Écrire de meilleurs dialogues

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Étape par étape : c’est toujours la meilleure manière de procéder. Donc récemment, nous avons cherché à savoir ce que c’est que des dialogues dans un roman, puis nous avons tenté de comprendre à quoi ils servaient et à quoi ils ne servaient pas. À présent que les bases sont posées, demandons-nous comment on peut écrire des dialogues de qualité.

À cette question comme à tant d’autres, on sera tenté de répondre qu’il suffit d’avoir du talent. Mais à ce tarif-là, je pourrais tout aussi bien m’abstenir d’écrire ces billets et de croiser les doigts avec vous en souhaitant que votre muse fasse spontanément fleurir le talent en vous. Ce serait une erreur : le talent, ça s’entretient. Et dans le domaine des dialogues, c’est en cherchant à comprendre comment les gens parlent que l’on peut progresser. Tendez l’oreille, donc, et, discrètement, écoutez. Ou indiscrètement, mais vraiment, faites-le.

Vous allez en tirer tout un tas d’enseignements précieux.

Non seulement vous allez en apprendre long sur les expressions que les gens utilisent (ou n’utilisent pas), sur les niveaux de langage, sur la manière dont ils plient la langue, la raccourcissent, la modifient pour qu’elle produise l’effet désiré, mais vous allez également pouvoir noter quelques petits trucs précieux.

Les dialogues de sourds peuvent faire merveille dans un roman

Par exemple, dans une conversation, il n’est pas rare que deux personnes aient des choses différentes à communiquer, et que, bien qu’elles donnent l’impression de dialoguer, elles finissent toujours par revenir au sujet qui les préoccupe personnellement. C’est ce qu’on appelle des dialogues de sourds, et ça peut faire merveille dans un roman.

Autre idée à retenir : lorsqu’ils parlent, par prudence, par peur ou par courtoisie, la plupart des gens ne disent pas ce qu’ils ont sur le cœur. Ils arrondissent les angles, mentent, s’abritent derrière de l’ironie. Écoutez ce qui est dit, mais également ce qui n’est pas dit. Le non-dit, les sujets qu’on évite parce qu’ils font mal, ceux que l’on évoque à mots couverts mais que personne ne prend la peine d’écouter, les messages qu’il faut lire entre les lignes pour vraiment les comprendre, les sous-entendus qui ne peuvent être compris que par un groupe restreint de personnes en raison de leurs références communes : tout cela peut conférer à une scène de dialogue une profondeur supplémentaire.

C’est particulièrement le cas si on prend garde de faire du lecteur un complice, qui parvient mieux que les personnages à décoder le sous-texte et les enjeux cachés de la conversation. Cela peut produire une ironie dramatique qui va enrichir le texte et donner de l’épaisseur aux personnages.

Les êtres humains ne parlent pas en dialogues de roman

Lorsque l’épouse rentre du travail, peut-être ne dira-t-elle pas à son mari que sa journée a été « épouvantable », mais préférera-t-elle un sec « Ça a été » ; certains, même, lorsqu’ils sont mécontents, vont jusqu’à dire « Merci » à ceux qui les importunent : « Dites-donc ! Merci de m’avoir volé ma place de parking ! » ; plutôt qu’annoncer une mauvaise nouvelle à un ami, un personnage se mettra à dérouler des banalités qui occupent la place de mots plus importants qui devraient être dits… Tant que les choses sont claires pour le lecteur, cette approche oblique peut donner de très bons résultats.

Écouter de véritables conversations et en tirer des enseignements, c’est précieux, mais l’exercice va également vous révéler un certain nombre de choses au sujet de la manière dont les gens parlent. Vous allez vite réaliser qu’ils hésitent énormément, qu’ils se répètent, qu’ils parlent tous en même temps et qu’ils ont une irritante tendance à changer de sujet de conversation dans prévenir.

En réalité, s’il est essentiel de s’inspirer de la réalité des conversations humaines lorsqu’on rédige des dialogues, il est tout aussi crucial de savoir s’en éloigner. Non, les êtres humains ne parlent pas en dialogue de roman, et les personnages de romans ne discutent pas tout à fait comme nous. Votre défi à vous, l’écrivain, va être de créer des séquences de dialogue qui ne sont pas tout à fait comme des conversations réelles mais qui, à la lecture, donnent malgré tout l’impression d’être des conversations réelles.

