Critique: Paradoxes 2 – Destins

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L’année 2147. Bruxelles vient de survivre à une guerre secrète entre loups-garous et vampires. Un inspecteur de police, Jared Thorpe, s’est retrouvé au cœur de ces événements et a au passage découvert certains secrets au sujet de sa propre nature qui le plongent dans une situation qui le dépasse. C’est là que d’autres clans de créatures surnaturelles entrent en scène, désireuses d’accélérer ou de prévenir la fin du monde.

Titre: Paradoxes, tome 2 – Destins.

Auteur: L.A. Braun

Éditeur: Auto-édition

Le parti-pris de la série, qui consiste à raconter une histoire qui emprunte les codes du film noir, mais avec des vampires, des loups-garous et d’autres créatures fabuleuses, et tout ça dans le futur, en Belgique, n’est sans doute pas pour tous les goûts. En ce qui me concerne pourtant, je suis très client de ce mélange. Il paraît improbable quand on le décrit de cette manière, mais en réalité il ne faut que quelques pages pour se plonger dans le bain et accepter que tout cela est la réalité de cet univers de fiction. C’est délicieux.

D’ailleurs l’univers s’est étoffé depuis le premier tome. Les créatures « classiques », auxquelles je faisais référence à l’instant, existent toujours, mais s’y sont ajoutés des clans plus exotiques dans la littérature de genre : des individus qui sont en réalité des dragons, ou encore des Atlantes, qui manigancent leurs plans en coulisses depuis des millénaires. C’est une des grandes réussites de ce deuxième volume, qui fait cohabiter au fil des pages des groupes antagonistes aux origines complexes et aux ambitions divergentes et en profite pour générer un suspense à multiples détentes. C’est un plat copieux, épicé, ce qui à mon avis vaut cent fois mieux que les soupes indigestes que certains auteurs cherchent à nous servir. L’idée de faire précéder le texte d’une nouvelle située dans le même univers est excellente.

L’univers secret que nous décrit l’autrice est bigarré et parfois baroque, ce qui crée un contraste avec la réalité terne du Bruxelles de l’avenir, qui lui sert de toile de fond. Dans Paradoxes, on croise de nombreux personnages hauts en couleur, qui tous, ont leur particularité, marquent la mémoire du lecteur et s’entrecroisent au sein de l’intrigue de toutes sortes de manière inattendue. L-A Braun a énormément de talent pour conjurer un bestiaire d’individus originaux.

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Au milieu de tout ça, cela dit, on a parfois tendance à perdre de vue le personnage principal, Jared Thorpe, ce détective plongé malgré lui au cœur d’une lutte entre divers clans surnaturels. Même si on en découvre un peu plus long sur son passé que dans le second tome, il ne trouve pas toujours sa place de protagoniste. J’étais enthousiasmé en découvrant au début du livre que Jared et un collègue policier allaient prendre en main l’enquête sur un personnage mort dans le tome précédent. Hélas, ce fil rouge qui aurait pu propulser l’intrigue est vite abandonné. À la place, Jared se fait ballotter au gré des rencontres, et ne joue jamais un rôle propulsif dans l’intrigue, se contentant de la subir. C’est bien sûr un motif courant dans le film noir, mais j’avoue que j’aurais apprécié que le personnage principal influence le déroulement des événements de manière un peu plus déterminante. Comme, en parallèle, les motivations des autres personnages sont parfois obscures, il y a des moments où le lecteur ne sait plus trop à quoi se raccrocher.

Le style de l’autrice est agréable, efficace, sobre en règle générale, il devient riche lorsque c’est nécessaire. Il a gagné en maturité depuis le premier volume et il est devenu un outil de haute précision qui lui permet de raconter de manière simple des scènes complexes.

En résumé, la saga « Paradoxes » se poursuit de manière enthousiasmante, en dépit de quelques imperfections mineures. Ce deuxième tome est une réussite, qui donne envie de découvrir le troisième et dernier volet de la saga.

Écrire en public

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Et si nous dépassions l’imagerie de l’auteur cloîtré dans son bureau, luttant seul avec son œuvre, loin de toute présence humaine, avant d’en émerger, tel un ermite have et à moitié fou, et de révéler son roman achevé à un public qui en ignore tout ? Et si l’écriture était une activité moins solitaire et moins secrète qu’on ne le pense ?

