Comment ne pas écrire une suite

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J’ai fait de mon mieux lors d’une récente chronique pour vous dissuader de prévoir d’ajouter une suite à votre roman. Si vous êtes de retour, c’est que ça n’a pas fonctionné : non seulement vous persistez à prévoir un tome 2, mais vous venez frapper à ma porte pour me réclamer des conseils.

Soit, je veux bien vous porter secours. Raison pour laquelle cette chronique est intitulée « Comment ne pas écrire une suite. » Vous tenez absolument à inscrire votre nom sur la couverture d’une saga, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour faire n’importe quoi. Dans ce domaine, il y a des pièges à éviter.

Pour commencer, mettez-vous dans la tête que la plupart des sagas ne fonctionnent pas du tout comme « Game of Thrones. » La série de GRR Martin, pour autant qu’on puisse en juger sur la foi de ce qui a effectivement été publié, raconte une histoire continue, découpée de manière un peu artificielle en plusieurs volumes. Il s’agit de l’addition des tranches de vie des personnages principaux, dont les intrigues personnelles se conjuguent – ou en tout cas, les lecteurs l’espèrent – pour un jour parvenir à une conclusion. En d’autres termes : pour l’essentiel, « Game of Thrones » fonctionne comme un soap opera, un feuilleton sans fin, et on ne doit qu’au talent de l’auteur qu’il soit aussi palpitant.

La plupart des romanciers n’ont ni ce génie, ni ce luxe. Bien avant la parution du tome 3, lecteurs et éditeurs leurs réclameraient des comptes, exigeant de savoir où on les emmène.

Votre saga est une symphonie, mais chaque mouvement existe pour lui-même

C’est pourquoi, bien souvent, les auteurs de sagas prennent soin de donner à chaque volume une cohérence interne. Oui, peut-être que le manuscrit s’achève par les mots « à suivre », mais l’histoire qu’on nous y raconte a une certaine cohérence, peut être résumée en quelques phrases, comporte un début, un milieu et une fin. Les personnages y suivent un arc narratif au cours duquel ils sont transformés, partiellement en tout cas, un ou plusieurs thèmes sont explorés, et même si l’histoire complète n’est pas terminée, le tome s’achève sur un point de rupture qui procure une certaine satisfaction au lecteur.

Bref, votre saga est une symphonie, mais chaque mouvement existe pour lui-même. D’ailleurs, en général, le lecteur va les découvrir les uns après les autres, parfois à plusieurs années d’écart, et chaque tome va correspondre à un moment différent dans leur vie. Bref, quand vous sortez une suite, vous créez un morceau d’un ensemble plus long, mais avant toute chose, vous signez un livre, qui sera perçu et traité comme tel.

Non, à moins de vous appeler GRR Martin, vous ne pouvez pas développer des intrigues pendant plusieurs décennies en promettant qu’un jour, elles seront conclues. Les lecteurs réclament de bénéficier de temps en temps du sens d’avoir bouclé la boucle, même si l’histoire principale se poursuit. Il faut leur offrir ce sentiment à l’échelle d’un tome. À la fin d’un épisode, il doit arriver quelque chose à vos personnages qui semble plus important que les péripéties qui forment le corps du livre : ils peuvent fêter une victoire d’étape, subir une grande défaite, être transformés ou acquérir un nouveau statut. Autant d’éléments d’intrigue qui donnent l’impression que quelque chose de significatif s’est produit.

La Loi de l’Escalade

Mais lorsque l’on procède de cette manière, on crée des attentes. La principale, c’est ce que j’appelle la Loi de l’Escalade.

Chaque tome doit aller un peu plus loin que le précédent : les enjeux sont de plus en plus importants, les périls auxquels les protagonistes sont confrontés sont de plus en plus grands, leurs triomphes de plus en plus spectaculaires. Si vous ne procédez pas de cette manière, vos lecteurs auront l’impression que l’intrigue fait du surplace.

Par exemple, si l’héroïne de votre saga de fantasy consacre le premier tome de ses aventures à vaincre les brigands qui voulaient prendre le contrôle de son village natal, la Loi de l’Escalade vous commande de lui confier un objectif plus ambitieux la prochaine fois : dans le tome 2, elle libérera tout le conté, puis le royaume entier dans le tome 3, avant de, pourquoi pas, sauver la planète.

Si, à l’inverse, vous placez la barre trop haute d’office, vous risquez de saboter vos propres efforts. Si le protagoniste de votre saga de science-fiction a sauvé l’univers de la destruction dans le tome 1, il va vous êtres très difficile par la suite de le confronter à un enjeu supérieur à cela. Si, dans le tome 2, il se contente de déloger des passagers clandestins cachés dans son vaisseau, cela risque de donner l’impression que le soufflé est retombé. Le contrat auteur-lecteur d’une saga implique que l’on suive la Loi de l’Escalade.