On ne parle pas qu’avec la bouche

C’est, comme souvent en littérature, de la prestidigitation. « La fiction, c’est la vie, les moments ternes en moins » disait Alfred Hitchcock, et le principe s’applique particulièrement bien aux dialogues. En écrire, ça ne consiste pas à reproduire le réel, mais à donner une impression du réel, une imitation, et, bien souvent, une amélioration. Donc imaginons que vous partiez d’une conversation réelle : pour en tirer un dialogue de roman, coupez tout ce qui n’est pas essentiel, les hésitations, le contenu phatique, les digressions en tous genres, pour ne conserver que ce qui sert l’action romanesque, tout en conservant l’apparence d’une parole authentique.

À force d’observer les gens, vous allez également parvenir à une autre conclusion essentielle : on ne parle pas qu’avec la bouche. Une conversation, ça n’est pas uniquement un échange de propos relayés par la voix.

On parle avec les mains. Lever le pouce, brandir l’index, serrer le poing, lever les paumes vers le ciel, les poser sur ses hanches, taper sur la table : il y a toute une bibliothèque de gestes chargés de sens qui sont utilisés par les êtres humains, soit à la place, soit en tandem avec des mots échangés. Certains de ces gestes sont universels, d’autres ne sont compris que localement. Ils peuvent intervenir dans un dialogue, avec autant de légitimité que n’importe quelle réplique.

Un personnage de roman, pour peu qu’il soit humain, s’exprime également avec les bras, et avec tout le reste du corps : croiser les bras, se frotter la nuque, attraper quelqu’un, le frapper doucement en signe de camaraderie virile, l’embrasser, effleurer son mention font partie des innombrables possibilités de gestes et d’attitude qui peuvent porter du sens dans une conversation.

Quand toutes les possibilités sont épuisées, il reste le silence

Notre visage est lui aussi une extraordinaire source de communication non-verbale, qui va du sourire à tout un répertoire de grimaces, en passant par les lèvres pincées, les mâchoires crispées, les sourcils froncés ou relevés, les yeux écarquillés, les claquements de langue, les soupirs, etc… Là aussi, ce sont des éléments qui peuvent prendre place dans un dialogue de différentes manières : un regard soutenu peut accompagner une réplique bien sentie, mais également s’y substituer, le geste se suffisant à lui-même, au milieu du silence.

La communication non-verbale, ça va même plus loin : les mouvements et les déplacements d’un personnage peuvent jouer un rôle dans un dialogue. Après une nouvelle inattendue, on se lève de sa chaise ; un individu en proie au souci va faire les cent-pas ; un paranoïaque va passer son temps à regarder derrière lui ; des amoureux vont chercher à se rapprocher l’un de l’autre ; la curiosité peut pousser un personnage à contempler tout ce qui se passe autour de lui, etc…

Et quand toutes les possibilités sont épuisées, il reste le silence, qui représente aussi un choix de dialogue tout à fait acceptable. Parfois, on pose une question et il n’y a pas de réponse ; parfois, un personnage vexé ou blessé reste mutique ; parfois, le mystère vient s’incarner dans le non-dit. N’hésitez pas à faire usage de cet outil qui peut caractériser un personnage ou une relation, avec une grande économie de moyens puisqu’il ne se passe rien du tout.

Rien n’est pire que les échanges statiques entre deux têtes qui se parlent sans bouger

Ce qui compte, c’est que le dialogue, il faut le mettre en scène. Rien n’est pire que les échanges statiques entre deux têtes qui se parlent sans bouger, sans réagir, sans s’émouvoir. Quand vos personnages se parlent, faites-les se mouvoir, faites intervenir l’environnement, décrivez ce qui les entoure et comment cela les influence, dites de quelle manière ce qu’ils entendent les fait réagir.