La publication de mon billet volontairement provocateur sur la ludification de l’écriture m’a valu quelques réactions : tant mieux, c’était le but, et les commentaires ont été à la fois pertinents et enrichissants. Parmi ceux-ci, ma camarade L-A Braun a soulevé quelques points qui m’ont donné envie de rédiger deux billets supplémentaires. Pour elle, « la notion de l’auteur qui écrit seul face à son carnet de notes dans sa tour fermée, c’est un peu 1. Un fantasme et 2. Une illusion. »

Une affirmation que je vais me permettre de nuancer un peu. Car en effet il y a deux types d’auteurs : les auteurs qui écrivent seuls, et les auteurs qui n’écrivent pas seuls.

L’acte d’écriture peut très bien être vécu en solo

Oh, tout le monde sera d’accord pour penser qu’aucun écrivain ne fonctionne en circuit fermé, que ce dont il fait l’expérience dans sa vie de tous les jours nourrit son écriture, de même que tout ce qu’il lit, les rencontres, les commentaires sur ses écrits, et mille autres choses qui s’ajoutent au chaudron bouillonnant de son imaginaire. Cela dit, l’acte d’écriture en lui-même, entre l’idée de départ et l’édition, peut très bien être vécu en solo.

C’est mon cas. Lorsque j’ai rédigé le manuscrit de « Merveilles du Monde Hurlant », je ne connaissais personne qui avait une expérience de l’écriture et un goût pour la fantasy. En d’autres termes : je n’avais pas de beta-lecteurs. En-dehors de quelques avis ponctuels, j’ai donc écrit en solitaire, du début jusqu’à la fin, sans pouvoir bénéficier d’éclairages en retour sur l’œuvre dans son entier, en tout cas jusqu’à ce que je soumette le roman à la publication.

En plus, c’est mon tempérament, j’aime bien bénéficier d’une certaine intimité dans l’écriture, j’estime qu’il s’agit d’un processus fragile, parfois mystérieux, et que, comme les saucisses, il n’y a pas toujours quelque chose à gagner à trop révéler au monde comment ça se fabrique. Des auteurs taciturnes comme moi, à l’ancienne, qui aiment l’ombre et les portes closes, il y en a plein.

Certains romanciers s’épanouissent dans la lumière

Pourtant, ne passons-nous pas à côté de quelque chose ? Est-ce que l’on profite pleinement de l’écriture lorsque l’unique moment de partage intervient à la parution d’un roman ? N’y a-t-il pas des trésors à découvrir lorsque l’on renonce à la solitude de l’écrivain et que l’on se décide à écrire en public ?

D’autres romanciers l’ont bien compris : ils s’épanouissent dans la lumière. Ils aiment partager avec d’autres le processus d’écriture, à chaque étape, de l’impulsion initiale jusqu’à la dernière relecture. Pour eux, il s’agit d’un travail collaboratif, ou en tout cas, qui gagne à bénéficier de nombreux avis extérieurs. Par ailleurs, ils trouvent dans ce partage une motivation supplémentaire : plutôt que de bénéficier de la reconnaissance de leurs efforts uniquement après avoir terminé leur œuvre, ils peuvent s’appuyer sur une chorale de supporters qui les soutient du début jusqu’à la fin.

Même si elle a pris un nouvel essor avec le web et les réseaux sociaux, l’idée n’est pas nouvelle. En 1927, Georges Simenon s’était ainsi engagé à écrire un roman en public, installé dans une cage en verre au milieu de la foule, pendant trois jours et trois nuits. Les fruits de ses efforts auraient parus par épisode dans un quotidien. Hélas, l’aventure a été annulée avant de commencer. Il est vrai que l’idée subit de vives critiques, jugée plus proche du numéro de cirque que de la littérature.

Écrire en public procure la meilleure des motivations

Cela dit, enlevez la cage en verre et les feuilletonistes ne sont pas rares dans l’histoire de la littérature. Dickens et Dostoïevski publiaient tous les deux leurs romans dans la presse, chapitre par chapitre, condamnés à tenir en haleine les lecteurs pour maintenir leur intérêt jour après jour, et affrontant leurs commentaires lorsque la tournure de l’histoire ne leur plaisaient pas.

