La bataille aérienne

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Dernier volet de notre série consacrée à la bataille, après avoir examiné les engagements terrestres et maritimes, il est temps de lever les yeux en l’air et de s’intéresser à la bataille aérienne et à la manière dont on peut la mettre en scène dans un roman.

Le temps

La première différence entre un conflit aérien et un autre type de bataille, c’est que l’échelle de temps est plus courte. En règle générale, lorsque des avions se tirent dessus, ça ne dure pas bien longtemps. Alors qu’un soldat peut se retrouver à errer avec son fusil sur un champ de bataille pendant des heures, alors que des navires de guerre peuvent manœuvrer les uns autour des autres sur une longue période de temps, en ce qui concerne les avions, l’issue de la confrontation est souvent décidée en quelques minutes, voire même en quelques secondes dans certains cas. Un chasseur en aligne un autre dans son viseur, il tire, il y a une explosion et c’est vite terminé. Le film « Dunkerque », de Christopher Nolan est en partie construit autour de cette différence d’échelle de temps.

L’autonomie d’un appareil, en particulier celle d’un chasseur, ainsi que son rayon d’action rendent improbables les missions interminables. Alors qu’un char d’assaut ou un croiseur peuvent rester en campagne pendant des semaines, c’est tout bonnement impossible techniquement pour de nombreux avions. C’est pourquoi l’aviation fonctionne par raids : des actions ponctuelles, limitées dans le temps, qui partent d’une base aérienne et, souvent, finissent par y retourner.

Les bombardiers, en particulier les bombardiers stratégiques, fonctionnent sur une échelle de temps plus longue et peuvent même être ravitaillés en vol pour rallonger leur autonomie. C’est également le cas, par exemple, des appareils espions ou spécialisés dans la reconnaissance. Mais même dans ces cas-là, c’est le trajet vers la cible qui rallonge l’engagement, alors que l’action militaire proprement dite reste de courte durée.

Un bombardier va d’abord progresser lentement en direction de la cible, essuyer des tirs d’artillerie ou des interceptions d’appareils ennemis, puis il va lâcher ce que les militaires appellent sobrement sa « charge utile », et rebrousser chemin. Le moment décisif est extrêmement court, et réclame un autre type de qualités mentales que celles que l’on exige des soldats de terre ou des marins. Le pilote ou l’équipage d’un bombardier sont des professionnels bien préparés, attentifs aux détails, et surtout capables d’un niveau de concentration extrêmement élevé sur de très courtes périodes. Ils ont des nerfs d’acier, mais risquent de se montrer moins solides lors d’engagements à long terme que leurs camarades de la marine ou de l’armée. C’est intéressant de jouer sur cette différence, surtout si, dans vos écrits, vous envisagez de mélanger des militaires issus de spécialités différentes.

Les dimensions

C’est une évidence, mais une bataille aérienne s’inscrit dans un espace tridimensionnel, bien davantage que les conflits navals ou terrestres. Cette dimension supplémentaire, vous seriez bien inspirés d’en tenir compte dans le déroulement et la description des combats aériens que vous pourriez être tentés d’inclure dans vos romans.

Les engagements aériens ne se situent pas sur un plan : les appareils entrent dans le conflit à des altitudes différentes, sur des angles différents, à des vitesses différentes. L’un d’entre eux peut se trouver en altitude, très au-dessus de l’ennemi, et profiter de cet avantage tactique pour plonger sur sa cible ; un autre vole en rase-mottes, courant le risque de s’écraser mais comptant sur son expérience pour éviter le crash et mettre ses poursuivants dans une situation périlleuse ; des appareils peuvent jouer à cache-cache derrière les nuages.

Le défi consiste, pour les pilotes, à partir de cette situation de départ pour en arriver à une configuration où ils sont capables d’aligner leur cible dans leur collimateur et de tirer. Lorsque deux chasseurs sont engagés, chacun va à la fois tenter de se mettre en condition d’abattre sa cible et d’éviter de se retrouver lui-même dans la même (fâcheuse) position. Les avions tournent l’un autour de l’autre comme des insectes pris de panique, jusqu’à ce que l’un d’eux puisse faire usage de ses armes.

Attention, cela dit : tout cela n’est pas nécessairement très facile à écrire. Faire comprendre au lecteur ce qui se passe exactement quand deux objets volants très rapides tournoient l’un autour de l’autre à très grande vitesse dans un espace tridimensionnel, c’est délicat. Mon conseil, c’est de se focaliser sur les enjeux et sur les émotions ressenties par les protagonistes, et d’abandonner toute idée de chercher à transcrire avec précision qui se trouve où et à quel moment.

Mais l’espace a beau être tridimensionnel, tant qu’on se situe dans l’atmosphère, toutes les manœuvres ne sont pas égales. La gravité continue à dicter sa loi, quoi qu’il arrive. Pas possible, par exemple, de s’élever continuellement à la verticale : peu à peu, l’attraction terrestre va ramener le plus moderne des jets vers le sol. Quant à la manœuvre inverse, qui consiste à foncer en direction de la terre ferme, elle comporte un important risque de crash. Un auteur qui souhaiterait inclure cette dimension supplémentaire dans la description d’une bataille aérienne serait bien inspiré de se rappeler qu’il est possible pour un pilote de jouer avec la troisième dimension, mais que celle-ci peut tout aussi bien jouer avec lui.

Les chasseurs

Comme dans les engagements sur terre et en mer, la bataille aérienne comprend des rôles prédéfinis qu’il convient d’avoir en tête. Au-delà des spécificités techniques et tactiques, il s’agit de rôles symboliques avec lesquels un romancier va pouvoir jouer.

Le premier, c’est donc le chasseur, ou l’avion de chasse. Il s’agit d’un appareil militaire dont la raison d’être est d’intercepter les avions ennemis et d’assurer à son camp la maîtrise du ciel. Il peut s’attaquer par exemple aux chasseurs adverses pour protéger ses propres avions d’attaque, ou viser les bombardiers pour empêcher ceux-ci d’atteindre leur cible.

Les frontières des définitions ne sont pas nécessairement étanches : il existe des variantes de chasseurs qui sont équipés pour intervenir au sol aussi bien que dans les airs. On peut aussi citer les avions d’escorte, des chasseurs dont la mission consiste à accompagner les bombardiers vers leur cible, et dont l’autonomie est donc plus grande que celle des avions de chasse traditionnels.

Les bombardiers

Un bombardier, c’est un avion spécialisé dans l’attaque au sol. En règle générale, il fonctionne en larguant des bombes à la verticale de sa trajectoire, afin de causer d’importants dégâts sur son passage.

C’est la version classique du bombardier, celle qui marque les mémoires : un avion de grande dimension, jouissant d’une forte autonomie, comprenant tout un équipage et qui se rend à travers les lignes ennemies jusqu’à une cible définie pour sa mission, qu’elle tapisse de bombes. C’est une vision qui existe toujours dans la guerre contemporaine, principalement incarnée par ce qu’on appelle des « bombardiers stratégiques », conçus pour maximiser leur puissance de destruction.

Mais au fur et à mesure, le rôle traditionnel du bombardier s’est estompé, et désormais ce qu’on appelle des avions d’attaque au sol, voire des chasseurs-bombardiers, exécutent une partie des missions dévolues autrefois aux bombardiers traditionnels. Ces appareils plus légers sont conçus pour frapper des cibles mobiles, comme des chars d’assaut, frappant à l’aide de bombes mais également de missiles air-sol ou air-mer, qui leur permettent de frapper des cibles ennemies ou de couler des navires.

Les hélicoptères

Capables d’évoluer avec davantage de précision qu’un avion à proximité du sol et de se poser sans nécessiter de longues pistes d’atterrissage, les hélicoptères présentent des avantages spécifiques qui leur confèrent un rôle stratégique bien à eux. Les hélicoptères d’attaques sont principalement utilisés pour deux types de mission : l’appui aérien des troupes et les actions anti-char, afin de détruire des escadrons de véhicules blindés. On s’en sert également pour des missions de reconnaissance ou d’escorte d’appareils plus légers.

D’autres modèles d’hélicoptères peuvent également être utilisés pour des missions moins offensives, telles que le transport armé, l’évacuation de troupes, le repérage des positions d’artillerie ou le transport sanitaire.

Variantes

Il suffit de regarder les dernières saisons de la série « Game of Thrones » pour visualiser à quel point une armée qui est équipée d’une aviation est avantagée par rapport à une armée qui en est dépourvue. Dans le cas d’espèce, le rôle des avions est joué par des dragons, mais d’un strict point de vue stratégique les enjeux sont assez proches. Les dragons de la série, comme ceux des romans dont elle est inspirée, fonctionnent plus ou moins comme des bombardiers, capables de franchir les lignes ennemies et de frapper de manière dévastatrice au sol.

On aperçoit, dans les derniers épisodes, les balbutiements des défenses anti-aériennes qui commencent à être développées pour contester la suprématie des dragons sur le champ de bataille. Dans un autre contexte, on pourrait aussi imaginer que des griffons ou des manticores pourraient jouer un rôle similaire à celui des chasseurs, chargés d’intercepter les dragons en l’air avant qu’ils puissent cracher leur feu.

Vous aussi, si vous œuvrez dans les littératures de l’imaginaire, vous pouvez prendre les rôles traditionnels de l’aviation sur le champ de bataille, les modifier, et les faire incarner par des véhicules ou des créatures qui n’ont rien à voir avec les avions de combat tels que nous les connaissons. Dans sa série du « Château », Steph Swainston montre à quel point la présence d’un seul individu volant dans une armée peut modifier le cours d’une bataille.

Alors allez-y à fond : mouches géantes, nuages magiques, ornithoptères, ruines flottantes, robots transformables, tout ce qui sort de votre imagination peut trouver sa place dans le récit d’une bataille aérienne et y jouer un rôle similaire à celui d’une aviation contemporaine.

