L’auteur

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Si vous lisez ce blog consacré à l’écriture, c’est probablement qu’un de vos romans a déjà été publié, ou en tout cas que vous en avez rédigé un, ou en tout cas que vous écrivez, d’une manière ou d’une autre, des nouvelles, des poèmes, des billets de blog ou des petits bouts de trucs (merci, au fait).

Si vous êtes dans ce cas, vous vous êtes vraisemblablement posé cette question qui peut être angoissante : suis-je un auteur ? Suis-je une auteure ? Une autrice ? Une écrivaine ? Un écrivain ? Bref, existe-t-il une définition satisfaisante de ce que c’est qu’un auteur et si oui, est-ce que j’en fais partie ? À l’heure où de nombreux auteurs se battent pour que l’on reconnaisse leur profession, cette interrogation n’en est que plus sensible…

Poser la question, c’est réaliser qu’il existe dans nos têtes une dichotomie dont nous sommes conscients mais que nous ne parvenons pas toujours à rendre explicite : l’idée qu’il y a des gens qui écrivent qui peuvent être considérés comme des auteurs, et des gens qui écrivent mais qui ne le peuvent pas. Ainsi, la plupart des gens s’accorderont à dire qu’être un professionnel de l’écriture, publié et salarié, ne suffit pas à faire de quelqu’un un auteur : après tout, les gens qui rédigent les descriptifs dans les catalogues de vêtements et ceux qui imaginent les textes des publicités radiophoniques vivent de leur écriture, mais ne sont pas, en général, considérés comme des auteurs.

Pas besoin de vivre de sa plume pour être un auteur

C’est donc que le critère ne se situe pas à ce niveau : pas besoin de vivre de sa plume pour être un auteur, ce qui est heureux dans la mesure où celles et ceux qui le peuvent sont cruellement, voire scandaleusement, rares. Non, un critère important concerne la nature de l’œuvre produite : un auteur, c’est quelqu’un qui œuvre dans le champ de la littérature, pas de la publicité, pas du journalisme, pas de la communication ou autre branche où l’on écrit.

Au fond, on pourrait en rester là. Tout cela devrait être plus simple que ça ne l’est, sauf qu’il existe dans la culture française tout un fétichisme autour de la condition d’auteur, une exaltation qui génère toute une émotion qui nuit à l’établissement de définitions simples et pratiques à utiliser. Pour beaucoup, écrire des textes de nature littéraire ne suffit pas à conférer automatiquement le statut d’auteur à quelqu’un. Dans la conscience collective française ou francophone, la littérature, c’est quelque chose de noble et de très sérieux, réservé à une élite, et toute personne qui écrit ne peut pas automatiquement se prévaloir du titre d’« auteur » : il s’agit d’un privilège réservé aux vrais gardiens de la culture.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’écrivain, pour certains, ça n’est pas un être ordinaire. Il est en communication avec les sphères, il est forgeur de verbe, héritier de Proust et d’Hugo, la muse Calliope lui murmure des mots doux dans le creux de l’oreille, il est cette figure héroïque qui se dresse face à l’ignorance, avec pour seule arme le verbe. L’Écrivain, c’est un de ces mots si beaux et si purs qu’il doit toujours s’écrire avec une lettre capitale pour en souligner le statut.

Il y aurait l’écriture qui est digne d’être considérée comme de la Littérature, et l’écriture qui n’en est pas digne

Car, et c’est ça qu’il faut bien se mettre en tête, il y a d’un côté les Écrivains, les Auteurs véritables, qui s’adonnent à la Littérature, à l’Art, que dis-je, à la Culture, et puis de l’autre côté il y a des gens qui écrivent aussi, mais tout cela est bien trop vulgaire pour qu’on s’abaisse à s’en préoccuper.

