Critique: Le Peuple des Tempêtes

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Plusieurs années après avoir percé à jour le mystère de la catastrophe d’Ekysse (dans « La Cité des Abysses »), Istalle revient sur la planète Thétys, en proie aux prémisses d’une catastrophe écologique et climatique inexpliquée.

Titre : Le Cycle d’Ekysse : Le Peuple des Tempêtes

Autrice : Ariane Bricard

Edition : Autoédité (BOD, ebook)

Il est toujours délicat de rédiger la critique d’un livre où l’on est très aimablement cité en remerciement, mais dans la mesure où ma seule contribution a été de prodiguer quelques encouragements, et que j’ai découvert le texte dans son intégralité comme n’importe quel lecteur, je m’autorise à l’évoquer ici.

L’impression que m’avait laissé le premier tome, c’était que même s’il laissait des questions ouvertes sur l’avenir de la planète aquatique Thétys et des mystérieuses créatures qui la peuplent, il se suffisait malgré tout à lui-même. Le mystère qui servait de colonne vertébrale à l’intrigue était résolu de manière satisfaisante, de même que le parcours personnel d’Istalle, la protagoniste.

Du coup, le défi de ce second tome est intéressant. Plutôt que de proposer un deuxième volet de l’histoire, il se pose ouvertement la question : « Que se passe-t-il après ? » Lorsque l’on a vécu, loin de chez soi, une expérience propre à bouleverser notre existence, qu’on a apporté des réponses à un mystère familial angoissant, quelles en sont les conséquences ? C’est ainsi que commence le roman, qui décrit les années qui suivent la fin du premier volume, où Istalle reconstruit sa vie. C’est une approche originale, parfois efficace, même si cette partie de l’histoire manque d’enjeu. En tant que lecteur, je pense que j’aurais préféré plonger directement au cœur de l’intrigue, quitte à couper les premiers chapitres et à dispenser les informations qu’ils contiennent sous forme de flashbacks.

À partir du moment où la jeune femme retourne sur Thétys, aux côtés de sa fille, le récit décolle rapidement. On y retrouve l’ambiance de science-fiction classique qui avait fait le charme de « La Cité des Abysses », même si cette fois, allez savoir pourquoi, j’ai davantage pensé aux aventures truculentes d’un Jack Vance qu’au explorations intellectuelles d’un A.E. Van Vogt. Peut-être parce que cette fois-ci, on passe davantage de temps à s’intéresser à la faune haute en couleur de cette planète, et que le mystère et la romance sont relégués au second plan. L’angle scientifique, cela dit, est ici très proche de nos préoccupations contemporaines, avec des réflexions écologiques qui servent de fil rouge à l’histoire.

Un autre aspect qui m’a évoqué les incontournables de la SF, ce sont les personnages, en particulier Istalle et celles et ceux qui orbitent autour d’elle. Tous sont très professionnels, honorables et flegmatiques, conservant leur sang froid dans presque toutes les situations, comme l’équipage de l’« USS Enterprise. » Face aux difficultés immenses qu’ils affrontent, en particulier dans la seconde moitié du roman, j’aurais par moment souhaité qu’ils montrent davantage d’émotion. Cela aurait également permis de mieux les distinguer, puisque, comme dans le premier tome, j’ai eu, à certains moments, du mal à me souvenir de certains personnages secondaires.

En même temps, la délicatesse de l’autrice est un des aspects les plus réjouissants du roman, lorsque l’on aborde son style. Celui-ci est léger et faussement simple, d’une grande précision, capable d’une grande force d’évocation en peu de mots, et particulièrement efficace pour décrire les aspects les plus simples de la vie. Sous sa plume, les aspects pratiques de l’exploration et des plongées dans les eaux de Thétys acquièrent un vernis de vraisemblance qui rend ces passages très attachants.

