Les types d’enjeux

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Des enjeux, en littérature, il en existe plusieurs types. Même si, au final, ils peuvent tous se résumer par la formule « les conséquences négatives de l’échec des protagonistes », les conséquences en question peuvent se manifester de manières très diverses. L’enjeu final d’une saga de science-fiction peut être l’annihilation de toute trace de l’humanité dans l’univers, alors que l’enjeu d’un roman familial intimiste peut être l’oubli de la mélodie que le grand-père du protagoniste lui chantait quand il souffrait de la rougeole.

Afin d’y voir plus clair, il peut être utile de tenter d’établir une classification. En réalité, je vous en propose deux, dans la mesure où, pour commencer, les enjeux d’un roman peuvent facilement se répartir dans une des deux catégories suivantes : externes ou internes.

Les enjeux externes

Cette catégorie, sans doute la première que l’on a en tête lorsque l’on commence à réfléchir à la question des enjeux, concerne tout ce qui a trait à l’univers physique qui entoure les personnages, qui comporte donc tous les individus, les lieux, les objets, mais aussi les construits sociaux, les cultures, les traditions, les relations entre les personnages. Oui, c’est assez vaste.

En gros, les enjeux externes concernent le « faire », l’« agir », les conséquences palpables et tangibles des actions des personnages. En raison de leurs actes, le monde autour d’eux se transforme : des choses sont détruites ou construites, des êtres meurent ou naissent, des civilisations sont créées ou effacées, des entreprises sont ruinées ou font fortune, des histoires d’amour commencent ou se terminent.

Cette catégorie peut sembler beaucoup trop immense pour être d’une quelconque utilité. À quoi cela peut-il bien servir de ranger tous les enjeux de la littérature dans seulement deux catégories, l’une des deux comprenant l’univers physique et social dans son intégralité ? En fait, si cette distinction est pertinente, c’est parce qu’elle permet de différencier les enjeux externes et internes, qui vont souvent de pair.

Reprenons l’exemple très parlant du film « Le monde de Nemo », déjà évoqué dans cette série. Comme nous l’avons vu, l’enjeu externe tourne autour de la quête du poisson-clown Marin qui recherche son fils Nemo à travers l’océan : s’il échoue, celui-ci va peut-être mourir, ou en tout cas le père et le fils risquent de ne plus jamais se revoir. Mais il ne s’agit que d’un aspect des enjeux de cette histoire…

Les enjeux internes

Tout ce qui se passe à l’intérieur de la tête de vos protagonistes appartient à la catégorie des enjeux internes. Cela peut sembler moins vaste que le premier groupe, mais en réalité il s’agit d’un univers presque infini. Il contient toutes les activités mentales, toutes les représentations, toutes les émotions ressenties, les valeurs éthiques, les idéaux philosophiques, l’identité, la mémoire, la culture, la psychologie et une myriade d’autres choses qui cohabitent dans notre crâne.

Ici, on se situe dans le « être », dans le « ressentir », dans l’« apprendre » de l’histoire, les conséquences mentales et psychologiques de l’histoire.

Les enjeux internes peuvent être le seul type d’enjeu d’une histoire. Par exemple, vous pouvez très bien écrire un roman sur une victime de l’inceste qui, enceinte, cherche à décider si elle souhaite ou non adresser à nouveau la parole à son père, responsable de tant de souffrances. Tout ce qui est important dans ce type d’histoire appartient à l’univers mental de la protagoniste, et les enjeux externes sont négligeables.

Bien souvent, cela dit, un roman présentera des enjeux internes et externes. S’ils fonctionnent en tandem, c’est mieux. Une manière simple et élégante de procéder, c’est de raconter une histoire au sujet d’un personnage qui a un problème à résoudre et une faille de caractère. En résolvant son problème, il parvient en même temps à combler son défaut, et les deux enjeux parviennent à leur conclusion ensemble, comme s’il s’agissait des deux facettes d’une même situation.

Ainsi, dans « Le Monde de Nemo », l’enjeu interne de Marin consiste pour lui à apprendre à faire confiance à son fils handicapé et à lui laisser un peu de liberté, plutôt que de s’inquiéter en permanence qu’il lui arrive quelque chose. S’il n’y parvient pas, il va étouffer son enthousiasme et lui ménager une horrible jeunesse. Cela dit, le fait qu’il en prenne conscience lui donne l’impulsion qui lui permet de retrouver Nemo. Ainsi, l’enjeu interne (la peur étouffante de Marin) et l’enjeu externe (il faut retrouver Nemo) sont résolus en symbiose l’un par rapport à l’autre, se renforcent mutuellement, et s’entortillent avec élégance autour des thèmes de liberté et de codépendance qui sous-tendent le film. Quand ces choses-là sont réussies, ça peut être magnifique.

Les autres enjeux

Analyser les enjeux en fonction de la grille externe/interne est déjà riche d’enseignements pour un auteur, et ça peut être suffisant. Cela permet de raconter des histoires sur des personnages qui font quelque chose, et qui, en le faisant, apprennent quelque chose.

Cela dit, pour prendre pleinement conscience des possibilités qu’offre la réflexion autour des enjeux à la création littéraire, il peut être nécessaire d’énumérer quelques catégories supplémentaires. Celles-ci ne s’ajoutent pas à la dichotomie externe/interne, il s’agit d’un autre découpage, en fonction de la typologie de ce qui est accompli par les personnages. Les cinq catégories qui suivent ne sont que des exemples : on pourrait y ajouter les enjeux écologiques, monétaires, artistiques, matériels, psychologiques, éducatifs, judiciaires et bien d’autres. Le tout est de prendre conscience que parmi les infinités d’histoires que l’on peut raconter, ce qui se joue peut prendre une très grande variété de forme.

Les enjeux physiques

C’est tout ce qui concerne la possibilité pour vos protagonistes de souffrir, d’être blessé et de mourir. S’ils échouent, ils risquent d’avoir très, très mal. Inoculez-leur des maladies, torturez-les, découpez-les en petits morceaux, rouez-les de coups, tirez-leur dessus, jetez-les dans une maison en feu et regardez ce qui peut arriver, blessez-les et examinez de quelle manière ils peuvent récupérer. Les enjeux physiques sont prépondérants dans la littérature d’aventure ou d’action, mais ils peuvent être utilisés dans n’importe quel type d’histoire. Il n’y a pas grand-chose de plus universel que la souffrance et la mort.

Les enjeux sociaux

Le standing social, la reconnaissance par ses pairs, les liens familiaux, l’appartenance à une classe, à une caste, la réputation, la possibilité de voir son identité comprise et reconnue : voilà quelques-uns des enjeux sociaux qui peuvent être utilisés dans un roman. Un scientifique fait une découverte tellement révolutionnaire qu’il craint d’être ridiculisé s’il la rend publique ; une femme découvre qu’elle a été adoptée et craint que cela ne complique l’obtention d’un héritage ; un trafiquant fait tout pour éviter que les membres de son gang découvrent son homosexualité… Pour certains, exister aux yeux d’autrui est plus important que la vie elle-même, et ils sont prêts à commettre des actes inimaginables pour éviter de perdre la face.

