Critique : Ciel de cendres

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C’est la conclusion d’un âpre combat entre les enfants d’Aliel et ceux d’Orga. Dans ce final de la saga, la dévastation ravage la Nivlande et les enjeux atteignent un niveau encore inédit.

Disculpeur : Sara est une amie.

Titre : Les Enfants d’Aliel tome 5 – Ciel de cendres

Autrice : Sara Schneider

Editions : Le Chien qui pense (ebook)

Conclure une saga de fantasy, je me permets de poser la question de manière un peu provocatrice, est-ce si compliqué que ça ? Mettez-vous dans la peau de Sara Schneider. Vous avez signé quatre tomes salués pour leur très haute qualité, vous avez engendré des personnages mémorables et mettez en scène une situation dramatique qui, comme le veut la règle des cinq actes, semble avoir atteint son paroxysme dans la quatrième partie. Désormais, il ne vous reste plus qu’à vous consacrer au dénouement, et ça n’est pas si difficile, en fin de compte : offrez au lecteur ce qu’il réclame, donnez à chaque personnage le point final ou les points de suspension dont il a besoin, racontez le dénouement de votre récit avec émotion et sincérité. Si vous y êtes arrivés jusqu’ici, cette dernière étape n’est qu’une formalité. Personne ne vous en voudra si ça n’est pas très original.

Ce n’est pas du tout le choix qu’a fait Sara Schneider.

« Ciel de cendres », l’ultime volume de la série « Les Enfants d’Aliel », est, par bien des aspects, plus ambitieux, plus inventif que nécessaire. En tant que lecteur qui a apprécié et suivi avec beaucoup d’intérêt les tomes précédents, j’aurais applaudi sans réserve si l’autrice nous avait balancé une grande bataille finale, des moments de souffrance et de triomphe, des retrouvailles et de l’émotion. Je n’en réclamais pas plus : en général, arrivé au cinquième tome, l’essentiel de la construction dramaturgique et de l’élaboration du décor est achevé depuis belle lurette, il n’y a plus qu’à passer à la récolte de tout ce qu’on a patiemment ensemencé. Ici, Sara ne se contente pas de ça. Jusqu’au bout, elle se montre inventive. Jusqu’au bout, elle veut nous surprendre.

Je le dis ici, mais je vais le répéter : ce dernier volume est une grande réussite, même si ce n’est pas du tout pour les raisons que j’attendais. Il coche toutes les cases que le lecteur fidèle espère, mais il le fait en n’étant jamais là où on l’attend.

Est-ce que ça veut dire que je suis toujours convaincu par les choix qui sont faits ? Non, mais il y a toujours un aspect qui me séduit, même dans les passages où j’ai des doutes. Un petit exemple : le roman s’ouvre par une séquence centrée sur un personnage qu’on avait laissé sur le bord du chemin, et qui vit ses propres défis de son côté, face à des adversaires complètement nouveaux. Est-ce que c’est ça que j’avais envie de lire, après les coups de théâtre de la fin du quatrième tome ? Pas vraiment. En plus, cette partie du livre ne présente pas des enjeux très élevés et ressemble à une longue digression qui ne mène pas à grand chose. C’est presque un roman dans le roman, ce qui parfois a suscité chez moi une certaine impatience de retrouver le fil de l’histoire. Cela dit, cette phase offre les plus belles scènes d’action et le récit de combat le plus poignant de toute la saga, ce qui fait que le roman reste haletant, étouffant les réserves que l’on pourrait formuler, à la seule force du talent.

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C’est, en miniature, un aperçu du roman, qui ose constamment des choses inédites, quitte à prendre le lecteur à rebrousse-poils. Est-ce qu’en lisant le tome 1, on aurait imaginé qu’à un moment, on tomberait sur une scène qui ressemble à un combat de kaiju ? Absolument pas. De la même manière, et avec énormément de sagesse, Sara Schneider fait l’impasse sur la grande bataille finale – celle-ci a déjà eu lieu dans le tome précédent – et préfère consacrer l’essentiel du récit à des scènes de dévastation. C’est un film catastrophe doublé d’une sorte de cauchemar sociologique, alors que toute une société s’effondre sous nos yeux. Comme ça avait déjà été le cas dans « Le Porteur d’espoir », tout cela est vu d’en-bas, par les civils, et offre certaines des pages les plus bouleversantes de la saga.

