Écrire le suspense

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Le rythme cardiaque qui s’accélère, les doigts moites qui tournent fébrilement la prochaine page, à la fois effrayé et excité de découvrir ce qui s’y passe, une furieuse envie de hurler aux personnages du roman de ne pas tomber dans le piège qu’on vient de leur tendre : voilà quelques-uns des symptômes du suspense.

Afin de poursuivre notre exploration du crime et du roman policier, après nous être intéressé au roman à énigme et à son ingrédient principal, le mystère, il est temps de nous tourner sur un autre genre où la criminalité s’épanouit : le thriller, qui repose principalement sur le suspense.

Un thriller, pour faire court, c’est un roman où les personnages principaux sont en danger ou tentent d’éviter qu’un drame se produise. Comme le roman à énigme, ce genre se focalise sur une crise, mais plutôt que d’arriver après l’événement, de tenter de comprendre ce qu’il s’est passé et de châtier le coupable, le thriller prend place pendant l’événement, et se focalise soit sur les victimes, qui subissent la crise de plein fouet, soit sur ceux qui tentent par tous les moyens d’éviter qu’une tragédie ne survienne. Les deux genres sont cousins, il leur arrive de partager les mêmes ambiances et quelques ficelles, mais les objectifs qu’ils poursuivent sont différents : alors que le mystère intrigue le lecteur, le suspense l’excite.

Tous les thrillers ne sont pas des romans policiers

On a eu l’occasion de délivrer le même avertissement en ce qui concerne les whodunit, et il est valable ici encore : tous les romans policier ne sont pas des thrillers. Ça paraît évident, puisque nous avons déjà examiné tout une catégorie de romans policiers qui se reposent sur les mécaniques du mystère, mais il faut ajouter que, par exemple, même un roman policier raconté par la victime n’est pas nécessairement un thriller : il peut s’agit d’un roman psychologique, ou même, pourquoi pas, d’une romance.

Forcément, l’inverse se vérifie également : tous les thrillers ne sont pas des romans policiers. Oui, on trouve classé dans cette catégorie des histoires de disparitions, de prises d’otages, de rançons ou de casses, et celles-ci peuvent être considérées comme faisant partie de la nébuleuse du roman policier, mais un thriller peut très bien exister sans l’intervention d’un personnage de policier ou même d’un criminel au sens traditionnel du terme. Des thrillers existent dans les genres les plus divers : il y a des thrillers juridiques, des thrillers de science-fiction, des thrillers érotiques, des thrillers d’horreur ou encore d’espionnage, etc…

Quant au suspense, s’il est omniprésent dans le thriller, il s’agit d’un dispositif romanesque que l’on rencontre dans tous les genres et dans tous les styles de roman. D’ailleurs il peut très bien être présent, y compris en forte dose, dans des romans où personne ne court le moindre danger. De nombreuses romances, aux histoires aussi inoffensives qu’un pétale de rose, font subir des doses massives de suspense à leurs lecteurs et à leurs lectrices, les jetant dans l’incertitude au sujet des perspectives d’avenir du couple en devenir sur lequel l’histoire est centrée.

Le romancier installe dans l’esprit du lecteur deux scénarios

Parce qu’au fond, le suspense, qu’est-ce que c’est ? C’est une technique de narration dans laquelle le romancier installe dans l’esprit du lecteur deux scénarios, en concurrence l’un avec l’autre : un scénario positif, souhaitable, heureux, attendu, et un scénario négatif, dangereux, craint, catastrophique. Lequel des deux va se produire ? C’est de cette question, et de la friction des deux hypothèses dans l’imagination du lecteur, que naît le suspense.

En fonction des besoins de l’histoire, ces deux scénarios peuvent être introduits de manières très différentes. Par exemple, le lecteur peut se retrouver confronté à deux possibilités concurrentes qui peuvent se présenter dans le proche avenir des personnages du roman. Nolan parviendra-t-il à se rendre à l’aéroport à temps pour avouer à Jessyca qu’il l’aime avant qu’elle quitte le pays (scénario positif) ou sera-t-il retardé par les embouteillages et ratera-t-il ainsi sa chance de trouver le bonheur (scénario négatif) ? La bombe va-t-elle exploser ou non ? Sélène va-t-elle passer son bac ou non ?

Dans certains cas, le suspense naît parce qu’un scénario négatif ancré dans le présent s’oppose à un scénario positif qui peut, potentiellement, survenir dans l’avenir. Prisonnier des gravats après qu’un bâtiment s’est effondré sur lui, notre héros va-t-il rester bloqué sur place en attendant la mort (scénario négatif) ou va-t-il trouver un moyen de se libérer (scénario positif) ? Yvette va-t-elle continuer à végéter chez ses parents où elle s’ennuie, ou va-t-elle être reçue dans l’école de danse qui la fait tant rêver ? L’opération que l’on propose à Maurice va-t-elle l’aider à vaincre sa terrible maladie ?

Le suspense, c’est une recette à base d’informations

Enfin dernier exemple : celui où un scénario positif situé dans le présent est contrasté avec un scénario négatif à venir. C’est le cas, en particulier, de l’irruption d’une disruption au sein de la routine quotidienne. Hadjira n’est pas encore rentrée du travail : chaque instant qui passe rend l’hypothèse d’une journée ordinaire (scénario positif) moins probable que celle d’un drame (scénario négatif). Giuseppe passe une soirée tranquille chez lui, lorsqu’il entend un cognement contre une des fenêtres de son salon, qui l’amène à envisager qu’il court un très grave danger. Ulysse le Dodo organise son goûter d’anniversaire, lorsqu’il est saisi par cette idée angoissante : et si aucun de ses invités ne venait ?

