Arcs narratifs : quelques outils

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Comme nous avons eu l’occasion de passer en revue les fondamentaux de la construction d’un arc narratif soit la préparation, les retombées et la notion de mérite littéraire, il est temps d’en explorer les outils. Traditionnellement, sur ce site, les articles « outils » rassemblent une série de conseils dépareillés, qui viennent compléter les bases énoncées dans les premiers articles. Celui-ci ne fait pas exception.

La cuisson lente

Additionner une préparation profonde, une préparation dramatique et une préparation instantanée pour parvenir à des retombées méritées : c’est comme ça que j’ai esquissé le mécanisme principal qui conduit à une construction narrative qui fonctionne. Mais si ces ingrédients sont indispensables, ils ne suffisent pas à réussir à tous les coups. Se contenter de remplir ces trois cases, mécaniquement, pour faire comprendre au lecteur pour quelle raison les personnages prennent les décisions qu’ils prennent, ça n’est pas toujours assez. Cela réclame un peu de doigté, et une vision sur le long terme.

C’est le cas en particulier des scènes où un ou plusieurs protagonistes entreprennent une action décisive, au terme d’une phase de préparation ou de réflexion. Ce moment, avant de le mettre en scène, il faut le laisser mûrir dans la tête du lecteur.

Oui, d’accord, vous avez fait le job : vous nous avez expliqué que Cléa est une jeune femme romantique et sensible (contexte profond), qu’elle manque de confiance en elle après une rupture difficile (contexte dramatique) et la scène où elle décide finalement d’embrasser son crush, Jordan (ils s’appellent toujours Jordan, n’est-ce pas ?), n’est pas mal tournée. Mais malgré tout, quelque chose ne fonctionne pas, vous le sentez bien. Alors quoi ?

Alors ce n’est pas un ingrédient qui manque, c’est que votre plat doit mijoter davantage. Pour nous faire comprendre ce qui pousse cette jeune femme plutôt fleur bleue à s’accaparer les lèvres de celui qui fait vibrer son cœur, il faut prendre le temps de nous faire vivre un peu sa paralysie face aux jeux de l’amour, ainsi que son émoi grandissant face à Jordan, qui, peu à peu, lui inspire confiance. Ces choses-là n’arrivent pas à point instantanément. Ce n’est qu’après une cuisson lente dans la tête du lecteur qu’il sera prêt à considérer que l’assaut buccal qui constitue la retombée de cet arc narratif est mérité.

Si ça ne fonctionne pas, essayez de rallonger les scènes, nourrissez la préparation dramatique d’éléments supplémentaires, ou rajoutez quelques blocs, jusqu’à ce que ça vous paraisse suffisant. Au besoin, testez la séquence auprès de bêta-lecteurs.

Bref, la préparation, ce n’est pas juste une question de délivrer les bonnes informations dans le bon ordre, c’est aussi une question de tempo. Ne servez pas le plat avant qu’il soit cuit. Ni quand il est brûlé.

Insuffisante prophétie

Autre question de construction temporelle délicate à mener, et qui mérite une attention particulière : toutes les tentatives d’inclure une prophétie dans votre narratif.

Quand je dis « prophétie », il peut s’agir d’une authentique prédiction de l’avenir, par des moyens magiques, tels qu’on les rencontre fréquemment dans les récits de fantasy, et dont j’ai déjà eu l’occasion de dire ici ce que j’en pense. Mais il peut également s’agir d’artifices narratifs plus conventionnels, tels que le flashforward (un petit aperçu de l’avenir de l’histoire), ou ces sentences énoncées par un narrateur omniscient, comme Joël Dicker les affectionne, du genre « En entrant dans cet hôpital, Teresa ne peut pas se douter du drame qui va s’y jouer. Il ne reste que trente-sept heures ».