La météo

Plus encore que les troupes au sol et même que les bateaux, les avions sont fragilisés par la météo. Le pilotage oblige à tenir compte de la pression atmosphérique, de la température et surtout du régime des vents en permanence, et les pilotes sont entraînés à compenser les variations normales. Par contre, face à un ouragan, une tempête de sable ou de glace ou une tornade, même un appareil solide risque d’être déporté, déstabilisé, frappés par la foudre, voire propulsé au sol – et les chances de survie du pilote sont alors minimales, même s’il parvient à s’éjecter.

Davantage encore que les avions, les hélicoptères sont particulièrement sujets aux caprices de la météo, et ne sont en principe pas engagés en cas de tempête.

⏩ La semaine prochaine: La bataille spatiale

La bataille navale

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Exactement comme la bataille terrestre, que nous avons examinée dans un autre billet, la bataille navale voit s’affronter deux ou plusieurs camps, avec des objectifs opposés, des effectifs différents et des positions de départ distinctes, sauf que naturellement, dans le cas de la bataille navale, tout cela se joue sur un plan d’eau, de préférence sur la mer, et que les soldats, appelés ici marins ou matelots, sont groupés sur des embarcations. Ça change tout.

En mer

Un bateau, ça flotte sur l’eau. C’est une évidence mais un romancier serait bien inspiré de réfléchir à ce que ce constat implique.

Cela présente trois conséquences majeures. La première, c’est que l’eau est un milieu qui présente très peu de friction. Une fois lancé, un navire va continuer à avancer dans la même direction pendant longtemps, et si on souhaite l’arrêter, le faire reculer ou simplement faire en sorte qu’il vire de bord ou qu’il tourne, cela va réclamer un temps et une distance considérable. Si les bateaux étaient des véhicules terrestres, ils auraient les freins les plus inefficaces et le rayon de braquage le plus gigantesque que l’on puisse imaginer. Cela signifie que tout, dans une bataille navale, doit être anticipé, et que les ordres, en tout cas ceux qui concernent la navigation, ne déploient leurs effets qu’avec retard, parfois même trop tard.

Deuxième conséquence : un bateau, ça coule. En raison du gros temps, d’une attaque ennemie ou d’un récif, il peut prendre l’eau, s’enfoncer, puis sombrer pour de bon. Il s’agit d’un danger permanent qui guette toutes les embarcations qui participent à un engagement militaire, et qui peut coûter la vie à énormément de soldats en même temps. Tant mieux pour les auteurs : un bateau qui coule, c’est une scène pleine de danger et de suspense…

Troisième effet : un bateau dépend de la météo. C’est principalement le cas pour les anciens navires à voile, pour qui les variations du régime des vents représentent la principale source de mobilité (ou une nuisance, lorsque la mer est plate et qu’ils restent figés sur l’eau). Une tempête peut représenter un danger majeur pour un navire, qui peut déchirer les voiles ou noyer les ponts inférieurs. Un navigateur habile saura tirer parti des conditions météo, afin d’en profiter mieux que ses adversaires. C’est d’ailleurs sur cette tension que se joue la construction dramatique d’une scène de bataille navale.

Un bateau, c’est aussi un lieu spécifique, qui emmène avec lui son équipage. Alors qu’il est envisageable qu’une compagnie de soldats de l’armée de terre se divise en plusieurs sections aux missions différentes, qui s’éloignent les unes des autres pour les accomplir, par définition, un navire ne peut pas se couper en deux : les marins sont tributaires de son destin, ils triomphent et ils coulent avec lui, ils vivent ensemble et ils meurent ensemble. Tout au plus les rescapés d’un naufrage pourront-ils espérer qu’une embarcation de leur camp les repêche pour les sauver de la noyade – et les intègre à son équipage.

Évolution des navires

L’histoire de la guerre maritime reste très marquée par le progrès technologique. Au cours des siècles, il a fait évoluer de manière radicale la conception des bateaux et de leur armement, ainsi que le type d’engagements militaire qui en résulte.

Pendant l’Antiquité, les navires de guerre ont une faible voilure et sont principalement propulsés par des rameurs. On a tous en tête l’image de la trirème, galère de guerre à trois rangs de rames, surmontée d’une ou deux voiles carrées. Inventée par les Grecs, cette embarcation a été reprise sans grandes modifications par les Romains et a dominé toute une ère de la guerre en mer, aux côtés d’embarcations plus modestes comme le birèmes, les triacontères et les pentécontères.

Ces bateaux, il faut se les représenter principalement comme des transports de troupes. La tactique navale de l’époque consiste à faire monter des archers sur le pont et à décocher des flèches contre les navires ennemis, éventuellement des flèches enflammées si les conditions le permettent. Certains bateaux sont équipés de machines de jet comme des catapultes ou des balistes. Mais le gros de l’engagement consiste à se positionner de manière à aborder les embarcations adverses, à débarquer les soldats d’infanterie de marine présents à bord, et à se battre au corps-à-corps jusqu’à ce qu’un des deux bateaux soit pris ou coulé.

L’invention de la voile latine au 9e siècle améliore la mobilité des bateaux. Au cours des siècles qui suivent, les mâts s’allongent et se multiplient, et ils se chargent de voiles de plus en plus nombreuses. Ils deviennent alors de véritables voiliers, plus rapides et plus maniables que les embarcations de l’Antiquité. L’abordage reste pendant longtemps la tactique de combat la plus prisée, mais les meilleures performances des navires permettent aux capitaines les plus compétents d’échapper plus facilement à leurs poursuivants.

La poudre noire et l’invention du canon dotent pour la première fois d’une arme qui leur permet de se frapper à distance avec efficacité. Cela révolutionne les conditions de l’engagement en mer. Un équipage qui souhaite attaquer un bateau ennemi va d’abord chercher à s’en approcher suffisamment pour être à distance de tir : il va alors déployer ses canons, et éventuellement des tireurs équipés de mousquets sur le pont. Si les volées de boulets ne suffisent pas à couler l’embarcation ennemie, l’engagement peut se terminer par un abordage.

La terminologie qui caractérise les navires de guerre de cette ère est complexe, parce qu’elle dépend énormément de l’époque et des pays. En général, on classe les bateaux en fonction du nombre de mats. Aux petites embarcations à un mat, plus adaptées à la pêche qu’à la bataille, on préfère des navires à deux mâts, comme les caravelles, les bricks ou les brigantines, ou des trois mâts comme les corvettes, les frégates, les galions, les clippers ou les caraques. Une bataille navale peut impliquer un grand nombre d’embarcations différentes, certaines énormes, lourdement mâtées et armées de nombreux canons, d’autres plus légères, rapides et maniables, pour donner la chasse à l’ennemi.

On peut citer encore quelques curiosités comme le brûlot, un navire sans équipage, chargé de matières inflammables et de poudre que l’on dirige contre un navire ennemi pour le faire exploser, la preuve que la stratégie navale de l’époque n’était pas figée.

Si vous ambitionnez de décrire des engagements nautiques de ce type, je ne peux que vous suggérer de vous documenter sur l’évolution des embarcations et sur leur nomenclature, ainsi que sur l’organisation à bord, autant de sujets qui dépassent le cadre de ce billet et qui pourraient tous faire l’objet d’articles séparés. Écrire la guerre, c’est aussi chercher à savoir comment elle se déroule, quel est le rôle de chacun, et donc, en ce qui concerne les navires à voile, faire la différence entre un capitaine et un quartier-maître, un bosco et un gabier.

À noter aussi qu’une partie de la littérature de fantasy, parce que c’est cool, décrit les batailles terrestres en prenant pour modèle les engagements du Moyen-Âge, et les batailles navales comme si elles avaient lieu au 18e siècle, dans le sillage des films de pirates. Il n’y a pas de mal à ça, mais si vous êtes tentés de suivre cette tendance, pensez à toutes les implications : s’il y a des canons sur les bateaux, il y en a aussi sur le champ de bataille.

De nos jours

Aujourd’hui les navires de guerre se sont modernisés et sont équipés de dispositifs de détection et de différents types d’armes qui permettent à la fois d’attaquer les navires ennemis à distance, mais aussi de frapper d’autres types de cibles : objectifs à terre, interceptions de missiles, drones ou avions, sous-marins.

La terminologie reste complexe et elle diffère selon les pays, mais dans les grandes lignes, on appelle croiseur les plus grands bâtiments de combat qui sont dotés des systèmes d’armement qui leur permettent d’intervenir dans tous les types d’engagements et contre tous les types de cibles. Un destroyer est un navire de taille plus modeste, destiné à défendre un groupe de bateaux ou de s’attaquer à des embarcations adverses au niveau de défense moyen. Certains sont spécialisés dans la chasse aux sous-marins. Une frégate est plus légère, plus rapide et plus faiblement armée qu’un destroyer, est principalement utilisée pour des missions d’escorte ou de protection, et constitue le gros d’une flotte moderne. Une corvette est un navire de guerre de plus faible tonnage qu’une frégate, destiné principalement à des missions de protection côtière ou d’éclairage.

Cette liste ne serait pas complète sans mentionner le porte-avions, base aérienne mobile lourdement armée, qui constitue la principale arme de suprématie maritime des puissances modernes, dotée d’une importante force de projection, puisqu’elle permet d’exporter la puissance de feu d’une marine militaire jusque sur les côtes ennemies, de l’autre côté du globe si nécessaire.

Enfin, citons les sous-marins, d’abord utilisés pour des missions de sabotage, de reconnaissance ou d’espionnage, puis de lutte anti-marine, et qui ont évolué au fur et à mesure pour devenir, pour les plus grands d’entre eux, des navires à propulsion nucléaire, capables de tirer des missiles à longue portée contre les cibles ennemies.

L’équipage

Ce qui caractérise les marins engagés dans un conflit, par opposition aux soldats de l’armée de terre, c’est qu’ils forment un équipage, un ensemble de professionnels engagés pour toute la durée d’une mission en mer à un bâtiment de guerre spécifique.