En deux mots, c’est une joie de retrouver Istalle et la planète Thétys, et même si j’ai estimé que le roman aurait pu nous proposer par endroits une narration plus aiguisée, c’est un livre de science-fiction réussi et très agréable à lire.

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L’interview: Ariane Bricard

Est-ce parce qu’elle a voyagé elle-même qu’elle aime nous emmener loin de la Terre? Ariane Bricard est une autrice dont les écrits se situent au carrefour des classiques de la science-fiction, du romantisme et du mystère. Avec La Cité des Abysses, son premier roman, elle a fait rêver les lecteurs à Thétys, un monde aquatique dont les humains sont loin de percer à jour tous les mystères. J’ai déjà eu l’occasion de publier une critique de ce roman que vous pouvez lire ici.

Disculpeur: Ariane et moi sommes tous les deux publiés dans la même maison d’édition.

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Est-ce que tu te souviens de ce qui t’as amenée à l’écriture ? Quel a été ton premier projet ? Qu’est-ce que ça représente l’écriture pour toi aujourd’hui ? Une passion ? Une drogue ? Un casse-tête ? Est-ce que tu pourrais t’en passer ?

On m’a raconté que j’ai commencé à écrire dès que j’ai appris à le faire, comme une suite logique de ma passion pour la lecture. À cinq ans, j’ai déclaré que je voulais être écrivain (à peine ambitieux, ha ! ha !). J’ai écrit des poèmes pour mes parents, des rédactions à l’école.
Ma première histoire complète, je l’ai écrite à 15 ans, par besoin d’écrire (influencée par des jeux vidéo, en particulier Deus Ex). Je n’ai pas cessé depuis.
C’est à la fois une drogue (je suis en état de manque lorsque je n’écris pas régulièrement) et un moyen de me compléter. C’est aussi un casse-tête car la cohérence est très importante, je veux que le lecteur croie en l’histoire. L’avantage : on a toute sa vie pour progresser.
J’espère que je ne réussirai jamais à m’en passer.

Un conseil, une suggestion à ceux qui te lisent et qui ont envie d’écrire ?

Doutez et travaillez. Le plus dur est de prendre du recul, de voir ses propres réflexes, ses codes et ses erreurs. La patience et le travail sont indispensables. Une chose qui marche bien pour moi : la musique pour me « doper » et ne pas faire que ça. Tout ce que l’on vit nourrit nos idées et notre style.
Après, il n’y a pas de recette miracle, chacun fonctionne différemment.

Tu as un parcours cosmopolite, qui passe par l’Afrique et la Chine. Est-ce que cela a laissé des traces sur ton écriture ?

Aucune idée ! Par contre, j’aimerais bien m’en inspirer davantage, au niveau culturel, social… c’est passionnant. Les gens restent les gens mais leurs façons d’être diffèrent complètement !
Lorsque j’étais encore étudiante en chinois, j’ai écrit un pastiche d’un chapitre d’Au bord de l’eau pour un examen de littérature. Ce n’était pas facile d’essayer d’employer les mêmes tournures, de reprendre des personnages, mais j’avais adoré !

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La Cité des Abysses est avant tout un roman de science-fiction. Est-ce qu’il y a des auteurs dont tu te sens proche et qui t’ont inspiré pour l’écrire ?

Ce que j’ai pu identifier : Herbert (Dune), le film Abyss (surtout la fin), l’auteur de BD Léo pour les mantrisses d’Aldébaran, Asimov pour sa merveilleuse façon de nous embarquer dans l’avenir. M’en sentir proche, j’aimerais bien ! C’est surtout de l’admiration pour leurs œuvres.

Malgré tout, la trame du roman, c’est une enquête, presque policière. Est-ce que ça a été compliqué de structurer une telle intrigue ?

C’est embarrassant. En fait, je n’avais rien structuré du tout : j’écrivais uniquement à l’inspiration. Parfois, je restais bloquée des semaines ! Certains points étaient clairs dès le début, l’essentiel a dû attendre la fin.
C’est une façon brouillonne et surtout stressante d’écrire. J’essaye de structurer davantage mes romans depuis 7 ans, de retenir certaines idées, mais ça reste difficile.