À la lecture de ces exemples, on comprend bien que le suspense, c’est une recette à base d’informations, qui cuit dans la tête du lecteur. Les ingrédients sont toujours à peu près les mêmes.

  • D’abord, il faut un ou des personnages suffisamment attachants ou fascinants pour que le lecteur se soucie de ce qui peut leur arriver, et qui doivent eux-mêmes être suffisamment réactifs et impliqués pour ne pas se montrer blasés face à leur sort.
  • On a besoin d’un événement déclencheur, qui fait naître les hypothèses dans l’esprit du lecteur, et d’une résolution, où l’une des deux se réalise (voire même un troisième scénario inattendu).
  • Il faut également des enjeux clairs, explicités sans ambiguïté par l’auteur : on sait exactement ce qui se passera si le scénario négatif se produit, et on sait également ce qui va arriver si c’est le scénario positif qui se réalise. Ici, pas de place pour le mystère : le suspense ne fonctionne que si les attentes sont connues.
  • Il faut que les deux scénarios soient compréhensibles et de nature à engendrer des émotions : le lecteur doit espérer que l’option positive se réalise, et craindre que ce soit l’option négative qui survienne.

Vous installez ça dans l’esprit du lecteur, et vous attendez, car le suspense est à cuisson lente : plus il mijote, plus il est savoureux, plus le lecteur a le temps de s’imaginer le pire, plus il ressent le suspense. D’ailleurs, si tout cela est bien amené, le lecteur va peut-être envisager de multiples issues négatives pour la situation qu’on lui présente, dont certains n’auront même pas besoin d’être imaginés par l’auteur : c’est celui qui tourne les pages qui s’en charge, craignant le pire pour le protagoniste du roman.

Attention toutefois au bon dosage des ingrédients : si vous n’avez pas pris la peine d’informer suffisamment le lecteur des enjeux, il n’aura pas d’attente particulière en ce qui concerne la suite de l’intrigue et ne ressentira aucun effet du suspense. Pire : si vous n’avez pas donné d’informations du tout, ce n’est pas du suspense que vous avez généré, mais de la surprise, qui, si elle peut engendrer de l’étonnement, est moins riche en potentiel dramatique. Cela dit, si vous livrez trop d’informations, vous risquez d’ensevelir l’imagination du lecteur et de l’empêcher d’échafauder les scénarios les plus épouvantables au sujet de l’avenir de vos héros.

Prenez garde également à la cuisson. Pour que le suspense apparaisse, tout est question de timing : une trop courte attente entre l’événement déclencheur et la résolution et rien n’aura eu le temps de se passer dans la tête du lecteur ; une attente trop longue et il va se lasser.

⏩ La semaine prochaine: Éléments du suspense

Éléments du mystère

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En complément au récent billet sur les mystères et les romans à énigme, il est intéressant de s’attarder sur un certain nombre de dispositifs littéraires qui peuvent mettre du sel dans ce type de narratif. La plupart d’entre eux peuvent d’ailleurs être inclus dans n’importe quel type d’histoire.

La fausse piste

L’élément qui constitue le pain quotidien de tous les romans basés sur un mystère, la fausse piste, comme son nom l’indique, est la situation où quelque chose que l’enquêteur ou le lecteur considérait comme vrai se révèle être faux. Un personnage émerge comme étant le suspect idéal, mais il est trop parfait et on finit par découvrir qu’il est innocent (ce qui peut fournir au passage des indices sur l’identité réelle du coupable) ; un indice mal interprété s’avère sans valeur ; un témoignage fallacieux ou livré pour de mauvaises raisons amène l’enquêteur à consacrer du temps et de l’énergie à explorer une piste qui ne mène nulle part, etc…

Prenez garde à trouver le bon dosage : une fausse piste ne doit pas être trop évidente, sans quoi le protagoniste aura l’air d’être incompétent s’il se met en tête de la suivre. À l’inverse, elle ne doit pas être si nébuleuse que l’enquêteur et le lecteur ne s’aperçoivent même pas qu’elle existe.

Bien sûr, parce que les auteurs de romans policiers sont de grands pervers, il peut y avoir de fausses fausses pistes. Des informations que l’on pensait authentiques sont remises en question, voire écartées, mais au final, l’ajout d’indices supplémentaires leur redonnent de la validité : ce qui a été considéré comme vrai, puis faux, s’avère authentique à la fin.

La double identité

Cas particulier de la fausse piste, la double identité est la situation où un individu se révèle en être un autre, caché derrière un déguisement ou un nom d’emprunt. Ainsi, le coupable peut se faire passer pour un autre personnage du roman, et ainsi jeter le doute sur celui-ci, ou pire encore : un personnage peut avoir une double identité, l’une d’entre elles (ou les deux) étant inventée de toute pièce. Ainsi, on peut se retrouver avec une histoire où le suspect principal d’une enquête est un personnage fictif, qui n’existe tout simplement pas.

Inversion de ce dispositif littéraire : un suspect dont l’enquêteur (et le lecteur) avait de bonnes raisons de penser qu’il était une seule personne se révèle être deux individus distincts, travaillant ensemble, voire même toute une conspiration de complices.

