Les quatre genres

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On est tous pareils, nous, celles et ceux qui écrivent. Nous sommes tous tellement persuadés que chaque roman que nous signons est unique, qu’au moment de chercher à le situer dans un genre, souvent, on est tenté de le placer au carrefour de plusieurs micro-genres très pointus, afin de prouver à quel point notre œuvre est singulière :

« Pour faire simple, mon bouquin se situe entre le polar uchronique et une sorte de dieselpunk postapocalyptique revisité, mais c’est principalement une comédie romantique inspirée de la grande tradition des screwball comedies des années 1940 »

OK, on arrête ça. Ça ne sert à rien. Si votre œuvre est unique, les lecteurs vont s’en apercevoir par eux-mêmes et le faire savoir autour d’eux. Par contre, la valse des étiquettes, ça risque surtout de les faire fuir, surtout s’ils n’y comprennent rien. Séduire le lecteur, c’est comme séduire tout court : on ne montre pas son côté le plus bizarre d’entrée de jeu.

Et si on faisait simple, plutôt ? C’est généralement une bonne idée.

En l’occurrence, et si, plutôt que de diviser la littérature en une infinité de genres pas plus vastes que des miettes, et dont les frontières sont floues, on prenait un peu de recul ? Comme on l’a vu dans un récent billet, cette détermination par genres est héritée des tâtonnements de l’histoire et comporte pas mal d’absurdités. Il est intéressant de repartir de zéro et de tenter de jeter sur la littérature un regard analytique et objectif.

Ce que je propose, c’est de répartir toutes les œuvres de fiction en quatre catégories

Ce que je propose, c’est de répartir toutes les œuvres de fiction de l’histoire de l’humanité en quatre catégories, et de le faire en posant seulement deux questions (plus une question subsidiaire). Oui, le résultat est sans doute moins précis, mais vous allez vous en apercevoir, cela va permettre à vos livres de se découvrir un voisinage aussi étendu qu’inattendu.

La première question est la suivante : « Est-ce que cette histoire est réaliste ou non ? »

En d’autres termes, est-ce que tous les événements qui composent le récit pourraient avoir lieu dans le monde réel tel que nous le connaissons, même s’ils sont présentés de manière exagérée par emphase dramatique. A la moindre entorse, la réponse est « non », aussi science-fiction, fantastique, réalisme magique se retrouvent d’un côté, pendant que les romances, les histoires d’espionnage ou les romans historiques, pour ne citer qu’eux, finissent ensemble.

Seconde question : « Est-ce que cette histoire est polarisée ou non ? »

Ça, ça réclame quelques explications. Ce que j’appelle « polarisé » dans ce contexte, c’est ce qui caractérise les œuvres de fiction dont l’intrigue et le thème s’articulent autour d’une seule notion centrale : le crime pour les polars, par exemple, ou l’amour pour les romances. C’est d’ailleurs la question subsidiaire que je propose : « Polarisée sur quoi ? »

Ainsi, les histoires de Sherlock Holmes de sir Arthur Conan Doyle seront classées sous « Réaliste/polarisé (crime). », « Le Rouge et le Noir » de Stendhal sous « Réaliste/non-polarisé », « Jonathan Strange & Mr Norrell » de Susanna Clarke appartiendra à la catégorie « Non-réaliste/polarisé (magie) », et « Dune » de Frank Herbert à « Non-réaliste/non-polarisé. »

Ce système est exactement aussi imparfait que celui que l’on utilise actuellement !

Ce qui est intéressant avec ce concept, c’est qu’on découvre que tout ce qui est d’ordinaire regroupé pèle-mèle dans la catégorie « littérature de genre » n’atterrit pas forcément dans le même tiroir.

La science-fiction, par exemple, se fait complètement éventrer par ce système des deux questions, certaines œuvres majeures étant classées dans une catégories, certaines dans une autre. Ainsi, un auteur de SF comme Isaac Asimov aura commis « Les Robots » en « Non-réaliste/polarisé (robots) » et « Fondation » en « Non-réaliste/non-polarisé. »

Mais je vous connais, je vois venir votre objection : ce système est exactement aussi imparfait que celui que l’on utilise actuellement ! La limite entre « polarisé » et « non-polarisé » est subjective, et on pourrait débattre à l’infini de ce qui rentre dans une case plutôt que dans une autre. D’ailleurs, même le seuil entre « réaliste » et « non-réaliste » n’est pas aussi net qu’on pourrait le croire de prime abord. Je suis sûr que vous avez des exemples de livres en tête qui font s’effondrer tout le château de cartes.

