Critique : Le Crépuscule de l’aigle

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Au cinquième siècle de notre ère, un soldat romain, Cassien, est envoyé en mission dans la petite ville d’Aventicum. Là, il va être chargé de trouver un équilibre délicat entre les populations gallo-romaines et les Burgondes, sur fond d’inimitiés, de règlements de comptes et d’incompréhensions culturelles.

Disculpeur : Amélie est une amie

Titre : Le Crépuscule de l’aigle

Autrice : Amélie Hanser

Editions : Autoédité (ebook)

Comme dit précédemment ici, oui, j’ai renoncé à poster systématiquement sur ce site des critiques de mes lectures, même si je continue à rédiger de brefs compte-rendus sur Babelio, mais il y a des exceptions, et parmi celles-ci, il y a les cas, assez nombreux, où je lis un livre écrit par quelqu’un que je connais. Peut-être que je m’abstiendrai de le faire si, un jour, je tombais sur un roman qui ne m’a pas plu du tout, mais ici, c’est loin d’être le cas.

Deux mots de contexte : comme les plus attentifs habitués du site s’en sont aperçus, je ne lis pas beaucoup de romans historiques. On peut même dire que, mis à part un récent western, ça ne m’est plus arrivé depuis des années. Je n’ai donc aucune expertise dans ce domaine, peu d’expérience et pas d’attente particulière, ce qui peut représenter un avantage comme un inconvénient.

Par contre, certains des sujets abordés dans ce roman m’intéressent particulièrement, raison pour laquelle j’avais ce livre dans le collimateur depuis que son autrice m’en avait parlé. Premièrement, il se situe dans la période entre la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-Âge : comme tous les moments charnière, c’est le théâtre de toutes les transformations et de tous les bouleversements, ce qui est éminemment romanesque. En plus, l’époque est méconnue du grand public et relativement peu explorée par la littérature. Deuxième raison : l’action se déroule près de chez moi, et s’attarde longuement sur les relations entre les Romains et les Burgondes, des peuples qui peuvent, davantage que les Helvètes, prétendre au titre d’ancêtres des Suisses romands.

Si l’exploration de l’histoire est une des raisons d’être de l’ouvrage, le livre fonctionne par bien des aspects comme un thriller politique. Des groupes antagonistes se livrent à une lutte d’influence, à une époque où l’équilibre des pouvoirs ne cesse de varier. Il est parfois difficile de discerner les intentions réelles des uns et des autres et de savoir qui est un allié ou un adversaire. C’est le guêpier dans lequel débarque le protagoniste, qui va, de plus, devoir résoudre un mystère : quel est le groupe armé qui rançonne une partie de la population, au nom de quoi agit-il et qui le soutient ? Ce sont ces questions-là qui nous tiennent en haleine jusqu’au bout de l’histoire, dans une intrigue habilement menée et pleine de suspense. De ce point de vue, le roman est une réussite totale : peuplé de personnages aux motivations claires et au caractère bien dessiné, il installe sur le chemin de ses personnages principaux suffisamment de mystère et d’embûches pour que jamais le soufflé ne retombe.

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« Le Crépuscule de l’aigle » n’est pas une romance, mais disons qu’il est saupoudré d’éléments de cette nature. J’avoue que j’ai été assez client de cette facette du récit. Les deux tourtereaux sont si spectaculairement incompétents pour communiquer l’un avec l’autre que cela génère une frustration très prenante chez lecteur (en tout cas, ce lecteur-ci), sans jamais en faire trop ou risquer de nous rendre les personnages durablement antipathiques.

Ce qui m’a un peu étonné, et pas toujours convaincu, c’est que le livre, qui est principalement un roman historique, est également doublé de passages qui tiennent plutôt de la chronique historique, c’est à dire que le narrateur omniscient s’adresse directement à nous, au milieu du texte, pour nous raconter les grandes évolutions de l’époque. Cette approche a le mérite de la simplicité, mais même si j’ai apprécié d’en apprendre plus sur cette période, le mélange des genres n’a pas fonctionné sur moi. J’aurais préféré que l’autrice trouve un moyen plus naturel de communiquer ces informations, sans sortir du genre romanesque.

