
Si l’odorat est notre sens le plus insaisissable, le goût est le plus rudimentaire. Notre langue n’est capable que de capter et d’identifier cinq goûts différents : le salé, le sucré, l’amer, l’acide et l’umami. En réalité, les infinies combinaisons de saveurs qui composent notre expérience gustative ne sont le produit que de ces cinq notes, ainsi que des arômes que parvient à détecter notre nez, un organe autrement plus subtil que la bouche. À cela s’ajoutent encore certaines caractéristiques des aliments : à quel point ceux-ci sont épicés ou astringents, quel est leur arôme, quelle est leur texture, et ont-ils un avant-goût ou un arrière-goût descriptibles.
Qu’est-ce que ça signifie pour un romancier qui souhaiterait décrire un goût ? D’abord, que le vocabulaire à sa disposition n’est pas très étendu. Un peu comme ce qu’on a pu dire au sujet de l’odorat, le goût humain n’est pas un instrument de grande précision. Il serait sans doute possible de décrire chaque expérience gustative en ne s’appuyant que sur les cinq goûts de base, dans le genre « la tarte au citron était très sucrée, assez acide, un peu amère, avec une légère note d’umami et pas de sel », mais ça serait absurde. En réalité, au quotidien, la manière dont nous faisons l’expérience du goût est plus vaste, faisant appel à la vue (qui nous fait saliver), au toucher, à l’odorat. C’est en tenant compte de cette dimension multisensorielle qu’il faut s’appuyer pour décrire la sensation gustative d’un personnage.
Un autre conseil à garder en tête, c’est qu’il faut choisir ses batailles. Décrire précisément le goût de chaque repas absorbé par un des personnages de votre roman, à moins que cela soit le thème du bouquin, ça n’a aucun sens. Par contre, si votre intrigue est ainsi tournée qu’un repas, qu’une bouchée, est supposée avoir un impact émotionnel particulier, prenez le temps de la décrire en détails. Comme toujours, les listes de vocabulaire et de conseils ci-dessous peuvent vous aider.
Noms
Appétence, appétit, attrait, bouffe, bouquet, délectation, délice, fumet, générosité, goût, gueuleton, montant, nourriture, palais, piment, piquant, ravissement, régal, repas, relent, sapidité, satisfaction, saveur, sel, sensualité
Verbes
Absorber, apprécier, avaler, bâfrer, becqueter, bouffer, boulotter, boustifailler, collationner, consommer, croquer, croustiller, cuisiner, déguster, déjeuner, dîner, (se) délecter, dévorer, s’empiffrer, engloutir, engouffrer, entamer, éprouver, expérimenter, festoyer, se gargariser, (se) goinfrer, goûter, grignoter, homologuer, ingérer, ingurgiter, jouir, mâcher, manger, mastiquer, mordre, picorer, (se) régaler, (se) repaître, ripailler, saliver, savourer, tâter
Adjectifs
Abject, affreux, agréable, appétissant, avide, complexe, délectable, délicat, délicieux, déplaisant, doux, durable, excellent, exquis, fameux, friand, gourmand, goûteux, goûtu, immonde, mangeable, odieux, plaisant, pur, ragoutant, repoussant, révoltant, sale, savoureux, subtil, succulent
Types de goût
Acide, âcre, agressif, amer, aromatique, astringent, bizarre, brûlant, camphré, chaud, citronné, corsé, croquant, croustillant, déconcertant, délicat, dominant, doux, écœurant, épicé, excellent, exquis, fade, fort, frais, gras, horrible, inhabituel, merveilleux, mystérieux, naturel, noble, nostalgique, nouveau, parfait, piquant, pimenté, poivré, poudreux, prolongé, pur, relevé, salé, sauvage, simple, singulier, sucré, terreux, vif, volcanique
Types de textures
Aérien, caoutchouteux, cassant, collant, coriace, coulant, craquant, crémeux, croquant, croustillant, ductile, dur, élastique, épais, feuilleté, fibreux, fondant, fibreux, gélatineux, gluant, gommeux, granuleux, gras, grumeleux, juteux, liquide, lisse, mâchant, moelleux, mou, mousseux, onctueux, pâteux, pétillant, poudreux, râpeux, sablé, sirupeux, soufflé, souple, soyeux, tendre, visqueux
Prendre des notes
Dans les billets de cette série consacrée aux descriptions, j’ai pris l’habitude de vous suggérer de faire l’expérience des différentes sensations sur lesquelles je m’attarde et de prendre note de ce qu’elles vous évoquent, afin d’étoffer votre vocabulaire. Naturellement, en ce qui concerne le goût, c’est à la fois plus facile et plus agréable : facile parce qu’on mange en général plusieurs fois par jour, agréable parce qu’il est délicieux de manger. Donc faites-vous plaisir, au nom de la littérature.
Cela dit, il est peut-être encore plus intéressant de goûter à des choses qui ne se mangent pas ou qui ne devraient pas s’ingérer, comme des aliments avariés ou brûlés. La teneur hautement émotionnelle de l’expérience devrait, n’en doutons pas, vous inspirer des descriptions hautes en couleur.
Le mot juste
Si vous prenez la peine de décrire un goût, faites-le correctement, et surtout, faites-le précisément. Savoir que quelque chose est bon ou mauvais a relativement peu d’intérêt. Si votre personnage s’attarde sur un goût, c’est que cela signifie quelque chose pour lui, et c’est là qu’il est particulièrement important de savoir faire la différence entre un goût poivré et un goût épicé, entre l’astringence et la pseudo-chaleur et entre toutes les textures qui peuvent se présenter à nous lors d’un repas. Si vous avez un doute sur la signification d’un terme, il n’y a pas de honte à vérifier tout ça dans le dictionnaire.
Le goût en-dehors des repas
Voyons les choses en face : le goût n’est pas le plus polyvalent de nos sens. On pardonnerait volontiers aux écrivains qui ne le mentionneraient jamais, ou uniquement, fugitivement, au cours de quelques descriptions de repas. C’est compréhensible, mais prenons malgré tout le temps de noter que le goût n’a pas une dimension exclusivement culinaire.
On peut utiliser sa langue pour identifier la trace d’un poison dans une boisson ou pour se rendre compte qu’un aliment n’est plus consommable parce qu’il est passé de date, un mauvais arrière-goût en bouche peut être le symptôme d’une maladie, on peut se servir du goût pour identifier un fil de fer ou de cuivre, ou faire la différence entre un cristal d’halite d’un cristal de sylvite, une forte dose de radiation cause une sensation métallique dans la bouche, une atténuation des sensations agréables liées au goût peut être un symptôme de dépression. Dans les littératures de l’imaginaire, il est possible qu’une créature non-humaine puisse utiliser ses papilles gustatives pour détecter des substances que nous ne parvenons pas à discerner (après tout, les souris peuvent sentir la présence de calcium dans les aliments, ce dont nous sommes incapables).
⏩ La semaine prochaine: Décrire le plaisir