L’audace, ça paye. C’est la morale de l’histoire. En tout cas du point de vue du lecteur. L’illustration la plus convaincante se loge dans l’épilogue, où Sara Schneider décide de piétiner les attentes et de ne pas offrir au lecteur les ronronnements tranquilles qu’il espère après la conclusion de l’histoire. A la place, elle nous propose le genre de scène que jamais je n’aurais imaginé lire dans les dernières pages d’une saga au long cours. Est-ce que c’est ce que j’avais envie de lire ? Pas du tout. Est-ce que j’ai fait la grimace ? Absolument. Mais l’audace stupéfiante de ce choix m’a soufflé, et je pense que se permettre ce genre de choses, c’est ce qui va au final assurer la place des « Enfants d’Aliel » dans les annales du genre.

Une petite réserve toutefois. Tout à la fin du quatrième tome, la sinistre Orga avait possédé un des personnages du camp des protagonistes. Il faut bien comprendre ce que ça veut dire : imaginez que Hitler, ou Satan, ait volé le corps d’un de vos meilleurs amis. On imagine l’angoisse et les dilemmes que cela pose. J’attendais beaucoup de cet élément d’intrigue, mais au final, l’idée est assez peu exploitée, peut-être parce qu’on ne connaît pas si bien le personnage en question, qui était jusque là un peu resté en retrait. Pendant toute la lecture de ce roman, je me suis imaginé ce que ça aurait donné si c’était Lilas qui avait été dans cette situation, et je crois que ça aurait rendu le livre encore meilleur.

Enfin voilà, je cherche la petite bête, c’est toute l’idée de ce genre de critiques. Mais au final, « Les Enfants d’Aliel » est un triomphe, et ce cinquième tome en est un exemple supplémentaire. Si ce n’est pas encore fait, ruez-vous sur cette lecture.

A toutes fins utiles, vous retrouvez ici mes critiques des tomes précédents :

Le Grand éveil

Le Cheval de feu

Mâchoires d’écume

Le Porteur d’espoir

Critique : Mâchoires d’écume

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Poursuivant leur quête destinée à retrouver et réunir les Synalions afin de combattre les forces d’Orga, deux d’entre eux, Lilas et Carson, partent en mission spéciale, bravant les terribles Eaux du Froid Mordant, afin de recruter le dernier élément manquant. Pendant ce temps, le jeune Jaz se réfugie au sein d’une troupe de saltimbanques.

Disculpeur : Sara est une amie

Titre : Les Enfants d’Aliel, tome 3 : Mâchoires d’écume

Autrice : Sara Schneider

Edition : Le Chien qui pense (ebook)

Une des joies des « Enfants d’Aliel », c’est que chaque volume est un peu meilleur que le précédent. Comme le premier était déjà très bon, cela ménage de très agréables moments de lecture. « Mâchoires d’écume », à ce titre, est un peu le tome de la maturité, celui où l’autrice domestique totalement son sujet et déploie son plein potentiel littéraire, qui est considérable.

« Mâchoires d’écume » poursuit l’intrigue entamée dans les tomes précédents, et constitue à ce titre le troisième chapitre de la saga complète des « Enfants d’Aliel ». C’est important de s’en rendre compte, afin d’aborder l’oeuvre correctement : le volume n’est pas lui-même construit comme un roman indépendant, avec un début, un milieu et une fin, mais s’insère comme le troisième acte d’une histoire complète.

Si c’est le meilleur épisode jusqu’ici, c’est aussi parce que c’est le plus inventif, le plus surprenant, le plus haut en couleurs. On découvre de nouveaux personnages savoureux, une nouvelle culture particulièrement originale, quelques créatures mémorables, ainsi qu’une description très vivante du fonctionnement d’une troupe itinérante de théâtre, qui mériterait sa saga à elle seule. Quant aux protagonistes, ils continuent à être attachants, distinctifs et convaincants en tant que personnes.

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J’ai déjà eu l’occasion ici de vanter la plume de Sara Schneider et son talent de conteuse. Je ne vais pas le refaire ici : sachez simplement qu’on retrouve ces qualités intactes, peut-être même renforcée par l’expérience, avec un sens aigü du dosage, qui consiste à décider avec beaucoup de justesse quand il convient de s’arrêter et de décrire les choses à fond, et quand il faut faire vite.