Aucun de mal à ça. Qu’on soit ou non amateur de ce genre de techniques, elles ne sont par essence ni bonnes, ni mauvaises. Par contre, il est important de garder en tête que ce genre de présage ne peut pas à lui seul se substituer à une préparation. Non, surnommer votre protagoniste « l’Élue » ne suffit pas à justifier qu’elle se découvre le courage de terrasser le Grand Méchant à la fin de l’histoire. Si vous vous contentez de ça, le lecteur va rester sur sa faim. Bref, c’est immérité.

En deux mots, ces éléments peuvent prendre la place de la préparation profonde, mais elle uniquement. Et comme on l’a vu, il ne s’agit que d’un tiers du boulot. Donc ne vous servez pas de ce genre de technique, en croyant que vous avez trouvé une solution miracle pour établir votre préparation en déployant peu d’efforts.

Oui, peut-être que vous avez mentionné que votre personnage de jeune reine combattante descend d’une longue lignée de nobles psychologiquement instables, mais si vous souhaitez mériter le moment à la fin de l’histoire où elle perd la boule, il va falloir semer quelques indices supplémentaires, et construire la scène fatidique de manière à y inclure un élément déclencheur. Sans cela, ça risque de tomber à plat.

Un vrai déclencheur

Pendant qu’on parle de ça : la préparation instantanée, ça ne peut pas juste être n’importe quoi. Il faut qu’il s’agisse d’un déclencheur crédible de l’action, un élément narratif qui ne laisse aucun doute au sujet du fait que la réaction du personnage est justifiée.

C’est dommage, mais beaucoup d’arcs narratifs échouent au tout dernier moment, parce que la dernière phase n’est pas suffisamment soignée. Exemple : vous nous avez montré que votre personnage est un paria, qui s’est habitué à se débrouiller seul et à fuir les ennuis (préparation profonde) ; peu à peu, il trouve une cause à défendre et des amis sur qui il peut compter (préparation dramatique) ; dans une scène-clé, il choisit de sacrifier sa vie pour sauver ses nouveaux amis, euh, par exemple en jouant de la guitare dans une dimension parallèle (préparation instantanée).

C’est un développement classique, et tout cela tient parfaitement debout, à condition que la dernière scène justifie cette décision. En particulier, s’il sacrifie sa vie sans savoir quel impact réel cela pourrait avoir, ou s’il existait manifestement d’autres moyens de régler la situation qui n’aurait pas mené à sa mort, on est en présence de retombées imméritées, qui vont susciter davantage de perplexité que d’émotion.

La préparation instantanée ne peut pas juste être n’importe quoi : il doit s’agir d’un élément crédible qui justifie pleinement l’action et les conséquences qui suivent, et dans l’idéal, sans être prévisible. C’est une scène-clé, prenez le temps de la soigner.

Tester le mérite

Déterminer si des retombées sont méritées ou non est une question subtile, pour laquelle il n’existe pas de méthode scientifique. D’ailleurs, attendez-vous à ce que la solution que vous finissez par adopter fonctionne pour certaines personnes mais pas pour d’autres. Dans ce domaine comme dans d’autres, on ne peut pas contenter tout le monde. Tout au plus peut-on chercher à satisfaire un maximum de lecteurs, et à faire taire par avances les protestations les plus bruyantes.

Toutefois, si vous avez l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche, qu’un moment n’est pas complètement mérité ou que vos bêta-lectrices et lecteurs vous signalent leur insatisfaction, je vous propose de tester votre arc narratif en vous posant une question, que voici : qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Est-ce que c’est le tempérament du personnage (préparation profonde), son état d’esprit (préparation dramatique) ou sa réaction immédiate (préparation instantanée) ?

Selon la manière dont vous répondez à cette question, cela peut vous permettre d’identifier dans quel secteur se situe le problème, et d’y remédier efficacement.

