Pourquoi ne pas écrire une suite

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Ça y est, vous y êtes arrivés. Votre roman est sorti, la maison d’édition est contente, les lectrices et les lecteurs sont ravis. Fort de ce succès, vous sentez bouillonner en vous l’envie d’en rajouter une couche. Vos personnages ont du potentiel, c’est pour vous une certitude, et il y a des aspects de votre univers qui ne demandent qu’à être développés. L’idée de rédiger une suite vous parait irrésistible. Je dis « une », mais je sens que vous vous voyez bien pondre toute une saga, aux multiples volumes. Pour vous, c’est presque une évidence.

Moi, je suis la petite voix dans votre tête qui est chargée de vous dire : ne le faites pas.

Un conseil très répandu dans les milieux littéraires, c’est qu’il vaut mieux ne pas entamer sa carrière par une saga, une série, ou n’importe quoi qui comporte plusieurs épisodes. Ce que je dis va encore plus loin : n’écrivez jamais, sous aucun prétexte, une suite à un roman. Renoncez immédiatement à votre idée. Trouvez quelque chose de plus constructif à faire de votre temps. Je ne sais pas moi, mettez-vous aux mots croisés.

À ce stade, les esprits les plus retors auront tôt fait de me le faire remarquer : je suis moi-même l’auteur d’une série, ce qui fait de moi, au minimum, un hypocrite. C’est vrai, mais cela signifie également que je suis très bien placé pour émettre ce conseil.

D’où vous est venue cette étrange envie d’écrire une suite à votre bouquin ?

Et puis pour être sincère, je ne pense pas qu’écrire une suite soit nécessairement une mauvaise idée dans tous les cas de figure. Mais pour un romancier, en particulier dans les littératures de l’imaginaire, un tel projet semble si tentant que, dans le but de susciter une réflexion constructive, je n’ai pas d’autre choix que de ramer vigoureusement dans l’autre sens. Avec de la mauvaise foi au besoin.

Donc partons du principe que sortir un deuxième tome soit une mauvaise idée et voyons où ça nous mène… Non, attendez, rembobinons un peu : d’où vous est venue cette étrange envie d’écrire une suite à votre bouquin ? En général, la réponse à cette question peut rentrer dans une des catégories suivantes…

Premièrement, votre premier tome se termine par un gros « à suivre » et a toujours été conçu comme un fragment d’une histoire complète : jamais vous n’avez songé à vous arrêter après le premier volume, votre histoire a toujours été conçue pour s’étendre sur plusieurs épisodes, que le nombre de ceux-ci soit fixé d’avance ou appelé à s’allonger en fonction de votre inspiration. Deuxième possibilité : même si votre roman s’achève sur quelque chose qui ressemble à une fin, vous avez tout de même posé les jalons dès le départ pour rédiger un deuxième épisode. Troisième motif : même si vous n’avez pas réellement d’idée pour une suite, vous êtes tellement amoureux du monde de fiction que vous avez créé qu’il vous paraitrait regrettable de l’abandonner complètement. La quatrième option, c’est la même, sauf que ce sont de vos personnages que vous vous êtes épris, et l’idée de vous en séparer à tout jamais vous est insupportable. Enfin, cinquième et dernière raison : vos lecteurs en furie vous réclament une suite.

De nobles motifs, assurément, mais comme nous avons eu l’occasion de le voir, quel que soit votre motivation de départ, écrire une suite est une mauvaise idée.

Votre carrière d’écrivain-e est limitée dans le temps

Pour s’en convaincre, il suffit d’énoncer l’évidence : pourquoi refaire ce qui a déjà été fait ? Votre carrière d’écrivain-e est limitée dans le temps, alors que les possibilités créatives sont infinies. Est-ce qu’écrire deux fois la même chose (ou à peu près) constitue réellement la meilleure utilisation de votre temps précieux ? Votre contribution à la littérature ne serait-elle pas plus riche si vous vous lanciez dans un projet complètement différent ? Ne serait-ce pas, au final, infiniment plus satisfaisant pour vous ?

Oh, je vous entends protester. Vous avez une idée pour votre deuxième tome et vous mettre à l’écrire vous démange. Mais patientez une minute : écoutez-moi d’abord. Cette idée que vous avez en tête, est-elle suffisamment distinctive pour justifier des centaines d’heures de travail ? Votre manuscrit n’est-il pas juste un remake de l’original, avec un grand méchant rebaptisé et des enjeux artificiellement gonflés ?