Ils n’ont d’ailleurs pas besoin d’arrêter ce qu’ils sont en train de faire pour se mettre à discuter: quand un personnage parle en agissant, cela va automatiquement donner du caractère à une scène, sans parler du fait que le résultat sera plus dynamique. Donc n’hésitez pas à écrire des dialogues où l’un des participants cause en réparant sa voiture, en lisant le journal, en cherchant son portefeuille, en s’habillant ou en se déshabillant, en conduisant une voiture, en chassant le gibier, etc… Et s’ils n’agissent pas directement, ils peuvent se trouver dans un lieu où il se passe plein de choses autour d’eux : un spectacle, un marché couvert, une plage bondée, une usine, etc…

Tout ce qui vous permet de donner du caractère à la scène, d’y insuffler du mouvement, va forcément améliorer la qualité du dialogue et peut donner lieu à d’intéressantes combinaisons entre ce qui est dit et le contexte dans lequel tout cela se situe.

Pour caractériser le dialogue, les mots prononcés suffisent

Deux mots encore de la meilleure manière de rédiger un dialogue, avec un conseil qui tient en deux mots : faites simple. C’est le cas en particulier quand il s’agit de choisir une formule à apposer après un élément de dialogue. Ne vous cassez pas la tête : il n’y a pas de meilleur choix que « dit-elle » ou « dit-il. »

Si vous préférez varier les formules, c’est sans doute parce que vous craignez de vous répéter : chassez immédiatement cette idée de votre esprit. Le lecteur ne lit pas les « dit-il », ou en tout cas pas vraiment. Pour lui, ils n’ont qu’une fonction formelle, semblable à la ponctuation. Vous pouvez en utiliser autant que vous voulez. Cela dit, bien entendu, si vous parvenez à vous en passer et qu’on comprend malgré tout qui parle, c’est encore mieux de ne rien mettre du tout.

L’autre tentation, c’est de souhaiter caractériser le dialogue, d’expliquer comment s’expriment les personnages. Les écrivains qui font ce choix ont l’impression (erronée) qu’il vaut mieux utiliser d’autres verbes que « dire », voire même y ajouter (horreur) un adverbe. En réalité, cela ne sert à rien et ne fait qu’encombrer la lecture. Pour caractériser le dialogue, les mots prononcés suffisent, et s’il vous paraît utile d’ajouter une précision, faites-le en ajoutant une action plutôt qu’une description. Ainsi, je vous en conjure, n’écrivez pas :

« Je suis fâché » hurla-t-il hargneusement.

Mais écrivez plutôt :

« Je suis fâché » dit-il.

Voire même :

« Je suis fâché » dit-il en tapant sur la table.

Et gardez à l’esprit qu’il est toujours possible d’écrire :

« Ça n’est pas grave » dit-il en tapant sur la table.

Certains auteurs estiment que ces formules simples, « dit-il » et « dit-elle » ; doivent être utilisées à l’exclusion de toutes autres. Personnellement, j’estime qu’il y a également de la place pour les « demanda-t-il » et « répondit-elle », qui permettent d’ajouter un peu de liant. À vous de voir, mais les dialogues sont déjà des scènes complexes, qui mettent en scène tout un ballet de personnages, de temps de verbes, de modes d’expressions, de signes de ponctuation : il vaut mieux rester simple là où c’est possible.

⏩ Dans deux semaines: trouver la voix des personnages

L’intrigue sans forme

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Comment structurer une intrigue ? A cette question, dans les billets précédents, j’ai apporté la réponse classique, à travers des schémas qui ont fait leurs preuves et qui permettent de construire des récits solidement charpentés. Mais laissons de côté quelques instants ces schémas, ces pyramides et ces crocodiles et cherchons un moyen de structurer une histoire autrement, d’une manière plus intuitive.

La pyramide de Freytag n’est pas la seule manière de construire une histoire. Bien souvent, ce n’est même pas la meilleure manière de le faire. Un peu comme le fameux « thèse-antithèse-synthèse » représente une manière de présenter un argument, mais pas nécessairement la plus efficace, ni la plus adaptée à toutes les situations, il est tout à fait possible d’opter pour une construction moins rigide, mais qui donne des résultats au moins aussi bons : l’intrigue sans forme.

Appelons ça « la règle du donc et du mais »

Tout roman, tout narratif, peut être décrit comme un enchaînement de scènes au cours desquelles des personnages agissent et ressentent des choses. La structure qui relie ces scènes sert à les enchaîner les unes aux autres, à les situer dans le temps et dans l’espace, à rendre les enjeux explicites et à maximiser l’impact émotionnel ressenti par le lecteur. Pour cela, il n’y a pas nécessairement besoin d’un grand schéma global imposé à tout le roman. On peut se contenter de suivre une règle archisimple qui régit l’enchaînement des scènes.