Le troisième narratif

On l’a vu, un roman à énigme est constitué d’un double narratif : l’histoire du crime et l’histoire de l’enquête. À cette situation déjà compliquée, un auteur particulièrement impitoyable peut choisir d’ajouter une couche supplémentaire.

Ainsi, l’instigateur du crime n’est pas obligé d’être un personnage passif, qui attend de se faire cueillir par le protagoniste. Il peut activement tenter de mettre des bâtons dans les roues aux enquêteurs, en minant leur crédibilité, en sabotant ou en dissimulant des indices, en manipulant des témoins, etc… On obtient ainsi un roman qui raconte trois histoires : le crime, l’enquête et le sabotage (et peut-être même une quatrième : l’enquête sur le sabotage).

Cette manière de faire peut transformer une simple enquête en un narratif sans cesse en mouvement, où toutes les cartes sont constamment rebattues, ce qui peut être diablement intéressant. Prenez garde cela dit : l’intrigue doit être très solide et expliquée de manière limpide, sans quoi on risque d’obtenir un résultat confus, de nature à égarer le lecteur le plus motivé.

La confession funeste

Sous ce nom ronflant se cache un grand cliché du roman policier : l’enquêteur est sur le point de recevoir une confession de la part d’un suspect, lorsque celle-ci est interrompue par son décès subit : il a été abattu ou empoisonné, par exemple. L’intérêt principal de ce dispositif narratif est qu’il relance le suspense : celui qui était le suspect principal est innocenté, ce qui oblige à revoir tous les indices pour déterminer qui d’autre pourrait avoir commis le crime (et au passage, l’enquêteur se retrouve avec un meurtre de plus sur les bras).

En plus, même incomplète, la confession funeste peut contenir des informations que le protagoniste peut utiliser pour retrouver la trace du tueur. Elle peut ainsi faire voler en éclat les certitudes de l’enquêteur, tout en réorientant l’histoire dans une direction inattendue. Cela dit, attention: il s’agit d’un cliché, donc n’en abusez pas.

L’exposition cachée

Dans un tour de prestidigitation, le magicien passe son temps à attirer l’attention du public là où il a envie qu’elle soit, afin d’éloigner son regard de l’endroit où les choses vraiment importantes se déroulent. C’est exactement ce que doit faire l’auteur d’un roman à énigme. Dans le mesure où sa mission consiste à jouer carte sur table avec le lecteur et à lui fournir toutes les informations nécessaires à élucider le mystère, tout en faisant en sorte qu’il soit incapable d’y parvenir avant la fin du roman, cela nécessite de sa part qu’il livre des informations sans avoir l’air de le faire.

Tout est question de doigté. Il s’agit de donner au lecteur des indices, en les présentant comme autre chose : une description, un dialogue, des détails sur un personnage. Attention, pour que l’exposition cachée soit efficace, celle-ci ne doit pas être à ce point bien cachée que le lecteur ne se rappelle même plus qu’elle a été mentionnée. Idéalement, elle doit être relativement mémorable, mais présentée comme tout autre chose qu’un indice. Par exemple, en faisant connaissance avec un suspect, l’enquêteur peut découvrir des aspects de sa vie professionnelle ou intime qui, dans l’esprit du lecteur, ne servent qu’à donner un peu de couleur au personnage, alors que ces mêmes aspects vont se révéler être au final des indices cruciaux pour élucider le mystère.

Le MacGuffin

Le mot a été inventé par Alfred Hitchcock. Il désigne un objet, un événement ou un personnage qui semble de prime abord constituer le point central de l’intrigue, mais se révèle être au final un simple prétexte, voire quelque chose de sans importance. Dans le film « Le faucon maltais » de John Huston, le faucon en question est une statuette dont on pense qu’elle a été volée – il s’avère qu’il s’agit d’un faux et l’intrigue finit par tourner autour d’un meurtre.

Le MacGuffin permet, sans difficultés, de passer d’un genre à l’autre. Une enquête sur le vol des bijoux d’une héritière se transforme en une romance entre celle-ci et l’enquêteur ; des rumeurs au sujet d’un mystérieux prédateur qui hante la campagne finissent par se volatiliser, mais au détour, le roman évoque la manière dont une communauté resserre les liens face à la tragédie ; le remède miracle (ou supposé tel) contre une maladie ne sert qu’à illustrer les différentes attitudes des personnages face à la mort et à la médecine, transformant l’histoire en fable.

Le fusil de Tchekhov

Énoncé par le dramaturge Anton Tchekhov, le fameux pistolet est un principe de parcimonie dramatique, selon lequel tout élément d’intrigue nécessaire est indispensable, et tout élément superflu doit être supprimé. Il peut être formulé de la manière suivante :

« Supprimez tout ce qui n’est pas pertinent dans l’histoire. Si dans le premier acte vous dites qu’il y a un fusil accroché au mur, alors il faut absolument qu’un coup de feu soit tiré avec au second ou au troisième acte. S’il n’est pas destiné à être utilisé, il n’a rien à faire là. »

En plus d’encourager l’auteur à faire preuve d’économie de moyens, le fusil de Tchekhov enseigne un principe de base de construction dramatique, précieux dans un roman à énigme : avant de jouer un rôle dans l’intrigue, chaque élément, personnage, objet, lieu, doit avoir été introduit. Le romancier ne peut rien sortir de son chapeau, il doit s’interdire les effets gratuits qui permettent de prendre le lecteur par surprise uniquement parce qu’on n’a pas joué franc jeu avec lui.