Les enjeux émotionnels

On peut mourir émotionnellement aussi. On peut avoir le cœur brisé, on peut perdre tout espoir, on peut choisir de vivre le reste de sa vie comme un automate, de se fondre dans la masse et de ne plus jamais faire de vague, tant la crainte de se faire à nouveau broyer par l’existence est grande, on peut faire une dépression, on peut être hanté par la honte ou par les regrets, on peut être en deuil. Imaginez l’ironie horrible du protagoniste qui réussit les enjeux externes qui étaient au cœur de l’histoire, mais le fait en sacrifiant les enjeux internes, ceux-ci étant de nature émotionnelle. Il a gagné, mais à l’intérieur, il est brisé, vaincu. Vous pouvez même lui donner une fausse victoire avant sa vraie défaite. Vos lecteurs vont tellement chialer.

Les enjeux philosophiques

Qu’est-ce que cela signifie de faire le bien ? D’être une bonne personne ? De donner l’exemple ? D’être un meneur ? Un père ? Comment répondre à ces questions aussi vieilles que l’humanité, et trouver des réponses alors que personne ne propose de points de repères ou de solutions pour s’orienter ? Et si l’on échoue sur tous les plans, comment va-t-on faire pour poursuivre son existence dans la dignité ? Si les enjeux physiques de votre histoire vous paraissent fades, vous tourner vers l’éthique et la philosophie peut vous aider à glisser dans la mixture le savoureux piment existentiel qui lui manquait.

Les enjeux professionnels

Imaginez que votre boulot soit à ce point la partie la plus importante de votre vie, que si vous échouez, que votre carrière ne prend par la tournure que vous attendiez, que si vous ne vous donnez pas à 100% pour obtenir les résultats que vous espériez, vous avez l’impression que plus rien n’a d’importance. Imaginez que votre emploi soit tellement ennuyeux, tellement abrutissant, vos tâches tellement absurdes, vos supérieurs tellement incompétents, vos collègues tellement monstrueux, que si vous ne changez pas quelque chose très vite, vous sentez que vous allez péter les plombs. Le travail, la réussite, l’échec constituent eux aussi des enjeux qui peuvent générer de nombreuses histoires haletantes.

Se servir des enjeux

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Quels sont les enjeux d’une histoire, à quoi servent-ils et comment peut-on s’en servir pour rendre le récit plus palpitant ? Après vous avoir proposé plusieurs définitions, je vous propose à présent de passer à l’étape suivante, et de vous fournir une marche à suivre afin d’intégrer simplement la réflexion autour des enjeux dans votre roman.

Pourquoi c’est important ? Parce que les enjeux constituent le mécanisme grâce auquel les lecteurs vont avoir envie de tourner les pages de votre roman.

Les enjeux engendrent de la tension, qui à son tour génère du suspense, pour les protagonistes comme pour les lecteurs. Le seul moyen de l’apaiser consiste à savoir si les personnages déjouent les enjeux auxquels ils sont confrontés, et de quelle manière ils s’y prennent. Et pour le savoir, il n’y a qu’une seule possibilité : continuer à lire. Bien amenée, cette question des enjeux peut engendrer chez le lecteur une expérience émotionnelle intense et mémorable, qui va laisser des traces et qui va faire en sorte qu’il recommande votre roman à ses amis et connaissances. C’est dire si cette notion est importante et si elle mérite que vous lui accordiez du soin, de l’attention et du temps.

Comment faire ? Voici une façon de procéder en six étapes que je vous propose. Naturellement, ce n’est qu’un point de départ, un outil à votre disposition. Sentez-vous libre de l’adapter ou de le modifier pour qu’il soit pleinement adapté à votre projet d’écriture. Cela dit, je vous recommande de ne pas complètement sauter cette réflexion : plus vous aurez les idées claires sur les enjeux, plus les principales étapes de l’écriture de votre roman, telles que le plan, les personnages, le décor, la structure, seront faciles à forger.

1. Définir les enjeux

Au début de votre démarche littéraire, alors que votre histoire n’est sans doute constituée que d’une idée dans votre tête, ou de quelques phrases gribouillées dans un carnet de notes, c’est le moment, déjà, de définir les enjeux.

Deux cas de figure se présentent à vous. Le premier, c’est celui où votre première impulsion créative constitue déjà une histoire digne de ce nom. Dans ce cas, votre mission est relativement simple, puisqu’elle va consister à repérer et identifier les enjeux dans cet embryon narratif. Ou, pour le dire d’une manière différente : reformulez votre idée en termes d’enjeux. Dans « Pinocchio », de Carlo Collodi, les enjeux, pour le personnage-titre, consistent à devenir un vrai petit garçon plutôt qu’un pantin ; dans « Sense and Sensibility », de Jane Austen, les enjeux pour Marianne et Elinor sont de trouver un mari sans se trahir ; dans « Dune » de Frank Herbert, l’enjeu pour Paul Atreides est de venger sa famille, spoliée par une maison rivale.

Revenez aux différentes manières de définir les enjeux que je vous ai exposé dans un précédent billet. Elles doivent vous aider à identifier ces mécanismes. Les enjeux peuvent correspondre à quelque chose que le protagoniste souhaite (« Je veux être un vrai petit garçon »), à quelque chose dont il a besoin (« Il faut que je trouve un moyen d’échapper à cette sorcière ou elle me mangera »), ou à des circonstances extérieures dans lesquelles il se retrouve enrôlé au gré des circonstances (« Le roi est fou et quelqu’un doit l’arrêter avant qu’il ne dévaste le royaume »). Bien souvent, on a affaire à une combinaison des trois. Il se peut aussi que les enjeux évoluent au cours de l’histoire, ou qu’il y ait plusieurs enjeux, typiquement de nature intérieure et extérieure. Mais de manière générale, plus limpides seront les enjeux de votre roman, meilleur il sera.

Le deuxième cas de figure, c’est celui où, lorsque vous vous penchez sur votre idée de départ, vous ne parvenez pas à identifier les enjeux. C’est le signe que votre idée n’est pas encore réellement aboutie, qu’il ne s’agit pas encore d’une histoire à proprement parler. Peut-être avez-vous eu des fragments d’idées, qui concernent le décor, le thème ou les personnages par exemple. Il vous reste à les connecter d’une manière qui puisse être exploitée sous une forme narrative.

Imaginons que vous ayez l’idée d’un héros amnésique qui se retrouve avec, sur lui, une lettre. Vous avez également l’idée d’un château souterrain, et d’une armée de statues vivantes. Tout ça, ce ne sont que des pièces détachées. Pour leur donner une forme, trouvez un enjeu. Par exemple, notre personnage amnésique cherche à retrouver la mémoire, et s’il n’y parvient pas, l’armée de statues réfugiées dans le château va conquérir le royaume. Même si tout cela doit encore être connecté et construit pour avoir du sens, mais voilà les enjeux, et avec cette simple réflexion, vous avez obtenu l’ébauche d’une histoire.

