Trois degrés de préparation

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Pour que les retombées d’un moment-clé d’une histoire soient méritées, elles doivent pouvoir s’appuyer sur tout ce qui précède, sur une préparation, un contexte qui leur donne une assise logique. Voilà en résumé ce que j’ai expliqué dans de récents articles sur ce site, que je vous invite à lire si ce n’est pas déjà fait (parce que ces articles constituent la préparation de celui-ci, dans ce qui constitue, vous en conviendrez, une étourdissante convergence entre la forme et le fond).

Ici, je vous propose de nous attarder un peu plus longuement sur cette notion de préparation, et de chercher à comprendre comment celle-ci peut mener de manière convaincante à la conclusion de votre histoire, ou à un autre événement-clé de celle-ci. Comment bâtit-on une belle pyramide qui s’élève exactement au sommet que l’on souhaite ?

Ce que j’appelle « préparation », ici, c’est l’ensemble des éléments d’intrigue de votre histoire, tout ce qui arrive dans votre roman, mais vu de la perspective de l’événement final auquel vous souhaitez arriver. Pour y voir plus clair, je vous propose de nous appuyer sur un exemple : pourquoi l’inspecteur Javert finit par se suicider à la fin des « Misérables » de Victor Hugo ? Afin de le comprendre, tous les éléments se trouvent dans les pages qui précèdent cette décision. C’est ce que j’ai choisi d’appeler la préparation. Celle-ci, on va le voir ci-dessous, agit de diverses manières et est constituée de plusieurs niveaux superposés.

Les fondations de la pyramide : la préparation profonde

Première catégorie, la préparation profonde a principalement trait à la nature du personnage dont il est question, à sa psychologie et à son histoire. Quels sont ses besoins ? Quelles sont ses valeurs ? Quels buts poursuit-il et jusqu’où est-il prêt à aller pour l’atteindre ? Quelles sont ses failles et comment celles-ci peuvent-elles se manifester ?

Ce sont ces données de base qui constituent la couche inférieure de votre préparation, la plus solide et la plus immuable. Il s’agit de notions qui ne sont pas immuables, mais qui fonctionnent de manière statique : la fondation qui permet d’ancrer toute la préparation qui suit. Elles vous donnent la possibilité de cerner un personnage, de comprendre où se situent ses limites et ce qui est susceptible de le faire agir dans un sens plutôt que comme un autre, en fonction des événements et de son état d’esprit.

Cette préparation profonde peut également concerner des informations qui ne sont pas directement liés au personnage, comme par exemple des éléments de décor, des données générales sur la manière dont fonctionne l’univers du roman.

Dans notre exemple, Javert est un policier obsédé par une conception particulièrement rigoureuse de la justice. Voilà la base de ce que l’on sait de lui. Elle est indispensable à la préparation, mais elle ne suffit pas à elle seule à nous faire comprendre son geste tragique.

Si la préparation profonde était la seule que Victor Hugo nous fournissait dans son roman, la mort de Javert serait imméritée, et la conclusion de son arc narratif ferait long feu.

La base de la pyramide : la préparation dramatique

Si la préparation profonde a trait à la nature des personnages et à leur fonctionnement, la préparation dramatique est événementielle, et entièrement liée aux rebondissements de votre histoire. Quel enchaînement de faits et d’événements a amené un protagoniste à la scène-clé ou va se jouer tout son arc narratif (ou l’histoire toute entière) ? Comment s’est-il retrouvé-là ? Quel but poursuit-il et quels sont ses besoins ? Quels sont les enjeux de la scène et comment se construit le conflit ou la tension de ce moment ?

Du point de vue du romancier, la préparation dramatique fonctionne à la manière d’un piège parfait, destiné à obtenir une réaction spécifique de la part du personnage. Tous les éléments se conjuguent pour l’amener à prendre une certaine décision plutôt qu’une autre. Idéalement, le lecteur ne devra pas juger celle-ci prévisible, il pourra même la trouver surprenante, mais si le roman fonctionne, il doit normalement finir par la comprendre et à l’accepter, parce que les éléments de la préparation dramatique auront guidé l’action dans cette direction.