Je sais que tu tricotes. Est-ce qu’il existe des points communs entre le tricot et l’écriture selon toi ?

Oh, oui ! Il y a un côté créatif indéniable : imaginer un motif, tout défaire parce qu’on change d’avis, improviser, modifier. Plus ce qu’on veut tricoter est complexe et plus un plan est conseillé. Par contre, c’est moins mouvementé que l’écriture ! Je trouve le côté mécanique très apaisant, alors qu’il m’est arrivé de pleurer en écrivant des chapitres.

« Romantique, mais pas guimauve » : c’est un descriptif que tu utilises parfois pour qualifier la tonalité du livre. C’est quoi, le romantisme, pour toi ? Pourquoi est-ce que ça te tient à cœur ?

Pour moi, le romantisme est passionnel (et pas forcément amoureux). Il tient à l’intensité des émotions, des impressions. Guimauve, pour moi, c’est un peu exagéré ou moins ancré dans le réel.
J’ai déjà écrit comme ça. Maintenant, j’essaye de garder mes personnages concentrés sur leurs objectifs : ils ont déjà beaucoup à affronter et tout le monde n’est pas à ce point à fleur de peau.
D’un autre côté, ça pourrait être intéressant d’inventer un personnage secondaire guimauve ! Même si ça peut faire du mal, c’est attendrissant, cette sincérité extrême.

On te sent très attachée à certains de tes personnages. Comment est-ce que tu définirais le lien qui t’unit à eux ?

Je ne sais pas trop. Ils sont là, dans un coin de ma tête, à attendre le point final. Disons qu’ils vivent en moi tant que j’écris sur eux. J’essaye de leur donner une identité propre, un passé, un peu d’épaisseur en fait. Pas très facile mais c’est une des choses que je préfère. Évidemment, les personnages principaux sont privilégiés : ils sont soumis à plus de torture, hé ! hé ! Les pauvres.

La Cité des Abysses appelle une suite. Où en es-tu ?

Je réécrit le texte depuis l’an dernier. Le scénario a complètement été remanié et au moins les trois quarts sont réécrits de zéro, alors ça demande beaucoup de temps (surtout que j’ai un travail chronophage à côté).
Désolée, c’est très long !

C’est difficile d’écrire une suite ? Plus dur que d’écrire le premier tome ?

Au niveau écriture, retrouver les personnages, c’est du pur bonheur ! Je suis très heureuse, deux d’entre eux ont évolué. Par contre, oui, j’ai peur de décevoir les lecteurs du tome 1. C’est ça le plus dur, je pense.

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Au-delà du Cycle d’Ekysse, est-ce que tu as d’autres envies d’écriture ? Des projets dans tes carnets ? Envie de t’éloigner de la science-fiction, peut-être ?

J’aimerais écrire quelque chose de drôle mais je n’y arrive pas pour l’instant.
J’ai un autre projet, de littérature plus classique, que je garde dans un coin de ma tête, pour plus tard. Sinon, j’adore la SF mais pourquoi pas du fantastique ? Je suis sans doute déjà à la frontière.
La priorité après Ékysse : finir le roman double sur lequel je planche depuis 2009 !

Être éditée, c’est une expérience satisfaisante ? Est-ce que tu pourrais envisager de te lancer dans l’autoédition ?

C’est un vrai bonheur de voir son texte prendre corps dans un livre, un vrai livre ! Le Héron d’Argent m’a vraiment soutenue et a été riche de conseils, tout en me laissant la main sur l’histoire et mes personnages. C’est aussi du travail de relecture, de réécriture… Il faut s’attendre à retravailler le livre.
L’autoédition ? Pourquoi pas, si une histoire ne trouve pas son éditeur, elle trouvera peut-être ses lecteurs ?

