L’interview: Lionel Truan

Auteur, et dessinateur dans une entreprise horlogère, Lionel Truan vit dans le canton de Genève, en Suisse. Il a signé un premier roman dont l’action se situe dans un monde après l’apocalypse, « Le Monde de Demain. » Il est membre, comme moi, du GAHeLiG, le groupe des Auteurs helvétiques de littérature de genre.

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L’amorce de ce roman, c’est un scénario pour un jeu grandeur nature. Comment est-ce que tu es passé d’une expérience ludique à une expérience littéraire ?

Premièrement, disons que, pour réussir à imaginer et à créer un scénario de jeu grandeur nature, il a fallu passer par la phase « d’écriture », la plus importante à mes yeux. Les points clés, les énigmes, le décor, les joueurs, le rôle de chacun, la mise en scène et les objets m’ont demandé de faire travailler mes méninges à 200%. Si je n’avais pas écrit la trame, il aurait été impossible de réussir ce projet. Pour moi, si les règles sont définies sur papier et qu’elles sont carrées, alors le reste suit. Deuxièmement, l’événement qui m’a propulsé vers une expérience littéraire et qui m’a énormément bouleversé, est le décès de ma tante. La mère de celui pour qui j’ai créé le jeu grandeur nature. Elle était déjà très malade à cette époque et elle me demandait souvent de lui montrer l’état d’avancement du jeu pour son fils. Lorsqu’elle nous a quittée, le jeu n’était pas terminé et j’ai regretté qu’elle ne puisse le voir achevé. J’ai alors eu un déclic et l’écriture d’un roman m’a traversé l’esprit. J’ai sauté sur mon clavier, des idées plein la tête et je me suis lancé.

Le jeu, c’est quelque chose d’important pour toi ? Le jeu vidéo Fallout est cité dès les premières pages…

J’aime jouer, autant sur la console qu’à des jeux de plateau en famille ou entre amis. Je suis fan des jeux grandeur nature et des escapes games. Concernant le jeu Fallout, je dois l’admettre, il est mon favori. Je peux m’y plonger sans jamais être rassasié par ce que le décor et le monde me proposent. Ce qui me fait l’apprécier autant, c’est ce mélange année 50 et technologie futuriste. C’est une sorte de paradoxe qui se marie à la perfection, selon moi.

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Est-ce que tu avais déjà été tenté par l’écriture romanesque auparavant ? Est-ce qu’il y a des projets inachevés qui dorment dans tes tiroirs ?

Je n’avais jamais été tenté par l’écriture romanesque cependant, durant dix ans j’ai écrit mais d’une manière différente. Durant cette période j’ai fait du rap, je buvais rap, mangeais rap, je vivais rap mais surtout j’écrivais tout mes couplets. J’essayais de faire passer des messages à travers mes morceaux sans jamais être trop vulgaire. Avec mon groupe, on souhaitait avant tout montrer au gens qu’ils se faisaient une mauvaise opinion de ce style musical et nous avons réussi notre défi. Notre musique se laissait écouter, même les plus âgés appréciaient.

C’est un roman qui met en scène notre civilisation après l’apocalypse. Est-ce que la fin du monde, c’est un thème qui te hante ?

L’apocalypse me fascine en réalité. Loin de moi l’idée de vouloir arriver à cette fin catastrophique pour l’humanité mais je dois l’avouer, je serais curieux de voir comment l’homme arriverait à se relever si cela devait se produire. Vu les agissements de l’homme en notre temps, je ne serais pas étonné que nous en arrivions là. Qu’est ce qui me fascine ? Simplement de voir que dans chaque scène post-apocalyptique la nature reprend ses droits et je trouve cela beau.

En général, la littérature postapocalyptique est sombre. Ton protagoniste, Elliott Runan, est pourtant quelqu’un de plutôt optimiste. Pourquoi ce choix ?