En fait, dans ces définitions classiques que certes, je viens de caricaturer avec excès, mais qui n’en existent pas moins réellement, des mots comme « Auteur », « Écrivain » ou « Littérature » se méritent. Ils ne sont pas ouverts à tous. Il s’agit en quelque sorte de labels de qualité. Il y aurait l’écriture qui est digne d’être considérée comme de la Littérature, et puis il y a l’écriture qui n’en est pas digne. Un peu, vous savez, comme quand votre oncle réac et pas très branché hip-hop vomit sur le rap, prétextant que « ce n’est pas de la musique. »

La faiblesse de cette approche, c’est, pour commencer, qu’elle est absurde. Statuer que seule l’écriture de qualité est digne d’être qualifiée de « Littérature », ça équivaut à affirmer qu’il n’existe pas de mauvaise littérature. Or, comme nous le savons tous, celle-ci existe hélas bel et bien (et oui, tonton, il y a aussi de la mauvaise musique). Ces mots descriptifs ne peuvent pas être détournés pour en faire des marques de prestige. Non, la littérature n’est pas un club fermé, auquel seul un quarteron d’auteurs triés sur le volet auraient accès. Pour que les mots aient un sens, il faut reconnaître le statut d’auteur à quelqu’un qui n’aurait pas de talent, sans quoi il n’existe tout simplement pas de terme pour le qualifier, ce qui est, convenons-en, un peu idiot.

Ces mots sont pollués par l’usage que l’on en fait

L’autre point faible du snobisme autour des mots qui entourent la littérature, c’est qu’ils supposent qu’il existe un moyen de faire le tri entre ce qui est digne d’être considéré comme de la Littérature à proprement parler et le reste. Or, il n’existe pas de critères objectifs : les critiques ne tombent jamais d’accord sur la qualité d’une œuvre, et même la postérité peut changer d’avis, célébrant des romans avant de les oublier puis de les redécouvrir.

En l’absence de critères scientifiques, c’est donc que le pouvoir de définir ce qui appartient au champ de la Littérature et qui est digne de se qualifier d’Auteur appartient à un club fermé et informel, une élite intellectuelle autoproclamée qui s’arroge le droit de décider qui peut faire partie du club ou non. N’y allons pas par quatre chemins : je viens de décrire la bourgeoisie. Les définitions classiques et exclusives de l’Auteur, de l’Écrivain, de la Littérature et de la Culture ne sont rien d’autre que les définitions de l’auteur bourgeois, de l’écrivain bourgeois, de la littérature bourgeoise, de la culture bourgeoise. Quand on dit « Ce n’est pas de la Littérature », on veut dire en réalité « Ce n’est pas de la littérature bourgeoise. » Fort heureusement, il existe tout un monde créatif fascinant en-dehors de ça.

Cela dit, on le voit bien, ces mots sont pollués par l’usage que l’on en fait. C’est pourquoi, à titre personnel, je préfère utiliser, dans le sillage de Pierre Desproges, le terme d’« écriveur », qui s’applique à toutes les personnes qui écrivent, quelle que soit la nature de leur production ou celle de leur activité. Toute personne qui écrit est une écriveuse ou un écriveur, qu’elle œuvre dans la littérature ou en-dehors, qu’elle soit publiée ou pas, qu’elle en tire un profit ou pas.

Si vous avez zéro lecteurs, vous n’êtes pas auteur

Moi, cette définition me convient très bien. Mais si vous tenez, par orgueil ou conviction, au statut d’auteur, et que vous souhaitez épousseter ce terme pour le débarrasser de son côté « lutte des classes », je suggère une définition minimale. On l’a vu, un auteur, c’est quelqu’un qui écrit de la fiction sans nécessairement en vivre. Autrefois, on aurait pu ajouter comme condition la nécessité d’être publié, mais l’autoédition a fait voler en éclats les vieilles définitions et aujourd’hui la frontière entre écrivains publiés ou non est poreuse.

Mieux vaut selon moi rajouter deux critères élémentaires. D’abord, la capacité de mener les projets à son terme : pour être écrivain, il aura fallu terminer au moins un roman, un essai, un mémoire, ou au moins une nouvelle, ou tout autre texte d’essence littéraire, pourvu qu’on le considère achevé et propre à être transmis à des lecteurs. D’ailleurs, j’écris « lecteurs » au pluriel, mais ça ne me paraît pas indispensable, et d’ailleurs ça serait pour moi le dernier critère : un auteur, pour mériter le label, doit avoir au moins un lecteur en-dehors de lui-même. Davantage, ça serait mieux, on est bien d’accord, mais si vous avez zéro lecteurs, vous n’êtes pas auteur : l’écriture littéraire n’existe pas en-dehors du couple auteur-lecteur, comme on aura l’occasion de le répéter ici.