Ce type de préparation peut également concerner des événements qui ont lieu dans l’univers du roman, mais qui ne sont pas directement liés au personnage ou à ses actes. Mais cette option, il faut le noter, risque de réduire l’impact des scènes-clé, parce qu’elles deviendront alors moins personnelles, et moins liées à l’agentivité des protagonistes.

Pour revenir aux « Misérables », Javert poursuit le bagnard évadé Jean Valjean pendant des décennies, considérant qu’en tant que criminel, celui-ci doit être châtié et ne peut prétendre au pardon. Les événements font que Javert comprend que Valjean s’est construit une nouvelle identité, Monsieur Madeleine, un philanthrope qui défend la veuve et l’orphelin. Cela crée un conflit qui fournit un élément d’explication supplémentaire à sa décision de mettre fin à ses jours : Javert est confronté au fait que l’individu qu’il pourchasse depuis toujours est un homme bon, pratiquement un saint. Quels seraient alors les fruits de son arrestation ?

Le haut de la pyramide : la préparation instantanée

Juste en-dessous du sommet de la pile, on trouve le troisième et dernier élément de contexte. On peut se le représenter comme l’élément déclencheur, le moment de bascule qui précipite l’action-clé.

Dans votre roman, tout ce qui précède va mener à une scène cruciale où votre protagoniste va être amené à agir d’une manière plutôt que d’une autre. En général, celle-ci prend la forme d’un stimulus assez simple. On l’attaque : il se défend ; on lui pose une question : il répond ; il revoit une image issue de son passé : il ressent une émotion.

Cette préparation instantanée ne constitue pas nécessairement un événement au sens traditionnel du terme : elle peut être complètement intérieure et n’exister que dans la tête du personnage. Ce qui compte, c’est que les choses changent, souvent brusquement, et qu’elles précipitent une réaction de la part du protagoniste.

Dans l’exemple de Javert, c’est bel et bien une décision qui constitue ce moment-clé : le policier choisit de laisser partir le repris de justice Jean Valjean (préparation instantanée). C’est l’aboutissement d’un dilemme : entre arrêter Valjean et le libérer, quel serait le plus grand crime ? (préparation dramatique). Or, on sait de Javert qu’il est inflexible : il est incapable de commettre un délit, quel qu’il soit, sans remettre en cause toutes ses valeurs les plus sacrées (préparation profonde). Jugeant impossible de continuer à vivre avec cette contradiction, il se précipite du haut du pont Notre-Dame et se noie dans la Seine.

Construire la pyramide : additionner les préparations

Le suicide de Javert constitue un moment-clé qu’on peut qualifier de mérité. Si c’est le cas, c’est parce qu’il combine de manière naturelle ce que l’on sait du personnage (préparation profonde), ce qu’il a traversé (préparation dramatique) et ses actes au cours d’une scène-clé (préparation instantanée). Ces trois couches se combinent, s’additionnent, et mènent de manière logique au sommet de la pyramide, sans que l’auteur n’ait contredit aucun des éléments qu’il avait présenté au lecteur, et sans donner l’impression qu’il manque quelque chose pour comprendre comment on finit par en arriver là.

Un événement dramatique peut donc être considéré comme mérité quand les trois parties de la préparation se conjuguent pour déboucher sur une scène qui paraît authentique.

Notons qu’ici, j’ai pris comme exemple l’aboutissement d’une seule intrigue du roman, particulièrement fatidique. Mais dans un récit de fiction, presque toutes les scènes qui sont supposées avoir une certaine résonance émotionnelle doivent idéalement être construites par un tel empilement de préparation, afin qu’elles paraissent méritées aux yeux de la lectrice ou du lecteur. Écrire un roman, c’est donc planifier un grand nombre de pyramides de ce type, des grandes et des petites, pour des scènes cruciales comme mineures.

Arc narratif : le mérite

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Parmi les notions courantes dans le dialogue autour de l’écriture dans les pays anglosaxons, mais pratiquement absente de la sphère francophone, il y a le concept des « earned/unearned story events », en deux mots, les « événements narratifs mérités ou immérités ». On pourrait également traduire ça autrement : réalisé, concrétisé, soutenu, élaboré, etc… Mais pour les besoins de cet article et des suivants, je vous propose de parler d’événements narratifs mérités ou non.