Sur un navire militaire, on retrouve de nombreux corps de métiers, qui collaborent professionnellement et qui vivent ensemble. C’est le cas des anciens galions, où les matelots vivent entassés dans la cale, les uns sur les autres dans la promiscuité et dans des conditions d’hygiène déplorable. Il s’agit d’une atmosphère qui peut être difficile à vivre et qui engendre des conflits et des réactions volatiles de la part de celles et ceux qui supportent mal cette ambiance. N’importe quel auteur reconnaîtra là une belle source de conflit et donc d’histoires à raconter.

Dans un navire moderne, l’espace est moins exigu, mais il n’en reste pas moins que les mêmes personnes vivent dans un espace clos pendant une longue période et dans un contexte stressant, ce qui réclame là aussi une certaine abnégation et peut générer des frictions. Les permissions à terre sont cruciales pour réduire la pression, et lorsqu’elles s’espacent, le niveau d’agressivité monte.

Le phénomène est encore accentué par le fait que sur un grand bâtiment de mer moderne, des corps de métier très différents sont forcés de cohabiter. On croisera, sur un croiseur, des artilleurs, des officiers d’intendance, des spécialistes des transmissions, des météorologues, des fusiliers marins, des pilotes d’hélicoptère, des ingénieurs nucléaires, des cuisiniers, des timoniers, bref, des gens qui viennent d’horizons très différents, qui ont des responsabilités différentes, un quotidien différent, et qui ne se comprennent pas nécessairement les uns les autres. Une des délicates missions des officiers consiste à faire en sorte que toute cette foule bigarrée parvienne à se comporter comme un équipage, serein et efficace. Ce n’est pas une mince affaire.

C’est dans ce contexte que vont s’inscrire vos personnages de marins : un monde où chacun dépend de l’effort collectif, et où la négligence d’un seul rouage de cette machine bien huilée peut mener à une erreur fatale. Dans le chaos d’une bataille, en particulier si la situation devient catastrophique, un individu peut être amené à assumer des responsabilités qui ne sont pas les siennes et à aller au-delà de sa spécialité initiale, pour sauver la situation de tout le monde.

Mer-terre

Une flotte n’est pas seulement une force d’interception de la puissance navale ennemie, elle peut aussi intervenir dans d’autres circonstances. En d’autres termes : les bateaux, ça ne sert pas qu’à la bataille navale. Depuis l’invention du canon, les navires de guerre peuvent aussi tirer sur des cibles à terre, ce qui augmente sensiblement leur importance stratégique.

Une armée peut donc encercler un port ennemi, pendant que sa marine le pilonne à distance en feu croisé. Un navire bien armé ou une flottille bien placée peut également imposer un blocus dans un port, menaçant de couler tous les navires qui le quittent ou s’en approchent. De nos jours, grâce à l’armement moderne, un bateau de guerre peut même tirer des missiles ou des drones et frapper des cibles à terre, à bonne distance des côtes. Si votre histoire se passe sur un bateau de guerre, gardez à l’esprit ces options, qui vous permettent de varier les scénarios et les possibilités dramatiques.

Mer-air

Depuis le milieu du vingtième siècle, les navires sont armés de différents dispositifs mer-air, capables d’intercepter et d’abattre les avions et les missiles ennemis. Depuis l’entrée en scène du porte-avion, la marine s’est transformée en une base aérienne mobile, capable de faire décoller des chasseurs, de patrouiller dans un secteur et d’engager tous les appareils ennemis passant à portée. D’un point de vue littéraire, inclure ce type d’élément ajoute à une bataille navale une troisième dimension ainsi qu’un sentiment d’immédiateté qui peut augmenter la tension de ce type de scène.

Variantes

De la même manière qu’il est possible de mettre en scène sur les pages une infinité de combinaisons possibles de troupes et de machines de guerre, tant que leurs rôles tactiques restent reconnaissables, il en va de même pour les navires de guerre. Si vous êtes auteur de littératures de l’imaginaire et que vous souhaitez mettre en scène les forces navales d’une espèce extraterrestre ou d’une nation magique, pourquoi ne pas laisser de côté les voiles et les moteurs et offrir au lecteur quelque chose de réellement unique ?

Et si la flotte adverse était constituée de conques, de coquillages et de crustacés géants, flottant sur l’eau et protégés par leurs carapaces épaisses ? Et si, animés par les fantômes des naufragés, les déchets de l’océan s’aggloméraient et constituaient des nefs démoniaques ? Et si les peuples des profondeurs remontaient à la surface et tentaient de conquérir les mers, montés sur des monstres des mers géants ?

Même en vous éloignant des rôles traditionnels d’une marine de guerre, il existe des potentialités intéressantes. Mettre en scène, par exemple, l’affrontement entre un navire de guerre du 18e siècle et une espèce d’insectes ravageurs qui flottent sur l’eau et se propulsent dans l’air, dévorant gréements et coques en bois, a de quoi engendrer une scène mémorable.

L’eau

Alors que le terrain où se joue une bataille terrestre joue un rôle crucial, en créant des difficultés ou des opportunités stratégiques, c’est un peu moins le cas quand on parle des batailles navales, dans la mesure où la mer, en général, c’est plat, ou à peu près plat.

Il y a malgré tout des facteurs à considérer, qui peuvent jouer un peu le même rôle que le terrain dans un conflit à terre. Pour commencer, il y a la découpe des côtes, à supposer que l’engagement naval se situe à proximité d’une terre émergée. Elle exerce une influence sur certains aspects de la bataille. Par exemple, une île ou une langue de terre peuvent permettre de dissimuler une flotte (ou des renforts) à l’ennemi. En préparant les choses soigneusement, un amiral peut s’arranger pour prendre l’adversaire par surprise, en ne révélant sa présence qu’au dernier moment. Se trouver à proximité de la berge, ça peut également permettre de bénéficier de l’assistance de canonnières ou d’autres types d’armement disposés sur la terre ferme.

La présence de la terre modifie le régime des vents. Un navigateur expérimenté saura en jouer pour couper au moment opportun la vitesse de ses poursuivants. S’approcher des côtes, c’est également prendre le risque de se retrouver dans des hauts-fonds, et donc de terminer ensablé, pris au piège.

Il y a d’autres éléments présents en mer qui peuvent venir semer le chaos dans un engagement naval. Les navigateurs de la Renaissance étaient terrorisés par les sargasses, des algues flottantes qui pouvaient s’accrocher au gouvernail et compliquer la navigation d’un bateau. Une remontée de gaz explosif venu des profondeurs peut faire chavirer un navire, voire même en projeter l’équipage par-dessus bord. Et il n’y a pas besoin de revenir sur l’histoire du Titanic pour comprendre que la présence d’un iceberg sur la trajectoire d’un navire peut avoir des conséquences dramatiques.

Naturellement, les littératures de l’imaginaire ouvrent des perspectives encore plus larges, et un auteur facétieux n’hésitera pas à épicer ses scènes de batailles navales d’imprévus hauts en couleur, comme la présence de krakens dans l’eau, bien décidés à faire chavirer les navires, la mer qui se transforme soudain en sang caillé ou la présence de champs d’algues explosives en surface.

La météo

À l’inverse, la météo a beaucoup plus d’impact sur le déroulement d’une bataille navale que sur celui d’une bataille terrestre : un grain soudain, un vent trop puissant, une mer tumultueuses ont le potentiel de complètement désorganiser une flotte. C’est particulièrement le cas à l’âge de la navigation à voile, mais même un bateau à moteur a du mal à garder le cap au milieu de vagues de six mètres de haut.

Le calme plat, par contre, est spécifiquement un cauchemar pour la marine à voile. S’il n’y a pas de vent du tout, les navires sont paralysés, et si ça arrive pendant une bataille, cela crée un moment de stress où chaque camp est obligé de se préparer fébrilement afin d’être prêt au moment où le vent se mettra à souffler à nouveau.

La visibilité est également très variable en mer. Alors que l’air est limpide le matin, il peut se charger de brume en cours de journée et l’île qui était parfaitement visible à l’horizon est soudain introuvable.

⏩ La semaine prochaine: La bataille aérienne

La bataille terrestre

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Après avoir rassemblé quelques conseils généraux pour écrire une scène de bataille, il est temps d’approfondir la question et d’examiner les différentes manières de livrer bataille, sur terre, sur mer, dans l’air et dans l’espace, ainsi que les codes et les éléments constitutifs de ce type d’engagements.

Je ne suis en aucun cas un spécialiste de l’armée, de la stratégie ou de l’histoire militaire. Gardez à l’esprit que tout ce qui suit ne se veut pas être une parole d’expert sur la question, mais plutôt une manière d’enrichir une scène de bataille dans un contexte littéraire en mentionnant des faits et des angles qui lui ajoutent du relief. Si le sujet vous intéresse, je ne peux que vous encourager à lire ce que les vrais spécialistes ont à dire sur la question.

Premier type de conflit auquel on pense en imaginant une scène de bataille, l’engagement terrestre est celui où, typiquement, deux armées se retrouvent en un même lieu avec des objectifs stratégiques opposés et l’envie d’en découdre. Un romancier habile peut tirer profit de certaines de ses caractéristiques.

L’infanterie

Un soldat lancé à pied sur le champ de bataille au milieu de ses camarades, équipé de l’armement le plus élémentaire que lui offre son époque : voilà l’image traditionnelle de l’infanterie. Pendant l’Antiquité et au Moyen-âge, le soldat d’infanterie n’est souvent armé que d’une épée, d’une lance ou d’un autre type d’arme blanche, peu ou pas protégé, et son objectif est de courir face à un ennemi dans le même accoutrement pour en découdre au corps-à-corps. Le choc peut être sanglant.

Par la suite, le mousquet et la baïonnette remplacent l’épée, mais cela n’augmente pas considérablement la portée ni l’efficacité de l’infanterie, qui reste spécialisée dans le choc frontal. L’invention du fusil d’assaut dote l’infanterie de nouvelles possibilités tactiques, mais elle rend également le champ de bataille plus dangereux, et les engagements à courte portée restent la norme.