J’ai voulu montrer aux lecteurs, que même lorsque tout semble perdu, il y a un espoir, si on y croit. J’ai un vécu chargé malgré les apparences et mon âge. Je suis né, atteint d’une maladie cardiaque, la tétralogie de Fallot. Je suis une personne qui, normalement n’aurait pas dû survivre et pourtant je suis là. Je pense que malgré les circonstances, réalité ou monde postnucléaire, il ne faut jamais abandonner et se battre pour pouvoir espérer vivre et être heureux. C’est le choix que j’ai fait pour ce personnage.

Est-ce que qu’Eliott, c’est un peu toi ?

Je dirais qu’il est celui que je souhaiterais devenir si le monde partait en vrille.

Qu’est-ce qui différencie selon toi ton roman d’autres univers postapocalyptiques ?

A travers ce roman, j’ai voulu faire passer des messages sur ce qu’il se passe à notre époque. J’ai souhaité avertir et faire prendre conscience aux lecteurs de la chance qu’ils ont de pouvoir apprécier la vie telle qu’elle se présente. Je suis une personne très spirituelle et j’espère avoir pu apporter quelques aides ou réponses aux lecteurs, à travers les passages plutôt philosophiques du personnage principal.

Tu as dessiné quelques illustrations qui accompagnent le roman. Qu’est-ce que ça apporte, selon toi, de marier textes et dessins ?

J’aime dessiner, c’est indéniable. Puisque j’ai pris goût à l’écriture, je me suis dit « pourquoi ne pas intégrer quelques dessins » ? Pour apporter ma touche personnelle. Ce que je sais, d’après les retours que j’ai eus, c’est que les gens ont apprécié ce petit plus.

Le livre est écrit au passé composé, une volonté de le rapprocher du style d’un journal de bord ?

Totalement. Le livre se veut être le journal de bord d’Elliot. Mon objectif était de rapprocher le lecteur au plus prés du personnage principal pour qu’il se sente imprégné par cette histoire.

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Tu as une solide expérience de rappeur. Est-ce que le fait d’avoir déjà écrit t’a aidé à te lancer dans un roman ?

En effet, je pense que le fait d’avoir écrit pendant dix ans des textes m’a beaucoup aidé. Bien sûr, la structure d’un morceau de rap est complètement différente et bien plus proche de la poésie, s’il est bien rédigé.

Quelles sont selon toi les points communs et les différences entre l’écriture rap et l’écriture de fiction ?

L’écriture d’un roman est à faire avec une autre approche, cela demande d’avoir une construction plus précise, une structure prédéfinie, des passages clés et des personnages au caractère bien spécifique. Les textes de rap se construisaient de façon plus spontanée. Il suffisait d’avoir une instrumentale, un thème et de l’inspiration pour sortir des rimes et des punchlines bluffantes.

Le point commun, je dirais une imagination débordante et une envie de faire les choses proprement.

Est-ce que des éléments de la culture hip-hop se sont glissés dans ton roman ?

A vrai dire pas tellement, voir même pas du tout. J’ai vraiment voulu me défaire de ce coté musique pour me consacrer au côté roman. Je ne veux pas que l’on assimile Bido (mon blaze de rappeur) à Lionel Truan l’auteur. Ce choix était réfléchi.

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Tu fais partie du GAHeLiG, le Groupe des Auteurs Helvétiques de Littérature de Genre. Y-a-t-il selon toi quelque chose de typiquement suisse dans ton approche de l’écriture ?

Typiquement Suisse, dans l’approche je dirais, non, mais dans le roman je dirais oui. L’histoire se passe uniquement en Suisse, peut-être que certaines expressions du pays se sont glissées dans le livre. Je parle de lieux réels dans le roman, les Helvètes qui le liront ne pourront qu’être transportés à travers une Suisse dévastée.

Un conseil, une suggestion à ceux qui te lisent et qui ont envie d’écrire ?