Et vous avez raison. Malgré tout, même imparfait, ce système a l’avantage d’être issu de l’observation des œuvres en tant que telles plutôt que de la tradition, ce qui encourage à la réflexion sur ces questions plutôt que d’adopter une posture passive. Par ailleurs, répartir les œuvres littéraires en quatre grandes catégories permet d’en finir avec l’idiote dichotomie « littérature blanche/littérature de genre », qui ne rime à rien. Enfin, elle permet de réaliser que des romans qui semblent très éloignés les uns des autres ont en réalité beaucoup en commun et qu’il s’agit, au bout du compte, de littérature avant tout.

Pourquoi ne pas écrire une suite

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Ça y est, vous y êtes arrivés. Votre roman est sorti, la maison d’édition est contente, les lectrices et les lecteurs sont ravis. Fort de ce succès, vous sentez bouillonner en vous l’envie d’en rajouter une couche. Vos personnages ont du potentiel, c’est pour vous une certitude, et il y a des aspects de votre univers qui ne demandent qu’à être développés. L’idée de rédiger une suite vous parait irrésistible. Je dis « une », mais je sens que vous vous voyez bien pondre toute une saga, aux multiples volumes. Pour vous, c’est presque une évidence.

Moi, je suis la petite voix dans votre tête qui est chargée de vous dire : ne le faites pas.

Un conseil très répandu dans les milieux littéraires, c’est qu’il vaut mieux ne pas entamer sa carrière par une saga, une série, ou n’importe quoi qui comporte plusieurs épisodes. Ce que je dis va encore plus loin : n’écrivez jamais, sous aucun prétexte, une suite à un roman. Renoncez immédiatement à votre idée. Trouvez quelque chose de plus constructif à faire de votre temps. Je ne sais pas moi, mettez-vous aux mots croisés.

À ce stade, les esprits les plus retors auront tôt fait de me le faire remarquer : je suis moi-même l’auteur d’une série, ce qui fait de moi, au minimum, un hypocrite. C’est vrai, mais cela signifie également que je suis très bien placé pour émettre ce conseil.

D’où vous est venue cette étrange envie d’écrire une suite à votre bouquin ?

Et puis pour être sincère, je ne pense pas qu’écrire une suite soit nécessairement une mauvaise idée dans tous les cas de figure. Mais pour un romancier, en particulier dans les littératures de l’imaginaire, un tel projet semble si tentant que, dans le but de susciter une réflexion constructive, je n’ai pas d’autre choix que de ramer vigoureusement dans l’autre sens. Avec de la mauvaise foi au besoin.

Donc partons du principe que sortir un deuxième tome soit une mauvaise idée et voyons où ça nous mène… Non, attendez, rembobinons un peu : d’où vous est venue cette étrange envie d’écrire une suite à votre bouquin ? En général, la réponse à cette question peut rentrer dans une des catégories suivantes…

Premièrement, votre premier tome se termine par un gros « à suivre » et a toujours été conçu comme un fragment d’une histoire complète : jamais vous n’avez songé à vous arrêter après le premier volume, votre histoire a toujours été conçue pour s’étendre sur plusieurs épisodes, que le nombre de ceux-ci soit fixé d’avance ou appelé à s’allonger en fonction de votre inspiration. Deuxième possibilité : même si votre roman s’achève sur quelque chose qui ressemble à une fin, vous avez tout de même posé les jalons dès le départ pour rédiger un deuxième épisode. Troisième motif : même si vous n’avez pas réellement d’idée pour une suite, vous êtes tellement amoureux du monde de fiction que vous avez créé qu’il vous paraitrait regrettable de l’abandonner complètement. La quatrième option, c’est la même, sauf que ce sont de vos personnages que vous vous êtes épris, et l’idée de vous en séparer à tout jamais vous est insupportable. Enfin, cinquième et dernière raison : vos lecteurs en furie vous réclament une suite.

De nobles motifs, assurément, mais comme nous avons eu l’occasion de le voir, quel que soit votre motivation de départ, écrire une suite est une mauvaise idée.