2. Exposer les enjeux

Une fois que les enjeux de votre histoire sont clairs dans votre tête, vous pouvez passer à la suite et commencer à construire, puis à rédiger votre histoire. Avoir les idées claires au sujet de vos enjeux devrait vous aider à échafauder un plan, où votre protagoniste ou vos personnages principaux font face à une série de péripéties qui, tour à tout, les éloignent et les rapprochent de la résolution de ces enjeux.

Mais il est très important de ne pas manquer cette deuxième étape : ces enjeux, il faut les exposer. Comprenez : il faut que dans votre roman, quelque part, si possible assez près du début, vous écriviez explicitement quels sont les enjeux, afin que le lecteur soit au courant. Oui, cela signifie que dans notre histoire d’amnésique, je vous suggère d’inclure une scène dans laquelle quelqu’un dit à notre héros : « Si tu ne retrouves pas tes souvenirs, l’armée des statues va conquérir le royaume. » Oui, avec ces mots-là.

Exposé de cette manière, cela semble terriblement simpliste. Peut-être êtes-vous en train de vous dire que ce n’est pas la peine d’être aussi littéral, et qu’il vaut mieux exposer vos enjeux de manière plus subtile, indirecte, ou faire confiance aux capacités de compréhension du lecteur qui va saisir de lui-même à quoi rime votre histoire, sans qu’il soit besoin de lui souligner à gros traits rouges.

Respectueusement, vous avez tort.

Les enjeux donnent une direction à l’histoire. Ce sont eux qui relient le début à la fin de votre roman, le protagoniste à tous les autres personnages, rendent les thèmes concrets, donnent de l’importance aux décisions qui sont prises, et confèrent de la résonance émotionnelle à votre récit. Plus vos enjeux sont clairs, compréhensibles et dépourvus d’ambiguïté, plus vos lecteurs vont saisir le type d’histoire qu’on leur raconte, les conséquences des choix, des échecs et des réussites de vos personnages, et plus ils vont se sentir impliqués. Pour que cela fonctionne, il n’y a pas à tourner autour du pot : dites explicitement quels sont les enjeux de l’histoire, aussi tôt que possible. Vos lecteurs ne vont même pas se rendre compte que vous manquez de subtilité, je vous le promets.

Les studios Pixar ont tout compris à la manière d’intégrer les enjeux dans une histoire. Je vous invite à revoir leurs films dans cette optique : vous serez surpris de constater à quel point l’exposition des enjeux y est explicite. L’exemple le plus criant est le film « Le monde de Nemo », dont le titre même résume les enjeux (« Finding Nemo », le titre original, signifie « Trouver Nemo »). Je suis allé vérifier : dans les cinq premières minutes de l’histoire, on entend notre protagoniste, Marin, le père du poisson Nemo qui vient de se faire emporter par un pêcheur, dire : « Ils ont emporté mon fils. Je dois trouver le bateau », puis une minute plus tard : « Je dois trouver mon fils. » Difficile d’être plus clair et moins subtil, et pourtant, c’est exactement ça qu’il faut faire.

Il y a des exceptions. C’est le cas par exemple de tout ce qui concerne les enjeux intérieurs. Un auteur de roman existentiel qui rédige un roman sur le deuil pourra se permettre de laisser planer le doute sur la nature du malaise du protagoniste. Oui, on sent immédiatement que quelque chose ne va pas et que les enjeux du roman vont consister pour lui à surmonter (ou non), la crise qui le tenaille, mais il n’est probablement pas si urgent de livrer immédiatement tous les détails sur la nature de cette crise.

Autre exception : comme on le verra plus loin, parfois les enjeux changent. Pas la peine de casser le suspense pour nous dérouler toute la chaîne d’enjeux qui attendent le protagoniste. Exposez déjà le premier, ça sera bien suffisant. Ce qui compte, c’est qu’à chaque instant, il y ait un enjeu clair.

3. Établir un lien entre le protagoniste et les enjeux

Pour que votre roman fonctionne, il faut que votre protagoniste soit connecté aux enjeux. Considérez qu’il s’agit là d’une autre règle d’or : pas d’histoire réussie sans relier les personnages principaux avec les enjeux. Dans certains cas, ce lien va de soi, parce qu’on a affaire à des enjeux d’une nature personnelle. Dans d’autres cas, il convient d’établir ce lien d’une autre manière.

Les possibilités sont infinies. Il peut s’agir de quelque chose de personnel, qui lui tient à cœur et qu’il cherche à accomplir (« Je veux identifier l’assassin de mon mari ») ; il peut s’agir d’un danger qu’il court, ou d’une échéance qu’il cherche à respecter (« Ce bus va exploser si la vitesse descend en-dessous de 50 miles à l’heure ! ») ; on peut avoir affaire à une situation qui le dépasse, mais dans laquelle il finit par jouer un rôle-clé (« Il faut détruire l’Etoile de la mort ! »)

Quelle que soit la nature de la connexion, il est crucial que votre personnage ne soit pas indifférent aux enjeux. Si c’est le cas, le roman est ruiné : on ne peut pas demander aux lecteurs de s’intéresser à l’histoire qu’on leur raconte davantage que ceux qui la vivent. Il y a mille manières différentes d’établir une telle connexion, la seule erreur étant de ne pas le faire.

Même dans les cas où les enjeux d’une histoire dépassent la situation individuelle du protagoniste, il est préférable de trouver une manière d’illustrer que tout cela a une résonance personnelle pour lui. Pourquoi ? Parce que c’est ainsi que fonctionnent nos émotions. Il est difficile d’avoir de l’empathie pour une foule, mais très facile de comprendre les souffrances d’un individu. Oui, Superman va sauver Metropolis de la destruction, et tant mieux pour les habitants de la ville, mais l’histoire sera plus poignante si, quelque part, Lois Lane est en danger (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette pauvre Lois est souvent en danger).

Il est généralement préférable que votre protagoniste ait quelque chose de personnel à perdre en cas d’échec. Oui, il peut s’agir d’un danger qui le frappe, lui ou un proche, mais en fonction des genres et des histoires, cela peut prendre une forme plus indirecte : il peut voire une histoire d’amour prometteuse se terminer avant terme ; il peut rater une promotion qu’il convoitait ; un de ses secrets peut être révélé, le mettant dans l’embarras ; il peut rater son année ou un examen important ; il peut perdre sa liberté, son honneur, sa fortune.

Dans certains romans, le protagoniste peut également être affecté sur un plan idéologique, dans le cas par exemple où une cause à laquelle il adhère est ruinée ou discréditée. Il peut également être affecté au niveau de ses valeurs : son altruisme, son professionnalisme, sa curiosité sont telles que son implication dans l’intrigue ne fait que se renforcer (« Sa place est dans un musée ! »)

Pourquoi est-ce que la fantasy multiplie jusqu’à l’écœurement les histoires d’Élus et de Prophétie ? Parce que c’est un moyen bon marché d’établir un lien entre un individu et des enjeux qui lui sont extérieurs (« Tu dois sauver le monde parce que tu es le seul à pouvoir le faire, la Prophétie l’a dit ! »)

Quelle que soit sa nature, cette connexion protagoniste-enjeux, soignez-la. Plus vous le ferez, plus votre histoire sera poignante. Si ce lien s’incarne dans un personnage, rendez-le attachant, faites en sorte qu’on comprenne pourquoi il peut inspirer de l’amour, de l’amitié, de la loyauté. Si c’est une cause, rendez-la concrète : faites-nous découvrir les habitants du village qui risque d’être démoli, faites-en des individus qu’on a envie de défendre ; présentez-nous le veuf dont l’assassinat de l’épouse sert de base à l’enquête de votre protagoniste, et laissez-le nous décrire sa femme avec ses mots. Tout ce travail va vous rapporter gros par la suite.

