Dix thèmes

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La théorie, je le sais bien, ça va un moment. Pour mieux saisir les enjeux, les fonctionnements et les mécanismes du thème en littérature, rien ne vaut une bonne petite mise en situation.

Dans ce billet, je vous propose d’évoquer dix thèmes utilisés régulièrement dans les romans. Peut-être vont-ils vous inspirer et vous donner envie de les adopter pour un de vos projets. Peut-être que leurs descriptions vont vous motiver à vous lancer dans une voie légèrement différente. Peut-être que les exemples inclus vont vous aider à mieux comprendre comment un auteur parvient à entremêler un thème avec l’intrigue et les personnages d’un récit. Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas, comme toujours, à me faire part de vos remarques.

Le bien contre le mal

La lutte classique entre le bien et le mal, la lumière contre l’obscurité, la vie contre la mort, l’altruisme contre la cruauté, la santé contre la maladie, le bonheur contre le malheur représente une des histoires les plus anciennes de l’histoire de la fiction. Elle sert de base à une partie des mythologies sur toute la planète, et est encore utilisée par les auteurs qui souhaitent conférer un vernis mythique à leurs récits, par exemple dans la fantasy.

Ce n’est pas parce que vous choisissez ce thème que vous êtes obligés de vous montrer simpliste. Par exemple, ce n’est pas nécessairement le bien qui doit ressortir gagnant ; le camp du bien peut être vérolé par le mal, et le camp du mal noyauté par le bien ; les définitions du bien et du mal peuvent être non-conventionnelles ; et naturellement, la lutte en question peut être interne plutôt que littérale. Par ailleurs, vous pouvez jeter tout ça à la corbeille pour faire de votre roman une exploration de systèmes de pensées éthiques : le bien vu par un personnage qui adhère aux préceptes de l’éthique kantienne face à un personnage religieux ou amoral, par exemple.

Autres thèmes similaires : la morale, la tentation, la divinité

Exemples :

« Le Seigneur des Anneaux », de JRR Tolkien

« Le Fléau », de Stephen King

« Les Bienveillantes » de Jonathan Littell

L’amour

Une émotion, qui éclot en sentiment, qui lie les êtres les uns aux autres et qui est à la fois à l’origine des plus sincères motivations et des drames les plus déchirants, l’amour est un des thèmes littéraires les plus riches et les plus fréquemment utilisés. Et pour cause, il est pratiquement inépuisable. L’amour prend les formes les plus diverses et se manifeste dans les contextes les plus variés.

En abordant ce thème, on peut rédiger une romance charmante et pleine d’innocence, un thriller sombre et violent ou un roman angoissé sur la détresse associée à la condition humaine. Bref, l’amour est une passerelle vers l’exploration des liens entre les individus, et entre l’humanité et le cosmos.

C’est un thème multiple, qui peut être décliné en sous-thèmes qui ont finalement peu de choses à voir les uns avec les autres : l’amour interdit, l’amour platonique, l’amour toxique, le premier amour, l’amour à sens unique, l’amour perdu, l’amour des parents pour leurs enfants, pour les amis, pour les animaux, etc…

Autres thèmes similaires : l’amitié, le sexe, le divorce

Exemples :

« Romeo et Juliette », de William Shakespeare

« Raison et sentiments » de Jane Austen

« Belle du Seigneur », d’Albert Cohen

La mort

S’il y a un concept qui est encore plus universel que l’amour, c’est bien la mort, puisque c’est une des rares choses qu’ont en commun toutes les créatures vivantes. Comment fait-on face à la perspective de sa propre mort ou à celle des autres, comment survit-on au deuil, qu’est-on prêt à faire pour déjouer la mort, qu’est-ce que cela implique de mettre fin à la vie de quelqu’un, comment continuer à vivre après avoir frôlé la mort, comment faire de la mort son métier, dans quelle mesure la mort agit-elle comme un révélateur de la vie : les déclinaisons sont là aussi innombrables.