C’est surtout le nombre de soldats engagés qui fait la force de l’infanterie, au sujet desquels on plaisantera facilement en les traitant de « chair à canon », dont l’unique raison d’être est de servir de cible mobile aux armes ennemies. Ce n’est pas si simple, en réalité, puisque l’infanterie est la seule à pouvoir accomplir des missions de reconnaissance en milieu urbain, à prendre et à sécuriser des objectifs, à confisquer des équipements adverses et à les exploiter, à miner des ouvrages ou à piéger des voies d’accès qu’on s’attend à ce que l’ennemi emprunte.

Les soldats d’infanterie ne sont pas uniquement des éléments génériques d’une scène de bataille, ce sont aussi les militaires les plus polyvalents, les « mains » qui permettent aux généraux d’agir directement sur le champ de bataille et d’accomplir leurs objectifs militaires. Il est probable que les protagonistes en fassent partie, ne serait-ce que parce que cela les plonge dans le cœur de l’action et les expose aux risques les plus élevés, ce qui est automatiquement plus intéressant. Choisir de raconter une bataille du point de vue d’un soldat qui n’est membre de l’infanterie peut rendre un récit plus original, mais va compliquer la rédaction de la scène, en particulier s’il fait partie d’un corps d’arme moins mobile.

La cavalerie

Des soldats à cheval (ou, si l’on souhaite étendre la définition dans les littératures de l’imaginaire, des soldats montés sur d’autres animaux terrestres) : c’est une des premières avancées tactiques à faire son apparition sur le champ de bataille. Un militaire sur sa monture est beaucoup plus rapide qu’un fantassin, et est capable d’accomplir des charges qui sont capables de briser les rangs de l’infanterie ennemie. Il bénéficie également d’une position élevée, qui lui permet d’embrasser de son regard une plus large section du champ de bataille et de mieux prioriser ses attaques qu’un soldat à pied, bloqué dans la mêlée.

Un cavalier a néanmoins des désavantages qui lui sont propres : son cheval constitue une cible supplémentaire, qui peut être abattue par une flèche ou une attaque directe sur le champ de bataille. Même bien entraîné, l’animal peut également être pris de panique s’il est exposé à des événements inhabituels. Le cheval se fatigue, et peut, si la mêlée se prolonge, devenir un handicap pour son cavalier. Enfin, être monté sur un destrier, c’est courir le risque de se faire déloger, et donc de subir une chute dangereuse.

Dans l’histoire de la guerre, la généralisation de la cavalerie a engendré la naissance de soldats d’infanterie spécialisés, les piquiers, dont les longues lances étaient destinées à briser la charge des cavaliers. Ces derniers se sont mis à équiper leur monture d’un caparaçon pour les protéger, ce qui a au passage réduit leur mobilité. Enfin, l’arrivée de moyens mécaniques de se déplacer sur le champ de bataille a fini par faire tomber la cavalerie en désuétude.

Choisir le point de vue d’un cavalier dans une scène de bataille recèle quelques avantages, ne serait-ce que parce que sa situation présente des moments dramatiques qui peuvent être exploités directement, tels que la charge ou une éventuelle mort du cheval. En plus, un cavalier sans sa monture devient automatiquement un fantassin, ce qui relance la dynamique du récit de la bataille dans une direction différente. Le lien privilégié entre l’homme et l’animal peut également être exploré, et là aussi il comprend un fort potentiel émotionnel.

Les archers

Premier instrument historique de contrôle du champ de bataille, l’arc est une arme qui permet de frapper l’ennemi à longue portée et de frapper infanterie et cavalerie avant qu’elles arrivent à une distance qui leur permet d’engager les troupes adverses. Une volée de flèches suffisamment dense peut briser net l’élan de la cavalerie, et l’empêcher d’éventrer les rangs de l’infanterie par exemple.

Une seule flèche peut tuer un homme, mais son impact est très localisé et la plupart de ces projectiles retombent au sol sans faire de victimes. Ce n’est qu’en multipliant les archers et en alignant les volées que cette tactique présente un avantage. Le cas échéant, les pointes des flammes peuvent être enflammées, ce qui permet de causer à distance des dommages à des structures en bois, dans le cadre du siège d’une ville ou d’un château par exemple.

En règle générale, dans la stratégie de l’Antiquité et du Moyen-Âge, les archers sont postés derrière l’infanterie et équipés d’arcs à longue portée, dont les tirs survolent leurs propres troupes pour venir frapper les lignes ennemies. Normalement, un tireur à l’arc va rester loin du front, et les principales menaces sur sa santé sont les archers adverses, ou une totale débandade de leur camp.

On peut aussi imaginer que certains archers soient détachés des rangs et postés plus près du front, jouant un rôle semblable à celui des snipers modernes, chargés, par exemple, d’abattre les officiers ennemis. Un tel soldat pourrait offrir un point de vue original dans le récit d’une bataille, plus riche en événements, en tout cas, qu’un membre ordinaire d’un peloton de tireurs à l’arc.

L’artillerie

Causer à distance des dégâts de zone dans les rangs ennemis : c’est la promesse de l’artillerie. Ses origines ne sont pas récentes : des armes de siège comme les catapultes, les trébuchets et les balistes permettent depuis le Moyen-Âge de toucher plusieurs soldats ennemis en un seul tir, en plus de leur fonction principale qui consiste à s’en prendre aux infrastructures.

L’arrivée de la poudre noire permet de moderniser ces unités et de les remplacer par des canons, qui viennent vite surclasser complètement les archers. Comme ceux-ci, l’artillerie permet de contrôler le champ de bataille, mais en causant des explosions qui peuvent potentiellement tuer plusieurs hommes en même temps, elle permet des résultats bien plus dévastateurs que le plus garni des régiments d’archers.

D’un point de vue tactique, on peut grossièrement distinguer l’artillerie lourde, constituée d’unités immobiles ou très lentes à se mouvoir, mais qui ont une capacité de destruction maximale, de l’artillerie légère, plus mobile mais moins puissante. Canons et mortiers existent en général dans les deux versions, et présentent des intérêts différents sur le champ de bataille. L’existence de l’artillerie légère permet d’ajouter un nouvel allié à l’infanterie : une section de lance-mines léger peut procurer un tir défensif à une troupe de fantassins, afin de dégager le passage vers sa prochaine destination.

L’artillerie, surtout à ses débuts, est pénible à mettre en œuvre, peut causer des accidents et réclame un grand nombre d’hommes par pièce. En cela, elle est génératrice de suspense dans une scène de bataille : les artilleurs peuvent se faire attendre en début d’engagement, mais une fois qu’ils sont prêts, leur intervention peut renverser le cours des événements. Une autre manière de l’utiliser, dramatique, c’est en s’intéressant au flux de munitions : si l’ennemi parvient à faire sauter ou à voler les boulets de canon et autres projectiles, c’est toute une partie de l’armée qui se trouve paralysée.

Les blindés

Les blindés sont à la cavalerie ce que l’artillerie est aux archers : une version moderne, plus létale, plus résistante mais moins mobile de l’ancien corps d’arme dont ils ont plus ou moins ravi la place. Comme la cavalerie, les blindés ont pour première mission d’éventrer les lignes adverses, mais leur apparition bouleverse les codes de la stratégie.

En évoluant, des véhicules blindés rapides voient le jour, qui sont à la fois plus résistants, plus redoutables et plus rapides que la cavalerie ; en parallèle, des chars d’assauts lourds font leur entrée sur le champ de bataille et deviennent des sortes de plateformes d’artillerie mobile, capables de terroriser les troupes ennemies et de causer des dégâts considérables à l’infrastructure. Ce n’est qu’avec l’introduction de munitions anti-blindage et avec l’essor de l’aviation que cette nouveauté se voit opposer une réplique.

Reste qu’une bonne partie des blindés sont des machines lentes et lourdes, qui ont besoin de toute une équipe pour fonctionner, entassés les uns sur les autres dans un habitacle à déconseiller aux claustrophobes. Un coup de malchance au combat, un dysfonctionnement, et cette machine de mort qu’ils habitent peut devenir leur tombeau. C’est le genre de situation qui peut se prêter à un récit de guerre intéressant. De même, l’équipage d’un tank qui se retrouve au milieu des lignes ennemies dans un véhicule en panne, forcés d’abandonner cette protection et de devenir infiniment vulnérable, peut également donner lieu à des situations dramatiques fécondes.

Le support

Une armée, ce ne sont pas que des soldats armés prêts à en découdre, ce sont aussi des gens en uniforme dont l’occupation principale est de faire en sorte que la troupe puisse se nourrir, dormir, être abritée des éléments, être soignée, franchir les obstacles naturels, disposer du matériel adéquat et en bon état, avoir des munitions en suffisance, être transportée sur les lieux de la mission, bref, toute une palette de métiers qui contribuent à l’efficacité d’une campagne militaire. Une armée qui se déplace, c’est comme une ville, avec ses différents corps de métiers qui tous, contribuent à l’effort commun d’aller mettre la pâtée au camp adverse, même s’ils ne le font pas tous avec des armes en main.

En fonction des époques, ces troupes de support changent de nature. Il y a toujours besoin d’individus qui nourrissent, réparent et soignent, mais certains corps de métiers disparaissent lorsque leur spécialité n’est plus jugée nécessaire, à l’instar des maréchaux-ferrants ou des forgerons. À l’inverse, certains spécialistes ne font leur entrée en guerre qu’une fois que le progrès technologique le permet, comme les informaticiens ou les pilotes de drones de surveillance.