Des auteurs qui écrivent en public, on en trouve toujours aujourd’hui, mais plutôt en ligne. Il y en a qui signent des œuvres remarquables, ici, sur WordPress, comme carnetsparesseux. Et puis, des sites comme Wattpad, Scribay, Fyctia ou Radish sont des hybrides de réseaux sociaux et de plateformes d’autoéditions ou des auteurs, amateurs ou chevronnés, partagent leurs écrits avec leurs lecteurs. En général, les histoires sont publiées par épisodes, et bénéficient des commentaires, critiques et observations du lectorat, pratiquement en direct. Les outils sont différents, mais la dynamique est proche de ce qui existait déjà au 19e siècle.

Les avantages de cette démarche sont nombreux. D’abord, elle fait sauter les cloisons souvent artificielles qu’on érige entre les auteurs et les lecteurs. Ceux-ci se retrouvent plus proches que jamais, à bavarder au sujet de ce qui les unit : la littérature. Tous les avis peuvent s’exprimer, dans un esprit de partage et de collaboration qui peut être très fertile. Peu à peu, un auteur qui a du talent s’attirera un noyau dur de fans, qui le soutiendront et lui prodigueront des encouragements lorsque l’inspiration tarde à venir. Écrire en public procure ainsi la meilleure des motivations.

Il y a aussi des inconvénients

Par ailleurs, sur ce type de plateforme, de nombreux membres signent de la fanfiction ou rédigent des récits inspirés de leurs romans ou de leurs genres préférés. Le sens de la communauté est donc très fort dans ce milieu. Auteurs et lecteurs partagent des références et des intérêts communs : ils parlent le même langage et regardent dans la même direction (ce qui ne veut pas dire qu’ils sont toujours d’accord sur tout).

De plus, bénéficier ainsi d’une chambre d’écho constituée de lecteurs fidèles – souvent auteurs en herbe eux-mêmes – permet à celles et ceux qui font le choix d’écrire en public de tester certaines de leurs idées, de faire des essais, de prendre la mesure de la popularité de certains personnages, de déterminer si un coup de théâtre est bien reçu par le lectorat, et, au besoin, d’adapter son récit, en direct ou presque.

Mais pour tous les avantages offerts par cette approche, il y a aussi des inconvénients, ou en tout cas des pièges dont il faut être conscient avant de se lancer.

S’ouvrir ainsi aux commentaires d’autrui, en particulier au sujet d’une œuvre qui n’est pas terminée, n’est pas chose facile. Ça peut même être dévastateur pour un jeune auteur. Qui dit « commentaires » veut dire, parfois, « commentaires négatifs » : certaines remarques seront insultantes, destructrices, et donc difficiles à encaisser. D’autres, bien que constructives et bien intentionnées, n’en seront pas moins critiques, voire intransigeantes. Tout le monde n’apprécie pas de voir son travail critiqué en public, et avant de s’exposer à ce genre de traitement, mieux vaut être sûr qu’on est de taille à y faire face.

Quand on donne aux gens ce qu’ils aiment déjà, on crée des œuvres stériles

Et pourtant, les commentaires positifs peuvent se montrer encore plus dévastateurs. Il est agréable de se sentir porté par l’enthousiasme des lecteurs, mais celui-ci n’est pas toujours de bon conseil. En d’autres termes, à trop prêter l’oreille aux commentaires, à trop vouloir satisfaire les fans, un auteur risque de privilégier les éléments de surface, les plus immédiatement séducteurs de son histoire, au détriment de la qualité de l’œuvre. Entouré d’inconditionnels d’une œuvre ou d’un genre, un écrivain risque d’être poussé à les satisfaire, à leur apporter les éléments familiers qui leur plaisent, quitte à y sacrifier sa personnalité. Entouré d’inconditionnels d’Anne Rice, l’auteur d’un roman de vampires aura du mal à leur proposer un texte qui s’éloigne trop de ce qu’ils apprécient. C’est le piège du populisme en art : quand on donne aux gens ce qu’ils aiment déjà, on crée des œuvres stériles et sans surprises.