Le plan

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Établir un plan, c’est l’acte créatif le plus important de l’écriture d’un roman. Et une fois qu’un plan est complet, il devient le document de référence le plus crucial pour toutes les étapes qui vont suivre. Bref, je m’en voudrais d’insister, mais le plan est très, très important. S’il y a bien un moment où il faut se concentrer un minimum, c’est quand on aborde cette phase.

Ce qu’on appelle un plan, c’est un document dans lequel toute l’intrigue du roman est résumée : chaque action, chaque fait, chaque personnage, chaque scène, le tout dans l’ordre. Tout ce qui figure dans le plan se reflète dans le roman et tout ce qui est dans le roman a pris ses racines dans le plan. Si le roman est une symphonie, le plan en est la partition.

Le plan, cela dit, ne naît pas de nulle part : c’est le fruit d’un parcours créatif que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sur ce blog. Il commence par la collecte d’idées, se poursuit par l’élaboration d’un argument, puis par une tentative de lui donner une forme. Ensuite seulement on peut envisager de passer au plan.

On met en place un plan pour la même raison qu’on dessine les plans d’une maison

C’est avec cette étape qu’un livre voit réellement le jour : les enjeux dramatiques, l’évolution des personnages, les coups de théâtre, les moments marquants de l’intrigue, tout figure dans ce document. Au fond, une fois qu’on a mis sur pied un plan bien échafaudé, le roman existe déjà : il ne reste plus qu’à l’habiller avec des mots, des phrases, et toutes ces petites choses qui rendent la lecture agréable.

C’est dire qu’il est très fortement déconseillé de se passer complètement de plan avant d’aborder la phase d’écriture. Un roman, même court, même simple, ça reste un gros morceau d’information à conserver en entier dans un cerveau : sans coucher par écrit certaines de vos idées, sans les relier entre elles, sans rien planifier, elles risquent de vous échapper, ou d’arriver sur la page pèle-mêle et de se retrouver mal utilisées, voire incompréhensibles.

On met en place un plan pour la même raison qu’on commence par dessiner les plans d’une maison avant de lancer le chantier : ça évite pas mal d’erreurs de jugement.

Cela dit, malgré l’importance centrale du plan dans l’aventure de l’écriture, au fond, ça n’est rien d’autre qu’un banal document Word.

Votre plan va vraisemblablement ressembler à un tableau à double entrée

Ou disons : ça peut prendre à peu près n’importe quelle forme, en fonction de vos envies, vos habitudes et de ce que vous trouvez le plus pratique : document Word, Excel ou autre programme du genre, notes lâchées directement sur le papier, post-it punaisées sur un mur, lignes tracées au feutre sur un tableau blanc. Au fond, tout ce qui compte, c’est que vous vous y retrouviez. A titre personnel, j’utilise OneNote.

Quelle que soit votre approche, votre plan va vraisemblablement ressembler à un tableau à double entrée. Les lignes vont représenter chacun de vos chapitres (ou toute autre division qui fait sens pour vous, si vous n’utilisez pas de chapitres). Vous pouvez même descendre au niveau des paragraphes si vous souhaitez un plan plus précis.

Les colonnes vont représenter un certain nombre d’éléments constitutifs de votre intrigue. Cela peut, par exemple, prendre la forme suivante :

Colonne 1 : Numéro et/ou titre du chapitre

Colonne 2 : Les personnages principaux en présence

Colonne 3 : Le(s) lieu(x) où se déroule l’action.

Colonne 4 : Les moments-clé de l’intrigue, action par action.

Colonne 5 : Cheminement et évolution des personnages principaux.