La fascination qu’exerce la mort sur l’humanité représente également un jalon culturel fondamental, qui comporte toutes les théories possibles et imaginables sur la vie après la vie, l’au-delà, l’éternité et la place des pauvres mortels face à l’éternité.

La mort est un des rares aspects de l’existence qui est encore fortement ritualisé dans nos civilisations post-modernes, et qui comporte un grand nombre de symboles reconnaissables par toutes et tous. Cela permet d’ancrer un texte sur la mort dans une symbolique et des motifs qui vont avoir de la résonance auprès des lectrices et des lecteurs.

Autres thèmes similaires : la vieillesse, l’éternité, la valeur de la vie

Exemples :

« L’étranger » d’Albert Camus

« Phèdre » de Jean Racine

« La nostalgie de l’ange » d’Alice Sebold

La vengeance

Qu’est-ce qui peut motiver un individu à commettre des actes qu’il aurait pu croire impensables et à trahir toutes les valeurs qui lui semblaient fondamentales ? La vengeance répond à cette définition. C’est un acte qui est, par essence, dramatique, parce qu’en règle générale, une intrigue qui traite de ce thème commencera et se terminera par une transformation pour les protagonistes. Elle contient également, en son cœur, un conflit entre deux individus antagonistes (ou davantage).

Mais la vengeance ne doit pas être uniquement considérée comme un élément de structure dramatique : la choisir comme thème ouvre des possibilités bien plus intéressantes. Un récit qui traite de vengeance va se consacrer à évoquer la manière dont cet acte constitue une force plus destructrice que le pardon, les choix moraux qu’elle implique, ou comment une revanche menée à bien apaise rarement l’âme tourmentée de celui qui la commet.

Plat qui se mange froid, la vengeance, c’est aussi l’occasion d’écrire des romans au long cours, montrant comment une personne flouée peut ourdir des machinations pendant des décennies.

Autres thèmes similaires : le sacrifice, la colère, le fanatisme

Exemples :

« Le conte de Monte Cristo » d’Alexandre Dumas

« Les hauts de Hurlevent », d’Emily Brontë

« Dune » de Frank Herbert

La rédemption

C’est, au fond, presque l’inverse de la vengeance. Alors que la vengeance traite d’un acte commis par une personne flouée qui cherche à obtenir réparation, souvent de manière violente, auprès de l’individu qui lui a fait du tort, la rédemption traite des efforts entrepris par un individu qui a mal agi, et qui cherche à obtenir le pardon pour ses actes. Là aussi, on a affaire à un thème transformatoire par définition, puisque le protagoniste cherche à changer son propre fonctionnement ou la manière dont il est perçu par la société (ou les deux).

Tout le monde n’est pas capable de procéder à un changement de cette ampleur, aussi il est possible d’aborder le thème de la rédemption à travers la chronique d’un échec ou d’un demi-succès. Et même quand cela fonctionne, cela passe souvent par des sacrifices, l’acte rédempteur par essence étant le sacrifice de sa propre vie.

Un autre aspect intéressant du thème, c’est qu’il permet d’explorer le bien, le mal, et la manière dont on tend à ranger les individus dans ce genre de catégorie. Une histoire qui traite de rédemption verra une personne considérée comme mauvaise déployer des efforts pour devenir une bonne personne. Où se situe la frontière ? Et est-ce un changement de perception ou quelque chose de plus fondamental ?

Autres thèmes similaires : l’oubli, la transformation, la descente aux enfers

Exemples :

« Les misérables » de Victor Hugo

« Les cerfs-volants de Kaboul » de Khaled Hosseini

« Un chant de Noël » de Charles Dickens

Le pouvoir

Exercer une influence sur les autres, modeler la société, décider du sort d’autres personnes sans que ceux-ci aient voie au chapitre : le pouvoir est un thème intéressant parce qu’il met en perspective l’individu et la société, voire la civilisation. C’est un thème aussi personnel que social, qui permet tous les jeux de contraste entre le niveau particulier et le niveau général.