Votre carrière d’écrivain-e est limitée dans le temps

Pour s’en convaincre, il suffit d’énoncer l’évidence : pourquoi refaire ce qui a déjà été fait ? Votre carrière d’écrivain-e est limitée dans le temps, alors que les possibilités créatives sont infinies. Est-ce qu’écrire deux fois la même chose (ou à peu près) constitue réellement la meilleure utilisation de votre temps précieux ? Votre contribution à la littérature ne serait-elle pas plus riche si vous vous lanciez dans un projet complètement différent ? Ne serait-ce pas, au final, infiniment plus satisfaisant pour vous ?

Oh, je vous entends protester. Vous avez une idée pour votre deuxième tome et vous mettre à l’écrire vous démange. Mais patientez une minute : écoutez-moi d’abord. Cette idée que vous avez en tête, est-elle suffisamment distinctive pour justifier des centaines d’heures de travail ? Votre manuscrit n’est-il pas juste un remake de l’original, avec un grand méchant rebaptisé et des enjeux artificiellement gonflés ?

Ok, admettons que ça soit le cas et que votre idée soit bien assez pertinente pour justifier son existence. Votre concept n’est pas une simple décalque du premier volume. Mais ce n’est pas le seul critère à avoir en tête. Vous avez rédigé un roman, les arcs narratifs des personnages ont été clos, au prix de gros efforts de construction narrative. Pourquoi diable les rouvrir ? Est-ce que cela se justifie réellement ? N’allez-vous pas leur infliger de revivre les mêmes événements, de commettre les mêmes erreurs et d’apprendre les mêmes leçons que la première fois ?

Non ? Vous êtes sûr ? Soit, je veux bien essayer de vous croire. Mais attendez, ne partez pas, j’ai encore quelques questions à vous poser. Si votre principale motivation à écrire une suite consiste à tirer le meilleur parti de l’univers que vous avez construit, êtes-vous sûr que votre intrigue est suffisamment solide pour le justifier ? Le worldbuilding, c’est très bien, mais rien ne remplace une bonne histoire, et si vous n’ambitionnez rien de plus qu’à jouer les guides touristiques dans votre monde de fiction, mieux vaut arrêter net : cela ne débouchera pas sur un très bon roman.

Enfin, si vos lecteurs vous réclament une suite, c’est naturellement agréable et très aimable de leur part, mais sont-ils réellement les mieux placés pour juger si cela se justifie ? Après tout, c’est vous qui allez suer sur votre clavier à accoucher de votre potentiel chef-d’œuvre, pas eux.

Ne serait-ce pas un peu ridicule si Camus avait écrit « La Peste 2 »?

Comment ? Vous êtes persuadé que votre idée d’histoire est solide, originale et bien charpentée ? Que vos personnages ont encore du potentiel inexploité, et qu’on peut leur faire traverser de nouvelles situations dramatiques sans redite ? Que votre monde, aussi riche et original soit-il, n’est qu’un élément de décor, et pas la principale raison pour laquelle vous vous êtes lancé dans la rédaction de votre roman ?

Soit, admettons. Si vous avez franchi toutes ces embûches, peut-être que votre démarche se justifie. Entamez donc la conception de la suite que vous avez en tête.

Mais ne le faites pas l’esprit trop léger quand même. Il faut rester vigilant. C’est parce que la littérature de genre en général, et la fantasy en particulier, privilégient les sagas au long cours qu’il faut réfléchir à deux fois avant d’en commettre une de plus. Et se rappeler, par exemple, que la science-fiction littéraire a engendré davantage de classiques à l’époque où le standard était l’histoire complète en 300 pages qu’à présent qu’on a plutôt affaire à des trilogies comportant trois gros bouquins de 600 pages chacun.

Et puis consacrons quelques instants à réfléchir à la raison pour laquelle la littérature blanche n’aime pas les suites. Comme beaucoup de gens, j’aime beaucoup « La peste » d’Albert Camus, mais ne serait-ce pas un peu ridicule si l’auteur avait choisi d’écrire « La peste 2 », où le Docteur Rieux combat une autre épidémie dans une autre partie du globe ? Qui souhaiterait lire « Le rouge et le noir, 2e partie », consacré au fils de Julien Sorel ?

Avoir un propos en tête, le coucher sur le papier au mieux de ses facultés, y apporter une conclusion, puis refermer le livre et passer à autre chose, c’est une manière d’agir qui est respectable, et probablement la plus fertile du point de vue littéraire.

Bon, je vous laisse, je vais écrire la suite de cette chronique.

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