A vous de voir ce qui vous convient. Vous pouvez très bien vous passer de l’une ou l’autre de ces colonnes, ou alors en rajouter d’autres. Certains, en particulier dans les littératures de l’imaginaire, souhaiteront faire figurer une colonne où sont mentionnés les éléments explicatifs liés à l’univers, afin qu’ils trouvent leur place naturellement dans le texte. On peut faire figurer des notes sur le style ou sur le langage, ajouter des repères temporels précis pour parvenir à situer les actions les unes par rapport aux autres, repérer les moments où les personnages quittent la scène et mentionner ce qu’ils font quand on ne parle pas d’eux. On peut utiliser des codes couleur pour les lieux ou les personnages, rajouter des flèches pour rendre plus claires le cheminement de certains des protagonistes, faire figurer des diagrammes pour visualiser les montées et les descentes de la tension narrative, mentionner en grisé les informations connues des lecteurs mais pas des personnages (ou l’inverse)… Les possibilités sont infinies.

Certains ont besoin d’une planification très précise

Une autre manière de rédiger un plan, parfaitement réalisable, est de l’échafauder entièrement à l’aide de la théorie des blocs. L’auteur décrira alors l’action bloc par bloc, en détaillant au besoin les transitions qui relient les blocs les uns aux autres, comme s’il jouait aux Lego.

Le plan sert à planifier l’écriture, à l’auteur de savoir de quoi il aura besoin dans ce domaine. Certains ont besoin d’une planification très précise, scène par scène. Moi, je sais qu’en procédant ainsi, je risque de rendre le moment de l’écriture très ennuyeux et je préfère opter pour un plan plus vague, qui me laisse une certaine marge d’interprétation (mais cette approche m’oblige parfois à procéder à des raccommodages quand surviennent des contradictions ou des éléments d’intrigue que je n’avais pas anticipés).

En règle générale, plus il y a de détails dans un plan, moins vous allez vous mélanger les pinceaux en rédigeant votre manuscrit, et plus solide sera l’intrigue, mais le prix à payer est le risque de manquer de spontanéité dans l’écriture. A l’inverse, moins il y a de détails dans un plan, plus cela laisse la porte ouverte à de nouvelles idées pendant le processus d’écriture, au risque que toute la charpente de l’intrigue s’effondre parce qu’elle n’aura pas été suffisamment planifiée.

Si vous ne savez pas de quoi vous avez besoin, je vous suggère d’essayer le modèle décrit ci-dessus, qui constitue un bon point de départ.

Atelier : une fois que vous avez terminé de créer un plan pour votre texte, envisagez d’y ajouter des colonnes supplémentaires pour mentionner des aspects qui n’y figurent pas encore. Est-ce que certaines de ces nouvelles catégories vous aident ? Dans ce cas, gardez-les. Si ce n’est pas le cas, supprimez-les ou modifiez-les.

📖 La semaine prochaine: la narration à la 3e personne

La structure d’un roman: résumé

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Un grand merci pour vos réactions, vos retours et vos témoignages de ces dernières semaines sur ma série consacrée à la structure du roman. Comme demandé, et au cas où certains d’entre vous trouveraient ça pratique, ce billet comporte des liens vers chacune des chroniques de la série.

Première partie: actes, parties, tomes

Deuxième partie: les chapitres

Troisième partie: les paragraphes

Quatrième partie: les phrases

Cinquième partie: les mots

Sixième partie: la ponctuation

Septième partie: la théorie des blocs

La structure d’un roman: la théorie des blocs

blog structure blocs

Dans les billets précédents, je me suis penché sur les éléments de structure utilisés dans les romans, du plus grand jusqu’au plus petit, de l’acte jusqu’à la virgule. Oui, je vous avais dit que tout était terminé, mais surprise! A la place, je vous propose d’oublier tout ça et d’aborder la structure sous un angle complètement différent, mais tout aussi utile à connaître pour ceux qui aspirent à écrire…

En deux mots, avec la théorie des blocs, puisque c’est de ça qu’il s’agit ici, on ne s’intéresse pas à structurer l’écriture en utilisant ce qu’on peut voir sur la page (des chapitres, des paragraphes, des phrases, etc..), on cherche une structure qui reflète l’action elle-même : ce qui se passe dans le roman, donc.