Si tu as des rêves, comme d’écrire un livre, alors donne en toi les moyens et fais-le. Ne te pose pas trente mille questions. Tu as des idées, une imagination à toute épreuve, alors écris. N’écoute pas les haineux et les gens qui pensent que c’est une mauvaise idée. N’écoute que ton cœur et Fonce ! Tu n’as rien à perdre, tout à apprendre.

« Le Monde de Demain » est conçu comme une série, ce qui appelle une ou plusieurs suites. À quoi vont-elles ressembler ?

Le Tome 2 est en pleine écriture, j’ai prévu 3 livres pour cette série. Ils seront tous sous forme de carnet de bord et le ou les personnages devront affronter leur réalité. La réalité que le leur monde est bien dévasté, peuplé de créatures et d’humains qui ont perdu la raison. Garderont-ils espoir ? L’humanité pourra-t-elle reconstruire, pour un avenir meilleur ? Je ne peux vous le dire, sinon ce serait du spoil.

Au-delà de ça, est-ce que tu as d’autres projets d’écriture ? Dans d’autres genres ?

J’ai participé à quelques concours littéraires en Suisse, afin de tester mes capacités à écrire des nouvelles. C’est un bon exercice je trouve. Plus sérieusement, oui, j’ai des idées de roman de genre différent. J’ai déjà prévu un roman futuriste en one shot qui parlera de meurtre et voyage dans le temps. Sinon, j’ai quelques pistes pour d’autres histoires mais pour l’heure, chaque chose en son temps. Le monde de demain reste ma priorité.

 

L’auteur

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Si vous lisez ce blog consacré à l’écriture, c’est probablement qu’un de vos romans a déjà été publié, ou en tout cas que vous en avez rédigé un, ou en tout cas que vous écrivez, d’une manière ou d’une autre, des nouvelles, des poèmes, des billets de blog ou des petits bouts de trucs (merci, au fait).

Si vous êtes dans ce cas, vous vous êtes vraisemblablement posé cette question qui peut être angoissante : suis-je un auteur ? Suis-je une auteure ? Une autrice ? Une écrivaine ? Un écrivain ? Bref, existe-t-il une définition satisfaisante de ce que c’est qu’un auteur et si oui, est-ce que j’en fais partie ? À l’heure où de nombreux auteurs se battent pour que l’on reconnaisse leur profession, cette interrogation n’en est que plus sensible…

Poser la question, c’est réaliser qu’il existe dans nos têtes une dichotomie dont nous sommes conscients mais que nous ne parvenons pas toujours à rendre explicite : l’idée qu’il y a des gens qui écrivent qui peuvent être considérés comme des auteurs, et des gens qui écrivent mais qui ne le peuvent pas. Ainsi, la plupart des gens s’accorderont à dire qu’être un professionnel de l’écriture, publié et salarié, ne suffit pas à faire de quelqu’un un auteur : après tout, les gens qui rédigent les descriptifs dans les catalogues de vêtements et ceux qui imaginent les textes des publicités radiophoniques vivent de leur écriture, mais ne sont pas, en général, considérés comme des auteurs.

Pas besoin de vivre de sa plume pour être un auteur

C’est donc que le critère ne se situe pas à ce niveau : pas besoin de vivre de sa plume pour être un auteur, ce qui est heureux dans la mesure où celles et ceux qui le peuvent sont cruellement, voire scandaleusement, rares. Non, un critère important concerne la nature de l’œuvre produite : un auteur, c’est quelqu’un qui œuvre dans le champ de la littérature, pas de la publicité, pas du journalisme, pas de la communication ou autre branche où l’on écrit.