4. Établir un lien entre le lecteur et les enjeux

Naturellement, s’il est très important de tisser des liens entre le protagoniste et les enjeux, il faut en faire de même pour la lectrice ou le lecteur. Voilà encore une opération qu’il vaut mieux ne pas négliger. Plus le lecteur sera attaché personnellement à ce que vos personnages triomphent des enjeux qui sont au cœur de votre intrigue, plus il sera accroché par votre histoire, et plus il sera affecté émotionnellement en refermant le livre.

Heureusement, une bonne partie du travail qui permet d’établir le lien protagoniste-enjeux fonctionne également avec le lien lecteur-enjeux. Pour que votre lectorat adhère immédiatement et durablement aux enjeux, il est préférable de lui faire dès le départ passer du temps avec ceux-ci. Dès les premiers chapitres, laissez-le se promener dans les verts pâturages de la Comté, et faire connaissance avec la touchante innocence des Hobbits : lorsque les menaces qui pèsent sur le monde se préciseront, son attachement pour ce pays et ses habitants renforcera son émotion. Dans une romance, quand les deux amoureux traversent une crise et semblent sur le point de se séparer, c’est parce que vous aurez pris le temps, en amont, de montrer à quel point ils peuvent se rendre mutuellement heureux que vos lecteurs seront captivés. Dans un thriller, c’est parce que vous aurez consacré du temps à nous montrer qui sont les otages et à quoi ressemble leur vie que vos lecteurs craindront pour leur vie lorsque la situation tournera à l’aigre.

Personne ne se soucie réellement du sort de parfaits inconnus, de statistiques, de théories : ce n’est qu’en faisant réellement la connaissance des personnages secondaires, des victimes, des innocents, en apprenant qui ils sont, en les voyant évoluer de manière concrète, que l’on forge un lien avec eux et que l’on se soucie de leur sort.

Un avantage de procéder de cette manière, c’est que si vous vous montrez efficace, cela vous permettra de mettre en scène un personnage principal antipathique. Votre protagoniste peut être un vrai salaud s’il protège un personnage secondaire dont vous vous souciez ; si vous vous préoccupez sincèrement du but poursuivi par le protagoniste, dans une certaine mesure, cela vous préoccupera moins s’il doit, pour arriver à ses fins, user de méthodes qui ne sont pas très recommandables. Travailler ainsi sur l’attachement du lecteur et sur les enjeux permet ainsi de jouer avec ses sentiments et de le glisser dans les baskets d’individus ambigus, mais dont les aspirations sont nobles.

5. Rappeler les enjeux

Établir les enjeux de manière claire et mémorable dès le départ, c’est important. Mais ça ne suffit pas : il faut les rappeler encore et encore. La mémoire des lecteurs est loin d’être parfaite, en particulier en ce qui concerne leurs réactions émotionnelles. Oui, ils se souviennent sans doute de la Comté, ou de l’époux de l’héroïne que vous leur avez montré dans les premiers chapitres, mais si vous ne leur rappelez pas pour quelle raison ils les ont trouvés sympathiques, vous allez les perdre et la conclusion de votre histoire n’aura pas l’impact que vous souhaitez.

Il convient donc de rappeler régulièrement les enjeux, en particulier quand l’histoire est longue et complexe. Ce n’est pas si facile à faire que ça, parce qu’à rabâcher toujours les mêmes choses, on peut vite lasser. Il faut donc trouver un moyen de revitaliser la connexion entre le lecteur et les enjeux, sans se contenter de répéter les mêmes informations encore et encore. Pour cela, je vous propose trois pistes.

La première est la plus naturelle : c’est celle qui consiste à entrelacer ce rappel dans l’intrigue. Prenons la situation simple d’une histoire où l’enjeu est d’éviter la destruction d’un village ou d’une région. Si, au cours du récit, la situation ne cesse de se détériorer, que ce lieu subit des attaques répétées, que des intrigues secondaires mettent en scène en miniature ce qui risque d’arriver au terme du roman, vos lecteurs ne vont jamais perdre de vue les enjeux. Si l’étudiant qui est votre protagoniste est constamment ballotté par l’intrigue dans des événements qui l’empêchent d’étudier et que sa moyenne est de plus en plus mauvaise, le spectre du redoublement ne va jamais s’éloigner. Si ça fonctionne de cette manière, c’est très bien : il n’y a rien de plus à faire.

Mais parfois, les circonstances de l’intrigue font qu’il est difficile de procéder de la sorte. Une méthode qui fonctionne bien, dans ce cas, consiste à intercaler des intrigues secondaires qui font écho aux enjeux centraux de l’intrigue. Le héros vient en aide à des gens qui lui rappellent son village ; la détective fait la connaissance d’une femme dont la situation lui rappelle celle de son épouse ; une petite catastrophe locale rappelle qu’une grande catastrophe globale est sur le point de se produire. Ces événements servent à rappeler au protagoniste et au lecteur ce qui est en jeu et ce qui risque de se produire dans le pire des scénarios.

Enfin, troisième approche : le rappel symbolique. C’est le plus simple, mais ça peut également être le moins subtil. Votre protagoniste a sur lui un objet, ou alors il a une habitude, il chante une chanson, il a un tatouage, ou quoi que ce soit, qui représente les enjeux. En incluant ces éléments dans l’histoire, cela permet de rappeler les enjeux sans avoir à dérouler à nouveau toutes les explications. Si votre héroïne tente de refaire sa vie après le décès de son mari, la montre dont il lui a fait cadeau et avec l’ouverture de laquelle elle ne cesse de jouer peut suffire à indiquer aux lecteurs où elle se situe par rapport aux enjeux émotionnels de l’histoire.

6. Augmenter les enjeux

Dans une histoire dynamique, les enjeux évoluent progressivement. En général, la situation se corse et tout va de pire en pire. Nous aurons l’occasion d’aborder cet aspect dans un prochain billet en détail. Mais à ce stade, notez que les enjeux de départ ne sont pas nécessairement une donnée immuable, mais qu’elle est amenée à évoluer au cours du récit.

Éléments de décor: la nourriture

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On pourrait croire que le sujet est anecdotique, en particulier dans la mesure où, la dernière fois, on s’est intéressés à l’argent, qui semble tout dicter dans notre monde. Mais on aurait tort de le penser. En tant qu’élément du décor d’un texte romanesque, la nourriture peut revêtir une importance considérable et se décliner de toutes sortes de manières différentes.