Pour conclure, ma définition d’un auteur est la suivante : une personne qui a achevé la rédaction d’un texte de nature littéraire et qui l’a fait lire intégralement à au moins une personne en-dehors de lui-même.

Alors, vous en êtes ?

⏩ La semaine prochaine: Les trois types d’auteurs

26 réflexions sur “L’auteur

  1. J’aime assez ta définition, sans doute la meilleure que j’ai pu lire. Ceci dit, je ne sais pas ce que vous avez tous avec ce thème en ce moment. C’est le genre de questionnement existentiel qui m’indiffère totalement 😆 (comme dirait un vieil oncle : « si tu as le temps de penser à des trucs pareils, c’est que tu n’es pas assez occupé ! »). Retourne écrire, Julien ! 😉

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    • J’écris ce blog par séries. J’avais envie de livrer ma propre version du « Combien y a-t-il de sortes d’écrivains », mais je me suis dit que ça serait plus pertinent de commencer par définir ce que c’est qu’un écrivain, et tout cela a engendré toute une série sur les rapports auteur-lecteurs, que j’espère intéressante.

      Et bien sûr, j’écris. Merci pour ces encouragements.

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      • Ce qui me rassure un petit peu, c’est que l’approche des deux billets est assez différente: je reste terre-à-terre, comme d’habitude, et Neil prend de la hauteur par rapport au sujet. Mais oui, c’est vrai que la coïncidence est troublante. Je viens de vérifier: j’ai écrit le mien le 18 mai.

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    • Pas une influence puisque je ne l’ai pas lu, mais il y a probablement une convergence d’idées. Je crois que j’ai écrit mon billet il y a une éternité,

      Merci de m’avoir signalé le billet de Jomunsi, je vais le lire de ce pas!

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      • Grosse convergence, en effet, puisqu’en plus de cet article, il y a également eu un billet de St Epondyle sur un sujet très similaire.

        Pour la question de l’identité, je pense que c’est un aspect primordial de toute activité qui touche à l’art. Et c’est sans doute aussi pour cela que les débats autour de la rémunération des auteurs sont aussi virulents.

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  2. « L’auteur achève ses textes et n’existe qu’avec l’intervention du lecteur ». D’emblée je suis d’accord, et puis deux grosses brèches apparaissent :
    On pourrait remplir deux ou trois brouettes avec les variantes du Manuscrit trouvé à Saragosse, dont de nombreux morceaux qui ne sont pas de la main de Jean Potocki (dont au moins une fin décevante et moraliste), lequel n’a semble-t-il jamais fini son chef-d’oeuvre (mais c’est vrai qu’entre les morceaux perdus, rajoutés et plagiés, on s’y paume un peu).
    Autres fantômes, Saint-Simon dont les manuscrits ont dormi un siècle au fond d’un tiroir avant d’être découvert par inadvertance, ou Samuel Pepys, si peu soucieux d’être lu qu’il s’invente son code secret personnel pour planquer ses petits manquements à la morale…
    Pourtant, difficile de leurs dénier le titre d’auteur. D’accord, on peut dire qu’ils ne le deviennent que le jour où ils sont lu ; mais alors, avant d’être lu quoi qu’ils sont, le conte polonais, le duc louisquatorzien et le bon gros bourgeois londonien ? auteur par anticipation, ou scribouillard, plumitif,

    et puis il faudrait aussi définir le lecteur (réputé hypocrite, semblable et frère de l’auteur) 🙂