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L’idée vient du monde de l’écriture théâtrale et cinématographique, et est relativement bien connue aux Etats-Unis, mais curieusement moins utilisée ici. Tout repose sur ce que là-bas on appelle un « beat. » Le beat, le battement, c’est l’unité élémentaire de l’action, une des molécules dont est constituée la fiction. Chaque décision, acte, révélation, réplique, découverte, événement représente un beat. Une scène est constituée de plusieurs beats qui, tous à leur manière, contribuent à faire progresser l’action.

Il n’y a pas de traduction courante ou officielle au mot « beat » et le mot n’est pas particulièrement facile à utiliser dans la langue française, aussi j’ai choisi de le traduire par « bloc », parce que, vous allez le voir, il s’agit de traiter l’écriture romanesque comme un jeu de construction. On met bout à bout des blocs de types différents, qu’on assemble pour constituer une histoire…

Des volumes entiers ont été écrits sur cette approche de l’écriture, en particulier dans les milieux du cinéma. J’ai la conviction qu’elle peut être utile également aux romanciers, en particulier au moment de mettre en place le plan, ou lors de la phase de relecture.

Je vous propose ici une version simplifiée du système, constituée de seulement quatorze types de blocs différents. Si la technique vous intéresse, vous trouverez facilement des livres qui vous permettront d’aller plus loin, ou vous pourrez vous-mêmes mettre sur pied une approche qui vous convient mieux.

Les blocs d’intrigue

Les blocs d’intrigue sont les blocs les plus courants et les plus importants. Un bloc d’intrigue, c’est un bloc où il se passe quelque chose qui fait avancer l’intrigue, l’histoire du roman : le personnage principal s’approche ou s’éloigne de la réalisation de ses buts. Bien souvent, un bloc d’intrigue contient de l’action ou du conflit entre plusieurs personnages.

Il existe trois types de blocs d’intrigue. Un bloc d’intrigue ↗️, ou positif, c’est un bloc où le protagoniste fait quelque chose qui le rapproche de la réalisation de son objectif : il défait un adversaire, vient à bout d’une difficulté, acquiert un statut, s’adjoint un allié, etc…

Un bloc d’intrigue ↘️, ou négatif, c’est l’inverse. Le protagoniste fait ou subit quelque chose qui l’éloigne de son but : il essuie une défaite, est blessé ou diminué, perd un statut social enviable, se fâche avec un allié, etc…

Enfin, un bloc d’intrigue ➡️, ou neutre, c’est un bloc où le protagoniste fait quelque chose pour tenter d’accomplir son but, mais n’obtient aucun progrès significatif. En eux-mêmes, ces blocs sont à déconseiller, parce qu’ils ne font qu’occuper de la place dans le roman sans faire progresser l’intrigue, mais ils peuvent être associés à d’autres types de blocs pour déboucher sur des résultats intéressants.

Les blocs dramatiques

Ceux-là s’intéressent à la vie intérieure du protagoniste, à son humeur, son état d’esprit, ses opinions, sa construction mentale. Ils sont généralement couplés aux blocs d’intrigue, dont ils peuvent constituer des conséquences directes.

Les trois types existants rappellent d’ailleurs ceux des blocs d’intrigue. Un bloc dramatique ⏫, ou positif, reflète une évolution constructive de la vie intérieure du personnage, et le fait progresser en direction de la transformation qu’il va connaître au cours de l’histoire (car, je le rappelle, une histoire, c’est un récit au cours duquel le personnage principal change). Il comprend quelque chose au sujet de lui-même et des autres qui lui permet d’avancer et de laisser derrière lui ses limitations et ses mauvaises habitudes.

Un bloc dramatique ⏬, ou négatif, c’est l’inverse. Cela reflète une régression dans le cheminement du personnage, qui retombe dans ses vieux travers, se décourage, retombe dans une mauvaise habitude qu’il tentait de combattre.