Corollaire : si un élément est introduit, il doit jouer un rôle dans l’intrigue. Tchekhov défend donc une éthique très pure selon laquelle un roman, comme un jardin zen, est un ensemble d’éléments qui ont chacun un emplacement et un rôle précis, et dans lequel il n’y a pas la place pour des pièces rapportées.

Même si ce principe fait merveille pour débarrasser votre intrigue du superflu, adhérer de manière trop étroite au principe du fusil de Tchekhov risque de rendre votre intrigue prévisible. En deux mots : il reste si peu de pièces en mouvement sur l’échiquier que l’issue de la partie est certaine. Il peut être plus élégant de suivre une règle moins draconienne : personnellement, j’estime que chaque élément dans une histoire doit servir l’intrigue, les personnages ou le thème. Tout ce qui n’entre pas dans une de ces trois catégories n’a pas sa place dans le roman.

Une autre manière de prendre de la distance vis-à-vis du fusil de Tchekhov est celle qui consiste à prendre conscience que oui, peut-être, le fusil accroché au mur lors du premier acte doit être utilisé au cours de la suite de l’intrigue – mais il ne doit pas nécessairement tirer un coup de feu. Un fusil peut être utilisé de toutes sortes de manière : pour menacer quelqu’un, pour symboliser un souvenir de famille, comme monnaie d’échange, en tant que symbole de violence, etc… Oui, utilisez votre fusil (quelle que soit la forme qu’il prend), mais rien ne vous oblige à le faire de manière prévisible. Et si le dragon qui empêche le royaume de s’étendre vers le nord n’attaquait pas la ville, comme le lecteur d’une saga de fantasy s’attend à ce qu’il le fasse, mais est, à la place, tué rapidement par un héros ce qui bouleverse l’ordre de succession de la couronne ?

⏩ La semaine prochaine: Écrire le suspense

Écrire le mystère

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Quelque chose se produit de soudain et inattendu. Quelqu’un cherche à comprendre ce qui s’est passé, qui en est responsable et quelles ont été ses motivations et les moyens dont il s’est servi. Voilà, en quelques mots, ce qui caractérise le mystère, ce point d’interrogation qui forme le moteur d’un nombre hallucinant de romans.

Quelque chose n’est pas su et quelqu’un déploie des efforts pour révéler la vérité : il suffit de rajouter quelques détails et on débouche sur des genres littéraires très populaires. Ainsi, cette proposition de base, on peut la formuler ainsi : quelqu’un meurt dans des circonstances violentes et mystérieuses ; un enquêteur cherche à découvrir qui l’a tué et pourquoi. Et voilà qu’on obtient le whodunit, ou roman à énigme, cette déclinaison populaire du roman policier à laquelle Agatha Christie a si richement contribué.

On le comprend bien, tous les romans policiers ne sont pas des mystères. Certains sont des romans à suspense, des thrillers, des études psychologiques sur des flics au bord de la crise de nerfs. Il y en a qui s’intéressent davantage à l’effet que la proximité du crime produit sur ceux qui le côtoient qu’à la manière dont ils résolvent des enquêtes.

L’événement mystérieux n’est pas nécessairement un crime

À l’inverse, tous les mystères ne sont pas des romans policiers. Pour commencer, ce ne sont pas tous des histoires d’assassinat, puisqu’on peut très bien se passer du motif du crime de sang : et si l’événement déclencheur n’était pas un meurtre mais un vol, un viol, un enlèvement, un coup d’État ? Il suffit qu’il y ait un instigateur qui ne souhaite pas que la vérité soit révélée et un enquêteur qui travaille activement à ce qu’elle le soit pour que les mécaniques de l’intrigue soient en place. D’ailleurs, l’enquête ne constitue pas forcément l’intrigue principale du roman : elle peut très bien n’être qu’un à-côté, alors que le cœur du narratif est d’une toute autre teneur.

L’événement mystérieux n’est même pas nécessairement un crime au sens où on l’entend généralement : dans sa « Trilogie new-yorkaise », Paul Auster propose trois variantes d’une enquête dans laquelle un individu cherche à comprendre pour quelle raison une personne a décidé de disparaître et de s’abstraire soudainement des règles de la société. Dans ses romans de fantasy « Mémoires du Grand Automne » Stéphane Arnier met en scène plusieurs personnages qui cherchent à comprendre comment et pour quelles raisons les mécanismes de la reproduction au sein d’une communauté vivant dans un arbre géant ont été altérés. Ici, on se situe loin d’Hercule Poirot, mais on est malgré tout dans un mystère qui fonctionne de manière très similaire à ceux des histoires d’enquêtes criminelles.

Pour constituer un roman à énigme, celui-ci doit comporter un certain nombre d’éléments qui constituent l’intrigue. Il faut un élément déclencheur, le fameux mystère, qu’il va falloir résoudre ; il faut un enquêteur, la personne qui est chargée ou qui prend sur elle d’établir la vérité ; un instigateur, soit celui qui se trouve à l’origine de toute l’affaire et qui a intérêt à ce que la vérité n’éclate pas. Tous les autres personnages sont là pour compliquer l’affaire, soit parce qu’ils viennent rappeler l’impératif du respect de la loi, soit parce qu’ils cherchent à faire échouer l’enquêteur, soit parce qu’ils lui fournissent des fausses pistes.