Ok, admettons que ça soit le cas et que votre idée soit bien assez pertinente pour justifier son existence. Votre concept n’est pas une simple décalque du premier volume. Mais ce n’est pas le seul critère à avoir en tête. Vous avez rédigé un roman, les arcs narratifs des personnages ont été clos, au prix de gros efforts de construction narrative. Pourquoi diable les rouvrir ? Est-ce que cela se justifie réellement ? N’allez-vous pas leur infliger de revivre les mêmes événements, de commettre les mêmes erreurs et d’apprendre les mêmes leçons que la première fois ?

Non ? Vous êtes sûr ? Soit, je veux bien essayer de vous croire. Mais attendez, ne partez pas, j’ai encore quelques questions à vous poser. Si votre principale motivation à écrire une suite consiste à tirer le meilleur parti de l’univers que vous avez construit, êtes-vous sûr que votre intrigue est suffisamment solide pour le justifier ? Le worldbuilding, c’est très bien, mais rien ne remplace une bonne histoire, et si vous n’ambitionnez rien de plus qu’à jouer les guides touristiques dans votre monde de fiction, mieux vaut arrêter net : cela ne débouchera pas sur un très bon roman.

Enfin, si vos lecteurs vous réclament une suite, c’est naturellement agréable et très aimable de leur part, mais sont-ils réellement les mieux placés pour juger si cela se justifie ? Après tout, c’est vous qui allez suer sur votre clavier à accoucher de votre potentiel chef-d’œuvre, pas eux.

Ne serait-ce pas un peu ridicule si Camus avait écrit « La Peste 2 »?

Comment ? Vous êtes persuadé que votre idée d’histoire est solide, originale et bien charpentée ? Que vos personnages ont encore du potentiel inexploité, et qu’on peut leur faire traverser de nouvelles situations dramatiques sans redite ? Que votre monde, aussi riche et original soit-il, n’est qu’un élément de décor, et pas la principale raison pour laquelle vous vous êtes lancé dans la rédaction de votre roman ?

Soit, admettons. Si vous avez franchi toutes ces embûches, peut-être que votre démarche se justifie. Entamez donc la conception de la suite que vous avez en tête.

Mais ne le faites pas l’esprit trop léger quand même. Il faut rester vigilant. C’est parce que la littérature de genre en général, et la fantasy en particulier, privilégient les sagas au long cours qu’il faut réfléchir à deux fois avant d’en commettre une de plus. Et se rappeler, par exemple, que la science-fiction littéraire a engendré davantage de classiques à l’époque où le standard était l’histoire complète en 300 pages qu’à présent qu’on a plutôt affaire à des trilogies comportant trois gros bouquins de 600 pages chacun.

Et puis consacrons quelques instants à réfléchir à la raison pour laquelle la littérature blanche n’aime pas les suites. Comme beaucoup de gens, j’aime beaucoup « La peste » d’Albert Camus, mais ne serait-ce pas un peu ridicule si l’auteur avait choisi d’écrire « La peste 2 », où le Docteur Rieux combat une autre épidémie dans une autre partie du globe ? Qui souhaiterait lire « Le rouge et le noir, 2e partie », consacré au fils de Julien Sorel ?

Avoir un propos en tête, le coucher sur le papier au mieux de ses facultés, y apporter une conclusion, puis refermer le livre et passer à autre chose, c’est une manière d’agir qui est respectable, et probablement la plus fertile du point de vue littéraire.

Bon, je vous laisse, je vais écrire la suite de cette chronique.

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Critique : La Chute

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Avocat de renom, homme de pouvoir et de séduction, Jean-Baptiste Clémence avait tout ce dont il pouvait rêver. Assister au suicide d’une jeune femme fissure ses certitudes, et on le retrouve plus tard, à confier ses péchés à un passant rencontré à Amsterdam.

TITRE : La Chute

AUTEUR : Albert Camus

EDITEUR : Folio (ebook)

Camus aura été tenté par le cynisme sans jamais y succomber. Ce n’est pas le cas du personnage principal de ce roman extraordinaire qu’est La Chute, un monstre de narcissisme et d’amoralité qui nous offre un soliloque désabusé consacré au sujet qu’il connaît le mieux : lui-même.