Pour éviter de tomber de tomber dans cette ornière, un écrivain doit posséder une volonté supérieure à la moyenne. Il doit avoir la conviction que l’histoire qu’il écrit mérite d’être racontée, avoir une conscience aiguë de la nature de celle-ci, et être décidé à en défendre l’intégrité, même face aux critiques, et quitte à s’attirer l’animosité de lecteurs fidèles. Inutile de dire que cela réclame d’avoir les idées claires. Faire le tri, accepter les bonnes suggestions et écarter les mauvais conseils, c’est délicat. Garder le cap, ça n’est jamais facile.

Et puis les questions soulevées par l’expérience de Georges Simenon et de sa cage en verre restent d’actualité. Est-ce qu’écrire ainsi en public, ça n’est pas faire œuvre de saltimbanque ? N’est-ce pas davantage une performance à savourer en direct qu’une œuvre destinée à durer ? Est-ce encore de la littérature ? À quand le premier Prix Goncourt publié sur Wattpad ?

Alors que le rôle de l’écrivain et ses manières d’atteindre ses lecteurs sont en pleine redéfinition, il faudra sans doute attendre encore quelques années avant d’avoir des réponses satisfaisantes à ces questions.

⏩ La semaine prochaine: Écrire à plusieurs

Critique: Paradoxes, tome 1

Titre: Paradoxes, tome 1 – Nytayah.

Auteur: L.A. Braun

Éditeur: Auto-édition

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Premier tome de « Paradoxes », « Nytayah » est un roman aux multiples facettes, un roman-gigogne, qui, comme la plupart de ses personnages, mène des vies parallèles tout à fait différentes les unes des autres, tout en restant cohérent et prenant du début jusqu’à la fin.

C’est tout d’abord un roman noir dans la grande tradition, corsé et haletant, que n’auraient pas reniés Chester Himes ou Raymond Chandler. Toutes les figures du genre sont présentes: des flics mal dégrossis, grand brûlés de la vie, qui tentent de faire leur travail malgré des supérieurs peu coopératifs, des femmes fatales au lourd passé qui jouent un double jeu, des criminels durs à cuire, etc…

Seul regret: à épouser ainsi les formes d’un genre américain, on en oublie passagèrement que c’est bien à Bruxelles qu’a lieu l’action. Mais il s’agit d’un détail. L’intrigue policière représente l’ossature principale du récit, avec une trame bien charpentée et un suspense toujours présent.

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Nytayah est aussi un roman d’anticipation, situé quelque part à la lisière du cyberpunk, dans un avenir désenchanté et ravagé par des catastrophes. Il s’agit d’un élément utilisé astucieusement par l’auteure, qui profite que l’action se situe dans le futur pour introduire avec naturel les éléments les plus déconcertants. le décor du Bruxelles de l’avenir apporte également énormément d’atmosphère, le plus souvent sombre et déboussolée.

Et en plus de tout ça, le livre ajoute encore du surnaturel: vampires, loups-garous et autres, dont le conflit naissant a des parfums de jeux de rôle à la White Wolf, même si certains éléments et personnage emmènent l’imaginaire dans les chemins de traverse. le plus étonnant, c’est que tous ces aspects cohabitent dans le même roman et que cela semble parfaitement naturel, comme si ces genres différents étaient faits pour vivre ensemble.

A signaler également des personnages bien brossés, attachants ou répugnants, mais en tout cas immédiatement identifiables, des dialogues naturels et bien sentis, et un talent marqué de l’auteure pour les ambiances habilement décrites. Les descriptions sont fines et méticuleuses, parfois un peu chargées en adverbes au début du texte, mais toujours d’une grande justesse, parvenant à nous faire voir exactement ce que l’auteure a en tête.

Encore deux mots d’un aspect plaisant: même si Nytayah connaît des suites et laisse le destin de certains personnages en suspens (et aiguise notre curiosité), l’intrigue policière connaît un dénouement qui rend ce roman satisfaisant à lire pour lui-même, même si l’on n’a pas lu – ou pas encore lu – la suite.

Original, bien écrit, prenant – un roman chaudement recommandé.

Disculpeur: je suis édité auprès de la même maison d’édition que l’auteure.