureuse ?
        avec un complot : qui a intérêt à faire croire aux héros qu’ils sont amoureux ?
        c’est vite vertigineux !
        trop paresseux pour développer, je lirais volontiers 🙂

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      • Dans un monde où l’amour n’existe pas, une femme et un homme cherchent à savoir quel est le sentiment inconnu qui s’emparent d’eux.

        Elle est amoureuse de lui mais fait tout pour saboter leur relation naissante, et enquête pour comprendre quel démon la pousse à agir ainsi.

        Cupidon s’installe chez un couple et cherche à comprendre de quelle manière le sentiment qu’il inspire provoque bonheur, mais aussi tourments et querelles dans leurs vies.

        Oui, l’amour détective, c’est inépuisable. Je pense qu’on pourrait baser toute une carrière d’auteur sur ce seul thème.

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