Après tout, tout le monde, absolument tout le monde, mange chaque jour ou rêve de le faire. La nourriture fait partie de notre quotidien, de notre intimité. Elle permet de maintenir la vie, mais peut également détériorer la santé, si elle est consommée de manière déséquilibrée. Elle est liée à la notion de désir et de plaisir, et peut être connectée à toute une symbolique sexuelle. Enfin, le repas est une activité de groupe, qui joue un rôle dans différentes célébrations, est porteur de connotations rituelles fortes, et présente d’infinies variantes culturelles et sociales.

Bref, ce qu’on mange est comme une version miniature de la manière dont on vit, et en soignant cet aspect au sein des éléments du décor, un romancier va pouvoir donner corps aux thèmes les plus divers.

La nourriture et le décor

Comme toujours, commençons par réfléchir à la manière dont la nourriture elle-même peut être utilisée littéralement comme une composante du décor. Un roman peut habiter la nourriture.

Certains lieux n’existent qu’à travers la confection ou la préparation de nourriture. Un romancier peu souhaiter en sélectionner un pour situer tout ou partie de son récit : qu’il s’agisse d’un restaurant, d’une boucherie, d’une boulangerie, d’un abattoir ou d’une usine de conditionnement de surgelés. Faire ce choix, c’est parvenir à se connecter à quelques grands thèmes en s’appuyant sur des éléments de décor et en contrastant les attitudes des personnages.

Dans « La Rôtisserie de la Reine Pédauque », Anatole France choisit de situer l’action de son pastiche haut en couleur dans un restaurant, un lieu où les considérations bassement matérielle côtoient le sublime, reflétant les aspirations grandioses ou dérisoires des habitués de l’établissement.

D’où vient la nourriture ? Voilà une manière de se servir des aliments comme éléments de décor qui renvoie à des enjeux de pouvoirs. Contraster l’endroit où la nourriture est produite et les conditions qui y règnent avec l’endroit où elle est consommée permet de lier des situations disparates et de les contraster les unes aux autres. Le mangeur de bananes est-il responsable de la misère du producteur de bananes ? Le viticulteur et l’œnologue vivent-ils vraiment dans le même monde ?

Si on s’éloigne un peu du décor considéré comme un lieu, une histoire peut s’inscrire dans une époque où la manière dont l’humanité se nourrit est en crise. Situer un récit pendant une famine, c’est une manière simple et impitoyable de montrer qui, au sein d’une société, va avoir le droit de vivre ou de mourir, en fonction de son extraction sociale ou de sa débrouillardise. D’autres incidents, comme un scandale alimentaire ou une intoxication à grande échelle, mettent en lumière d’autres failles de notre culture, permettant cette fois de montrer du doigt les dysfonctionnements d’une agriculture axée sur le profit.

D’une manière moins ambitieuse, une scène de repas permet de rassembler des personnages, de les présenter sous un jour inhabituel et de les consacrer les uns aux autres. Qui prépare le repas ? Comment est-ce que ça se décide ? Qui participe ? Comment se choisit le menu ? Comment se comportent les convives ? Ont-ils de l’appétit ? De la conversation ? Des manières ? Mangent-ils de tout ? Laissent-ils des restes ? Une telle séquence dans un roman, même brève, peut caractériser vos personnages et les lier à vos thèmes bien plus efficacement que des pages et des pages d’exposition stérile.

La nourriture et le thème

On l’a vu : la nourriture, c’est à la fois la vie et la mort. On peut mourir d’avoir le ventre vide, mais aussi d’avoir trop mangé, ou avalé n’importe quoi. Un roman qui s’interroge sur la fragilité et la corporalité des êtres humains sera bien inspiré de faire une halte dans la case « assiette », où ces questions sont débattues au quotidien.

On peut se servir de tout ce qui tourne autour de la nourriture comme une analogie de la sexualité. C’est même si adapté que ça en devient un cliché, à manipuler donc avec prudence. Comme le sexe, mais pas tout à fait avec la même intensité, le domaine de la table unit le bestial et l’intellect, le vivant et le morbide, comporte des tabous et des codes, exerce une fascination universelle mais connaît d’infinies variantes culturelles.

La chair passe tout autant par la table que par le lit, et parler de l’une, c’est nécessairement évoquer l’autre. On peut le faire par petites touches subtiles, ou avec voracité, par exemple en mettant en scène un personnage anthropophage, qui fait le choix d’absorber ses victimes par la bouche, souvent parce qu’il ne parvient pas à concevoir d’autres types de communion charnelle. Oui, tout cela est délicieusement psychanalytique. Je vous renvoie au « Petit chaperon rouge. »

Si l’on pousse un cran plus loin, on découvre que manger, c’est un symbole de pouvoir. Dans « Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant » de Peter Greenaway, une femme infidèle force son mari à manger le corps cuisiné de son amant décédé. Dans « Le Petit Poucet », la nourriture dénote tour à tour la toute-puissance ou l’impuissance des personnages : les parents qui n’arrivent plus à nourrir leurs enfants, des oiseaux qui provoquent l’échec des plans du Petit Poucet en mangeant des miettes de pain, l’Ogre qui veut manger les frères, et Poucet qui, vengeance ultime, le pousse à manger ses propres filles. Ce conte est épouvantable. Il nous donne aussi la mesure du pouvoir évocateur de la nourriture en tant que vecteur de thèmes littéraires.

Mais derrière la table se cachent les cuisines, et avec elles des développements plus sociaux. Déterminer qui prépare le repas renvoie souvent à des questions d’organisation sociétale : on a tous en tête ces romans bourgeois du 19e siècle où c’est une domestique qui s’active derrière les fourneaux et où la cuisine devient un lieu de confidences et de murmures, parfois même un contrepouvoir. Plus près de nous, elle peut être le purgatoire de la femme, assignée à la préparation des repas en vertu d’atavismes culturels qui sont autant de savoureux ingrédients pour un roman.

La nourriture et l’intrigue

Toute l’intrigue d’un roman peut reposer sur la nécessité de se nourrir et sur les efforts que l’être humain est capable de déployer pour y parvenir. Un être seul au milieu de la nature sauvage, le ventre creux, qui tente de trouver de la nourriture : voilà qui pose les bases d’une intrigue dont l’enjeu final est la survie ou la mort. Dans « La Route », Cormac McCarthy utilise les difficultés de ses personnages à trouver à manger dans un monde postapocalyptique comme un générateur permanent de suspense.

La quête de la sensualité peut tout aussi bien servir de colonne vertébrale à une histoire : c’est le cas de « Ratatouille. » Le long-métrage de Brad Bird met en scène plusieurs personnages qui sont, pour des raisons diverses, en quête d’une expérience culinaire distincte, et autour duquel ils on tous construit leur identité. Un seul plat finit par les réconcilier.

Entre la Cène et le Banquet de Platon, le repas est une occasion cérémonielle où le matériel et le sacré se mettent à communiquer entre eux. En incluant une scène de repas, ou en faisant d’un dîner le cadre de toute une histoire, vous allez pouvoir profiter de chaque plat pour découper votre intrigue en actes distincts, de manière astucieuse et naturelle à la fois.