Ce qui est fondamentalement une qualité a parfois engendré chez moi quelques frustrations. Lorsque Jaz découvre de l’intérieur le fonctionnement de la troupe qu’il a intégré, ou qu’en compagnie des autres, on apprend comment fonctionne un navire, ou qu’on découvre une civilisation étrange, l’autrice prend le temps de nous faire comprendre, vivre, ressentir les choses. Le résultat, c’est un ralentissement du rythme, qui donne parfois l’impression que les personnages s’arrêtent, fascinés, pour contempler ce qui les entoure. Pendant ce temps, moi, lecteur, je me rappelle qu’ils sont en mission, que le sort de l’humanité est en jeu et que le temps presse. Par pitié, qu’ils arrêtent de faire du tourisme !

Mais en réalité, tout cela parait délibéré. Premièrement, le récit sait créer des points de rupture et des situations d’urgence qui rompent ce rythme contemplatif exactement quand il faut. Deuxièmement, le fait de prendre le temps d’absorber les détails qui constituent le monde sert les personnages, qui apparaissent dès lors comme plus humains, plus concernés que ceux qu’ils combattent. Cela m’apparaît comme une adéquation astucieuse et subtile entre la forme et le fond, et au final, cela constitue un des nombreux points forts du livre.

Si j’ai une critique, elle concerne les enjeux. Ici, on suit les aventures de deux personnages qui recrutent un nouveau membre dans le groupe, et d’un troisième qui tente d’échapper au danger. Mais pendant ce temps, hors-champ, les autres personnages principaux participent à une campagne militaire pour lutter contre les forces d’Orga, et on ne les retrouve que dans les dernières pages du volume. Fondamentalement, c’est plutôt une bonne idée de se concentrer sur un nombre limité de personnages, et pour l’essentiel, ça contribue au succès du roman. En revanche, en ce qui me concerne, j’ai perdu le fil des enjeux fondamentaux : où en sont les forces d’Orga ? Quelles sont leurs intentions ? Qu’est-ce qui est en jeu si elles gagnent ? Qu’est-ce que les Synalions projettent de faire de leur côté pour empêcher ça ? Selon moi, ça aurait valu la peine d’expliquer, d’illustrer ou de réaffirmer ces éléments. Bien qu’on assiste ici à quelques scènes sur des attaques commanditées par l’ennemi, j’attendais un point de bascule dramatique, et j’ai parfois eu l’impression, au troisième tome de la saga, de me situer toujours dans un (excellent) prologue.

Cette réserve ne gâche pas du tout le plaisir ressenti pendant la lecture de cet excellent roman, et j’ai hâte de découvrir la suite (alors que le cinquième et ultime tome vient de paraître).

Le plein d’idées de lecture en août

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Polar, fantasy, romance, science-fiction et compagnie : retrouvez le meilleur de la littérature de genre dans une seule publication.

Des chroniques, des articles, des interviews, un calendrier des nouvelles parutions, ainsi qu’une nouvelle inédite : le Gahelig vient de publier son nouveau webzine. C’est la sixième parution du genre pour le Groupe des autrices et auteurs helvétiques de littérature de genre, dont je fais partie. À découvrir ou à redécouvrir ici :

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Et si vous voulez en savoir plus au sujet de la littérature de genre Made in Heidi, je vous conseille très chaleureusement le site officiel du Gahelig.

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Critique : Le cheval de feu

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Après les épreuves traversées dans « Le grand éveil », Lilas et ses nouveaux alliés, les Synalions, forgent des liens et poursuivent leur lutte contre Orga, dont l’emprise maléfique ne cesse de s’étendre et d’attiser les mauvais instincts chez celles et ceux qui croisent la route de nos héros.

Titre : Les enfants d’Aliel tome 2 – Le cheval de feu

Autrice : Sara Schneider

Editions : Le chien qui pense (ebook)

C’est avec appétit que j’ai poursuivi ma découverte de ce qui m’apparaît comme un classique moderne de la fantasy, avec son histoire et son monde à la fois uniques et immédiatement familiers. Je n’ai pas été déçu : ce deuxième volume tient toutes ses promesses et est en tous points l’égal du premier.