En principe, les seuls membres des troupes de soutien qu’on est susceptible de retrouver sur un champ de bataille sont les infirmiers, les conducteurs et pilotes, les estafettes et d’autres individus dont la contribution est intimement liée à l’urgence du combat. Par contre, un cuisinier, un agent de sécurité militaire, un cartographe ou un pontonnier n’ont que rarement de raisons de s’approcher du combat, même s’ils ont une formation martiale de base. Il n’en est dès lors que plus intéressant de les plonger dans la tourmente : choisir un soldat avec ce genre de profil pour découvrir la guerre avec ses yeux, c’est l’occasion d’offrir au lecteur un point de vue intermédiaire entre celui d’un militaire endurci et celui d’un soldat.

Terre-air

Une armée de terre peut avoir une composante aérienne. À l’époque moderne, des avions, hélicoptères ou drones sont incorporées dans les troupes terrestre et y jouent différentes missions : transport de troupe ou de matériel, ravitaillement, reconnaissance, espionnage, bombardement, lutte contre les menaces aériennes, etc… C’était moins le cas dans les temps anciens, dans la mesure où les développements technologiques qui rendent tout cela possible sont récents. Par contre, rien n’empêche, dans un roman de fantasy ou de steampunk, d’inclure des dragons ou des dirigeables afin d’ajouter à la bataille une troisième dimension qui enrichit les possibilités stratégiques présentées dans votre roman.

Les variantes

Les différents rôles que j’ai rapidement examinés ici sont connus du grand public, et correspondent aux grands axes de ce que la culture populaire comprend de la stratégie militaire. En deux mots : c’est, au mieux, l’organisation de l’armée pour les nuls, et, au pire, un ramassis de clichés. Cela dit, si vous êtes auteur de littératures de l’imaginaire, il s’agit d’une aubaine. Il est facile de s’appuyer sur ces éléments connus et familiers du lectorat pour y faire pousser votre fantaisie.

En d’autres termes : un lecteur s’attend à ce qu’une armée médiévale ait une cavalerie, et si, dans votre univers, les cavaliers sont montés sur des scorpions géants ou des tigres bleus à six pattes, leur rôle stratégique sera malgré tout immédiatement clair pour tout le monde, par analogie. Dans l’univers de « Star Wars », les chars d’assaut sont gigantesques, effrayants et montés sur d’énormes pattes mécaniques, mais on saisit instinctivement qu’ils occupent la niche stratégique des tanks qui nous sont familiers. Dans « Le Monde de Narnia », le même rôle est tenu par des rhinocéros.

Aussi n’hésitez pas à vous appuyer sur ces conventions pour construire des armées imaginaires. Pourquoi ne pas mettre en scène une guerre entre une armée typique du moyen-âge, opposée aux forces armées d’une nation végétale ? L’équivalent des archers pourraient être équipés de plantes carnivores capables de projeter au loin des épines empoisonnées, le rôle des blindés serait tenu par des hommes-cèdres gigantesques et redoutables, et des champignons humanoïdes dotés de pouvoirs de guérison tiendraient le rôle des infirmiers. Il est aisé, selon le même principe, d’imaginer à quoi pourraient ressembler des armées d’insectes, de robots, de pirates morts-vivants ou de statues animées par magie, s’il vous venait en tête d’inclure ce genre de choses dans votre roman.

Naturellement, rien ne vous oblige à vous cantonner à ça. Oui, une brigade de magiciens capables de lancer des boules de feu sur l’ennemi aura un rôle voisin de celui d’une unité d’artillerie, mais s’ils ont le pouvoir de manipuler le temps, la météo ou la gravité, les possibilités narratives qu’ils ouvrent dans le récit de la bataille sont sans fin, et pourquoi se priver de ce genre de choses ?

Le terrain

Comme on a eu l’occasion de le voir dans un billet précédent, planifier une scène de bataille dans un roman, c’est prendre le temps de déterminer soigneusement où elle se déroule, et dans quel contexte géographique les hostilités vont se dérouler.

Profitez-en pour réfléchir soigneusement à votre environnement, et à ce qu’il implique pour l’intrigue et les descriptions de la bataille. Si les armées ont le choix des lieux, elles vont probablement choisir d’en découdre sur une plaine dégagée, à bonne visibilité et dotée d’un sol sec et propice à la progression des troupes. C’est d’ailleurs ainsi que l’on s’imagine la plupart des batailles, à moins que l’auteur prenne le soin de décrire les choses autrement. Et franchement, il le devrait : plus le contexte de votre scène est mémorable, plus la bataille le sera. Montrez-vous imaginatifs, à plus forte raison si vous œuvrez dans le domaine des littératures de l’imaginaire, qui méritent toutes les bonnes idées qu’on peut leur consacrer.

Le terrain, c’est une bonne partie de l’identité de votre bataille : choisissez de la placer au pied d’un volcan en éruption, avec les troupes bombardées par des rochers en fusion et qui doivent slalomer entre les coulées de lave, et cela rendra le tout plus distinctif. Cela peut aussi influencer la structure narrative de la scène : par exemple, un champ de bataille qui comporte des forêts, des plaines et un village en ruine peut emmener le lecteur dans différents environnements, avec des enjeux tactiques et narratifs distincts, qui vont aider à charpenter le déroulement de la bataille.

Pour comprendre l’impact que peut avoir le terrain sur le cours d’une bataille, posez-vous ces questions : de quelle manière ce terrain influence-t-il le mouvement des différentes unités ? De quelle façon impacte-t-il la visibilité ? Est-il possible de s’y cacher ? Le traverser comporte-t-il des dangers particuliers ? Y a-t-il des aspects de ce terrain qu’un stratège avisé pourrait exploiter pour triompher de l’ennemi ? On peut cacher toute une compagnie dans un bois assez épais, mais celle-ci aura du mal à s’en extraire ; des herbes hautes peuvent suffire à dissimuler un petit nombre de soldats, mais ils ne pourront pas observer ce qui se passe sans révéler leur cachette ; une falaise représente une position idéale pour observer l’ennemi et pour l’attaquer à distance ; une ville, un village ou même des ruines représentent une position facile à garder et où l’on peut organiser une embuscade ; une jungle peut être infestée de bêtes sauvages ; les pentes d’une colline peuvent être sur le point de connaître un glissement de terrain, que le passage de la troupe peut précipiter.

La météo

Autre facteur environnemental majeur, la météo présente un aspect supplémentaire par rapport au terrain : elle change. Une champ de bataille sur lequel les hostilités commencent par temps sec sera bouleversé par une averse intense, qui changera un terrain en dur en un champ de boue où les soldats s’empêtrent ; un brouillard qui se lève ou une averse de neige et la visibilité est réduite à néant, condamnant archers et artilleurs à se tourner les pouces ; un vent violent réduit la précision des projectiles ; quelques gros coups de tonnerre et les bêtes peuvent prendre peur.

La météo est un facteur extérieur aux belligérants, et sur lequel ils n’ont pas de contrôle. Ils peuvent toutefois s’y préparer, planifier ses changements et s’équiper en conséquence. L’armée qui aura su anticiper un changement météorologique bénéficiera d’un sérieux avantage sur celle qui se contentera de le subir.

⏩ La semaine prochaine: La bataille navale

Écrire la bataille

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Après avoir brossé un portrait de la guerre en tant qu’élément générateur de worldbuilding dans un roman, après avoir approfondi la question pour réfléchir à ses implications, je vous propose à présent de descendre d’un cran dans la hiérarchie temporelle et géographique d’un conflit, pour nous intéresser à la manière dont un romancier peut raconter un de ses sanglants épisodes, j’ai nommé la bataille.

Une bataille, c’est un engagement militaire entre deux ou davantage de camps, qui est limité à un lieu et à un moment donné. Une bataille a lieu dans un endroit précis – une plaine, un plateau, un village – et se déroule dans un intervalle précis, de quelques minutes à quelques jours. Le nombre de soldats varie selon les circonstances et les époques, de quelques dizaines à des dizaines de milliers. En principe, l’engagement se termine lorsqu’un des camps se rend, s’enfuit ou subit des pertes si considérables que ses forces n’existent plus. Une série de batailles s’appelle une campagne.

Travaux préparatoires

Écrire une scène de bataille – ou un ensemble de scènes de cette nature – est une tâche délicate pour un auteur, qui peut vite s’embourber dans la confusion, ou crouler sous une profusion de détails. Pour éviter d’en arriver là, il est donc crucial de se poser un certain nombre de questions avant de rédiger quoi que ce soit.

Plus vous aurez les idées claires sur les acteurs et l’environnement de cet engagement militaire, plus il sera facile de le décrire avec clarté, même si vous n’utilisez pas explicitement tous les détails que vous avez accumulés. C’est un des rares exemples ou un worldbuilding détaillé est salutaire et ne mène pas à une perte de temps, donc si vous faites partie des auteurs qui aiment collecter une foule de notes, faites-vous plaisir, cette fois-ci, ça pourrait être très utile.

Pour commencer, il faut savoir quelles sont les forces en présence : y a-t-il deux ou davantage de camps ? Des armées de coalition, composées de soldats issus de milieux très différents, éventuellement sous des commandements différents ? Combien sont-ils ? Quelle est leur composition approximative, entre l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie, le soutien, l’aviation et tout autre corps représenté sur le champ de bataille ? Qui donne les ordres ? Est-il possible qu’ils reçoivent des renforts en cours de combat, ou que certains éléments fuient le champ de bataille ? Il n’est pas indispensable de communiquer tous ces éléments au lecteur, mais certaines de ces informations pourront avoir une résonance en cours de bataille. Par exemple, si une armée a une cavalerie et l’autre non, cela aura une influence sur le déroulement des événements.

Il faut également se demander ce que les armées en présence font là. Pourquoi se rencontrent-elles sur le champ de bataille ? Est-ce délibéré de la part de tous les commandements en présence, est-ce une décision stratégique unilatérale d’un seul des camps, qui aura par exemple demandé à ses troupes d’intercepter l’armée adverse ? Les deux camps se sont-ils rencontrés par hasard à cet endroit ? Et pourquoi est-ce que c’est à cet endroit précis et à ce moment que les hostilités éclatent ?