La nourriture et les personnages

Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. Le principe est simple, mais il fonctionne assez bien, en général. En montrant l’attitude de vos personnages face à leur assiette, leur appétit, la manière dont ils attaquent leur plat, ce qu’ils dévorent et ce qu’ils refusent de manger, vous communiquerez à vos lecteurs s’ils sont gourmands ou pas, sensuels ou tout en retenue, curieux ou frileux, et des milliers d’autres détails qui les définissent bien au-delà de la table des convives. Un personnage qui mange tous les jours le même repas produira une certaine impression sur les lecteurs ; un personnage qui se balade constamment avec de la nourriture à la main, une autre.

Cette différence peut d’ailleurs se voir sur eux, tout simplement : un gros et un maigre, ça n’est pas la même chose. Au-delà de l’apparence, ce choix est connoté et renvoie à des valeurs et à des signifiants que tous les lecteurs ont en tête, et que l’auteur peut utiliser ou détourner, selon ses besoins. Le cliché du gros bon vivant qui s’oppose au maigre rigoureux existe, de même que l’idée inverse, soit l’association entre obésité et dépression.

Et puis, à notre époque encore plus qu’autrefois, la manière dont nous nous nourrissons aide à nous définir et à cerner notre caractère. Vos personnages font-ils la cuisine eux-mêmes ou commandent-ils tout à l’emporter ? Prennent-ils le temps de manger ou le font-ils sur le pouce ? Sont-ils attachés à une tradition culinaire en particulier : italienne, chinoise, indienne ? Observent-ils des interdits alimentaires liés à leur religion ou leur culture ? S’interdisent-ils, comme les végétariens, certains aliments au nom de principes philosophiques ? Tout cela peut contribuer à donner de l’épaisseur à vos personnages.

Variantes autour de la nourriture

Les repas extraordinaires et les nourritures inattendues peuvent donner du corps à l’univers de fiction d’un roman, et il n’y a même pas besoin de quitter la réalité pour s’en rendre compte. On se souvient de François Mitterrand, président de la République française, se faisant servir des ortolans, un oiseau en voie de disparition ; on pense aussi à des spécialités culinaires improbables comme le casu marzu, fromage sarde infesté de larves ou le hakarl, chair de requin fermenté et séché.

Partant de là, il n’y a pas de limites à ce que les auteurs des littératures de l’imaginaire peuvent faire avec la nourriture. Dans « Alice au Pays des Merveilles », les changements de taille du personnage-titre sont liés à son ingestion de nourriture.

En fantasy, la nourriture peut être le vecteur de toutes les magies et de toutes les transformations : elle peut modifier la personne qui la mange, la combler au-delà de ses attentes, lui jeter un mauvais sort, l’empoisonner, lui inoculer une maladie ou être le vecteur d’une infestation ; un certain met peut être si rare qu’il justifie toutes les quêtes ; certains ingrédients peuvent être dotés de conscience et tenter de se sauver.

En science-fiction, l’origine de la nourriture peut être une fable pour la perte de repères de notre société, comme en atteste « Soleil Vert » ; une civilisation futuriste qui ne se nourrit que de mets synthétique apparaîtra au lecteur contemporain comme coupée de la réalité ; enfin, un auteur peut mettre en scène des extraterrestres qui se nourrissent de pensées, de peur ou de foies humains ; et puis on peut également renverser les rôles. Dans « Under the Skin », Michel Faber met en scène des extraterrestres qui capturent, castrent et engraissent des humains pour les manger.

⏩ La semaine prochaine: Éléments de décor – le genre

L’interview: Stéphane Arnier

Auteur primé de la série de fantasy « Mémoires du Grand-Automne » (dont j’ai publié une critique du premier tome), Stéphane Arnier est établi dans le sud de la France. Autoédité, Stéphane est un auteur indépendant dont vous pouvez soutenir la démarche sur tipeee-logo-com

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Tu es l’auteur des « Mémoires du Grand Automne », cycle-univers dont le premier roman est « Le déni du Maître-sève. » Depuis quand ce monde te trotte dans la tête ? Pourquoi les arbres ?

Les premières idées et notes datent de plus de 10 ans. Ce n’était qu’une graine, alors, et ça a bien poussé depuis. Les arbres ? Ce n’était pas le point de départ. Au début, je savais juste que je voulais écrire une série sur le cycle de la vie. Confronter un personnage à la fin de son existence ou à celle d’un proche n’était pas assez « fort », et l’intérêt des littératures de l’imaginaire est justement d’aller plus loin. J’ai donc eu envie de confronter carrément tout un peuple à sa « fin ». Et comme je voulais parler de mort naturelle (et non d’une mort violente et anticipée, par la guerre ou la maladie), il me fallait concevoir un univers où des peuples entiers naissaient puis mourraient. D’autres inspirations m’ont ainsi guidé vers la création d’un peuple en symbiose avec un arbre géant. Et si l’Arbre mourait ?

Tu proposes un univers riche et très éloigné des clichés de la fantasy. S’agit-il d’une volonté de se démarquer ?

Non, pas vraiment. Je pense que l’originalité ne doit pas être un objectif en soi : ce doit être la conséquence d’une manière de faire, et non une volonté de départ. J’ai été marqué par des approches méthodistes telles que celle de Truby : il propose de définir un thème qu’on a envie de traiter, et de développer toutes les composantes (univers, personnages, intrigue) à partir de cela. En travaillant ainsi, l’œuvre est forcément personnelle. En m’imposant de créer un univers lié à mon thème, je ne pouvais déjà plus copier Tolkien. Cette façon de faire oblige à faire du « sur-mesure ».

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Une fois que le cycle sera clos, te diriges-tu vers un autre univers ? Et quitter les littératures de l’imaginaire, tu y penses ?

En 2018 j’écrirai en effet le dernier tome de la série, et je pense déjà à la suite (car je sais qu’il faut beaucoup de temps pour mûrir un univers). Deux mondes bataillent dans mon esprit pour avoir la primeur du projet suivant, mais on restera résolument en fantasy. D’abord parce que c’est ce que j’aime. Ensuite parce qu’il n’est pas aisé de se constituer un lectorat, et que changer de genre revient quasiment à tout reprendre de zéro. Et puis, tout le monde milite pour les littératures de l’imaginaire ces derniers temps, non ? Bientôt nous aurons le vent en poupe, il n’est pas temps d’abandonner le navire, bien au contraire ! (rire)

Tu te définis comme un « architecte » : pour toi, la construction du récit est une étape cruciale de l’écriture d’un roman ? Reste-t-il une place pour la spontanéité ?

Oui, pour moi la structure est capitale, et fait partie intégrante du récit. Je trouve toujours étrange qu’on l’oppose aux notions de créativité et spontanéité. Premièrement, bâtir ce fameux plan nécessite déjà beaucoup de créativité et de spontanéité ! C’est comme considérer que seuls les ouvriers du BTP ou les décorateurs d’intérieurs « créent » quelque chose quand ils font une maison. Et l’architecte qui dessine les plans et conçoit la structure, n’a-t-il pas besoin de créativité et de spontanéité ? À mon sens, toute l’âme du bâtiment vient même de là !