De quoi s’agit-il ? De quel mérite est-ce qu’on est en train de parler ? Et pourquoi est-ce un des concepts les plus importants à comprendre pour réussir une histoire qui va ravir vos lectrices et vos lecteurs ?

Je suis heureux que vous ayez posé la question. Ces notions sont étroitement liées à celle de l’arc narratif. Un arc narratif, c’est le chemin qu’emprunte une histoire, et qui en relie le début, le milieu et la fin.  Un roman est généralement constitué de plusieurs histoires, et donc de plusieurs arc entrelacés. On a eu l’occasion dans un article précédent de définir la structure élémentaire d’un arc narratif comme étant constituée de deux éléments : de la préparation et des retombées.

Dans le contexte que je vous propose d’examiner ici, il peut être utile de se le représenter, non pas comme une succession d’événements alignés les uns derrière les autres, jusqu’à aboutir à une conclusion, mais plutôt comme une pile, ou comme une pyramide d’événements, empilés les uns sur les autres, et la conclusion, c’est ce qu’on trouve au sommet.

Quelle différence cela peut faire que l’on adopte cette seconde perspective ?

C’est simple : elle permet de réaliser que la fin d’une histoire n’existe pas de manière indépendante. Pour qu’elle tienne debout, elle doit être soutenue par tout ce qui la précède. Si ça n’est pas le cas, si elle est bancale, ou si elle ne constitue pas le prolongement logique de l’histoire, cela va se voir immédiatement.

Une baraque à frites sur la plage de Rimini

Ce qui est valable pour la conclusion d’un récit l’est aussi pour d’autres étapes-clé, comme la fin d’un arc narratif, un tournant dans le développement d’un personnage, ou même l’aboutissement d’un chapitre. Dans tous ces cas, la résolution est le fruit de ce qui précède, de tout un contexte bâti avec précaution, et s’il ne l’est pas, ou si tout cela n’est pas amené de manière convaincante, ça ne va pas fonctionner, le moment va tomber à plat et le lecteur rester sur sa faim. Si les fondations ne sont pas solides, le bâtiment risque de s’effondrer, ou d’avoir un drôle d’aspect. On retrouve ici les notions liées de la préparation et des retombées : si l’on néglige la préparation, les retombées seront ratées ou inexistantes.

Et donc pour en revenir à la notion que l’on examine dans cet article, qu’est-ce qu’un événement narratif mérité ? C’est simple : les retombées de votre arc narratif représentent la résultante logique de la préparation, qu’elles font écho à tout ce qui précède et sont chargées des émotions accumulées en cours de route, on dit qu’elles sont « méritées ». Si elles ne le sont pas, ou de manière incomplète, on dira qu’elles sont « imméritées ».

Un exemple ? Si, à la fin du roman « Dracula », Van Helsing et les autres protagonistes, à la place de pourchasser et de vaincre le vampire, avaient décidé d’ouvrir une baraque à frites sur la plage de Rimini, on aurait affaire à un événement narratif immérité, parce qu’il ne reposerait sur aucune base présentée au préalable dans le récit. Cet événement ne s’appuierait sur rien de ce qui précède, il flotterait, sans rien pour le soutenir, ni sur le plan de la logique, ni sur celui des émotions, et ne pourrait susciter que la perplexité d’un lecteur qu’on imagine désemparé. Alors que la fin du roman telle qu’elle est réellement écrite constitue le point culminant d’une pyramide dont la base a été soigneusement construite : on comprend exactement pour quelle raison les personnages agissent comme ils le font, et le fait d’avoir suivi tout leur cheminement, d’avoir vécu leurs mésaventures à leurs côtés, d’avoir compris qui ils sont, ce qu’ils ont traversé et perdu au cours de l’histoire, finit par rendre la conclusion du récit méritée, bien davantage en tout cas que ne l’aurait été une retraite anticipée dans l’industrie de la restauration rapide sur une plage italienne.