Pierre Bordage a écrit : « N’ayez jamais aucun regret. Mieux vaut crever d’oser plutôt que de se consumer à petit feu dans les regrets. » As-tu des regrets en tant qu’autrice ? Qu’est-ce que tu n’as pas (encore) osé ?

Des regrets, oui, quelques-uns : écrire un texte différemment (on évolue avec le temps), créer des tempéraments amusants, mieux rédiger les descriptions, poser une ambiance…
Pas encore de gros regret mais je garde la citation ! C’est un excellent conseil d’une excellente plume.
Je n’ai pas encore osé écrire de scène d’amour : mes essais m’ont paru fades. J’ai quelques scènes de violence en tête, qui me font un peu peur mais j’y viendrai sans doute un jour.

Merci de m’avoir si gentiment proposé cette interview 😊

Critique: La Cité des Abysses

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Sur la planète Thétys, la jeune Istalle a échappé de justesse à un cataclysme qui a ravagé la cité sous-marine où elle vivait avec sa famille. Tout le monde s’accorde à penser que c’est son père qui est le responsable du drame. Une fois devenue adulte, Istalle revient sur les lieux, bien décidée à laver l’honneur de sa famille. Et si les fascinants dauphins d’Ekysse, ces créatures mystérieuses, détenaient certaines des clés du mystère?

Titre : Le Cycle d’Ekysse – La Cité des Abysses

Auteure : Ariane Bricard

Éditeur : Editions Le Héron d’Argent (ebook)

Des secrets se cachent sous la surface: celle de l’océan, celle des souvenirs, celle des sentiments…

Au carrefour de plusieurs genres, La Cité des Abysses et d’abord un roman de science-fiction. Sur ce plan, il rappelle les plumes classiques, entre Vance et Van Vogt, qui avaient coutume de nous emmener à la découverte de planètes lointaines. Comme eux, l’auteure sait évoquer le dépaysement des astres inconnus et le frémissement des pionniers. On se plaît à découvrir aux côtés des personnages ce monde neuf et bien dessiné: la faune, la flore, et même les phénomènes météo, tout sur Thétys est pensé par l’auteur, tant et si bien qu’on a l’impression de s’immerger dans un environnement bien réel.

Le livre est aussi un thriller, puisqu’il est structuré comme une enquête. Qui est vraiment responsable d’une catastrophe qui a endeuillé Thétys? C’est la question que cherche à élucider Istalle. Ses investigations génèrent du suspense et tiennent le lecteur en haleine, même si la nature mélancolique du personnage baigne le récit dans une certaine langueur: la jeune femme souhaite-t-elle vraiment obtenir les réponses qu’elle dit rechercher? En proie à une crise existentielle, elle déploie autant d’efforts à enquêter qu’à s’interdire de le faire.

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Au cœur du récit se cache encore un autre genre: la romance. Notre héroïne se retrouve entre un amour qui s’en va et un amour qui vient. Tout cela est décrit avec délicatesse et cette histoire ne submerge jamais le récit, mais au contraire, sert les enjeux du roman et contribue à donner de l’épaisseur aux personnages.

Le style de l’auteure est fluide, élégant, ponctué de dialogues nombreux et dynamiques, avec un goût du mot juste et des descriptions vivantes. On se prend au jeu et on tourne les pages en ayant très envie de découvrir la suite.

Au chapitre des points faibles, on peut citer quelques personnages secondaires vite esquissés qui ne servent pas vraiment l’intrigue. Au début du roman, quelques dialogues d’exposition ne sont pas toujours convaincants. Rien de tout cela, cependant, n’entame le plaisir du lecteur.

Bénéficiant, dans sa version papier, d’un superbe travail d’édition, La Cité des Abysses est un roman prenant et original, dont les dernières pages ouvrent de nouvelles portes qui donnent envie de découvrir la suite.

✋ Disculpeur: je suis édité auprès de la même maison d’édition que l’auteure.