Mais il ne s’agit pas nécessairement d’une escalade des enjeux et des périls. Vous pouvez respecter cette règle d’une autre manière. Une possibilité consiste à étendre le cadre : votre protagoniste voyage davantage et découvre des lieux plus lointains et plus exotiques, ou une nouvelle époque. Vous pouvez également ajouter des personnages, qui vont donner un relief nouveau aux aventures de votre protagoniste (c’est le choix opéré pour le troisième Indiana Jones, qui introduit son père). Le simple fait de rédiger un manuscrit plus long, plus riche ou plus dense que le précédent peut suffire à satisfaire la Loi de l’Escalade.

Il peut être intéressant de changer de couleur thématique à chaque fois

Pour différencier chaque tome d’une série, réfléchissez également à la manière dont vous traitez les thèmes. Il peut être intéressant de changer de couleur thématique à chaque fois, pour donner à chaque volume une personnalité différente. Le premier tome traitera par exemple du passage à l’âge adulte, alors que les suivants pourront s’intéresser à l’injustice, l’honneur, la mort. Même si vous conservez les mêmes personnages et le même décor, et que tout cela s’inscrit dans un ensemble plus vaste, les tomes pris individuellement auront automatiquement une résonance distincte.

Vous pouvez même décliner un thème unique pour toute votre saga, en vous concentrant sur un sous-thème différent dans chaque épisode. Imaginons une série qui traite du thème de la famille : dans le tome 1, le personnage, orphelin, se retrouve au cœur d’un narratif consacré au sentiment d’abandon familial. Alors qu’il s’entoure d’amis très proches, le deuxième tome s’intéressera au thème de la famille recomposée. Un conflit supplémentaire dans le troisième volume mènera à une exploration du thème « Famille, je vous hais », alors que la saga s’achèvera sur une conclusion plus heureuse autour de « Famille, je vous aime. »

Bien menée, une telle déclinaison peut considérablement enrichir non seulement les livres pris individuellement, mais également la série dans son ensemble. C’est ce que fait Stéphane Arnier avec sa saga « Mémoire du Grand Automne », où chaque tome traite d’une étape distincte du deuil.

On coupe tout ce qui n’est pas indispensable

Écrire une suite, c’est savoir quels éléments reprendre du tome précédent, mais aussi lesquels abandonner. Ce n’est pas parce qu’un personnage, un lieu, un événement, une culture, un détail de décor ou une technologie a été décrite dans le tome 1 qu’elle doit obligatoirement l’être à nouveau dans la suite. En règle générale, n’incluez que ce qui est utile à la lecture de chaque volume. On coupe tout ce qui n’est pas indispensable.

Si un élément d’intrigue n’est pas utilisé dans le nouveau livre, il est inutile de le mentionner. Si un aspect de votre monde ne sert à rien dans votre nouvelle intrigue, n’en parlez pas. D’ailleurs, ne revenez pas sur une intrigue close, à moins de vous en servir comme terreau pour faire germer une nouvelle intrigue.

Ça veut dire également que vos personnage secondaires chéris, ceux qui sont arrivés au bout de leur arc narratif à la fin du tome précédent, rien ne vous oblige à les faire apparaître, voire même simplement à les mentionner. Soit vous leur trouvez une utilité dans le nouveau volume, soit vous les oubliez.

Si vous introduisez de nouveaux personnages importants, soyez vigilants de ne pas vous marcher sur vos propres pieds : débrouillez-vous pour que les anciens personnages ne leur fassent pas d’ombre, par exemple en les faisant évoluer à des niveaux différents de l’intrigue. Sinon, les lecteurs qui ont apprécié votre premier tome risquent de bouder ces nouveaux-venus.

D’ailleurs, vos nouveaux personnages, débrouillez-vous pour qu’ils soient distincts des anciens, et qu’ils possèdent chacun leur niche spécifique. Surtout, ne tentez pas de créer des versions plus jeunes, plus cool ou plus puissantes des personnages qui existent déjà, vos lecteurs seraient furieux, et ils auraient bien raison.

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La structure d’un roman: résumé

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Un grand merci pour vos réactions, vos retours et vos témoignages de ces dernières semaines sur ma série consacrée à la structure du roman. Comme demandé, et au cas où certains d’entre vous trouveraient ça pratique, ce billet comporte des liens vers chacune des chroniques de la série.

Première partie: actes, parties, tomes

Deuxième partie: les chapitres

Troisième partie: les paragraphes

Quatrième partie: les phrases

Cinquième partie: les mots

Sixième partie: la ponctuation

Septième partie: la théorie des blocs

La structure d’un roman: actes, parties, tomes

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Dans les semaines qui viennent, je vais vous proposer une série de billets consacrés à la structure d’un roman et à sa construction, pour commencer par les plus gros éléments structurels (les parties) pour terminer par les plus petits (les signes de ponctuation), ce qui nous permettra ensuite de déboucher sur la discussion du plan et de la charpente d’une intrigue.