Appelons ça « la règle du donc et du mais. »

Ce n’est pas moi qui l’ai imaginé : aussi étonnant que ça puisse paraître, elle a été formalisée par les auteurs de la série d’animation South Park. Elle repose sur un constat élémentaire au sujet de la manière dont on raconte une histoire.

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Que l’on soit en train de relater une anecdote à des amis ou d’écrire un roman, l’approche la plus courante consiste à présenter une histoire comme une succession d’événements : « Ceci se produit, et puis ceci se produit, et puis ceci se produit, et puis ceci se produit… » Cette façon de faire a un gros défaut : elle est à peu près aussi intéressante à lire qu’une liste de courses. L’intérêt du lecteur n’est pas engagé, il n’y a aucun élan dramatique et le récit s’enlise vite dans l’ennui.

Les lecteurs sont intrigués, curieux de savoir ce qui va se passer par la suite

La règle du « donc » et du « mais » consiste à supprimer tous les « et puis » dans l’exemple ci-dessus et à les remplacer par des « donc » et par des « mais. »

Notre histoire devient dès lors quelque chose comme « Ceci se produit, donc ceci se produit, mais ceci se produit, donc ceci se produit… » Le résultat est une histoire bien plus palpitante, dans laquelle les événements ont des conséquences les uns sur les autres, du suspense est généré, et les lecteurs sont intrigués, curieux de savoir ce qui va se passer par la suite.

Voilà en deux mots comment fonctionne l’intrigue sans forme. Il suffit de se représenter un roman comme une succession de scènes qui s’enchaînent, et, à chaque fois que l’on serait tenté de mettre un « et puis » entre deux d’entre elles, on met à la place un « donc » ou un « mais. »

En clair, le « donc », c’est le cas de figure où la scène 2 est une conséquence directe de ce qui se passe dans la scène 1, et le « mais », c’est quand la scène 2 constitue une rupture par rapport aux attentes générées par la scène 1.

A cela, on peut encore ajouter une technique supplémentaire, qu’Alfred Hitchcock appelait « Et pendant ce temps là, au ranch. » On peut s’en servir quand une histoire inclut plusieurs intrigues racontées en parallèle. Quand l’une d’entre elle atteint son intensité maximale, on passe à une autre intrigue, et ainsi de suite. C’est un moyen supplémentaire d’éviter une transition « et puis », et cela génère du suspense, puisque le lecteur, lâché au point culminant de l’action, sera pressé de connaître la suite.

Il faut que l’intrigue poursuive des buts clairs et identifiables

Pour que ces quelques règles ne soient pas que des astuces d’écriture et constituent une véritable méthode de structuration d’un roman, cela dit, il faut tout de même prendre quelques précautions.

La technique du « donc » et du « mais » permet uniquement de déboucher sur une structure cohérente si elle repose sur une base solide. Il faut que l’intrigue poursuive des buts clairs et identifiables, que les personnages principaux aient des arcs narratifs solides, qui les voient évoluer de manière naturelle au cours de l’histoire, et enfin il faut que les thèmes du roman soient pleinement intégrés au récit. En l’absence d’une charpente dans le genre de la pyramide de Freytag, ce sont ces éléments qui vont donner leur cohérence à l’ensemble.

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Le film « Le Monde de Nemo » des studios Pixar nous offre une parfaite illustration de cette approche. L’intrigue repose sur un objectif clair : un père recherche son fils dès le début du film et le retrouve à la fin ; le personnage principal, le père, évolue au cours de l’histoire pour apprendre à dépasser ses peurs et à faire confiance à son fils ; quant au thème, le lâcher prise, il est constamment utilisé dans le long-métrage. A partir de ces fondations solides, le reste du film constitue une série d’aventures, reliées entre elles par la règle du « donc » et du « mais. » Cette construction est efficace parce que les objectifs et l’évolution des personnages sont logiques et compréhensibles.

Atelier : Reprenez la trame de votre projet d’écriture et tâchez d’identifier toutes les transitions d’une scène à une autre. Traquez les « et puis » et remplacez-les par des « donc », par des « mais » et par des « pendant ce temps, au ranch. » Soyez impitoyables.