Enfin, un bloc dramatique ⏩, ou neutre, c’est un bloc au cours duquel le personnage ne subit aucun changement intérieur. Cela peut sembler être une catégorie inutile, car si le personnage ne change pas, pourquoi le mentionner ? Mais dans certains cas, l’utilisation de ce genre de bloc peut se justifier : lorsque par exemple, le protagoniste reste stoïque face à une provocation, une tentation ou un mauvais traitement qui était destiné à le faire réagir. Cela peut également représenter un dilemme : un moment où le personnage hésite sur la bonne manière d’agir (et donc, s’il finit par faire son choix, un bloc dramatique neutre sera suivi d’un bloc dramatique positif ou négatif).

Bien souvent, un bloc dramatique positif sera la conséquence d’un bloc d’intrigue positif, mais cela n’est pas nécessairement le cas. Parfois, le protagoniste progresse en direction de son but mais est déprimé par le genre de personne qu’il est en train de devenir, et réalise qu’il est de moins en moins en harmonie avec les méthodes qu’il emploie : on couple donc un bloc d’intrigue positif avec un bloc dramatique négatif. Dans d’autres cas, le personnage subit un revers, mais l’adversité le motive à continuer de plus belle et lui donne la rage au ventre : on enchaîne alors un bloc d’intrigue négatif avec un bloc dramatique positif.

Les blocs de dénouement

Là, il en existe deux types ☑️ : les blocs de dénouement d’intrigue et les blocs de dénouement dramatique. Dans le premier cas, le protagoniste accomplit son objectif : il terrasse le méchant, il obtient le titre convoité, il résout l’enquête. Dans le second cas, le protagoniste termine sa transformation intérieure : il apprend à lâcher prise, il triomphe de son égoïsme, il réalise qu’il peut compter sur ses amis. Dans un roman, il ne peut donc en principe y avoir qu’un seule bloc de dénouement de chaque type, à moins que l’on suive la trajectoire de multiples personnages qui poursuivent chacun des buts différents et ont des arcs dramatiques distincts.

Les blocs d’information

Un bloc d’information, c’est un bloc au cours duquel le personnage (ou le lecteur) apprend quelque chose qu’il ignorait. Cela peut être la conséquence d’un bloc d’intrigue, donc d’une action délibérée, ou être l’effet d’une rencontre inopinée ou d’une révélation.

Là aussi, il existe trois types de blocs de ce genre. Le bloc d’information ❓ ou bloc d’information mystère, c’est celui où le personnage apprend quelque chose qui soulève sa curiosité et lui donne envie d’en savoir plus : une incohérence, une information partielle ou quelque chose qui contredit ce qu’il pensait savoir rentrent dans cette catégorie. Cela peut être idéalement couplé avec un bloc dramatique de peur ou d’espoir.

Le bloc d’information ❗ou bloc d’information révélation, c’est celui au cours duquel le protagoniste apprend une nouvelle inattendue, qui peut le motiver à agir dans un sens ou dans un autre (et donc mener à un bloc dramatique positif ou négatif). Typiquement, un bloc d’information révélation fera écho à un bloc d’information mystère : c’est signe que le protagoniste a obtenu la réponse à une question qu’il se posait depuis un moment au cours de l’intrigue.

Enfin, un bloc d’information ❌, ou bloc d’information d’exposition, contient une information qui n’a pas de conséquences immédiates, ne soulève pas de mystère et ne change pas l’état émotionnel du protagoniste. Typiquement, ces blocs servent à établir des aspects de l’intrigue en amont, en attendant qu’ils deviennent pertinents plus tard. Attention de ne pas abuser de ces blocs-là, qui, trop nombreux, peuvent étouffer l’intrigue et rendre le roman pesant ou incompréhensible.