Vous êtes prêts ? A la réflexion, je ne sais pas pourquoi je vous pose cette question. Si vous ne l’êtes pas, interrompez simplement votre lecture et revenez quand vous le serez, d’accord ?

Certains auteurs choisissent de découper leurs romans en partie ou en actes. Partitionnant le texte en deux à cinq gros segments distincts, ces divisions regroupent généralement plusieurs chapitres et constituent la plus grosse unité structurelle qui puisse exister au sein d’un texte littéraire. Il est possible d’y assimiler le cas d’un roman long qui, pour des raisons d’éditions, serait publié en plusieurs volumes distincts. Chaque tome fonctionnerait pour l’essentiel comme une partie, et présenterait les mêmes fonctionnalités, qualités et défauts sur lesquels je m’attarde ci-dessous.

L’existence de différentes parties au sein d’un roman n’apporte pas grand-chose au lecteur

Selon moi, cependant, partitionner un texte ainsi constitue rarement une bonne option. Au fond, l’existence de différentes parties au sein d’un roman n’apporte pas grand-chose au lecteur. Certainement pas de la clarté : lorsqu’un texte est interrompu deux, trois ou quatre fois par l’entame d’une nouvelle partie, cela n’apporte au lecteur aucune indication qui ne serait pas déjà contenue dans le texte lui-même. On n’y trouvera pas non plus une manière de rythmer le récit, puisque là aussi, ces divisions sont trop peu nombreuses pour avoir un impact significatif sur la lecture.

Au fond, la plupart du temps, l’introduction de différentes parties au sein d’un texte est davantage une coquetterie d’écrivain qu’une décision essentielle au bon fonctionnement d’un texte littéraire : on le fait parce que d’autres l’on fait avant nous, même si, en définitive, cela n’a pas grand intérêt.

Comme dans toutes choses, il existe cependant des exceptions, et dans certains cas, diviser un roman en plusieurs parties peut constituer une bonne idée. Encore faut-il le faire pour de bonnes raisons…

Diviser un roman en différentes parties offre au lecteur un point de repère

On citera d’abord le cas d’un très long texte. On l’a vu, découper un roman en plusieurs tomes est une pratique éditoriale courante, qui peut être motivée par des raisons pratiques (la parution et l’envoi d’un gros volume est compliquée) ou simplement par peur d’effrayer l’acheteur potentiel, plus enclin à lire deux livres de 400 pages qu’un seul de 800 pages. Au 19e siècle, les romans-fleuves de Dickens, Hugo, Dostoïevski sont bien souvent parus en feuilleton, et leur division en différentes parties était liée à leur mode de parution. Quoi qu’il en soit, diviser un long roman en différentes parties offre au lecteur un point de repère, un témoignage de sa progression, une manière de lui signifier que oui, il lui reste encore beaucoup de pages à dévorer, mais qu’il est déjà parvenu à atteindre un moment significatif du roman. Au fond, c’est un encouragement.

Un autre intérêt de cette pratique est qu’elle crée des points de rupture. Si un roman est découpé en trois ou quatre parties, à chaque fois qu’il arrive au terme d’une d’entre elles, le lecteur aura automatiquement l’impression qu’il s’agit d’un moment rare, donc important. L’auteur peut profiter de cette attente pour placer à la fin de chaque partie un coup de théâtre, une révélation ou tout type de fin ouverte qui génère du suspense. Celui-ci n’en sera que renforcé (à plus forte raison si la suite de l’histoire se situe dans un prochain tome à paraître…) La bon acte, c’est celui qui donne envie de lire l’acte suivant.

Découper un roman en plusieurs volets se justifie si chaque partie possède sa propre identité

Enfin, découper ainsi un roman en plusieurs volets se justifie pleinement si chaque partie possède sa propre identité. C’est le cas par exemple si l’action se déroule successivement dans trois lieux différents, et que chacun fait l’objet d’une partie distincte. Ça fonctionne aussi dans des récits qui s’étalent sur plusieurs époques, avec des années d’écart entre les événements : là aussi, subdiviser le récit en parties distinctes fait tout son sens. On peut aussi citer le cas du « Seigneur des Anneaux » de Tolkien, un roman séparé en six « Livres », qui permettent de marquer des changements de protagonistes. Cela fonctionnerait également avec un récit dont le narrateur serait différent dans chaque acte.

Un conseil pour terminer : découper un roman en actes oblige à se pencher de près sur sa structure narrative. Pour être efficace, chaque partie devra être construite comme un mini-roman, avec une mise en situation, une montée en puissance et un dénouement satisfaisant.

Atelier : prenez un roman divisé en parties et cherchez à déterminer si ce découpage apporte quelque chose de significatif. Si c’est le cas, devinez-vous pourquoi l’auteur a fait ce choix ? Y a-t-il certains romans qui ne sont pas découpés ainsi et qui gagneraient à l’être, selon vous ?

📖 La semaine prochaine: les chapitres