Avocat de renom, homme de pouvoir et de séduction, Jean-Baptiste Clémence avait tout ce dont il pouvait rêver. Assister au suicide d’une jeune femme fissure ses certitudes, et on le retrouve plus tard, à confier ses péchés à un passant rencontré à Amsterdam.
TITRE : La Chute
AUTEUR : Albert Camus
EDITEUR : Folio (ebook)
Camus aura été tenté par le cynisme sans jamais y succomber. Ce n’est pas le cas du personnage principal de ce roman extraordinaire qu’est La Chute, un monstre de narcissisme et d’amoralité qui nous offre un soliloque désabusé consacré au sujet qu’il connaît le mieux : lui-même.
Un roman que j’aurai lu d’une traite, au profit d’une journée d’isolement prise de force, dans l’attente du résultat d’un test du coronavirus. Le résultat aura été négatif, mais la singularité de ma situation aura vraisemblablement coloré mon opinion au sujet du livre.
À la première personne, le narrateur nous parle de sa vie, de qui il est, de ce qu’il a traversé. On découvre, au fil des pages, qu’il vivait dans un monde d’artifice et de confort bourgeois dont il constituait le centre jupitérien, et auquel il était parfaitement accommodé, jusqu’au jour où la mort d’une inconnue, et son absence de réaction face à cet événement, finit par lui conférer un don dont il se serait bien passé : celui de la lucidité. Dès lors, il ne peut plus ignorer le caractère factice de l’existence qu’il menait jusque là, et, n’y croyant plus, ne parvient plus à s’en satisfaire. En errance, il échoue à Amsterdam, où il se met à raconter son existence à des gens rencontrés au hasard.
« La Chute » constitue le texte intégral d’une de ces rencontres, où Jean-Baptiste Clémence (nom d’emprunt, car la clémence n’est pas de ce monde) étale son récit de vie à un personnage qui lui ressemble, dans une tentative de démontrer que sa culpabilité est celle de l’humanité toute entière. C’est la thèse centrale du livre : personne au monde ne peut nous absoudre de nos péchés, qui forment, au final, un théâtre de l’absurde. Car si chacun est pécheur, aucun individu n’est habilité à en juger un autre.
Livre court, « La Chute » ouvre d’innombrables portes au lecteur qui souhaiterait en explorer les thèmes. C’est également un exercice de style formellement fascinant, avec une narration à la première personne qui donne sa couleur au texte, mais également un destinataire silencieux et anonyme au soliloque du narrateur. Qui est-il, cet individu qui se fait le destinataire de cette confession ? Est-ce un personnage à part entière ? Est-il supposé me représenter, moi, le lecteur du roman ? N’est-ce qu’un miroir dans lequel la vanité de Clémence vient se refléter ?