
En prolongement à mes billets sur l’usage d’une religion dans le décor d’un roman et à la création d’une religion fictive, j’ai pensé que certains d’entre vous apprécieraient de lire ceci. Pour le Monde Hurlant, l’univers de mes romans, j’ai décidé il y a quelques années de rédiger la première page des livres saints des trois principales religions.
La deuxième est tirée de la Révélation de Muo, le livre saint du Bazzilisme, la religion des Lithiques.
Nous sommes les Enfants de Muo. Nous sommes issus de la pierre. Nous naissons dans l’obscurité. Nous mourons dans l’obscurité.
Mon nom est Bazzil, je suis Fils de Muo. Ces simples mots suffiront à tout honnête homme pour savoir qui je suis ; on ne saurait approcher plus près de la vérité. Mais pour satisfaire la curiosité d’un éventuel lecteur, ou peut-être pour rendre hommage à mes pairs et à mes ancêtres, je me dois de préciser que je suis aussi fils de Baliscar et de Corianeou, marchand d’épices, Gardien de source et Maître de prière de la cinquième Pagode de Chujavedram, au sein de la tribu des Gudjarati. J’écris ces lignes à l’ombre d’une rangée de cyprès, dans les faubourgs de Mag Mell, au deuxième mois d’été de la septième année du règne du souverain Piam IX. A deux pas d’ici, les marchands d’épices sont en train de planter leurs tentes : j’entend leurs préparatifs. Sur la place, des enfants jouent dans la poussière, avec un simple morceau de mafra. Des femmes rapportent chez elles des jarres remplies d’eau pour le repas de midi. Un vieux chien malade vient de passer près de moi, une grive entre les dents. C’est une journée ordinaire, et pourtant c’est aujourd’hui que j’ai perdu mes croyances, et que j’ai gagné la foi.
Je ne crois plus aux superstitions de mes ancêtres. Je n’ai plus besoin de m’incliner devant les lunes et de répéter les litanies pour oublier mes craintes. Je n’ai plus besoin de croire. La croyance est comme l’ombre du cyprès. La croyance est comme le bruit des marchands. La croyance est comme la poussière soulevée par les jeux des enfants. La croyance est comme la jarre portée par une femme. La croyance est comme les dents du chien. La foi, c’est autre chose. La foi est le cyprès. La foi est l’épice du marchand. La foi est la joie des enfants qui jouent. La foi est l’eau contenue dans la jarre. La foi est la grive qui sert de repas au vieux chien. La foi est la matière qui constitue la réalité. Je n’ai plus de craintes, plus que la foi comme guide. Muo marche avec moi.