Fournir les mêmes indices à l’enquêteur et au lecteur

Traditionnellement, un récit centré sur une enquête commence par l’irruption du mystère dans le quotidien. Quelqu’un, par métier ou en raison des circonstances, se met en tête de l’élucider. Afin d’y parvenir, il collecte des indices et des témoignages qu’il tente d’assembler les uns aux autres en faisant preuve de déduction, jusqu’à parvenir à la vérité. Le contrat entre l’auteur et le lecteur dans ce genre de littérature consiste généralement à fournir les mêmes indices à l’enquêteur et au lecteur : le mystère obéit à la logique et il est possible de l’élucider en se servant uniquement des informations contenues dans le roman. Un bon whodunit, c’est un livre où le lecteur doit bien admettre que la conclusion était parfaitement logique une fois que celle-ci lui est révélée, mais où il n’arrive pas à la trouver lui-même.

Pour y parvenir, cela réclame une intrigue bien charpentée et une mise en scène des informations digne des meilleurs prestidigitateurs.

Davantage que dans la plupart des autres genres romanesques, le mystère doit être doté d’une structure narrative très solide. La meilleur manière de se la représenter, et celle qui va vous faciliter considérablement la vie si vous vous mettez en tête d’écrire ce genre d’histoire, c’est de comprendre que l’intrigue d’un roman à énigme constitue un double narratif : il y a l’histoire du crime et l’histoire de l’enquête. La raison d’être de la seconde (l’enquête) constitue à reconstituer la première (le crime). Le crime ne nous est raconté qu’indirectement, comme une histoire fantôme dont on ne fait que deviner les contours, qui nous sont révélés progressivement, pièce par pièce, afin de maximiser le suspense : le monde dans lequel s’est inscrit le meurtre, les lieux, les circonstances, les objets utilisés, les témoins, la victime, se transforment en indices qui permettent d’élucider le mystère.

Un double narratif dédoublé

On le comprend bien, ce double narratif est lui-même dédoublé : il y a l’enquête menée par l’enquêteur à l’intérieur du roman, et celle que mène le lecteur, le livre en main. La différence entre les deux, c’est que le romancier va tout faire pour que ce dernier, bien qu’il ait toutes les clés, soit incapable de percevoir lesquelles vont le mener à la vérité avant la conclusion du roman.

Des coups de théâtre viennent ruiner les hypothèses les plus vraisemblables ; la crédibilité d’un témoin ou d’un indice est remise en question ; l’état émotionnel de l’enquêteur ou ses biais cognitifs lui font négliger des aspects significatifs de l’enquête ; un détail qui semblait sans importance était, en réalité, crucial ; le mystère se révèle être inscrit dans un contexte plus large qui en modifie le sens (par exemple, ce que l’on pensait être un crime passionnel n’était en réalité qu’une mise en scène dans le cadre d’une affaire d’espionnage ; ou un meurtre domestique s’avère être un acte de l’œuvre d’un tueur en série) ; la nature même du crime initial peut même, à la fin, se révéler être différente de ce que l’on pensait depuis le début (le meurtre était un suicide, ou il n’a jamais eu lieu, ou il s’agit des conséquences accidentelles d’un autre crime).

Deux mots encore d’une variante populaire: inversion du schéma traditionnel du roman à énigme, ce que les amateurs du genre ont surnommé le howcatchem, par opposition au whodunit, est une histoire dans laquelle l’identité du coupable est connue du lecteur depuis le début, et où l’intérêt consiste à voir de quelle manière l’enquêteur parvient à la découvrir. Inventé par l’auteur anglais R. Austin Freeman, le howcatchem a été popularisé par la série télévisée « Columbo. »

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Éléments de décor: le crime

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Il ne faut pas s’étonner que le crime soit un des thèmes les plus abordés en littérature : il est, par essence, dramatique, et se prête à d’infinies variations. Le crime, c’est une violation de l’ordre établi, ce qui en fait automatiquement un sujet intéressant à examiner. Il touche également à la morale de l’être humain et aux facteurs qui peuvent le pousser à commettre le bien ou le mal. Et puis comme le crime est par définition interdit, c’est qu’il va se heurter à des résistances, voire à des conséquences très lourdes, et ça signifie donc qu’il porte en lui les germes du conflit et donc du drame.

Le crime, qu’est-ce que c’est ? Un concept bien trop vaste pour être épuisé dans ce billet, pour commencer, donc je vous prie d’avance de me pardonner, mais je ne vais faire qu’esquisser le sujet. Si l’on part en quête d’une définition, on pourrait dire qu’il s’agit de la catégorie la plus grave des infractions au code pénal ou à d’autres lois qui servent de cadre à notre société, supérieure en cela au délit. C’est lui qui a les conséquences les plus sérieuses et qui est réprimé avec le plus de vigueur, et celles et ceux qui commettent des crimes peuvent s’attendre à finir en prison ou à subir d’autres peines majeures.

Il existe différents types de crimes, qui ont peu de rapport entre elles. Ici, on va surtout considérer les crimes contre la propriété, tels que les vols, les cambriolages, le recel, le détournement de fonds, la fraude, l’extorsion, et les crimes contre l’intégrité physique, comme le meurtre, le viol, les coups et blessures, mais aussi les commerces illégaux, comme le trafic de drogue, de fausse monnaie ou d’armes à feu. D’autres types d’infractions, tels que les crimes de haine, les crimes de guerre, les crimes contre l’environnement ou les crimes contre l’humanité ne font pas directement l’objet de ce billet, mais certains des éléments discutés ici peuvent y être appliqués également, si on fait un petit effort.