Au fond, on pourrait en rester là. Tout cela devrait être plus simple que ça ne l’est, sauf qu’il existe dans la culture française tout un fétichisme autour de la condition d’auteur, une exaltation qui génère toute une émotion qui nuit à l’établissement de définitions simples et pratiques à utiliser. Pour beaucoup, écrire des textes de nature littéraire ne suffit pas à conférer automatiquement le statut d’auteur à quelqu’un. Dans la conscience collective française ou francophone, la littérature, c’est quelque chose de noble et de très sérieux, réservé à une élite, et toute personne qui écrit ne peut pas automatiquement se prévaloir du titre d’« auteur » : il s’agit d’un privilège réservé aux vrais gardiens de la culture.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’écrivain, pour certains, ça n’est pas un être ordinaire. Il est en communication avec les sphères, il est forgeur de verbe, héritier de Proust et d’Hugo, la muse Calliope lui murmure des mots doux dans le creux de l’oreille, il est cette figure héroïque qui se dresse face à l’ignorance, avec pour seule arme le verbe. L’Écrivain, c’est un de ces mots si beaux et si purs qu’il doit toujours s’écrire avec une lettre capitale pour en souligner le statut.

Il y aurait l’écriture qui est digne d’être considérée comme de la Littérature, et l’écriture qui n’en est pas digne

Car, et c’est ça qu’il faut bien se mettre en tête, il y a d’un côté les Écrivains, les Auteurs véritables, qui s’adonnent à la Littérature, à l’Art, que dis-je, à la Culture, et puis de l’autre côté il y a des gens qui écrivent aussi, mais tout cela est bien trop vulgaire pour qu’on s’abaisse à s’en préoccuper.

En fait, dans ces définitions classiques que certes, je viens de caricaturer avec excès, mais qui n’en existent pas moins réellement, des mots comme « Auteur », « Écrivain » ou « Littérature » se méritent. Ils ne sont pas ouverts à tous. Il s’agit en quelque sorte de labels de qualité. Il y aurait l’écriture qui est digne d’être considérée comme de la Littérature, et puis il y a l’écriture qui n’en est pas digne. Un peu, vous savez, comme quand votre oncle réac et pas très branché hip-hop vomit sur le rap, prétextant que « ce n’est pas de la musique. »

La faiblesse de cette approche, c’est, pour commencer, qu’elle est absurde. Statuer que seule l’écriture de qualité est digne d’être qualifiée de « Littérature », ça équivaut à affirmer qu’il n’existe pas de mauvaise littérature. Or, comme nous le savons tous, celle-ci existe hélas bel et bien (et oui, tonton, il y a aussi de la mauvaise musique). Ces mots descriptifs ne peuvent pas être détournés pour en faire des marques de prestige. Non, la littérature n’est pas un club fermé, auquel seul un quarteron d’auteurs triés sur le volet auraient accès. Pour que les mots aient un sens, il faut reconnaître le statut d’auteur à quelqu’un qui n’aurait pas de talent, sans quoi il n’existe tout simplement pas de terme pour le qualifier, ce qui est, convenons-en, un peu idiot.

Ces mots sont pollués par l’usage que l’on en fait

L’autre point faible du snobisme autour des mots qui entourent la littérature, c’est qu’ils supposent qu’il existe un moyen de faire le tri entre ce qui est digne d’être considéré comme de la Littérature à proprement parler et le reste. Or, il n’existe pas de critères objectifs : les critiques ne tombent jamais d’accord sur la qualité d’une œuvre, et même la postérité peut changer d’avis, célébrant des romans avant de les oublier puis de les redécouvrir.

En l’absence de critères scientifiques, c’est donc que le pouvoir de définir ce qui appartient au champ de la Littérature et qui est digne de se qualifier d’Auteur appartient à un club fermé et informel, une élite intellectuelle autoproclamée qui s’arroge le droit de décider qui peut faire partie du club ou non. N’y allons pas par quatre chemins : je viens de décrire la bourgeoisie. Les définitions classiques et exclusives de l’Auteur, de l’Écrivain, de la Littérature et de la Culture ne sont rien d’autre que les définitions de l’auteur bourgeois, de l’écrivain bourgeois, de la littérature bourgeoise, de la culture bourgeoise. Quand on dit « Ce n’est pas de la Littérature », on veut dire en réalité « Ce n’est pas de la littérature bourgeoise. » Fort heureusement, il existe tout un monde créatif fascinant en-dehors de ça.