Le pouvoir est également un sujet protéiforme, en cela qu’il peut changer du tout au tout en fonction de l’angle que l’on choisit d’aborder. Le pouvoir subi par l’individu situé tout en bas de l’échelle sociale est différent du pouvoir absolu vu par la personne qui le possède, ou par celui qui tente de l’acquérir, ou encore par celui qui est en train de le perdre.

Une facette de ce thème qui fascine particulièrement les romanciers, c’est la manière dont le pouvoir corrompt et met à mal les valeurs des êtres, quelles que soient leurs intentions de départ. L’exercice du pouvoir absolu, tyrannique, écrase l’individu et sert de ferment à toute la littérature dystopique.

Autres thèmes similaires : l’ambition, la corruption, la responsabilité

Exemples :

« Le rouge et le noir » de Stendhal

« La ferme des animaux » de George Orwell

« Macbeth » de William Shakespeare

La survie

Au verso du thème de la mort se trouve le thème de la survie. Toutes les créatures vivantes sont animées par des mécanismes qui les poussent à échapper au danger et aux périls en tous genres, donc il n’y a rien d’étonnant à réaliser qu’il s’agit d’un des thèmes majeurs de la littérature.

Une histoire centrée sur le thème de la survie va la plupart du temps mettre en scène un individu ou un groupe face à une menace extérieure, que celle-ci vienne de l’environnement, de la civilisation humaine, qu’il s’agisse d’une maladie, d’une catastrophe naturelle ou d’un puissant ennemi ou groupe d’ennemis. La nature de cette menace va conditionner la manière dont le thème est abordé : un roman consacré à un personnage qui tente de s’échapper d’une nature hostile pour retourner à la civilisation sera radicalement différent d’un récit postapocalyptique où aucune échappatoire n’est disponible.

Une histoire de survie tend à révéler la nature profonde de des personnages : ce qui reste d’eux une fois qu’ils ont abandonné toutes leurs ressources et tous leurs espoirs. Certains exposent leur noirceur profonde, d’autres révèlent des ressources insoupçonnées.

Autres thèmes similaires : la civilisation contre la nature sauvage, l’instinct, l’apocalypse

Exemples :

« La Route » de Cormac McCarthy

« Sa majesté des mouches » de William Golding

« Seul sur Mars » d’Andy Weir

La justice

En tant que thème littéraire, la justice matérialise l’idée selon laquelle un comportement vertueux mérite une récompense, et que le vice mène à la punition. Par ailleurs, la justice est également sociale : il s’agit alors de s’intéresser au principe selon lequel tous les êtres humains ont des droits égaux et peuvent prétendre à un standard minimal de condition de vie, et à ne pas subir de mauvais traitement sans avoir commis de faute.

Les romans qui sont consacrés à ce thème cherchent donc à répondre à des questions comme « Qu’est-ce qui est juste ? », « Comment lutter contre l’injustice ? », « Qu’est-ce qui constitue une punition acceptable ? ». Ils abordent à la fois le sentiment d’être confronté à l’injustice, qui peut naître dans le cœur d’un individu, mais aussi la manière dont une société organise son système judiciaire et les punitions qui l’accompagnent.

La justice et l’injustice, il faut le noter, ne sont pas uniquement des notions liées à l’appareil juridique. Elles touchent à la philosophie, à l’éthique, à la culture, mais aussi à l’économie, partant du principe que, par exemple, la hiérarchie sociale née des inégalités de revenus peut mener elle aussi à des injustices.

Autres thèmes similaires : l’égalité, la pureté, la loyauté

Exemples :

« Germinal » d’Emile Zola

« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » de Harper Lee

« Le procès » de Franz Kafka

La guerre

J’ai déjà eu l’occasion de consacrer une quantité d’articles invraisemblable à la guerre. En tant que thème littéraire, celle-ci permet de confronter les personnages – tous les personnages – au pire événement de leur existence. La guerre voit la société toute entière, mais aussi les relations entre les êtres, la décence la plus élémentaire, et parfois l’espoir lui-même, disparaître, sans que l’on puisse savoir quand ou même si tout cela va réapparaître un jour. Parce que le conflit et la remise en question sont partout, cela en fait le thème littéraire par excellence.