Secondement, mon plan est mon fil d’Ariane pour ne pas me perdre, ma ligne de vie pour ne pas tomber. Il m’apporte une grande sécurité, et quand on se sent en sécurité dans son histoire, on est bien plus à l’aise pour prendre des risques et tenter des trucs. Sur mon roman en cours, j’ai changé au pied levé l’emplacement d’un affrontement, ai subitement supprimé le premier chapitre dans son intégralité, ou changé le sexe d’un personnage majeur en cours de route. Un plan, c’est juste un guide, un repère mûrement réfléchi pour ne pas être pris au dépourvu. Ce n’est pas une prison, puisque c’est vous qui le créez.

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Comment parviens-tu à concilier la fantaisie nécessaire aux littératures de l’imaginaire avec cette rigueur d’architecte ?

Croire que les deux s’opposent serait confondre fond et forme. Je suis très classique dans mes structures narratives, quasi scolaire dans ma construction des récits et ma gestion des rythmes, et pourtant tout le monde salue l’originalité de mes histoires… tout simplement parce que l’originalité réside plus souvent dans le fond que dans la forme. De plus, j’applique simplement ce qu’on appelle la contrainte créative : s’imposer des contraintes de fond (un thème à traiter) et de forme (une structure de récit) est un véritable tremplin pour l’imaginaire, un moteur à la créativité.

De Pixar à Stephen King en passant par Orson Scott Card, beaucoup de conseils d’écriture mettent en garde les auteurs contre les clichés, conseillent de jeter systématiquement ses premières idées. C’est le plus gros risque des auteurs jardiniers : si vous n’avez aucune contrainte et que vous vous laissez juste guider par votre inspiration du moment, neuf fois sur dix, vous ne faites que copier un truc que vous avez vu ailleurs (consciemment ou pas). De mon côté, les méthodes que j’utilise me poussent à être personnel, à produire un récit qui me ressemble et auquel je crois. Je bâtis selon des méthodes éprouvées, afin que le bâtiment soit bien solide, mais je ne me suis jamais senti bridé.

« La maturité de l’homme est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant », a écrit Alain Damasio. Quelle est la part de jeu dans ton écriture ?

Oh, c’est marrant que tu parles de ça, je n’ai jamais eu l’opportunité d’en parler jusqu’ici ! Le jeu est omniprésent. Comme beaucoup d’auteurs SFFF, je suis un ancien rôliste. J’ai été meneur de jeu et scénariste pour mes amis pendant plus de quinze ans, j’ai été joueur, j’ai été actif dans une association et rédacteur dans un fanzine, j’ai arpenté les conventions. La création d’univers ou l’interprétation des personnages a, pour moi, tout à voir avec le jeu. Écrire un livre, c’est un peu comme jouer à un grand jeu de rôle avec moi-même : une vaste campagne où je suis à la fois le scénariste, le meneur de jeu ainsi que tous les personnages. Je m’amuse beaucoup, et mes anciens camarades de jeu de rôle sont mes plus grands fans !

Tu es très présent et suivi sur les réseaux sociaux. Est-ce indispensable pour un auteur à notre époque ? Comment t’y prends-tu pour cultiver une audience en ligne ?

En vérité, je suis surtout présent et suivi… sur twitter. Parce que j’aime bien ce réseau et qu’il me prend peu de temps à animer (c’est du temps masqué, je peux twitter vite fait un peu n’importe quand, « vite tapé vite envoyé »). Parce que sinon, mon facebook sert très peu, et je n’envoie des newsletters que quand il y a des infos à partager. Le blog, c’est encore autre chose (on en reparle plus tard).

Est-ce indispensable ? Je ne crois pas (beaucoup d’auteurs « qui marchent » sont peu actifs sur le web), et il faut même faire attention (c’est un piège chronophage, les réseaux sociaux). Néanmoins, il me semble important que les gens trouvent facilement des informations sur un auteur ou un livre s’ils les cherchent. C’est pour cela que j’ai créé le site web, le facebook, le twitter : on me cherche, on me trouve. Cela ne va pas plus loin, et je n’ai aucune stratégie de com particulière. Ma seule « règle » est de ne pas m’éparpiller : je ne m’exprime que sur les livres, l’écriture, l’imaginaire (ce sont des comptes « auteur », pas personnels).

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Les auteurs édités de manière traditionnelle ont souvent plus de facilité à rencontrer leurs lecteurs en salon. Cela pèse dans la balance lorsqu’on fait le choix de l’autoédition ?

Ce sont des « on-dit » que je n’ai jamais pu vérifier. Je n’ai jamais eu de mal à aller sur des salons régionaux ou organiser des dédicaces en librairie près de chez moi. Peut-être est-ce plus compliqué pour les très gros salons ? Et encore : via Bookelis, j’ai dédicacé deux fois au Salon du livre de Paris. En plus, la situation évolue d’année en année, et la plupart des salons officialisent désormais des stands autoédition qui étaient avant plus ou moins officieux. Je connais des autoédités qui font 10 à 15 salons ou dédicaces par an. Moi, j’ai arrêté (trop d’heures perdues pour l’écriture).

Sur ton blog, tu dispenses de nombreux conseils d’écriture très utiles. À quel point est-ce important, de transmettre ton savoir-faire, pour toi ?

J’ai un peu honte de répondre ça, mais… ce n’est pas l’objectif du blog. Ce blog, je le tiens plus pour moi que pour ceux qui me lisent : c’est une façon de m’obliger à poursuivre mon apprentissage technique. Devoir régulièrement rédiger des articles sur la dramaturgie et la narration m’impose de faire des recherches, de lire des articles ou livres sur le sujet, d’y réfléchir pour savoir ce que j’en pense vraiment. Sans le blog, j’aurais la flemme et ne le ferais sans doute pas.

Par expérience (parce que j’ai été formateur, et même intervenant en master) je sais que la meilleure façon de maîtriser un sujet est de devoir l’enseigner à d’autres : il y a plein de choses que l’on croit savoir, et quand on cherche à les transmettre, on réalise que… eh bien en fait, non. Alors, j’ai monté ce blog, où je fais semblant de vous parler à vous, mais où je me parle surtout à moi-même : je me pose des questions, et j’essaie d’y répondre le mieux possible (c’est le côté un peu schizo de mes intros et conclusions d’articles). Avoir un lectorat externe m’oblige à la régularité, et les commentaires viennent me compléter ou me remettre en question. En plus, c’est aussi un exercice d’écriture : de l’écriture non romanesque, certes, mais de l’écriture quand même.

Bref : si j’accepte d’y passer autant de temps, c’est surtout parce que ça me fait progresser, moi. Idem pour les bêta-lectures que je réalise pour des comparses auteurs : je ne le fais pas « que » par bonté d’âme. C’est surtout parce qu’étudier les manuscrits des autres et rédiger les conclusions de mes analyses est un exercice fantastique pour progresser, et le premier pas pour réussir à prendre du recul sur ses propres textes. Je ne suis qu’un profond égoïste narcissique, j’en ai peur : tout ce qui me prend du temps doit être bénéfique à mon écriture, sinon je ne le fais pas.

Un conseil, une suggestion à ceux qui te lisent et qui ont envie d’écrire ?