Au début, le style m’a également un peu refroidi. Il est très dépouillé, et j’ai fini par le qualifier de « concret » : les faits sont exposés de manière simple, claire, et presque sans aucun affect. Amélie Hanser laisse l’action parler d’elle-même, et se refuse toute tentative de pénétrer trop profondément dans le coeur des personnages, même quand ceux-ci vivent des tragédies. Qui plus est, les dialogues sont rédigés sur le même mode, avec des personnages qui s’expriment tous un peu de la même manière, avec clarté et retenue. Au final, même si j’ai eu un peu de mal au début avec une approche qui m’a d’abord paru trop cérébrale, j’ai fini par m’y faire et ça m’est apparu comme le bon choix pour ce livre, dont l’intrigue est suffisamment efficace pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en rajouter. J’ai même fini par trouver ça reposant, et à considérer qu’il s’agit d’une qualité supplémentaire d’un roman qui n’en manque pas, et que je vous recommande chaleureusement.

L’interview: Amélie Hanser

Elle écrit ses premières histoires à l’âge de huit ans, puis finit par donner naissance à une trilogie de fantasy en attendant de se lancer dans d’autres défis littéraires. Amélie Hanser me fait l’honneur de répondre à mes questions cette semaine.

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Tu as signé une saga de fantasy en trois tomes, intitulée « La Terre des Héros. » Est-ce que tu l’as toujours envisagée comme une trilogie ?

Pas vraiment. En réalité, j’ai commencé cette histoire quand j’étais au lycée, surtout pour moi. Je n’avais aucune idée de ce que j’allais en faire, j’écrivais comme un loisir. Au début, elle devait se terminer après la bataille du tome 1. J’avoue avoir été très étonnée d’arriver à la 100e page et de me rendre compte que ça ne suffisait pas. Au fur et à mesure du temps, et surtout de mes études, l’histoire s’est étoffée et surtout complexifiée. Lorsque j’ai réalisé qu’un tome ne me suffirait pas, j’ai pensé à une trilogie.

Depuis combien de temps cette histoire mûrit en toi ?

J’avais déjà la trame de cette histoire en tête durant mon adolescence, mais elle se déroulait dans un univers de Science-fiction. Finalement, j’ai commencé cette histoire en 2005, soit il y a 13 ans maintenant. Il faut croire que je ne suis pas rapide. En réalité, il s’agit surtout de la trame générale, car l’histoire a beaucoup changé. En 2013, j’ai complètement remanié mon univers et changé le nom de pratiquement tous les personnages principaux.

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« La Terre des héros » s’axe sur des motifs classiques de la fantasy. Est-ce une volonté de ne pas brusquer le lecteur ?

Là encore, je n’ai pas réfléchi à tout ça avant, puisque « La terre des héros » devait rester privée. J’ai écrit comme ça venait, sans préméditation. À l’époque, il y avait même des nains, des elfes et des orques. Depuis, j’ai repensé l’histoire et surtout l’univers. La trame du tome 1 Héritage peut paraitre classique, mais la trilogie prend plus de personnalité dans les deux suivants.

Passionnée d’histoire, tu es détentrice d’un master en histoire des religions. Quelle place cette spécialisation occupe-t-elle dans ton œuvre littéraire ?

Une grande place. Le concept même de l’univers provient d’un motif récurrent dans les religions antiques, celle d’une terre qui accueille les héros valeureux. Cette terre est le Valhalla des uns, les Champs Élysée des autres, etc. Les héros qui ont peuplé ce monde ont conservé leur religion et leurs rites. J’insère aussi dans mon récit des lais qui reprennent certains mythes. La religion est une part importante d’une civilisation et a longtemps conditionné tous les domaines de la vie des hommes, de l’alimentation à l’art. De plus, les religions possèdent beaucoup des points communs entre elles, et c’est ce que je veux illustrer dans ma trilogie.

« Les histoires que nous aimons vivent en nous pour toujours », a dit JK Rowling. Quelle trace aimerais-tu laisser dans les mémoires de tes lecteurs ?

Qu’ils m’adulent ! Non plaisanterie à part, laisser une trace est déjà une bonne chose. Et si c’est positif, c’est encore mieux. Je souhaite avant tout qu’ils passent un bon moment, car c’est le but premier de la lecture.

Tu es attachée à une saine représentation des genres, des ethnies et des orientations sexuelles en littérature. Pourquoi, à ton avis, les littératures de l’imaginaire ont-elles du retard dans ce domaine ?