Pour aborder le thème de la guerre, il n’est même pas forcément nécessaire de situer l’action du roman au cœur du conflit. On peut très bien s’en éloigner dans l’espace et s’intéresse au sort des civils, ou dans le temps et se focaliser sur la période qui précède ou qui suit un conflit armé. Un livre qui parle de la guerre ne doit d’ailleurs pas nécessairement mettre en scène la guerre, et peut très bien se contenter de l’évoquer à travers ses stigmates, ses séquelles ou ses racines.

Autres thèmes similaires : la catastrophe, la famine, la crise

Exemples :

« A l’ouest rien de nouveau » d’Erich Maria Remarque

« La guerre éternelle » de Joe Haldemann

« Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut

La famille

La famille est la plus petite forme de société humaine. Constituée d’individus unis, parfois en tout cas, par la génétique, par un vécu commun, et par une affection réciproque, elle ne constitue pas pour autant un groupe nécessairement fonctionnel. Même les familles les plus unies comprennent des membres qui ne peuvent pas se supporter, et il suffit parfois que survienne une crise, un deuil, une affaire d’argent pour découvrir que l’unité familial n’était qu’un vernis qui craquelle rapidement.

En d’autres termes : la famille rajoute une couche de complication à tous les drames humains existants, raison pour laquelle il s’agit d’un thème éminemment littéraire. La famille exacerbe les émotions : elle rend les joies partagées plus grandes, les triomphes plus doux, mais elle peut aussi transformer les peines en tragédies.

Comme toutes les histoires qui tournent autour d’une communauté, un roman dont le thème est la famille va donner l’occasion à un auteur de s’interroger sur la place de l’individu au sein de celle-ci, et des compromis qu’il doit faire pour continuer à exister. Les liens entre parents et enfants, entre frères et sœurs, qui continuent à exister même s’ils se détériorent, constituent une exception dans les relations humaines, qui mérite d’être approfondie.

Autres thèmes similaires : la transmission, la communauté, le passage à l’âge adulte

Exemples :

« Les quatre filles du Docteur March » de Louisa May Alcott

« Le Parrain » de Mario Puzzo

« Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez

Personnages: quelques astuces

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Dans les billets précédents, j’ai eu l’occasion de distiller pas mal de conseils en tous genres sur les personnages principaux et les personnages secondaires. Dans ce domaine, le champ des possibles reste malgré tout très vaste, et il y a énormément de conseils, de considérations et d’astuces sur lesquels j’ai encore envie d’insister. Je vous les livre en vrac, servez-vous, faites-en ce qui vous paraît juste ou amusant.

Les personnages ne sont pas nos enfants

Parfois, quand on écrit de la fiction, une petite phrase, une maxime, un principe, si on le garde à l’esprit, peut orienter durablement notre plume et la guider vers de meilleurs résultats. « Les personnages ne sont pas nos enfants » en fait partie.

Les écrivains passent énormément de temps à imaginer, échafauder, planifier et finalement, rédiger. À force, ils finissent par s’attacher à leurs personnages, les ayant accompagnés pendant toute leur gestation, les ayant modelés, ayant consacré beaucoup d’efforts à leur élaboration, leur ayant conféré une grande part d’eux-mêmes. Pourtant, ce lien d’affection entre le créateur et la création, il faut le rompre.

Un des boulots d’un auteur, c’est de faire vivre des choses intéressantes à ses personnages. « Intéressantes », c’est une autre manière de dire « pénible » : des aventures, des sacrifices, des dilemmes, des remises en question. Toutes ces choses terribles, c’est exactement ce que nous souhaitons épargner à celles et ceux qui nous sont chers. Dès lors, à trop s’attacher à nos personnages, on risque de vouloir leur éviter toute cette souffrance et de leur rendre la vie facile.