Il est crucial d’avoir en tête les objectifs stratégiques que poursuivent les commandants impliqués dans cette action. Chacun d’entre eux doit avoir en tête une condition de victoire et une condition de défaite, peut-être même une estimation des pertes acceptables. Il ne s’agit pas nécessairement d’une stratégie longuement échafaudée : l’officier qui dirige une escouade qui vient de se faire surprendre par une armée supérieure en nombre n’aura à cœur que de briser l’engagement et de quitter le champ de bataille aussi vite que possible, avec des pertes aussi légères que possible. Mais parfois, la bataille s’inscrit dans des plans de campagne détaillés, et comprend des objectifs primaires (la prise d’un village, l’annihilation de l’artillerie adverse) et secondaires (la capture d’un officier précis, la collecte d’information sur les nouvelles armes ennemies). En général, je conseille de rendre ces objectifs explicites pour le lecteur, qui comprendra plus facilement ce que les belligérants essayent de faire : ça rend toute la scène plus claire et plus poignante.

Pour les généraux, ces objectifs correspondent à des ordres qu’ils ont reçus, mais pour vous l’auteur, les objectifs stratégiques sont autant d’enjeux dramatiques : il est important de savoir ce que les camps en présence essayent de faire, mais également ce que ça va apporter à votre histoire, et les conséquences qu’aura la bataille sur votre intrigue et sur vos personnages. Si la situation ne change pas fondamentalement entre le début et la fin de l’engagement, à quoi bon consacrer des pages au combat ? Une bataille doit être un événement déterminant, dramatique, où certains personnages meurent et d’autres évoluent ou dévoilent des facettes d’eux-mêmes qui sont inattendues.

Le lieu où se situe le combat est important, et je conseille, non, je vous implore d’esquisser une carte pour que vous ayez les idées claires dès le départ. S’agit-il d’une plaine ? Y a-t-il aussi des collines ou des reliefs ? Existe-t-il des endroits où se cacher avant la bataille, comme des bois ou des ruines, ou des lieux où un camp pourrait essayer de se disperser lors de sa fuite, comme des marais ? Y a-t-il des traces de civilisation à proximité : villages, routes, lignes électriques, château, canaux ? Où se situent les troupes au début de l’engagement ? Jetez un coup d’œil aux lieux où se sont déroulées les grandes batailles de l’histoire, et vous comprendrez vite que la géographie est déterminante. Par ailleurs, plus vous avez les idées claires à ce sujet, plus vous communiquerez les choses clairement au lecteur.

S’interroger sur le lieu, c’est aussi se poser des questions sur l’environnement et sur les conditions du combat : un sol boueux, de la neige, la pluie qui se met à tomber en pleine bataille, des glissements de terrain, des inondations, peuvent avoir une influence déterminante sur l’issue de l’engagement. Réfléchissez également aux différents terrains qui composent le champ de bataille, et aux conséquences qu’ils peuvent avoir sur le combat : si les canons adverses risquent de s’ensabler dans des dunes, un général pourra tenter de manœuvrer pour qu’ils aillent s’y perdre.

Raconter la bataille

Un conseil très important à garder à l’esprit, si la bataille constitue un des moments forts de votre roman, c’est de consacrer du temps, et donc des pages, à tout ce qui précède la bataille : la préparation des hostilités, les conversations entre les personnages au sujet du combat qui s’annonce, les adieux, les larmes, les espoirs… Je dirais même que plus la veillée d’arme est longuement racontée, plus l’impact émotionnel des événements sera grand. Pensez à cette phase comme l’occasion d’accumuler des munitions émotionnelles que vous pourrez ensuite tirer pendant la bataille.

Avant l’engagement, prenez le temps de présenter au lecteur l’état d’esprit de vos personnages ; faites peu à peu monter la tension, puis la terreur, alors que la bataille s’approche ; rendez explicite ce que vos protagonistes craignent de perdre dans le combat : leur vie, leurs amis, la guerre, voire l’avenir de la civilisation toute entière ; ponctuez cette phase de scènes consacrées à certains de vos personnages, en particulier ceux que vous avez prévu de tuer lors de la bataille : plus ils apparaîtront comme attachants juste avant l’engagement, plus leur mort sera ressentie comme cruelle. Oui, c’est de la manipulation émotionnelle.

Cette phase sert à augmenter l’anticipation du lecteur, jusqu’à ce que ça soit presque insupportable : au moment où les hostilités éclatent, il doit craindre pour les personnages présents, et partager leur inquiétude au sujet d’une éventuelle défaite. Au fond, il s’agit des mécanismes du suspense, mais généralisés à tous les acteurs présents sur le champ de bataille.

En ce qui concerne la bataille en elle-même, je vous recommande de prévoir un déroulement précis, au besoin en le traçant directement sur votre carte : vous y noterez les différentes étapes, les mouvements de troupes, les offensives, les contre-offensives, les renforts et les surprises de dernière minute. Il est également important d’y relever le parcours de vos personnages, en particulier s’il est très différent des points forts de la bataille. Attention : à moins que vous souhaitiez noircir des centaines de pages à décrire des mouvements de troupe, ne prévoyez pas d’innombrables rebondissements dans votre bataille. Si vous alignez trois à cinq événements majeurs, ça sera généralement plus que suffisant.

Construire votre bataille en amont, savoir qui fait quoi et à quel moment, pour quelle raison, ce qu’ils peuvent voir autour d’eux, le temps que prennent leurs déplacements, va vous aider à écrire la scène de bataille sans trop de difficultés. Au moment de rédiger, cela dit, n’oubliez pas que le lecteur n’a pas vu votre plan et ne sait rien de vos intentions : votre travail, c’est donc de lui faire comprendre aussi clairement que possible ce qui se passe au cours de la bataille.

Arrêtons-nous un instant sur cette notion de clarté : votre mission, en tant qu’auteur d’une scène de bataille, c’est de vous assurer que pour chaque mouvement de troupe, chaque offensive et contre-offensive, chaque événement marquant de la bataille, le lecteur comprenne qui sont les troupes impliquées, d’où elles viennent et où elles vont, quel type d’armes elles utilisent, quel effet cela a sur les troupes adverses et quelles pertes elles subissent elles-mêmes. Pas besoin d’ensevelir le texte sous des détails stratégiques, mais il est important d’éviter à tout prix la confusion. Il faut aussi parvenir à faire comprendre les intentions stratégiques des officiers, ce qu’ils espèrent obtenir et si oui ou non, ils parviennent à leurs fins. Il existe une certaine marge pour se montrer ambigu, par exemple en décrivant l’action, mais en ne révélant le plan des généraux qu’après coup, afin de ménager le suspense, mais en règle générale, dans un domaine aussi propice à la confusion qu’une bataille, tout doit être limpide et se lire sans efforts. Une exception notable est le récit de bataille à la première personne, sur lequel je vais revenir.

En plus du plan, il peut être utile de fractionner votre bataille en plusieurs actes : la montée de la tension, que j’ai déjà mentionnée, les premiers engagements, le gros de la bataille, le dénouement et les conséquences du combat. Procéder de cette manière vous permet de bénéficier d’un découpage qui favorise la tension dramatique et qui offre différents niveaux d’intensité. Selon vos thèmes et vos intentions, l’une ou l’autre de ces phases pourra prendre plus ou moins d’importance et occuper plus ou moins de place. Il est tout à fait concevable, par exemple, de rédiger une scène de combat qui passe rapidement sur les faits d’armes pour se concentrer plus longuement sur le sort des victimes, une fois la bataille terminée.

Une bataille peut constituer la partie la plus émotionnellement intense de votre roman, l’apogée de votre intrigue, si on utilise la terminologie de la pyramide de Freytag. Si vous le souhaitez, elle peut avoir un impact sur tous les personnages qui y participent, et constituer pour eux un tournant. Certains d’entre eux vont mourir, d’autres vont être blessés, d’autres encore vont être durablement traumatisés par ce dont ils vont faire l’expérience, ou vivre des événements qui vont transformer leurs motivations, en leur donnant par exemple des envies de vengeance. Un personnage peut aussi être transformé de manière positive par une bataille : ce sera le cas par exemple si à cette occasion il réalise son plein potentiel, s’il acquiert des certitudes au sujet de ses priorités et de ses objectifs, ou si ses faits d’armes lui valent d’obtenir une réputation héroïque qu’il n’avait pas auparavant. Si l’un de vos personnages ressort de la bataille sans être changé, c’est du gâchis.

Rédiger la bataille

Vos choix narratifs ont une influence considérable sur la forme que va prendre la bataille au sein de votre récit.

C’est le cas en particulier de la focalisation. Tout ce que j’ai mentionné jusqu’ici est principalement valable pour une bataille qui serait racontée à la troisième personne. Pour comprendre les différents actes d’un engagement militaire, comment ils s’inscrivent sur le champ de bataille, il faut du recul, et ce n’est qu’en découvrant les faits à travers l’œil d’un narrateur omniscient et extérieur au conflit que l’on va parvenir à atteindre le niveau de clarté maximal. Si la stratégie et l’articulation dramatique de la bataille sont importantes pour vous, c’est probablement ce type de narration qui va vous être utile. Par contre, le résultat risque d’être un peu clinique, loin de la violence et de la peur du champ de bataille.

La focalisation à la troisième personne avec des points de vue multiple offre un bon compromis entre la clarté de la narration et l’implication émotionnelle des protagonistes et du lecteur. Elle consiste à raconter le combat à-travers un certain nombre de personnages qui y participent : soldats des deux camps, héros, soigneurs, généraux, civils, etc… De cette manière, vous pouvez raconter votre bataille sous la forme de vignettes, centrées sur l’expérience subjective de vos personnages-point-de-vue, ce qui vous permet de construire une narration poignante, mais en incluant le point de vue des stratèges et des officiers, vous pouvez aisément expliquer au lecteur ce qui se passe sur le champ de bataille.