La pile ne conduit pas directement au sommet

De la même manière, si, dans une série télévisée populaire, une reine conquérante caractérisée autant par son goût pour la vengeance que pour sa compassion vis-à-vis des innocents décide, dans l’ultime épisode, sans examen de conscience particulier, d’assassiner des milliers de civils qui ne lui ont rien fait, il est possible qu’une partie des téléspectateurs jugent cette conclusion insatisfaisante. La pile ne conduit pas directement au sommet, la pyramide est construite sur des bases chancelantes. Les retombées sont mal préparées. Le moment n’est pas mérité.

Pour le dire autrement, quand les lecteurs sont confrontés à une réaction ou à une décision d’un personnage, ou à un développement majeur de l’intrigue, ils doivent pouvoir comprendre que ces événements sont le fruit d’un contexte, duquel ils découlent de manière logique, naturelle et cohérente. On dit alors que ces scènes sont méritées.

Les actions en elles-mêmes ne doivent pas nécessairement être logiques, elles peuvent être irrationnelles, surprenantes, dictées par la peur ou contreproductive, mais à l’intérieur de l’histoire, il doit être possible, a posteriori, de retracer comment on en est arrivé là. Si ce n’est pas le cas, on est en présence d’un moment immérité, et rien ne tue aussi complètement une histoire que ce genre de faux pas. Nous allons explorer davantage cette notion au cours des prochaines semaines.

Les formes de l’intrigue 2

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Dans le billet précédent, j’ai présenté un schéma bien utile pour visualiser la construction dramatique d’une intrigue : la pyramide de Freytag. On n’en a pas tout à fait fini avec ça.

On l’a vu, dans un contexte moderne, cette approche continue à être valable, mais aujourd’hui, elle n’a plus tout à fait la même tête : on redessine une pyramide plus flexible, à géométrie variable, qui ne rentre pas aussi aisément dans des cases qu’à l’époque de la tragédie classique. Malgré tout, les grands principes restent les mêmes et, même si elle est un peu tordue, ça reste la même pyramide, qui gagne en intensité dramatique avant de redescendre.

Il existe également des moyens de partir du même schéma de base pour arriver à un résultat un peu différent. Prenez ceci, par exemple :

blog pyramide freytag 3 copie

On reconnait bien l’allure générale de notre bonne vieille pyramide de Freytag, sauf que là, après le dénouement, l’intensité dramatique remonte. De quoi s’agit-il ? C’est tout simplement cette technique très moderne qui consiste à préparer une suite. Une fois l’histoire terminée, les dernières scènes laissent à penser que tout n’est en réalité pas résolu, et que de nouvelles difficultés attendent les personnages, dans un éventuel épisode suivant.

Cela peut même prendre la forme de ce qu’on appelle un cliffhanger : une scène interrompue en plein milieu, alors que le protagoniste est en grave danger, ce qui génère un suspense intense et donne envie de découvrir la suite.

Comme on peut le voir dans les illustrations suivantes, la pyramide de Freytag peut également être tronquée :

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Dans le premier cas, à gauche, on a affaire à une histoire qui n’a pas de dénouement. Au moment où l’intrigue principale se termine, le roman prend fin. C’est la caractéristique des histoires pour les enfants, mais également des romans d’aventures, en particulier ceux qui ont été écrits avant les années 1970. Cette approche met l’accent sur l’action, au détriment du parcours des personnages, qu’on prive de la possibilité de dresser le bilan de ce qu’ils ont traversé. Cela peut fonctionner si l’on est en quête de simplicité.

Le schéma du milieu peut également indiquer quelque chose d’encore bien plus impitoyable : un roman qui n’a ni résolution, ni dénouement. L’action s’interrompt avant que les protagonistes aient résolu l’intrigue, laissant le lecteur sur sa faim.

Cette approche génère énormément de frustration, puisque, d’une certaine manière, elle constitue une rupture du contrat moral implicite qui se lie entre l’auteur et le lecteur, qui consiste à mener l’histoire jusqu’à son terme. Pour cette raison, elle est déconseillée.

Certains écrivains très habiles parviennent malgré tout à l’utiliser, en particulier lorsqu’ils s’en servent pour appuyer leurs thèmes. Si le chevalier sait depuis le début qu’il va mourir en affrontant le dragon, est-il vraiment nécessaire de nous décrire le combat ? Ce qui compte, le vrai enjeu d’une telle histoire, c’est sa décision d’aller se battre malgré tout.