Cela dit, on le voit bien, ces mots sont pollués par l’usage que l’on en fait. C’est pourquoi, à titre personnel, je préfère utiliser, dans le sillage de Pierre Desproges, le terme d’« écriveur », qui s’applique à toutes les personnes qui écrivent, quelle que soit la nature de leur production ou celle de leur activité. Toute personne qui écrit est une écriveuse ou un écriveur, qu’elle œuvre dans la littérature ou en-dehors, qu’elle soit publiée ou pas, qu’elle en tire un profit ou pas.

Si vous avez zéro lecteurs, vous n’êtes pas auteur

Moi, cette définition me convient très bien. Mais si vous tenez, par orgueil ou conviction, au statut d’auteur, et que vous souhaitez épousseter ce terme pour le débarrasser de son côté « lutte des classes », je suggère une définition minimale. On l’a vu, un auteur, c’est quelqu’un qui écrit de la fiction sans nécessairement en vivre. Autrefois, on aurait pu ajouter comme condition la nécessité d’être publié, mais l’autoédition a fait voler en éclats les vieilles définitions et aujourd’hui la frontière entre écrivains publiés ou non est poreuse.

Mieux vaut selon moi rajouter deux critères élémentaires. D’abord, la capacité de mener les projets à son terme : pour être écrivain, il aura fallu terminer au moins un roman, un essai, un mémoire, ou au moins une nouvelle, ou tout autre texte d’essence littéraire, pourvu qu’on le considère achevé et propre à être transmis à des lecteurs. D’ailleurs, j’écris « lecteurs » au pluriel, mais ça ne me paraît pas indispensable, et d’ailleurs ça serait pour moi le dernier critère : un auteur, pour mériter le label, doit avoir au moins un lecteur en-dehors de lui-même. Davantage, ça serait mieux, on est bien d’accord, mais si vous avez zéro lecteurs, vous n’êtes pas auteur : l’écriture littéraire n’existe pas en-dehors du couple auteur-lecteur, comme on aura l’occasion de le répéter ici.

Pour conclure, ma définition d’un auteur est la suivante : une personne qui a achevé la rédaction d’un texte de nature littéraire et qui l’a fait lire intégralement à au moins une personne en-dehors de lui-même.

Alors, vous en êtes ?

⏩ La semaine prochaine: Les trois types d’auteurs

Écrire en musique

blog musiqueEn guise de complément au billet précédent, j’aimerais m’attarder un peu sur le rôle de la musique dans l’acte d’écriture. Elle peut avoir une influence paradoxale, en cela qu’elle peut perturber, voir bloquer complètement la plume, ou au contraire la libérer.

Certaines personnes sont incapables d’écrire en écoutant de la musique. C’est mon cas : il m’est impossible de me concentrer sur un texte avec deux mélodies, deux rythmes différents qui sont en concurrence, un dans mes oreilles, l’autre dans ma tête. Parce que oui, l’écriture a une qualité musicale, et, pour savoir si un texte sonne bien ou pas, il faut être capable d’en percevoir la rythmique propre, à l’oreille s’il le faut, et même, pourquoi pas, à haute voix. Il est difficile de sentir la cadence spécifique d’un texte si, en parallèle, un tout autre rythme accapare votre attention.

Toute écriture est musicale

Parce que les mots ne charrient pas que de l’information : ils composent également leur propre musique. Toute écriture est musicale. Les mots, les phrases qu’ils composent, les paragraphes que l’on assemble avec eux, ont une rythmique spécifique, un tempo, un timbre, un volume, une intensité. Certaines phrases nous poussent en avant et réclament d’être lues très vites ; d’autres sont longues, tortueuses et nous obligent à ralentir ; une cavalcade de consonnes crépite comme l’explosion d’une section de percussions ; placez trop de « a » dans une phrase et voilà qu’elle s’alanguit comme un chat pacha qui joue une polka paresseuse au tuba ; une phrase, interrompue, sans prévenir, par une série de virgules, peut nous obliger à, qu’on le veuille ou non, marquer le tempo, même si ce n’est, bien souvent, que dans notre tête. Assonances, allitération, ponctuation, longueurs des mots, accents toniques : la langue a d’innombrables outils qui font des auteurs, également, des compositeurs.