S’il existe différents types de crimes, il y a aussi différents types de criminels. Les premiers sont les criminels occasionnels, ou criminel d’opportunité, ceux qui commettent un assassinat sous l’emprise de la colère et n’ont pas l’intention de recommencer, ou ceux qui commettent un casse dans une station-service parce qu’ils ont besoin d’argent. Il y a aussi des criminels de carrière, à toutes sortes de niveaux, du petit dealer de drogue jusqu’au gros bonnet de la pègre. Et puis il y a des individus qui commettent des crimes, essentiellement monétaires, mais continuent à se considérer comme des éléments ordinaires de la société.

La question de la motivation du criminel est cruciale. Qu’est-ce qui pousse un individu à violer la loi ? L’appât du gain, l’effet d’entraînement, le désespoir, les besoins financiers, la colère, la vengeance sont des mobiles très fréquents. Parfois, on peut même commettre des crimes pour des raisons honorables, comme Tom Sawyer qui planifie l’évasion de Jim dans « Huckleberry Finn » de Mark Twain.

D’ailleurs, voilà un aspect du crime qui offre d’innombrables possibilités à un auteur. Le crime est un miroir de la société, en cela que ce sont les crimes qui forgent les criminels. Al Capone est un des barons de la pègre les plus connus de l’histoire, mais il ne faisait que vendre de l’alcool pendant la Prohibition. Quelques années plus tôt ou plus tard, rien dans ses activités n’aurait été interdit par la loi. Que penser d’un individu qui aide des immigrants illégaux à traverser les frontières ou les héberge chez lui ? Dans certains cas, la loi et la morale ne sont pas d’accord sur ce qu’il convient de considérer comme un crime.

Si la criminalité est présente dans toute la littérature, elle est au cœur d’un genre : le roman policier. Celui-ci s’intéresse, selon les histoires et selon les auteurs, à trois types de personnages, qui sont en fait les trois parties prenantes du crime : le criminel (ou le suspect), le justicier (policier, juge, avocat, détective privé, etc…) et la victime (également l’entourage de la victime ou les victimes périphériques). Pour un romancier, il y a des jeux intéressants à tenter en mélangeant ces trois rôles : et si le criminel était la victime d’autres criminels ? Que se passe-t-il quand un policier viole la loi au nom de ses idéaux de justice ? Et si la victime, par vengeance, se met en tête de faire la justice elle-même ? Et qu’arrive-t-il quand un juge devient victime d’un crime ?

Même si le roman policier tel qu’on le connaît aujourd’hui a pris forme lors de ces cent dernières années, il a des racines très profondes – on n’a qu’à penser que la Bible introduit dès ses premières pages un personnage d’assassin nommé Caïn. D’ailleurs les meurtres, les pillages et les vols abondent dans les littératures de l’Antiquité. Autant dire que les victimes aussi sont des figures anciennes de la littérature, même si l’idée de sonder leur cœur est contemporaine. Les détectives en tant que protagonistes sont un ajout plus récents, et selon certains historiens de la littérature, le tout premier détective romanesque moderne serait l’inspecteur Bucket, dans « Bleak House » de Charles Dickens, en 1853. Même si c’est vrai, il existe des ébauches de personnages qui mènent l’enquête depuis bien plus longtemps que ça.

Le crime et le décor

Quand on parle du crime, à cause de l’influence du polar littéraire ou cinématographique, on s’imagine presque sans le vouloir une rue mal éclairée, à l’aspect délabré ou inquiétant, qu’on se figure comme une sorte de décor par défaut du crime. En tant qu’auteur, c’est le genre de cliché qu’il faut fuir avec hâte : ce qui rend le crime fascinant, c’est qu’il pénètre tous les milieux et toutes les couches de la société, et votre histoire criminelle sera d’autant plus intéressante qu’elle se situera dans un milieu qui sort de l’ordinaire : et si un jardin d’enfant était utilisé comme plaque tournante pour un gros trafic de drogue ? Et si une affaire de meurtre prenait place dans le milieu des décorateurs d’intérieur ? Et si un paysagiste ou un dentiste poursuivaient une seconde carrière en tant que cambrioleur ?

De la même manière, un romancier qui souhaitera situer l’action de son polar dans un décor en particulier a l’embarras du choix – et ne doit surtout pas s’interdire de s’éloigner des sentiers battus. On pense par exemple au concept de syndicat du crime : peut-être est-il temps de s’éloigner des stéréotypes venus des films de mafieux ou de yakusas. Une bande criminelle peut très bien naître dans la campagne profonde, ou au sein d’une minorité à laquelle la littérature ne s’est pas beaucoup intéressée. Et si votre syndicat du crime était entièrement composé de femmes ? Ou de geeks ? Ou de Néo-Zélandais ? Ou de Bretons ? Ou d’homosexuels ? Quel que soit votre choix, ce qui compte le plus, au final, c’est de savoir quel genre d’activités poursuit ce syndicat du crime, quels membres le composent et comment sa hiérarchie fonctionne (au sommet et à la base).

Mais tous les criminels ne sont pas membres d’une organisation hautement hiérarchisée. Toute une partie de l’activité criminelle est commise par des individus solitaires ou des petits groupes, des amis, des familles ou des partenariats de circonstances. La structure dissolue de ce genre de groupe criminel et les tensions que cela génère peuvent être très intéressants pour un auteur.