La pyramide de Freytag n’est pas la seule manière de raconter une histoire, loin de là

Le schéma de droite propose l’idée inverse : un roman qui n’a pas d’exposition. En tant que lecteur, on débarque dans un univers déjà formé, avec des personnages que l’on ne prendra pas le temps de nous présenter, et on entre dans le roman directement par l’élément déclencheur. C’est au fur et à mesure que l’on apprendra à se familiariser avec les protagonistes et le décor de l’œuvre.

Il s’agit d’une approche qui peut être efficace et très intense, mais qui doit être menée avec doigté pour que le lecteur ne se sente pas déboussolé et qu’il ne repose pas le livre en explosant de frustration.

Mais la pyramide de Freytag et ses variantes n’est pas la seule manière de raconter une histoire, loin de là. L’autre méthode classique par excellence, c’est celle que je qualifierais de « série de péripéties » : le personnage traverse une suite d’aventures enchaînées les unes aux autres, dont il triomphe pour parvenir à la conclusion de l’histoire. C’est le schéma des romans picaresques, de Don Quichotte et de nombreuses œuvres de la littérature jeunesse, dont le Hobbit de Tolkien. Ça ressemble moins à une pyramide qu’à un crocodile :

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Dans ce schéma, chaque épisode a sa propre pyramide de Freytag : l’intensité monte, puis elle redescend quand le héros triomphe de l’adversité, avant qu’arrive la prochaine aventure. Pour notre sensibilité moderne, c’est un peu l’équivalent d’une série télé : on suit les personnages dans une série d’histoires, qui, toutes mises bout à bout, composent leur vie.

Le point faible de ce type de construction dramatique, c’est qu’elle n’atteint pas l’intensité que l’on peut connaître avec un schéma de type Freytag. Les différents événements ne s’additionnent pas les uns aux autres pour produire du suspense et contribuer à rendre les enjeux toujours plus grands : ils se contentent de s’enchaîner, dans une séquence qui, si l’on n’y prend pas garde, risque de manquer de souffle.

Il y a malgré tout des moyens de pimenter un peu ce type de construction. La série de péripéties peut par exemple avoir sa propre montée en intensité dramatique. Chaque épisode débouche sur un autre qui est un peu plus intense que le précédent, le protagoniste se retrouve dans une situation de plus en plus périlleuse, ce qui fait que, lorsqu’il triomphe de la dernier embûche à la fin du roman, on a vibré avec lui et le sentiment qui habite le lecteur est le soulagement. Bien menée, un tel schéma peut être haletant. Ça ressemble à ça :

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A noter que ces constructions d’intrigue classiques sont adaptées principalement aux œuvres qui s’intéressent à des personnages qui font face à des périls physiques dont ils triomphent à travers leurs actions. C’est le cas des romans policiers, des quêtes, des romans d’aventure, des tragédies, etc… Pour des œuvres plus intérieures, qui se focalisent sur le cheminement psychologiques des personnages, la pyramide de Freytag et l’enchaînement de péripéties sont des modèles qui ne fonctionnent pas vraiment.

D’ailleurs, dans un prochain billet, nous verrons qu’il existe des approches modernes qui permettent de se passer de ce genre d’artifice.

Atelier : prenez une histoire que vous avez écrite (ou un de vos romans préférés) et imaginez-vous ce que ça donnerait si on tronquait son dénouement, sa résolution ou sa phase d’exposition. Est-ce que l’on y perd quelque chose ? Est-ce que l’on gagne quelque chose en échange ?

 

Les formes de l’intrigue

 

blog formes intrigue

Nous avons décortiqué tous les moyens existants de structurer une intrigue, toutes les briques qui servent à construire cette belle maison qu’on appelle une histoire. A présent, il est temps de se demander quelle forme on va donner à cette maison.

A quoi ça ressemble, une intrigue ? Comment est-ce que ça se charpente ? Comment arranger les différents éléments de l’histoire pour que tout fasse sens et que le lecteur se sente concerné, et, soyons fous, touché par ce qu’on lui raconte ?