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  5. Questionnement très juste. Je pense que c’est important de savoir ce qu’est être écrivain, après tout, les métiers ont tous une défition pourquoi les écrivains n’en aurait pas ?
    Je suis certaine très fermée sur ce sujet mais, pour moi, écrire une énième fanfiction de Twilight, sur un site web, dans le but d’avoir des commentaires du style « c’est trop bien », sans rien avoir lu du texte, ce n’est pas être écrivain. Je pense qu’être écrivain c’est se donner du mal pour écrire une histoire (plagier n’en fait pas parti), écrire son oeuvre jusqu’à ce qu’elle puisse être donnée à lire (ce degré diverge selon les auteurs) et il faut que l’oeuvre soit lue par une autre personne et que l’auteur ait subi une critique de son oeuvre (pas néccessairement une critique négative d’ailleurs, mais pas non plus des louanges pour faire plaisir).

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    • A mon avis, il est difficile de trouver une définition qui prévoie tous les cas de figure sans que de grands auteurs passent entre les mailles du filet, raison pour laquelle la mienne semble aussi large. Par exemple, ta définition est plus pointue que la mienne et je partage ton exigence, mais quelqu’un comme Franz Kafka ne serait pas un auteur selon ces critères.

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  8. Je différencie écrivain(e) et auteur/autrice, pour moi effectivement un auteur ou une autrice est une personne qui a publié de façon publique une oeuvre. Je ne me considère pas dans cette définition autrice car je n’ai pas publié mes écrits mais je me sens tout à fait écrivaine! Un ou une écrivain(e) est pour moi une personne qui écrit et qui aime écrire, je préfère cette définition et dans ce cas, les journalistes chroniqueurs sont aussi des écrivains même si on parle plus d’écrivains pour de la fiction et il y a aussi la définition que l’auteur c’est celui qui écrit une oeuvre dans ce cas-là je pourrai aussi me considérer comme une autrice même si malheureusement on différencie auteurs/autrices professionnelles qui ont publié leurs oeuvres de façon publique et qui ont donc un lectorat! Mais tout le monde peut se sentir écrivain(e) déjà quand on tient un journal intime et si on aime écrire même si on n’a pas de lecteurs et lectrices, en plus que des proches peuvent plus tard publier notre journal intime qui était sensé être intime etc et donc le rendre publique et donc devenir célèbre mais après notre mort etc!
    Donc clairement je préfère la définition de l’écrivain(e) qui pour moi est une personne qui écrit, aime écrire et dont sa vocation est celle d’écrire et tout ça c’est tout moi! J’aime écrire depuis petite, j’écris toute sorte d’écrit de la fiction, nouvelles, à quelques poèmes et chansons, à aussi des articles, des critiques et analyses de films, séries et livres, à des dissertations etc en gros j’aime tout écrire même si j’ai une préférence pour la fiction mais aussi pour les analyses! J’adore aussi débattre à l’écrit etc et je me suis rendue compte que ma vocation est bien celle d’écrire! Même si je sais qu’il est très difficile de vivre de l’écriture de livres, je fais actuellement une formation dans un autre travail mais lié clairement à ma passion d’écriture donc quoi qu’il arrive j’écrirai!

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  9. par contre je déteste l’élitisme, et j’aime pas du tout cette différence entre « vrai et faux auteur(e) » pour moi il n’y a pas cette différence c’est surtout de l’élitisme et je déteste ça! Et j’aime pas l’idée qu’on est un « vrai auteur écrivain qu’avec des lecteurs et lectrices » ok ceux qui sont des auteurs professionnels qui ont déjà publié leurs écrits et veulent un peu essayer de vivre de ça doivent aussi prendre en compte les lecteurs et lectrices et écrire pour les autres mais on oublie beaucoup qu’on peut aussi vouloir qu’écrire pour soi par plaisir et ne pas vouloir en vivre, de même qu’on peut aimer dessiner sans vouloir être un artiste professionnel et en voulant faire ça comme travail, comme on peut aimer chanter par plaisir pour soi sans vouloir devenir un chanteur professionnel et il y a aussi des personnes qui écrivent très bien, dessine très bien, chante très bien dans l’ombre en ne voulant pas vivre de ça et sont quand même des artistes, des vrais artistes et des vrais écrivains etc

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