Les blocs de stase

Les blocs de stase, ce sont ceux où il ne se passe rien. Il peut sembler inutile de prendre en compte ce genre de blocs, mais l’écriture romanesque comprend également des moments où le protagoniste n’agit pas pour faire avancer l’intrigue, et il peuvent avoir toute leur importance. Après tout, un personnage peut faire énormément de choses différentes qui n’ont aucun lien direct avec l’intrigue : si vous écrivez une scène pendant laquelle quelqu’un est en train de faire la cuisine lorsqu’il se fait attaquer, vous enchaînerez un bloc de stase (faire la cuisine) avec un bloc d’intrigue (le combat).

Un bloc de stase 🔴, ou bloc de stase standard, regroupe toutes les actions qui n’ont aucune influence ni sur l’intrigue, ni sur l’état émotionnel du personnage, et ne confèrent aucun avantage ou désavantage à qui que ce soit.

Il peut également y avoir des blocs de stase 🔺, ou positifs. Une catégorie qui regroupe tous les blocs où un personnage voit sa situation s’améliorer, sans pour autant faire avancer l’intrigue. Par exemple, il peut écouter de la musique, ce qui le calme et le met de bonne humeur. Ou alors, il enfile sa cape d’invisibilité, ce qui lui confère un avantage mais, sauf s’il le fait dans un but précis, ne constitue pas un bloc d’intrigue.

Enfin, les blocs de stase 🔻, ou négatifs, c’est l’inverse : il se passe quelque chose qui péjore la situation du personnage, sans pour autant l’éloigner de ses objectifs. Son chat meurt, il réfléchit à sa vie et trouve qu’elle manque de saveur, il retombe dans la bouteille : tous ces exemples sont dans cette catégorie.

On met tout ensemble…

Avec les blocs ci-dessus, on peut assembler à peu près n’importe quelle scène. Prenons l’exemple ci-dessus, du personnage qui est tranquillement en train de cuisiner (bloc de stase standard). Il se fait attaquer par des gens qui s’introduisent chez lui et ont l’air de le connaître, mais lui ne comprend pas leurs motivations (bloc d’information mystère). Au terme d’un combat, il en vient à bout (bloc d’intrigue positif) mais il ressort de cette lutte choqué et effrayé (bloc dramatique négatif). En d’autres termes, toute la scène peut se résumer à ceci : 🔴❓↗️⏬

La théorie des blocs est très utile pour établir le plan d’un roman. Si vous aimez planifier tous les détails, vous pouvez prévoir chaque bloc de chaque scène, tout au long du roman, et produire ainsi une liste très détaillée de tout ce qui arrive dans votre histoire. J’y reviens dans un prochain billet.

Même si tout cela vous semble un peu lourd, il peut être utile de garder la théorie des blocs à l’esprit lors de la relecture. Lorsque vous tombez sur une scène qui ne fonctionne pas et que vous ne comprenez pas tout de suite pourquoi, c’est généralement parce qu’il manque un bloc. Typiquement, un bloc d’intrigue n’est pas suivi d’un bloc dramatique et manque donc d’impact, ou alors il manque un bloc d’information qui permettrait de mettre les choses en perspective et de mieux comprendre les enjeux. Ou, troisième possibilité : les scènes s’enchaînent sans pause et il peut être utile d’insérer un bloc de stase là au milieu.

Atelier : pour mieux comprendre tout ça, prenez un chapitre d’un de vos romans préférés et essayez de le découper en blocs. Cette analyse est riche d’enseignement pour comprendre de quelle manière un auteur construit son intrigue. Dans certains cas, vous pouvez avoir l’impression qu’il existe plusieurs manières de découper les scènes en blocs, ou alors vous pouvez avoir l’impression que le passage comprend des blocs qui ne sont pas listés ci-dessus. C’est parfaitement normal : la technique des blocs n’est pas une science, c’est plutôt un jeu, une astuce, qui peut vous guider mais en aucun cas vous contraindre.

📖 La semaine prochaine: les formes de l’intrigue