Faites-le (rire).

Non, sérieusement : beaucoup de gens se prennent la tête, surtout en ce qui concerne les activités créatives ou artistiques. On parle d’angoisses, de syndrome de l’imposteur. Je ne me pose pas autant de questions : j’ai envie d’écrire, j’écris. Demain si l’envie s’en va, j’arrêterai. Vous avez envie d’écrire ? Écrivez. Si vous n’arrivez pas à vous y mettre, que vous angoissez, que c’est une souffrance d’une façon ou d’une autre, arrêtez. Mais ne culpabilisez pas : c’est OK. Faites autre chose. La vie est pleine de chouettes possibilités : faites ce que vous voulez, quand vous le voulez.

C’est une « crise de la trentaine » qui t’a amené vers l’écriture. Tu fêtes tes quarante ans cette année : un nouveau virage en perspective ?

On était obligés de parler de mon âge ? Et dire que je te trouvais sympa jusqu’ici… (rire). Nouveau virage, non : je n’étais pas heureux à 29 ans, et j’ai donc radicalement changé ma vie du jour au lendemain. En quelques années je me suis bâti une nouvelle existence, bien plus chouette, et n’ai pas l’intention d’en changer. En revanche, j’en profite pour faire un petit pèlerinage : il y a dix ans j’ai tout plaqué pour partir en Nouvelle-Zélande. J’y retourne cette année brièvement, comme un clin d’œil. J’avais déjà la graine du Grand Automne en moi avant de partir, mais c’est là-bas qu’elle a vraiment germé. De quoi se reprendre une bonne dose d’inspiration avant de clore ce cycle.

L’intrigue sans forme

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Comment structurer une intrigue ? A cette question, dans les billets précédents, j’ai apporté la réponse classique, à travers des schémas qui ont fait leurs preuves et qui permettent de construire des récits solidement charpentés. Mais laissons de côté quelques instants ces schémas, ces pyramides et ces crocodiles et cherchons un moyen de structurer une histoire autrement, d’une manière plus intuitive.

La pyramide de Freytag n’est pas la seule manière de construire une histoire. Bien souvent, ce n’est même pas la meilleure manière de le faire. Un peu comme le fameux « thèse-antithèse-synthèse » représente une manière de présenter un argument, mais pas nécessairement la plus efficace, ni la plus adaptée à toutes les situations, il est tout à fait possible d’opter pour une construction moins rigide, mais qui donne des résultats au moins aussi bons : l’intrigue sans forme.

Appelons ça « la règle du donc et du mais »

Tout roman, tout narratif, peut être décrit comme un enchaînement de scènes au cours desquelles des personnages agissent et ressentent des choses. La structure qui relie ces scènes sert à les enchaîner les unes aux autres, à les situer dans le temps et dans l’espace, à rendre les enjeux explicites et à maximiser l’impact émotionnel ressenti par le lecteur. Pour cela, il n’y a pas nécessairement besoin d’un grand schéma global imposé à tout le roman. On peut se contenter de suivre une règle archisimple qui régit l’enchaînement des scènes.

Appelons ça « la règle du donc et du mais. »

Ce n’est pas moi qui l’ai imaginé : aussi étonnant que ça puisse paraître, elle a été formalisée par les auteurs de la série d’animation South Park. Elle repose sur un constat élémentaire au sujet de la manière dont on raconte une histoire.

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Que l’on soit en train de relater une anecdote à des amis ou d’écrire un roman, l’approche la plus courante consiste à présenter une histoire comme une succession d’événements : « Ceci se produit, et puis ceci se produit, et puis ceci se produit, et puis ceci se produit… » Cette façon de faire a un gros défaut : elle est à peu près aussi intéressante à lire qu’une liste de courses. L’intérêt du lecteur n’est pas engagé, il n’y a aucun élan dramatique et le récit s’enlise vite dans l’ennui.

Les lecteurs sont intrigués, curieux de savoir ce qui va se passer par la suite

La règle du « donc » et du « mais » consiste à supprimer tous les « et puis » dans l’exemple ci-dessus et à les remplacer par des « donc » et par des « mais. »

Notre histoire devient dès lors quelque chose comme « Ceci se produit, donc ceci se produit, mais ceci se produit, donc ceci se produit… » Le résultat est une histoire bien plus palpitante, dans laquelle les événements ont des conséquences les uns sur les autres, du suspense est généré, et les lecteurs sont intrigués, curieux de savoir ce qui va se passer par la suite.

Voilà en deux mots comment fonctionne l’intrigue sans forme. Il suffit de se représenter un roman comme une succession de scènes qui s’enchaînent, et, à chaque fois que l’on serait tenté de mettre un « et puis » entre deux d’entre elles, on met à la place un « donc » ou un « mais. »

En clair, le « donc », c’est le cas de figure où la scène 2 est une conséquence directe de ce qui se passe dans la scène 1, et le « mais », c’est quand la scène 2 constitue une rupture par rapport aux attentes générées par la scène 1.

A cela, on peut encore ajouter une technique supplémentaire, qu’Alfred Hitchcock appelait « Et pendant ce temps là, au ranch. » On peut s’en servir quand une histoire inclut plusieurs intrigues racontées en parallèle. Quand l’une d’entre elle atteint son intensité maximale, on passe à une autre intrigue, et ainsi de suite. C’est un moyen supplémentaire d’éviter une transition « et puis », et cela génère du suspense, puisque le lecteur, lâché au point culminant de l’action, sera pressé de connaître la suite.

Il faut que l’intrigue poursuive des buts clairs et identifiables

Pour que ces quelques règles ne soient pas que des astuces d’écriture et constituent une véritable méthode de structuration d’un roman, cela dit, il faut tout de même prendre quelques précautions.

La technique du « donc » et du « mais » permet uniquement de déboucher sur une structure cohérente si elle repose sur une base solide. Il faut que l’intrigue poursuive des buts clairs et identifiables, que les personnages principaux aient des arcs narratifs solides, qui les voient évoluer de manière naturelle au cours de l’histoire, et enfin il faut que les thèmes du roman soient pleinement intégrés au récit. En l’absence d’une charpente dans le genre de la pyramide de Freytag, ce sont ces éléments qui vont donner leur cohérence à l’ensemble.

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Le film « Le Monde de Nemo » des studios Pixar nous offre une parfaite illustration de cette approche. L’intrigue repose sur un objectif clair : un père recherche son fils dès le début du film et le retrouve à la fin ; le personnage principal, le père, évolue au cours de l’histoire pour apprendre à dépasser ses peurs et à faire confiance à son fils ; quant au thème, le lâcher prise, il est constamment utilisé dans le long-métrage. A partir de ces fondations solides, le reste du film constitue une série d’aventures, reliées entre elles par la règle du « donc » et du « mais. » Cette construction est efficace parce que les objectifs et l’évolution des personnages sont logiques et compréhensibles.

Atelier : Reprenez la trame de votre projet d’écriture et tâchez d’identifier toutes les transitions d’une scène à une autre. Traquez les « et puis » et remplacez-les par des « donc », par des « mais » et par des « pendant ce temps, au ranch. » Soyez impitoyables.