Un roman que j’aurai lu d’une traite, au profit d’une journée d’isolement prise de force, dans l’attente du résultat d’un test du coronavirus. Le résultat aura été négatif, mais la singularité de ma situation aura vraisemblablement coloré mon opinion au sujet du livre.

À la première personne, le narrateur nous parle de sa vie, de qui il est, de ce qu’il a traversé. On découvre, au fil des pages, qu’il vivait dans un monde d’artifice et de confort bourgeois dont il constituait le centre jupitérien, et auquel il était parfaitement accommodé, jusqu’au jour où la mort d’une inconnue, et son absence de réaction face à cet événement, finit par lui conférer un don dont il se serait bien passé : celui de la lucidité. Dès lors, il ne peut plus ignorer le caractère factice de l’existence qu’il menait jusque là, et, n’y croyant plus, ne parvient plus à s’en satisfaire. En errance, il échoue à Amsterdam, où il se met à raconter son existence à des gens rencontrés au hasard.

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« La Chute » constitue le texte intégral d’une de ces rencontres, où Jean-Baptiste Clémence (nom d’emprunt, car la clémence n’est pas de ce monde) étale son récit de vie à un personnage qui lui ressemble, dans une tentative de démontrer que sa culpabilité est celle de l’humanité toute entière. C’est la thèse centrale du livre : personne au monde ne peut nous absoudre de nos péchés, qui forment, au final, un théâtre de l’absurde. Car si chacun est pécheur, aucun individu n’est habilité à en juger un autre.

Livre court, « La Chute » ouvre d’innombrables portes au lecteur qui souhaiterait en explorer les thèmes. C’est également un exercice de style formellement fascinant, avec une narration à la première personne qui donne sa couleur au texte, mais également un destinataire silencieux et anonyme au soliloque du narrateur. Qui est-il, cet individu qui se fait le destinataire de cette confession ? Est-ce un personnage à part entière ? Est-il supposé me représenter, moi, le lecteur du roman ? N’est-ce qu’un miroir dans lequel la vanité de Clémence vient se refléter ?

Achever les corrections

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« Par une belle matinée du mois de mai, une élégante amazone parcourait, sur une superbe jument alezane, les allées fleuries du Bois de Boulogne. »

Cette citation apparaîtra comme familière à toutes celles et ceux qui ont eu l’occasion de lire « La Peste » d’Albert Camus. Dans sa fresque humaniste, le romancier met en scène un personnage secondaire, Joseph Grand, qui tente, comme la plupart des autres figures rencontrées dans le livre, d’injecter un peu de sens dans l’absurdité de l’existence. À cette fin, Grand est auteur amateur. Sauf qu’il ne rédige pas un roman, mais une seule et unique phrase, qu’il modifie, un mot à la fois, jusqu’à ce qu’elle lui semble parfaite. Naturellement, il ne réalisera jamais cet objectif hors de son atteinte, et ne laissera derrière lui qu’un gros carnet plein de versions raturées de cette phrase qui, n’aura apporté aucune forme de satisfaction à son auteur.

Voilà une situation qui apparaîtra comme familière à tout écrivain qui se trouve en plein travail de relecture. Modifier son texte dans le but de l’améliorer crée en effet une situation plus épineuse qu’on ne pourrait le penser de prime abord, et qui se résume en une phrase : « Quand est-ce qu’on sait qu’on a terminé » ? En d’autres termes : à quel moment peut-on reposer son manuscrit et le considérer comme achevé ? Quand est-ce que les modifications que l’on peut lui apporter ne l’améliorent plus ?

Comment sait-on qu’on a fini ? Voilà une question cruciale. La réponse, pour une bonne partie des auteurs, c’est « On ne sait pas. »

Voilà pourquoi certains relisent, corrigent et réécrivent leurs textes encore et encore, comme Joseph Grand, en quête d’une perfection que jamais ils ne sauraient atteindre. Si on considère qu’un livre est terminé uniquement quand chaque aspect nous parait impossible à améliorer, on ne va jamais pouvoir l’achever. La relecture peut s’apparenter à un travail de Sisyphe, un cycle impossible à briser.