Ça serait une grave erreur : les épreuves qu’ils traversent sont la substance du livre. À vouloir préserver les personnages, même inconsciemment, un auteur risque de sacrifier les intérêts de ceux qu’il devrait toujours garder à l’esprit : les lecteurs.

Les personnages ont droit à l’erreur

On l’a vu dans un billet précédent : un personnage principal ne doit pas nécessairement être sympathique. Les lecteurs savent se montrer compréhensifs vis-à-vis des failles morales d’un protagoniste, pour peu que celui-ci reste compréhensible. Curieusement, il est plus difficile de faire accepter un personnage principal faillible, qui commet des erreurs de jugement ou qui agit sans réfléchir. De nombreux lecteurs ont du mal à accepter ça, partant du principe que si eux, confortablement installés dans leur canapé, parviennent à flairer le mauvais coup, le personnage en question, en pleine action, devrait y arriver aussi.

Malgré tout, un auteur doit s’autoriser à mettre en scène des personnages qui se trompent. Déjà parce que c’est réaliste : la vie humaine est une longue série de faux pas. Mais aussi parce que cela génère de la tension dramatique : un protagoniste qui commet des erreurs finira par en payer le prix et par être hanté par elles, en n’ayant que lui-même à blâmer – une situation riche en potentiel romanesque.

Pour faire passer la pilule auprès des lecteurs les plus circonspects, faites-vous l’écho de leurs doutes : le personnage lui-même peut se demander s’il prend la bonne décision, ou alors son entourage peut ouvertement le critiquer pour son manque de discernement. De cette manière, les lecteurs qui n’aiment pas trop quand les personnages se fourvoient pourront se raccrocher à quelque chose et continuer leur lecture.

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Les lecteurs sont attirés par les personnages qui leur ressemblent

C’est un principe qu’il vaut mieux garder à l’esprit quand on écrit : les lecteurs ont envie de lire les aventures de gens qui leur ressemblent. C’est en tout cas le cas de la plupart d’entre eux. C’est même l’attente implicite : les livres qui racontent des histoires de femmes sont destinés à des lectrices, les romans dont les héros sont des adolescents sont faits pour être lus par des adolescents, les bouquins qui parlent du troisième âge sont réservés aux personnes âgées. Si votre personnage principal est une adolescente, certains lecteurs ne vont pas s’y intéresser parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes des adolescentes (croyez-moi).

Ce principe est le fruit de la volonté de nombreux lecteurs de voir la littérature refléter leurs propres préoccupations, c’est donc une réalité que l’on ne peut pas se contenter d’ignorer. Par contre, il serait regrettable de tomber dans une littérature-selfie, où les personnages de romans sont des copies conformes de leurs lecteurs. Donc si vous avez envie de choisir comme protagonistes des individus qui ne ressemblent pas à vos lecteurs, sentez-vous libres de vos ambitions, qui sont louables, mais sachez que cela va créer un obstacle supplémentaire dans l’accessibilité de votre texte.

Présenter un personnage deux fois

Voilà une technique toute simple qui fait merveille : lorsque l’on introduit un nouveau personnage dans un livre, en particulier un personnage principal, destiné à être mémorable, cela peut être une très bonne démarche de le présenter deux fois.

Dans une première scène, le personnage apparaît fugitivement avant de disparaître, ou alors il est entouré d’autres personnages et n’a pas d’impact direct sur l’intrigue, ou bien il est simplement mentionné par quelqu’un d’autre, précédé d’une réputation, aperçu de loin, ou toute autre situation où l’on obtient de lui qu’une impression imparfaite. Ensuite, plus loin dans l’histoire, il aura droit à une scène d’introduction en bonne et due forme, où l’on apprendra qui il est et ce qu’il veut.

Le grand avantage de cette démarche, c’est qu’elle crée un mystère autour de ce personnage, qui va dès lors susciter l’intérêt. Le personnage en question n’en sera que plus mémorable, puisqu’il va exister dans l’imagination du lecteur avant d’entrer de plain-pied dans l’intrigue. L’autre aspect séduisant de cette technique, c’est qu’elle permet des jeux de contraste entre la première impression que va donner ce personnage et ce qu’on va apprendre de lui par la suite.