Si c’est le point de vue des victimes qui vous intéresse, l’unité de décor dans laquelle peut s’inscrire votre histoire est la famille. En général, un crime a beaucoup de répercussions dans le proche entourage de la victime. Cela dit, il existe toutes sortes de familles différentes et dans certaines d’entre elles, peu unies, le soutien espéré risque de tarder à venir. D’autres milieux peuvent venir se greffer là autour : les amis, les médecins et le monde hospitalier, les psys, l’entourage professionnel, un cercle de soutien, l’église, etc… L’impact d’un crime violent en particulier peut se faire ressentir dans toute une communauté.

Côté justice, les éléments de décor attendus sont également usés par une longue habitude de leur utilisation dans la littérature : le commissariat de police, la brigade criminelle, le laboratoire, la morgue, le palais de justice, etc… Chacun d’entre eux est presque devenu un cliché du polar en soi. Si vous vous lancez dans ce genre d’histoire, essayez de trouver un angle pas trop usé pour vous en servir, une certaine manière de les décrire, ou une originalité dans votre description. Si votre roman raconte une enquête autour d’un meurtre menée dans une brigade qui vient d’être endeuillée par un attentat terroriste, par exemple, cela va lui conférer une dynamique différente de celle que l’on a l’habitude de voir partout.

Toutes les époques ne se ressemblent pas du point de vue de l’activité criminelle, et tant les méthodes des criminels que celles des policiers évoluent en fonction des sursauts de la technologie et de la société. On peut même dire que le crime et la lutte contre le crime sont en partie guidée par une forme d’escalade technologique : les progrès des policiers forcent les criminels à se montrer plus inventifs sur ce plan-là, et inversement. Pour s’en sortir, les policiers ont dû être des chasseurs, puis des scientifiques, et aujourd’hui des informaticiens.

Ce qui est considéré comme un crime varie également avec les cultures et les époques – on a déjà cité le cas de la Prohibition – et il y aurait matière à écrire un roman intéressant sur l’enquête d’un policier politique chargé de traquer des dissidents dans un régime totalitaire, avec les tiraillements de conscience que cela suppose.

Il y a aussi des périodes plus mouvementées que d’autres du point de vue de l’activité criminelle. Lors d’une récession, la criminalité augmente, et on retrouve derrière des barreaux des individus qui n’auraient jamais songé à violer la loi auparavant.

Le crime et le thème

Par nature, le crime et la police peuvent s’insérer dans n’importe quelle strate de la société, apparaître dans tous les milieux, toucher n’importe quel type d’individu pour les raisons les plus diverses. Plus que n’importe quel autre élément de décor, une histoire de nature criminelle peut être déclinée pour évoquer les thèmes les plus divers. Il n’y a pratiquement aucune limite aux variantes que l’on peut explorer. C’est en grande partie ce qui explique le succès durable des enquêtes criminelles dans la littérature et l’audiovisuel. On peut choisir de consacrer une histoire de ce type à des thèmes aussi divers que l’honneur, l’argent, la mort, la trahison, la famille, ou des centaines d’autres possibilités.

Certains thèmes, cela dit, sont plus spécifiquement liés au crime et c’est dans des histoires centrées sur cet élément qu’ils peuvent s’épanouir le plus naturellement. C’est le cas de la descente aux enfers : le thème où un auteur explore les conséquences d’une tentation, d’un passage à l’acte ou d’une erreur de jugement, qui finit par avoir des conséquences épouvantables pour le protagoniste et son entourage. Une première infraction est suivie d’autres, puis d’autres encore, alors que le personnage égare sa boussole morale et se pardonne de plus en plus de méfaits, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus s’évader de la vie de crime qu’il a choisie.

Certains romans noirs aiment explorer la noirceur de l’âme humaine – l’idée que les véritables monstres sont autour de nous, et que même les individus les plus ordinaires sont capables de commettre des actes effroyables. Peut-on encore les comprendre, ces tueurs en série, assassins de masse, terroristes ? Peut-on les voir comme nos frères et sœurs humains, ou n’y a-t-il rien chez eux que l’on soit capable de reconnaître ? Et cette part sombre de nous-mêmes, quels sont ses effets, comment se propage-t-elle ? Est-ce qu’à vouloir trop comprendre les individus ignobles, on ne risque pas de finir par perdre ses repères ?

L’appât du gain est également un thème lié au crime, comme il l’est également à l’argent. Représenter dans la fiction le désir d’accumuler des richesses comme une faim insatiable, face à laquelle les fragiles digues morales qu’érigent les individus ne résistent pas longtemps, est un classique des histoires criminelles. Dans certains cas, l’amorce de la vie criminelle démarre pour des raisons pragmatiques – la survie, la volonté d’assurer la subsistance de sa famille – mais elle peut finir ensuite par être corrompue par un appétit de plus en plus furieux pour l’argent. À l’inverse, un personnage vénal mais respectueux de la loi peut être tenté d’aller de plus en plus loin pour accumuler son magot, jusqu’à commettre des crimes impardonnables.

Impardonnables – ou peut-être pas. Le pardon, la rédemption, sont aussi des thèmes qui méritent d’être abordés. Une fois que l’on a commis des actes que la société désapprouve, quels sont les moyens de rentrer dans le rang et de retrouver une certaine dignité vis-à-vis de nos semblables ? Comment résister à l’envie de replonger ? Voilà un joli point de départ pour quantité d’histoires romanesques.