Troisième option, la narration à la première personne vous amène à raconter la bataille à travers l’expérience d’un narrateur unique, plongé dans les événements. Il s’agit de l’option la plus émotionnellement viscérale et sans doute la plus réaliste, pour qui veut découvrir les horreurs de la guerre, mais elle bute sur une limite indépassable : tout ce qui ne se déroule pas dans le champ de vision de votre narrateur ne peut pas être raconté. Et si celui-ci est un troufion, il ne connaît rien de la stratégie de ses supérieurs et il est possible qu’il ne comprenne rien à ce qu’il voit. Une telle scène de bataille risque d’être confuse, mais si votre seule ambition est de rendre compte du cheminement de votre protagoniste, elle peut être l’option la plus adaptée.

Deux mots du temps de verbe. Par définition, le récit au passé est celui qui vous donne la flexibilité dont vous avez besoin pour raconter le déroulement de votre bataille. Il est possible de raconter une bataille au présent, mais cela va vous donner moins d’options et compliquer la rédaction de cette partie de votre roman. Paradoxalement, l’utilisation du présent risque de créer une distance émotionnelle entre les événements et vos personnages, ce qui n’est pas nécessairement l’effet souhaité. À moins de la coupler avec une narration à la première personne et de jouer à fond la carte de la subjectivité, ce n’est probablement pas la meilleure option.

La bataille, si vous le souhaitez, peut fonctionner comme un roman dans le roman, une miniature des enjeux et des préoccupations de votre histoire. C’est le cas en particulier d’un point de vue thématique : les thèmes de votre roman, vous allez les retrouver dans votre bataille. Réfléchissez à la manière dont ils pourraient trouver leur place dans les événements que vous décrivez. Si votre histoire parle d’honneur, décidez lesquels des protagonistes de votre bataille vont se comporter de manière honorable ou déshonorable.

⏩ La semaine prochaine: La bataille terrestre

 

Écrire la guerre

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La guerre. La guerre ne meurt jamais.

En ce qui concerne les drames, le romancier se trouve dans une situation paradoxale. Pas davantage que ses contemporains, il n’apprécie la violence, le crime, la guerre, le racisme, les conflits en tous genres. Cela dit, ces choses-là constituent son pain quotidien en tant qu’auteur : partout où surgit le conflit, qu’il soit de nature physique, psychologique ou social, il y a une opportunité de raconter une histoire. Ce qui fait que ce qu’on peut regretter dans le monde réel, on peut l’apprécier dans la fiction, ne serait-ce qu’en tant que matériau de base. La guerre, en particulier est sans doute une des inventions les plus déplorables de l’humanité, mais elle constitue le ferment d’un nombre incalculable d’histoires en tous genres, comme nous avons déjà eu l’occasion de nous en apercevoir.

Et comme l’interminable article que j’ai déjà pondu sur la question ne suffit pas, et de loin pas, à épuiser le sujet, je vous propose de poursuivre ici notre exploration du potentiel que recèlent les conflits armés dans un cadre romanesque.

Les enjeux de la guerre

« Guerre » est un de ces mots que l’on devrait toujours écrire au pluriel. Parce que, au-delà de leurs ressemblances, les conflits se distinguent surtout par leurs différences, au niveau des racines du conflit, de la forme que prend celui-ci, des belligérants, des moyens utilisés, etc… Si vous souhaitez en inclure une dans le décor de votre roman, le premier pas devrait consister à vous demander quelle variété choisir : de ce choix vont découler de nombreux éléments qui vont donner leur forme à votre narratif.

La forme de guerre la plus répandue est le conflit pour les ressources – les cyniques diront que, en grattant un peu derrière les justifications officielles, toutes les guerres peuvent se résumer à cela. Quelle que soit la chose que les belligérants convoitent : de l’eau, des terres, du minerai, du pétrole, des trésors magiques, de l’antimatière, le fait de l’obtenir revêt à leurs yeux une telle importance que cela justifie tous les sacrifices.

Parfois, cela dit, cet objectif décidé au plus haut niveau n’est pas communiqué à la population, et se retrouve dissimulé derrière un prétexte plus digeste : il est plus aisé de réclamer que la jeune génération sacrifie sa vie pour l’honneur, pour Dieu, pour la patrie ou pour la liberté que pour du minerai. Ainsi, toutes les guerres pour des ressources sont soit en partie des guerres idéologiques, soit présentées comme telles.

La ressource qui détrône toutes les autres, en tout cas dans les conflits traditionnels, c’est le territoire. Afin d’agrandir son espace vital et de saisir toutes les ressources qui s’y situent, ou pour rétablir des frontières anciennes et jugées plus légitimes que les actuelles, les États mènent ce qu’on appelle des guerres de conquête ou des invasions. Le pays belligérant constitue une armée, qu’elle envoie hors de ses frontières pour occuper un territoire et en réclamer la souveraineté. C’est le début d’un bras de fer entre l’envahisseur et l’occupé – un territoire peut changer de mains plusieurs fois avant que la situation ne se stabilise.

Une guerre préventive, c’est une action militaire qui intervient hors de toute provocation, mais uniquement parce qu’on suppose que, si l’on ne fait rien, le pays ennemi va lui-même lancer les hostilités. En agissant de la sorte, on l’empêche de se préparer et on augmente les chances de triompher. L’idée même de guerre préventive repose sur la qualité des renseignements : si les espions se trompent sur les intentions du pays en question, des milliers de vies innocentes peuvent s’éteindre pour rien (ce qui est bien triste mais qui fournit une situation intéressante pour un roman).

La guerre punitive est une offensive militaire dont le déclencheur est une violation du droit par le pays visé : la rupture d’un traité, le soutien à des opérations de sabotage ou de terrorisme, des attaques à distance, l’enlèvement d’un dignitaire ou d’autres citoyens, le mauvais traitement d’une minorité, etc… La Guerre de Troie, telle que la raconte l’Iliade est une guerre punitive : le conflit naît de l’enlèvement d’Hélène, épouse du roi de Sparte, par un prince troyen.

Sans doute le type de guerre le plus effroyable, la guerre civile oppose plusieurs camps au sein d’un même pays, déchirés par des questions ethniques, idéologiques, économiques, territoriales, religieuses ou tout ça en même temps. Un conflit de ce type aboutit parfois à une partition du territoire, ou à une prise de pouvoir de la part d’un des deux camps, ce qui peut installer des rancunes tenaces et mener, à terme, à de nouveaux conflits de la même nature.

Une guerre de sécession, c’est une guerre civile dont le but est de parvenir délibérément à  la partition d’un territoire. Le mot est utilisé quand les camps qui s’opposent sont d’importance similaire. Lorsque c’est un territoire d’importance secondaire qui tente d’obtenir son émancipation par les armes, on parle plutôt de guerre d’indépendance, même si la nature du conflit reste la même. Parfois, même si la campagne est un succès, la guerre mène à une situation qui n’est pas satisfaisante et peut engendrer des regrets, voire de la rancune, qui mène éventuellement à d’autres conflits.

Une révolution n’est pas à proprement parler une guerre, même si certaines d’entre elles sont ponctuées par des actes violents. Pourtant, si elle se prolonge et que les fronts se durcissent, la révolution peut se transformer en insurrection, soit un soulèvement armé contre le pouvoir en place. Celle-ci, en fonction des circonstances, peut très bien dégénérer en guerre civile, voire en guerre de sécession. Autre possibilité : l’insurrection perdure, mais ne gagne pas en importance. Le pouvoir en place met alors en place une série de mesures (torture, infiltration, espionnage, guérilla urbaine) qu’on qualifie de contre-insurrection, et qui représente une variante de la guerre supplémentaire la guerre d’un État contre une minorité de sa population.

Parfois, un conflit n’a pas grand-chose à voir avec la destinée des peuples. C’est le cas des guerres de succession, qui naissent lorsque plusieurs individus aspirent au pouvoir et peuvent tous compter sur une certaine légitimité (ce sont tous des héritiers de la couronne royale, par exemple), ou sur une force de persuasion hors du commun qui leur permet d’obtenir le soutien d’une partie de la population prête à prendre les armes. Une guerre de succession est donc une forme de guerre civile particulière, dont le seul enjeu est de savoir qui va diriger le pays lors du retour au calme.

Pas si différent, le cas de la guerre de religion oppose deux groupes religieux différents, ou deux fractions d’une même Église, qui se querellent pour la suprématie sur le territoire et sur les âmes des habitants d’un pays ou d’une région. Ce type de conflit peut engendrer des dérives fanatiques qui sont plus lentes à émerger dans les conflits d’une autre nature.

La physionomie de la guerre

Il n’y a pas que les enjeux ou les objectifs stratégiques qui ont une influence sur la typologie d’un conflit. L’équilibre des forces peut également jouer un rôle déterminant. L’exemple le plus frappant de ce type de situation est la guerre asymétrique, qui oppose deux (ou plusieurs) camps dont la puissance militaire n’est pas équilibrée. C’est le cas en particulier d’une superpuissance militaire moderne qui envahit, libère ou chasse les forces armées d’une nation beaucoup moins développée militairement (mais qui peut bénéficier d’avantages d’un autre type : stratégiques, géographiques, ressources, renforts, soutien étranger, pouvoirs mystérieux). On pense immédiatement à la guerre du Vietnam, où l’avantage technologique des Américains était contrebalancé par l’avantage du nombre côté Viet-Kong, ainsi que par une meilleure connaissance du terrain. L’asymétrie du conflit lui confère de l’intérêt : si l’action est racontée du point de vue du plus faible et qu’il finit par triompher, l’arc narratif s’écrit de lui-même. C’est, encore et encore, la ficelle utilisée par « Star Wars. »

En règle générale, on a tendance à considérer qu’une guerre met en scène deux camps qui s’affrontent. Bien souvent, cependant, la situation est plus compliquée que ça, et chaque belligérant peut potentiellement s’appuyer sur l’aide logistique, financière ou militaire d’un ou plusieurs alliés. Les mécanismes diplomatiques des alliances entre les pays peuvent forcer une nation à s’impliquer dans une action militaire qui ne la concerne pas, ou alors elle peut trouver un intérêt à le faire. Si le conflit s’envenime, que les alliances deviennent des blocs, et que la guerre se propage à des zones géographiques de plus en plus diverses, il est possible qu’un conflit régional se transforme en guerre mondiale. L’enchevêtrement d’intérêts qui mène à ce genre de tragédie est extraordinairement difficile à démêler : les objectifs stratégiques deviennent multiples, nébuleux, et les conditions qui permettent le retour à la paix semblent inatteignables.