En ce qui me concerne, c’est le langage qui m’offre le plaisir le plus immédiat lorsque je découvre un roman de Sara Schneider. Son style est un bijou, avec un art consommé du mot juste, une gourmandise des mots, mais également une retenue qui lui interdit d’en faire trop et de verser dans le tape-à-l’œil. A chaque page, on s’émerveille de la facilité apparente avec laquelle elle conjure des images dans notre tête, trouve de nouvelles manières de décrire des choses familières, et s’arrange toujours pour que les descriptions et l’exposition ne soient pas des corvées mais des cadeaux. C’est une leçon, et tout auteur intéressé par cet aspect de l’écriture serait bien avisé de s’y plonger.

L’autrice a toujours autant de facilité à dessiner des personnages mémorables et attachants. Chacun des protagonistes du roman bénéficie d’une voix propre, immédiatement identifiable, de valeurs, et de méthodes spécifiques, de failles et de taches aveugles. Ce qui est encore plus admirable, c’est que malgré le fait que chacun d’entre eux joue un rôle très spécifique dans l’histoire, Sara Schneider les fait évoluer et modifie leurs priorités et leurs relations au gré des épreuves qu’ils traversent. C’est encore plus réussi que dans le premier volume.

Parmi les gloires qui sont spécifiques à ce roman, il faut absolument citer l’introduction des guerriers durnach, dont on découvre la culture focalisée autour du cheval. Si vous avez l’impression d’avoir déjà lu tout ce que la fantasy avait offrir au sujet des civilisations équestres, ce livre vous fera changer d’avis : sans trop en dévoiler, les durnach ont une culture profondément originale, cohérente et fascinante, qui plus est parfaitement intégrée au narratif. On découvre leurs valeurs et leurs usages, sans gaspiller une seule page qui ne serve pas également le récit ou les personnages. C’est élégant et fascinant. Moi qui d’ordinaire suis assez peu sensible à tout ce qui tourne autour du cheval, ce roman est venu me chercher et m’a convaincu de m’y intéresser. Tout cela est, osons le dire, triomphal.

Un autre aspect du livre qui m’a donné envie d’applaudir concerne une intrigue secondaire qui occupe une place importante, et qui tourne autour du personnage de Jaz, le jeune frère de Lilas qu’on avait cru, un peu hâtivement, placé dans une voie de garage de l’intrigue. Il se retrouve embarqué dans une enquête policière diabolique, qui ne cesse de se corser et de réserver des surprises au lecteur. Ces passages m’ont pris par surprise et constituent au final ma partie préférée du « cheval de feu ».

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Comme toujours, je consacre la dernière partie de cette critique à exprimer quelques réserves. Elles sont mineures.

Le début du roman m’a laissé perplexe. On retrouve nos héros qui profitent d’une halte pour prendre un peu de repos et se recentrer. Ces pages sont agréables à lire, elles permettent de découvrir la culture durnach et d’approfondir les relations entre les personnages, ce qui est appréciable. Par contre, j’ai perçu un léger flottement, face à des protagonistes dont je ne comprenais plus tellement les priorités et les objectifs. C’est un segment de l’histoire sans enjeux forts, ce qui est déconcertant pour entamer un roman. On comprend mieux l’origine du phénomène quand on comprend que « Le cheval de feu » est en réalité, sauf erreur, la seconde moitié du premier tome original, qui a été coupé en deux. Ces chapitres auraient sans doute trouvé leur place plus naturellement au milieu d’un livre que dans les premières pages.

De manière générale, le roman, malgré toutes ses qualités, présente par moments une impression de dispersion : Lilas, qui était clairement le personnage principal du premier tome, est ici plus effacée et ne sert pas d’ancre au récit ; les protagonistes traversent des épreuves importantes mais n’accomplissent pas grand-chose de significatif dans leur quête. Au final, on aurait un peu de peine à décrire de quoi parle ce livre, en-dehors du fait qu’il propose la suite des aventures des enfants d’Aliel. C’est selon moi à la fois un péché et une bénédiction : cela affaiblit un peu la singularité de ce livre, mais renforce le côté feuilleton de ce qui est, au final, une saga à épisodes dont on se réjouit de découvrir la suite.

Bref, je ne vais sans doute pas trop tarder à lire le troisième tome, vous l’avez compris.