Il vaut mieux considérer qu’un texte n’est jamais fini

Les bébés, après tout, ne naissent pas parfaits : lorsqu’ils voient le jour, ils ont encore tout à apprendre. Pourtant, pour eux, le moment est venu de quitter le stade de la gestation pour entrer dans celui qu’on appelle la vie. Il en va de même pour les romans. Oui, on pourrait poursuivre leur élaboration indéfiniment. Mais plutôt que procéder de cette manière, il vaut mieux considérer qu’un texte n’est jamais vraiment fini, mais qu’il finit malgré tout par s’échapper de son auteur, de bon ou de mauvais gré.

Parfois, ce sont les contraintes extérieures qui obligent un romancier à déclarer que son œuvre est achevée. Confronté à un délai de parution, celui-ci sera obligé de rendre son manuscrit, même s’il ne le considère pas comme parfait. Cette obligation peut être une bénédiction, puisqu’elle donne un terme naturel au travail de correction, et empêche l’auteur de chercher à viser des objectifs hors d’atteinte. Si le résultat convient à la maison d’édition, pourquoi se torturer davantage ? Un autre travail sur le texte peut commencer ensuite, avec la complicité d’un éditeur.

Il arrive aussi que le travail d’écriture et de relecture arrive à son terme parce que l’auteur sent que c’est le moment. Oui, il se dit bien qu’il pourrait se confronter à son texte encore une ou deux fois, mais à cette idée, il ressent une lassitude proche de la nausée, semblable à celle que l’on peut éprouver en revoyant le même film des dizaines de fois. À force de travailler sur un texte, on atteint un cap où on connait par cœur chaque virgule et où l’on finit par se sentir physiquement révulsé de le relire, ne serait-ce qu’une fois de plus. C’est le signe qu’il est temps de passer à autre chose.

Si votre cerveau tourne à vide, c’est parce que votre bouquin est achevé

La nausée des corrections est un mal très répandu aux symptômes duquel il faut être attentif : lorsque vous en ressentez les effets, vous pouvez en profiter pour reposer votre œuvre et envisager de vous y replonger plus tard, avec un œil neuf. Ou alors, c’est vraiment la preuve qu’il n’y a rien à ajouter à votre roman et qu’il faut arrêter de travailler dessus : si votre cerveau tourne à vide, c’est parce que votre bouquin est achevé, arrêtez donc de vous torturer.

Il existe pourtant des moyens moins désagréables d’appréhender la phase finale des relectures. Au fond, cela dépend de votre état d’esprit. Si vous êtes pragmatique et serein, vous pouvez décider de vous fixer à l’avance des critères clairs qui vous indiquent que votre manuscrit est terminé – par exemple, quelque chose qui ressemble à la checklist que je vous proposais dernièrement. Si vous avez confiance en cette approche et que vous avez fait subir à votre texte tous les examens que vous aviez planifiés, vous pouvez cesser d’y toucher en toute tranquillité et décréter qu’il est terminé. Vous avez accompli tout ce que vous aviez prévu, c’est donc qu’il n’y a rien de supplémentaire à faire.

Une autre manière de considérer les choses est plus philosophique : il s’agit de l’idée qu’un auteur doit savoir se détacher de son texte, lui rendre sa liberté comme on apprend à couper le cordon avec un enfant qui arrive à l’âge adulte. Cette attitude consiste à reconnaître que toute œuvre littéraire est perfectible, mais qu’il vient un moment où elle peut – et doit – être livrée aux lecteurs, qui sont en définitive les seuls dont l’avis importe. Oui, peut-être que vous auriez pu écrire un meilleur roman, mais pourquoi ne pas vous réserver cet objectif pour votre prochain livre ?

Cela dit, avoir du recul sur sa propre œuvre, ça ne se décrète pas. Cela réclame soit de l’expérience, soit de la maturité (un peu d’arrogance peut aider, le cas échéant). Si vous ne parvenez pas à vous décider vous-même, pourquoi ne pas appeler à l’aide ? Bénéficier d’un œil extérieur peut être une aide précieuse lorsqu’il s’agit de déterminer quand il convient de suspendre le travail de relecture. Confiez votre texte à un correcteur ou un beta-lecteur, qui pourra vous faire part de ses suggestions et remarques, ou, pourquoi pas, vous signaler simplement que selon lui, le roman est terminé. Tant mieux : vous aurez ainsi quelqu’un avec qui partager une coupe de champagne pour fêter la conclusion de votre travail d’écriture.

⏩ La semaine prochaine: Le décor