Lier un personnage et un lieu

Une autre astuce simple pour donner un peu de corps à un personnage, c’est de le coupler à un lieu. C’est utile en particulier pour les personnages secondaires, que l’on a forcément moins le temps de découvrir par leurs actes. Enracinez, si c’est possible, un personnage dans un lieu : un garage, une caravane, un manoir, une baraque à frites, peu importe. Cherchez à esquisser ce qui les lie, leur histoire commune, et ce qui fait qu’au fil du temps ils finissent par se ressembler.

En les liant l’un à l’autre, si vous faites preuve d’un peu de doigté, vous réussirez un beau doublé : en décrivant le lieu, vous enrichirez le personnage, et en décrivant le personnage, vous enrichirez le lieu.

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Duos de personnages

Autre possibilité pour enrichir des personnages secondaires : concevoir deux personnages comme un tandem dès le départ. D’une certaine manière, cela revient à créer un double personnage, un tandem qui agit toujours de concert, et qui est rendu mémorable à cause du contraste qui existe entre les deux individus.

Plutôt que d’introduire un enquêteur dans l’histoire, qui vient poser des questions au protagoniste sur une affaire louche dans laquelle il est impliqué, pourquoi ne pas en introduire deux ? Une femme et un homme, un grand et un petit, un bavard et un muet, un sarcastique et un sérieux ?

Il y a un double avantage à opter pour cette approche. Contrairement à un personnage solo, un duo va discuter ouvertement : c’est comme si le lecteur avait accès à son monologue intérieur, et même à ses divergences d’opinion. De plus, même si, dans les faits, le duo agit comme un seul personnage, il existe toujours la possibilité de le scinder plus tard dans l’intrigue et de tenter de voir comment chaque élément du tandem fonctionne indépendamment, ce qui débouche sur une autre dynamique qui peut être intéressante.

Le personnage né pour mourir

Parfois, c’est cruel, mais un personnage va mourir avant même l’écriture du roman. Vous réalisez soudain que vous avez besoin d’une tragédie pour épicer l’intrigue, d’un drame qui va rendre un des tournants de votre roman plus inoubliable ? Tuer un des personnages principaux est une des recettes les plus classiques qui existent. C’est pas sympa mais ça fonctionne.

Cela dit, si ça se trouve, vous avez des projets pour chacun de vos personnages principaux et il vous paraît difficile d’en supprimer un. Si vous en êtes encore à l’étape de la préparation du plan, il n’est pas trop tard : vous pouvez aisément rajouter un personnage supplémentaire, l’insérer dans l’intrigue depuis le début, lui donner une personnalité, de l’épaisseur, des liens avec les autres personnages, et au moment où vous en avez besoin, couic, vous le supprimez. Pour le lecteur, vous venez de tuer un de personnages principaux : vous seuls savez qu’en réalité ce personnage est né pour mourir.

Attention tout de même à une question sensible : tuer ou faire souffrir un personnage féminin pour donner une motivation à un personnage masculin est un des plus vieux clichés sexistes de l’histoire de la littérature. Plutôt que de le perpétuer, je suggère d’opter pour un homme dans le rôle de l’agneau sacrificiel.

Donner un secret à un personnage

Le personnage principal de votre roman a-t-il fait quelque chose dont il n’est pas fier et qu’il préfère cacher à ses proches ? Prétend-il être quelqu’un qu’il n’est pas ? A-t-il un amour secret ? Une peur secrète ? Une vie secrète ? Il est aisé de s’en rendre compte, un moyen simple d’enrichir un personnage, c’est de lui donner un secret, en particulier si les lecteurs le partagent avec lui. Immédiatement, cela renforce l’attachement qu’ils peuvent ressentir pour lui : ils savent quelque chose à son sujet que ses proches ignorent !