Si vous avez pris l’habitude de mettre de la musique en écrivant, tentez l’expérience, juste une fois, d’y renoncer. A la place, soyez à l’écoute de la musique de vos mots et cherchez à comprendre si cela fait une différence pour vous. J’ai le soupçon que celles et ceux qui écrivent avec de la musique ne savent réellement écouter ni l’une, ni l’autre. Oui, je suis un vieux grincheux.

La musique comme confort ou comme inspiration

Cela dit, la musique, c’est un condensé d’émotions et nous entretenons tous avec elle des relations très différentes. Certaines personnes l’apprécient mais n’y prêtent pas tant d’attention que ça : elles peuvent très bien l’entendre sans vraiment l’écouter et leur concentration n’en souffre pas du tout. Pour eux, la musique n’est pas un élément perturbateur, mais au contraire, un stimulant.

Dans cette perspective, reste à choisir le type de musique qui nous convient. Deux possibilités principales s’affrontent : la musique comme confort ou la musique comme inspiration.

Dans le premier cas, l’auteur écoute de la musique parce que cela le motive, et parce que ça le plonge dans l’état émotionnel qui correspond au type de texte qu’il est en train d’écrire. La musique est là pour l’accompagner, comme le bâton du marcheur : ils vont tous deux au même endroit et à la même vitesse. Ainsi, je connais pas mal d’auteurs de fantasy qui écrivent en écoutant de la musique de films de fantasy, ce qui parait plus logique que de se plonger les oreilles dans un bain de Taylor Swift.

Cela dit, cette démarche peut être stérile : en procédant de la sorte, on ne quitte pas une tonalité d’écriture très spécifique, et au final, l’acte créatif peut asphyxier par manque d’apports extérieurs. S’inspirer pour écrire de la fantasy de musique elle-même inspirée par des œuvres de fantasy, c’est le serpent qui se mord la queue. On risque de basculer dans le cliché.

Tout ce qui comporte des paroles risque de vous déconcentrer

Il peut être plus intéressant de, délibérément, choisir des accompagnements musicaux pour emmener notre cerveau dans des chemins de traverse. A quoi ressemble-t-elle, votre épopée fantastique, si vous avez l’audace de l’écrire au son du be-bop ou du hip-hop ? On peut parier qu’elle aura davantage de personnalité que si vous vous repassez Carmina Burana pour la millième fois.

A noter que le rôle de la musique comme moteur d’inspiration peut très bien intervenir également pour les auteurs qui ne parviennent pas à écrire avec un accompagnement musical. Par exemple, pour écrire un roman, il est possible de s’immerger dans une ambiance musicale lorsque l’on réfléchit à l’intrigue ou quand on construit le plan. Alors que je prévoyais des scènes de mon roman située dans une ville librement inspirée de la Nouvelle-Orléans, j’ai écouté beaucoup de zydeco et de funk créole, et allez savoir, peut-être que cela a coloré le résultat final…

Dernier conseil : si vous ressentez le besoin de faire appel à une musique de fond, sélectionnez-la avec précaution. Tout ce qui comporte des paroles risque de vous déconcentrer (surtout si, comme moi, vous avez tendance à chanter en chœur, à tue-tête), la musique classique comme la musique de films comportent des variations d’intensité qui peuvent vous sortir la tête de l’écriture au pire moment. Une bonne solution peut être de se rabattre sur la musique de jeu vidéo, qui est composée spécifiquement pour servir d’accompagnement.

Atelier : si vous avez l’habitude d’écouter de la musique en écrivant, tentez l’expérience d’y renoncer. Puis, essayez d’opter pour un choix musical radicalement différent de ceux dont vous avez l’habitude. Est-ce que le résultat que vous obtenez est différent ?