Fort heureusement, nous n’avons pas à répondre à ces questions tout seuls : l’auteur allemand Gustav Freytag est précisément entré dans l’histoire en nous laissant un schéma qui résume parfaitement la forme générale que prend une intrigue. Il est à noter que Freytag est arrivé à ses conclusions en se penchant sur les tragédies grecques et shakespeariennes, donc il y a quelques ajustements à faire pour évoquer les œuvres plus récentes.

Selon lui, une intrigue classique se caractérise par une montée de l’intensité dramatique jusqu’à un point culminant, puis par une descente jusqu’à la conclusion de l’histoire. Du coup, ça ressemble à un gros triangle, raison pour laquelle on a pris l’habitude de parler de « la pyramide de Freytag » pour évoquer son invention. Elle a cette tête-là :

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On le voit bien, la pyramide de Freytag comporte sept moments clés :

  1. L’exposition : la partie de l’histoire où l’auteur plante le décor et présente les personnages.
  2. L’incident déclencheur : l’événement qui lance l’histoire.
  3. L’action croissante : la situation se complique, les embûches se multiplient.
  4. L’apogée ou tournant : le point le plus important de l’histoire, où tout se corse ou tout change.
  5. L’action décroissante : la situation se démêle, le protagoniste l’emporte ou perd pied face à l’antagoniste.
  6. La résolution : l’histoire débouche sur une solution ou un échec au conflit ou au problème central de l’intrigue.
  7. Le dénouement : des éléments qui suivent la résolution, destinés à prendre congé des personnages et à conclure les intrigues secondaires et les thèmes du récit.

Sous des aspects rigides, cette structure est étonnamment flexible et peut être modifiée de toutes sortes de manières, raison pour laquelle elle existe depuis des siècles et va probablement continuer à exister pendant longtemps.

Il est possible de diviser la pyramide de Freytag en portions pour déboucher sur une structure en cinq actes. Le premier acte comporte l’exposition et l’élément déclencheur ; le deuxième contient l’action croissante ; le troisième, l’apogée et les moments qui le précèdent et le suivent immédiatement ; le quatrième acte, c’est l’action décroissante ; et enfin le cinquième acte contient la résolution et le dénouement. Même si ce découpage évoque la tragédie classique, il est parfaitement possible de bâtir l’intrigue d’un roman de cette manière et d’obtenir un résultat très satisfaisant.

Cinq actes, trois actes, ou une approche plus souple

Mais la pyramide de Freytag peut également être exprimée sous la forme d’une structure en trois actes. Dans ce cas, le premier acte sert à mettre en place une situation, bientôt bouleversée par un événement traumatique qui oblige les personnages à agir ; dans le deuxième, l’action gagne en intensité jusqu’à un point culminant, après quoi on finit par entrevoir une solution ; enfin, dans le troisième acte, les protagonistes mettent en œuvre cette solution, jusqu’à son issue, positive ou négative.

Un tel découpage en actes permet d’avoir les idées claires au moment d’établir le plan d’un roman : les moments forts sont facilement repérables et bien articulés les uns aux autres.

Cela dit, bien souvent, la pyramide de Freytag est utilisée de manière plus souple. En général, même dans les récits qui suivent ce genre de structure, on observe quelques variantes. En particulier, les actions croissantes et décroissantes sont marquées par des complications, des scènes qui ponctuent l’histoire de revers et de victoires mineures. De plus, l’apogée se situe rarement au point milieu du narratif : une fois celui-ci atteint, le chemin qui mène vers le dénouement est souvent court. Cette approche garantit une fin de roman haletante, le moment le plus intense étant suivi au grand galop par une série de scènes qui mènent à la fin de l’histoire. En pratique, on arrive bien souvent à un schéma qui ressemble à ça :

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Cela dit, aussi pratique soit-elle, la pyramide de Freytag n’est qu’une manière parmi d’autre de construire une intrigue qui fonctionne. Nous examinerons tout ça dans un prochain billet.

Atelier : Examinez votre projet de roman (ou un roman que vous affectionnez). Pouvez-vous dessiner la pyramide de Freytag qui y correspond ? Quel est l’élément déclencheur ? Où se situe l’apogée ? Est-il possible de découper le texte en cinq ou en trois actes ?