Un secret fait également une très bonne motivation : jusqu’où ira le personnage pour le préserver, qu’est-il prêt à faire pour éviter qu’il soit révélé ? Ce processus va révéler ses règles morales (ou leur absence) et les limites qu’il est prêt à se fixer ou à dépasser. Un secret, ça génère également du suspense : est-ce que quelqu’un va le découvrir ? Qui et dans quelles circonstances ? Et quelles seront les conséquences de cette révélation ? Rien que d’en parler, je frémis.

📖 La semaine prochaine: Personnages – les outils

Critique: Le Hussard sur le toit

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1830. Angelo Pardi, officier et révolutionnaire piémontais, pénètre en Provence avec l’intention de retrouver un de ses frères d’arme. Il débarque en pleine épidémie de choléra. La mort est partout et dans son sillage, les gens perdent toute clémence et deviennent des prédateurs les uns pour les autres, alors qu’Angelo lutte pour conserver son humanité.

Titre : Le Hussard sur le toit

Auteur : Jean Giono

Editeur : Folio (eBook)

Quel est l’intérêt de critiquer un classique ? Que dire aujourd’hui au sujet du « Hussard sur le toit » qui n’a pas été rabâché des milliers de fois ? Et si on dénichait une étonnante résonance inattendue dans un roman que l’on croit connaître par cœur ? C’est mon ambition avec cette relecture.

Et relire Jean Giono est aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Autrefois très prisé, l’auteur est un peu tombé dans l’oubli. On ne le lit plus, on n’en parle plus, les écoliers ne sont plus confrontés à ses textes. C’est bien dommage, car Giono a une des plus belles plumes de la littérature française, qu’il met au service d’une exploration mélancolique de la condition humaine qui n’a que peu d’équivalents chez d’autres écrivains.

Le premier plaisir, lorsque l’on lit « Le Hussard », c’est la symphonie de la langue. L’auteur sait mieux que quiconque s’émerveiller des petites choses, et en particulier des beautés infimes de la nature :

C’était l’heure où le vent se calme. Il y avait dehors cette lumière couleur d’abricot des derniers jours chaud de l’automne. Les montagnes avaient disparu dans le soleil ; à leur place étaient des flots de soie mauve étincelante et transparente, sans poids et presque sans forme, effacés jusqu’à l’onduleuse ligne de leurs crêtes à peine marquée dans le ciel.

Cette langue est si belle qu’il n’est pas étonnant que « Le Hussard » soit, depuis des années, mon livre de démarrage

En-dehors de ce plaisir, le roman est un récit d’aventure picaresque, où l’on suit Angelo de rencontre en rencontre, confronté aux diverses manières dont les habitants vivent avec le choléra. Certains se résignent à mourir ; certains y voient une punition divine ; d’autres cherchent des coupables et organisent des exécutions sommaires ; on en voit qui quittent les villages pour recréer des communautés indépendantes en pleine nature ; il y en a même qui organisent des milices et font régner l’ordre et la terreur au sein de la population.

Le précurseur de la littérature de zombies

Avec notre sensibilité moderne, dès lors, difficile de ne pas voir « Le Hussard sur le toit » pour ce qu’il est, c’est-à-dire le précurseur de la littérature de zombies.

Les similitudes sont nombreuses. Dans « Le Hussard » comme dans à peu près tous les récits traitant des morts-vivants, une contagion sème la mort et la destruction sur toute une région. Confrontés à leur propre mortalité, les gens perdent leurs repères et c’est tout le tissu social qui se déchire presque instantanément, alors que s’expriment les instincts les plus vils : pouvoir, domination, lâcheté, superstition, capitulation. Au milieu de tout ça, une poignée d’hommes et de femmes tentent, sans toujours y parvenir, de rester fidèles à leurs valeurs et de se comporter avec humanité.

On n’aurait guère qu’à changer une vingtaine de phrases dans le roman pour se retrouver face à une saison de « The Walking Dead. »

Faut-il s’en étonner ? Si le genre de l’invasion de zombies ne nait réellement qu’en 1968 avec le film « La Nuit des morts-vivants » de George Romero, il prend racine dans des récits plus anciens, en particulier le roman « Je suis une légende » de Richard Matheson, dans lequel le dernier homme sur terre tente de survivre au milieu d’une civilisation dévastée par des hordes de morts-vivants.