J’ai justement écris un article sur ce sujet (« Auteurs, pensez à la diversité »). Oui, sans forcément le vouloir, les littératures de l’imaginaire reprennent souvent des motifs répétitifs qui deviennent à la longue discriminants. Je ne pense pas que cela soit volontaire, comme l’image de la femme qui oscille entre demoiselle en détresse, guerrière farouche presque nue ou encore servante. On retrouve cela autant chez les auteurs que les autrices.

En ce qui concerne l’orientation sexuelle ou l’origine ethnique, je pense que les auteurs ne se posent pas forcément la question de mettre un personnage homosexuel ou non caucasien. La fantasy n’est pas épargnée, même si la présence de différentes peuplades donne parfois une illusion de diversité. En même temps, il ne faut pas se servir d’une quelconque « particularité » pour caractériser un personnage. Il faut donc trouver le juste milieu et rendre l’information utile à l’histoire.

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Tu prévois d’écrire dans plusieurs genres différents. Pourquoi commencer par la fantasy ?

Je préfère dire que ce sont les histoires qui me trouvent plutôt que l’inverse. J’ai eu cette idée de roman qui est de la fantasy, les autres qui me sont venues sont du genre historique. Peut-être qu’un jour j’écrirais de la science-fiction, je ne sais pas.

Sur quels genres vont porter tes prochains projets ?

Les idées du moment appartiennent surtout au roman historique. La prochaine sera une romance durant la Première Guerre mondiale, j’ai aussi un projet en grandes lignes sur la chute de l’Empire romain.

Une bonne partie des salons et des éditeurs spécialisés dans les littératures de l’imaginaire sont en France ou en Belgique. Est-ce un handicap d’être basée en Suisse ?

En quelque sorte, oui. Je trouve la Suisse un peu fâchée concernant la mise à disposition des informations sur internet. Il n’est pas évident de trouver un salon et encore moins de connaitre les conditions pour s’inscrire en tant qu’auteur. De plus, la question de la langue ampute géographiquement le lectorat suisse potentiel. Il faut aller dans des salons de pays voisins et ce qui engendre des frais supplémentaires (hôtels, essence, etc.)

L’autoédition, dans ton cas, est-ce une volonté ou as-tu tenté d’approcher des éditeurs avec ton manuscrit ?

Dans un premier temps, j’ai envoyé mon manuscrit à plusieurs maisons et ai même signé un contrat. Mais la maison d’édition a fermé et j’ai récupéré mes droits. J’aurais pu continuer à démarcher, mais j’ai décidé de m’autoéditer pour essayer de voir ce que j’arrivais à faire.

Et qu’est-ce que tu es arrivée à faire? Tu es satisfaite de ta démarche?

S’auto-éditer n’est pas une question de facilité, bien au contraire. Il faut pouvoir présenter un livre qui a tout d’un édité, en ayant tout fait tout seul. La première fois, plusieurs fautes m’avaient échappé. J’ai dû rééditer le tome un mois après pour corriger mon erreur. Il faut aussi se renseigner sur la législation, la communication ou les canaux de distribution. Pour réussir sa démarche, il faut aussi reconnaitre ses propres limites. Dans mon cas, après avoir tenté de faire moi-même la couverture, je me suis rendu compte qu’il fallait que je passe par un professionnel pour qu’elle ressemble à ce que je voulais.

Aujourd’hui, je suis assez fière de m’être lancée dans cette aventure. Mes ventes dépassent largement le cercle de mes connaissances, ce qui me montre que je suis sur la bonne voie. En revanche, je ne suis pas à l’aise dans la promotion active ni dans le démarchage de librairies, là où une maison d’édition serait sans doute plus présente sur ce plan.

Existe-t-il des astuces pour écrire lorsque l’on est mère de famille ?

Profiter des siestes des enfants, et avoir un super mari qui comprend que ce soir on préfère écrire. Il faut trouver du temps par-ci par-là, ce qui n’est pas évident. Si je ne suis pas trop fatiguée, j’essaie de m’y mettre le soir, mais je n’y arrive pas toujours.

Au-delà de ça, un conseil, une suggestion à ceux qui te lisent et qui ont envie d’écrire?

Lancez-vous, ça ne coute rien. Au pire vous abandonnez et l’histoire reste dans un coin du disque dur, au mieux ça vous procure du plaisir et peut-être même de la fierté d’avoir accompli quelque chose. La question de la publication et des ventes, au final, n’est qu’un bonus.

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