Le crime et l’intrigue

Il est possible de structurer la construction d’un roman grâce à des éléments issus du monde du crime. C’est ce qu’on observe en particulier dans les histoires de casses, celles dans lesquelles on suit une bande de criminels qui planifie patiemment un cambriolage qui paraît impossible, avant de le mettre à exécution avec plus ou moins de succès. Là, la structure de l’histoire épouse de près celle du casse, les points-charnières étant formées par les principales étapes du crime et de sa préparation.

Il est également possible d’adopter une approche biographique : un roman pourrait suivre toute la carrière d’un criminel, depuis son premier larcin jusqu’à son arrestation, ou sa mort.

Mais plus que le délit en lui-même, c’est souvent la résolution du crime qui est la plus intimement liée à la structure des histoires criminelles. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de roman policier. L’enquête, avec la révélation initiale, la collecte d’indice, une série de déductions et de retournements de situation, et une arrestation finale, constitue une intrigue prête à être utilisée pour raconter n’importe quel type d’histoire. On reviendra sur ces questions dans un prochain billet.

Le crime et les personnages

Au fond, les trois types de rôles principaux d’une histoire criminelle peuvent concerner n’importe quel personnage de votre histoire : est-il un criminel ? Un justicier ? Une victime ? Sous quelle forme ? A-t-il endossé un de ces rôles dans le passé ? Qu’est-ce qui pourrait le mener à le faire dans l’avenir, et en particulier, à quel point est-il susceptible de violer la loi ?

Il est très courant, en littérature, de décréter qu’un personnage a un passé de criminel, qu’il a fait de la prison, qu’il est ancien flic ou qu’il est en cavale et activement recherché. C’est le cas également dans des genres qui n’ont pas grand-chose à voir avec le polar. Le plus souvent, il s’agit d’une manière un peu facile de montrer qu’il s’agit d’un dur à cuire, de quelqu’un qui a une part sombre, et donc de donner l’illusion qu’il a de l’épaisseur.

Ne tombez pas dans ce piège. Il peut être intéressant de donner une trajectoire dans le crime à l’un de vos personnages, mais faites en sorte d’éviter les stéréotypes et de vous demander quelles marques ce genre d’expérience peut laisser sur la personnalité d’un individu. En général, celles et ceux qui sont passés par là sont marqués, instables, ont du mal à se réinsérer, entretiennent au sujet de l’existence une vision fataliste ou narcissique, ou encore se coupent de leurs contemporains, avec lesquels ils ont peu d’expériences en commun.

Souvenez-vous aussi que les histoires criminelles ont un long passé, qui charrie avec lui des stéréotypes et des mauvais réflexes. Par exemple, les protagonistes de ces histoires sont très majoritairement des hommes, à moins qu’il s’agisse de victimes, auquel cas on a plutôt affaire à des femmes. Voilà un déséquilibre que vous pourriez juger pertinent de corriger.

Variantes autour du crime

Les lois que produit une civilisation sont un miroir de ses valeurs. Ce que l’on choisit d’interdire, de réprimer, montre quelles sont nos priorités, nos tabous, ce que l’on considère dangereux pour la société. C’est quelque chose qu’un auteur de fantasy ou de science-fiction ferait bien de garder à l’esprit, parce que cela signifie que le crime devient un outil narratif qui permet d’explorer la société et de fournir de l’exposition.

Vous souhaitez écrire une histoire de SF située dans un monde où les riches peuvent télécharger leur conscience dans un ordinateur, et habiter des répliques androïdes d’eux-mêmes, parfaites et éternellement jeunes. Afin de mettre en lumière le fonctionnement d’une telle société, rien de tel que d’entamer l’histoire par un meurtre : que signifie un crime violent pour quelqu’un qui peut dupliquer sa conscience à l’infini, et comment s’y prendrait-on si on souhaitait l’assassiner pour de bon ?

Chaque aspect du processus de la lutte contre le crime peut recevoir une variante issue de la science-fiction. Dans sa nouvelle « Rapport minoritaire », adaptée au cinéma, Philip K. Dick met en scène un monde où la police peut détecter les meurtres avant qu’ils aient lieu. Vous pouvez explorer des variantes du même genre en mettant en scène une brigade criminelle qui peut voyager dans le temps, un futur où toutes les pulsions meurtrières ont été scientifiquement purgées de l’âme humaine, ou en écrivant une histoire autour de policiers qui luttent contre les crimes violents dans les mondes virtuels.

Le crime peut également prendre une forme poétique dans des genres comme le merveilleux ou le réalisme magique. Qu’advient-il d’une victime à qui un voleur a dérobé le cœur, et qui doit continuer à vivre sans cet organe où elle cachait ses émotions ? Quelles sont les motivations du voleur de mots, qui vient chaque nuit dérober des pans entiers du vocabulaire des citoyens d’une ville, jusqu’à ce que les enquêteurs ne soient plus capables de communiquer entre eux ? Et s’il était possible d’assassiner quelqu’un en réarrangeant son mobilier, comme dans « Enigma » de Peter Milligan ?

Réfléchissez aussi aux implications que les éléments les plus exotiques de votre décor ont sur les normes légales en vigueur dans votre univers. Dans un monde, comme ceux du jeu de rôle « Donjons & Dragons », où certains prêtres ont le pouvoir de ramener les morts à la vie, moyennant une certaine somme d’argent, on pourrait en déduire que le meurtre devient une simple atteinte à la propriété, mais que par contre tout ce qui a trait au blasphème serait puni très sévèrement.

⏩ La semaine prochaine: Écrire le mystère