Mais une guerre n’oppose pas obligatoirement deux nations. Il est tout à fait possible de mettre en scène une guerre corporative, entre deux entreprises, donc. Et nul besoin de se cantonner à un conflit de nature économique : les littératures de genre permettent de mettre en scène un véritable conflit armé dont chaque camp est un assemblage de mercenaires qui défendent les intérêts de leur employeur. C’est même un élément de décor relativement fréquent dans la littérature cyberpunk.

Cela dit, même dans le monde réel, on connaît des guerres corporatives conventionnelles, mais simplement on ne les identifie par comme telles. Une guerre des cartels de la drogue, comme n’importe quel conflit armé, implique des soldats, un territoire à prendre, des objectifs stratégiques, des opérations militaires – la seule différence est qu’une bataille dans ce type de conflit implique moins de monde que dans une guerre entre nations.

Version allégée de la guerre des cartels, la guerre des gangs est de même nature, mais elle est géographiquement limitée à une ville et le niveau d’armement est souvent plus faible, impliquant couteaux et revolvers plutôt qu’armes automatiques et explosifs. Une guerre des gangs est souvent territoriale – l’enjeu, c’est le contrôle du trafic dans un ou plusieurs quartiers, mais elle peut aussi n’être qu’une extension d’un conflit cartellaire plus vaste, dont la guerre des gangs constituerait un théâtre d’opérations spécifique (par exemple, les dealers se livrent à une guerre pour le contrôle des lieux de vente pendant que leurs patrons se déchirent de manière plus brutale autour des lieux de production et les canaux de distribution de la marchandise). Une guerre des gangs peut même être envisagée en-dehors des milieux criminels, à l’instar des « Block Wars », les guerres de quartier de la bande dessinée « Judge Dredd. »

La morale de la guerre

Qu’est-ce qu’une guerre juste ? Est-ce que ça existe et peut-on en fournir une définition ? Depuis toujours, la question fait réfléchir les philosophes, qui se demandent si un conflit armé constitue nécessairement une abomination, une rupture fondamentale de la moralité, ou s’il serait au contraire, dans certaines circonstances, possible d’imaginer une guerre qu’on puisse justifier. Les penseurs chrétiens travaillent sur ces notions depuis bien longtemps, et l’Église catholique a même échafaudé une doctrine de la guerre juste, qui considère que l’entrée en guerre se justifie si les dommages infligés par l’agresseur sont graves et durables ; que tous les autres moyens de solder le différend ont échoué ; qu’il soit possible de triompher ; et que le mal infligé ne dépasse pas la gravité du mal subi.

Autre concept, proche mais différent, celui de la « guerre propre » n’appartient pas à la sphère de la philosophie, mais à celle de la rhétorique militaire. Idéalement, une guerre propre serait livrée dans victimes, ni dégâts. Dans la plupart des cas, cela dit, appellation désigne une situation dans laquelle une armée parvient à accomplir ses objectifs militaires sans victimes civiles, et en tuant aussi peu de soldats que possible. En réalité, la guerre propre tient plus du vœu pieu ou de la manipulation de l’information que du véritable constat. Même en essayant de mener une guerre de la manière la plus civilisée possible, l’autre camp aura tôt fait d’utiliser des civils comme boucliers humains ou de cacher des dépôts de munitions dans les hôpitaux pour profiter de ce qu’il considérera comme une faiblesse.

Qu’est-ce que ces considérations ont à voir avec le travail d’un écrivain ? Et bien ce dilemme moral existentiel autour de la guerre, et cette volonté de la présenter comme aussi inoffensive que possible, ça peut trotter dans la tête des personnages de votre roman, qui se demandent s’ils se trouvent vraiment du bon côté du conflit. Comment parviennent-ils à résoudre les contradictions inhérentes à un conflit où on les autorise à tuer impunément ? Adhèrent-ils à des règles éthiques ? Se mentent-ils à eux-mêmes en ce qui concerne l’horreur de leurs actes ? En sont-ils pleinement conscients mais ressentent-ils la nécessité de le cacher à leurs proches, de les protéger de cette part d’eux-mêmes dont ils n’ont pas conscience ?

Ce débat philosophique peut aussi sous-tendre l’histoire racontée, soit en en nourrissant les thèmes, soit en constituant le cœur de la question à laquelle votre roman tente de répondre. Porter un regard moral sur l’horreur, c’est quelque chose que la littérature fait très bien.

S’il y a une morale de guerre, il est naturel que celle-ci évolue pour engendrer des règles ou des lois de la guerre, dont les contours définissent des crimes de guerre. C’est le cas, dans notre monde, des Conventions de Genève, qui codifient, sous la forme d’un traité internationale, la manière décente de traiter les civils, les blessés, le personnel soignant et les prisonniers de guerre. Il existe d’autres traités qui interdisent l’usage d’armes jugées particulièrement monstrueuses, comme les ogives chimiques ou nucléaires. Et si vous réfléchissiez à cette question dans votre roman de fantasy ? Que faire si les Humains et les Gobelins n’ont pas la même définition d’une « guerre civilisée » ? Et laquelle de leurs armes pourrait être réglementée par des traités ?

Qui dit crimes de guerre dit criminels de guerre. Les généraux ou les responsables politiquent qui commanditent le massacre d’innocents en temps de guerre, ou qui autorisent l’usage d’armes interdites, finissent bien souvent par être jugés une fois l’armistice arrivée. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un stigmate qui leur reste attaché jusqu’à la fin de leurs jours, qu’ils estiment personnellement que leurs actions étaient justifiées ou non.

La morale, c’est aussi une dimension dont il convient de tenir compte en tant qu’écrivain, en particulier si vous racontez une histoire fictive qui se situe dans un conflit historique réel. Gardez à l’esprit que des femmes et des hommes sont morts, ont souffert, se sont sacrifiés, et traitez leur mémoire avec un minimum d’égards. Vous n’êtes pas obligés de n’écrire que des récits qui condamnent la guerre, mais évitez pour le moins de la fétichiser, de la présenter comme un événement cool et séduisant. À chacun son point de vue, mais certains estiment que les pages les plus sombres des guerres, les génocides, les massacres d’innocents, devraient échapper complètement au champ de la fiction. Cela mérite au moins de se poser la question, et d’agir de manière responsable.

La guerre est partout

Écrire la guerre, l’intégrer dans un récit, c’est intégrer ses conséquences à tous les niveaux. Un conflit militaire, ça n’est pas comme la vie de tous les jours, quelques explosions en plus. Oui, à mesure qu’on s’éloigne des lignes de front, on peut avoir l’impression du retour à une certaine normalité, mais c’est trompeur : le spectre de la guerre imprègne profondément le tissu social, et touche à tous les domaines de l’activité humaine. Si vous ambitionnez de raconter ce type d’histoire, posez-vous les questions, pour chaque élément de votre décor, de quelle manière il peut être influencé et remodelé par les hostilités en cours.

Pendant la guerre, tout est compliqué. Se déplacer, par exemple, est parfois presque impossible : il n’y a plus de transports en commun fiables ; les routes sont endommagées, détournées par les aléas du conflit, interrompues par des barrages ou monopolisées par les mouvements de troupes ; les civils ne sont pas les bienvenus dans certaines zones, et la situation évolue si vite qu’il est souvent impossible de savoir au début du voyage si l’on va parvenir à bon port. Un trajet qui durerait quelques heures en temps de paix peut devenir une aventure qui se prolonge sur plusieurs jours, faire appel à des moyens de transport divers, ainsi qu’à l’hospitalité des gens que l’on rencontre.

La guerre est la source de toutes sortes de pénuries : il est difficile de se procurer certains biens de première nécessité, il existe des filières au marché noir pour obtenir les marchandises les plus rares, et s’alimenter, se vêtir, s’équiper décemment réclame de la débrouillardise, de l’entregent et des relations. Parfois, obtenir ce que l’on veut réclame des sacrifices, qui peuvent être déchirants.

Les relations humaines sont également bouleversées par la guerre. Dans certaines circonstances, elles peuvent amener les gens à faire preuve d’une solidarité extraordinaire, à veiller les uns sur les autres, à accueillir des étrangers sous leur toit, à partager le peu de choses qu’ils possèdent. Mais les mêmes individus, dans des circonstances à peine différentes, peuvent être au contraire consumés par l’avarice et la violence et se trahir de la plus infâme des manières. La confiance est difficile à accorder et elle est souvent rompue, parce que les enjeux auxquels tout le monde fait face – la survie dans des conditions éprouvantes – rebat les cartes de la décence de jour en jour.

Les hostilités peuvent également détériorer des relations durables et qu’on croyait solide, en particulier si des personnes qui étaient proches se retrouvent dans des camps opposés, ou ont simplement des opinions différentes sur l’avenir (un soldat volontaire et un pacifiste peuvent-ils vraiment se comprendre ? Et qu’en est-il d’un idéaliste et d’un profiteur de guerre ?)

Pour chaque aspect de votre histoire, demandez-vous s’il est possible de la compliquer en raison des circonstances particulières liées au conflit. Une guerre est un générateur d’obstacles, de drames et de tracas, et dans la mesure où une partie du travail de l’auteur est de rendre la vie de ses personnages aussi difficile que possible, il serait dommage de ne pas profiter des opportunités qui s’offrent à lui dans un tel contexte.

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