Ils avaient été témoin de la dégradation morale qui guette une population qui a peur de mourir

Le roman de Matheson est paru en 1954, celui de Giono en 1951. Tous les deux expriment à leur manière une préoccupation de leur époque : juste après la seconde guerre mondiale, ces deux auteurs avaient été confrontés à la mort de la manière la plus brutale et la plus pernicieuse ; ils avaient été témoin de la dégradation morale qui guette une population qui a peur de mourir, et des dégâts que peut produire cette terreur sur les liens qui unissent les êtres ; enfin, ils avaient pu constater que malgré tout, dans ces conditions épouvantables, certains parviennent à conserver leur humanité.

Richard Matheson a servi dans l’armée américaine et s’est battu sur le front européen. Jean Giono a écrit son roman comme une métaphore, lui qui, au sortir de la guerre, aura été accusé d’une trop grande sympathie pour le régime de Vichy alors qu’il aura en parallèle hébergé des juifs, des réfractaires, des communistes.

Avec de telles racines, personne ne s’étonnera qu’ensuite, c’est en pleine guerre du Vietnam que s’épanouira réellement le genre de l’invasion de zombies, et qu’aujourd’hui, dans une époque apocalyptique qui ne cesse de rêver à la chute de la civilisation, les morts-vivants soient partout dans l’imagerie populaire.

Dans « Le Hussard », la mort est une force palpable

Ils sont là, aussi, chez Giono. Dans « Le Hussard », la mort est une force palpable, que l’on devine poindre derrière les visages des malades. C’est aussi un enjeu moral, puisque le choléra imaginaire rêvé par l’auteur, comme les contagions dans les histoires de zombies, agit comme un révélateur moral, s’attaquant en priorité aux lâches et à celles et ceux qui ont baissé les bras.

Derrière cette fragilité des humains, on sent également poindre une fragilité de la civilisation, qui s’effondre comme un château d’allumettes dès que survient la catastrophe. C’est un des constats du livre : non seulement nos institutions ne nous protègent pas contre l’horreur, mais l’omniprésence de la mort ne fait que souligner à quel point le quotidien des vivants est vide de sens, obsédé par les habitudes, par les certitudes et par l’amour des objets – autant d’idées qui sont familières aux amateurs de littérature de morts-vivants.

Tout ce qui va faire résonner ce genre à nos consciences modernes est déjà exprimé chez Giono, avec une grande clarté :

La mélancolie fait d’une certaine société une assemblée de morts-vivants, un cimetière de surface si on peut dire ; elle enlève l’appétit, le goût, noue les aiguillettes, éteint les lampes et même le soleil et donne au surplus ce qu’on pourrait appeler un délire de l’inutilité qui s’accorde parfaitement d’ailleurs avec toutes les carences sus-indiquées et qui, s’il n’est pas directement contagieux, dans le sens que nous donnons inconsciemment à ce mot, pousse toutefois les mélancoliques à des démesures de néant qui peuvent fort bien empuantir, désœuvrer et, par conséquent, faire périr tout un pays.

Soyons honnêtes : « Le Hussard sur le toit » n’est pas un roman de zombies. Pour commencer, on n’y croise pas à proprement parler de morts-vivants. De plus, même si elle est douce-amère, la conclusion du livre est teintée d’espoir, et même si le protagoniste traverse des phases de découragement, il ne baisse jamais les bras : malgré la noirceur de ses thèmes, le livre ne partage pas la fascination pour le néant qui est symptomatique de la littérature de zombies.

Malgré tout, par la construction de son intrigue, le cheminement de ses personnages et les interrogations qu’il soulève, ce roman peut être considéré sans faux semblant comme un précurseur du genre, et tout amateur d’histoires de morts-vivants serait bien inspiré d’y jeter un œil.