Arcs narratifs : quelques outils

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Comme nous avons eu l’occasion de passer en revue les fondamentaux de la construction d’un arc narratif soit la préparation, les retombées et la notion de mérite littéraire, il est temps d’en explorer les outils. Traditionnellement, sur ce site, les articles « outils » rassemblent une série de conseils dépareillés, qui viennent compléter les bases énoncées dans les premiers articles. Celui-ci ne fait pas exception.

La cuisson lente

Additionner une préparation profonde, une préparation dramatique et une préparation instantanée pour parvenir à des retombées méritées : c’est comme ça que j’ai esquissé le mécanisme principal qui conduit à une construction narrative qui fonctionne. Mais si ces ingrédients sont indispensables, ils ne suffisent pas à réussir à tous les coups. Se contenter de remplir ces trois cases, mécaniquement, pour faire comprendre au lecteur pour quelle raison les personnages prennent les décisions qu’ils prennent, ça n’est pas toujours assez. Cela réclame un peu de doigté, et une vision sur le long terme.

C’est le cas en particulier des scènes où un ou plusieurs protagonistes entreprennent une action décisive, au terme d’une phase de préparation ou de réflexion. Ce moment, avant de le mettre en scène, il faut le laisser mûrir dans la tête du lecteur.

Oui, d’accord, vous avez fait le job : vous nous avez expliqué que Cléa est une jeune femme romantique et sensible (contexte profond), qu’elle manque de confiance en elle après une rupture difficile (contexte dramatique) et la scène où elle décide finalement d’embrasser son crush, Jordan (ils s’appellent toujours Jordan, n’est-ce pas ?), n’est pas mal tournée. Mais malgré tout, quelque chose ne fonctionne pas, vous le sentez bien. Alors quoi ?

Alors ce n’est pas un ingrédient qui manque, c’est que votre plat doit mijoter davantage. Pour nous faire comprendre ce qui pousse cette jeune femme plutôt fleur bleue à s’accaparer les lèvres de celui qui fait vibrer son cœur, il faut prendre le temps de nous faire vivre un peu sa paralysie face aux jeux de l’amour, ainsi que son émoi grandissant face à Jordan, qui, peu à peu, lui inspire confiance. Ces choses-là n’arrivent pas à point instantanément. Ce n’est qu’après une cuisson lente dans la tête du lecteur qu’il sera prêt à considérer que l’assaut buccal qui constitue la retombée de cet arc narratif est mérité.

Si ça ne fonctionne pas, essayez de rallonger les scènes, nourrissez la préparation dramatique d’éléments supplémentaires, ou rajoutez quelques blocs, jusqu’à ce que ça vous paraisse suffisant. Au besoin, testez la séquence auprès de bêta-lecteurs.

Bref, la préparation, ce n’est pas juste une question de délivrer les bonnes informations dans le bon ordre, c’est aussi une question de tempo. Ne servez pas le plat avant qu’il soit cuit. Ni quand il est brûlé.

Insuffisante prophétie

Autre question de construction temporelle délicate à mener, et qui mérite une attention particulière : toutes les tentatives d’inclure une prophétie dans votre narratif.

Quand je dis « prophétie », il peut s’agir d’une authentique prédiction de l’avenir, par des moyens magiques, tels qu’on les rencontre fréquemment dans les récits de fantasy, et dont j’ai déjà eu l’occasion de dire ici ce que j’en pense. Mais il peut également s’agir d’artifices narratifs plus conventionnels, tels que le flashforward (un petit aperçu de l’avenir de l’histoire), ou ces sentences énoncées par un narrateur omniscient, comme Joël Dicker les affectionne, du genre « En entrant dans cet hôpital, Teresa ne peut pas se douter du drame qui va s’y jouer. Il ne reste que trente-sept heures ».

Aucun de mal à ça. Qu’on soit ou non amateur de ce genre de techniques, elles ne sont par essence ni bonnes, ni mauvaises. Par contre, il est important de garder en tête que ce genre de présage ne peut pas à lui seul se substituer à une préparation. Non, surnommer votre protagoniste « l’Élue » ne suffit pas à justifier qu’elle se découvre le courage de terrasser le Grand Méchant à la fin de l’histoire. Si vous vous contentez de ça, le lecteur va rester sur sa faim. Bref, c’est immérité.

En deux mots, ces éléments peuvent prendre la place de la préparation profonde, mais elle uniquement. Et comme on l’a vu, il ne s’agit que d’un tiers du boulot. Donc ne vous servez pas de ce genre de technique, en croyant que vous avez trouvé une solution miracle pour établir votre préparation en déployant peu d’efforts.

Oui, peut-être que vous avez mentionné que votre personnage de jeune reine combattante descend d’une longue lignée de nobles psychologiquement instables, mais si vous souhaitez mériter le moment à la fin de l’histoire où elle perd la boule, il va falloir semer quelques indices supplémentaires, et construire la scène fatidique de manière à y inclure un élément déclencheur. Sans cela, ça risque de tomber à plat.

Un vrai déclencheur

Pendant qu’on parle de ça : la préparation instantanée, ça ne peut pas juste être n’importe quoi. Il faut qu’il s’agisse d’un déclencheur crédible de l’action, un élément narratif qui ne laisse aucun doute au sujet du fait que la réaction du personnage est justifiée.

C’est dommage, mais beaucoup d’arcs narratifs échouent au tout dernier moment, parce que la dernière phase n’est pas suffisamment soignée. Exemple : vous nous avez montré que votre personnage est un paria, qui s’est habitué à se débrouiller seul et à fuir les ennuis (préparation profonde) ; peu à peu, il trouve une cause à défendre et des amis sur qui il peut compter (préparation dramatique) ; dans une scène-clé, il choisit de sacrifier sa vie pour sauver ses nouveaux amis, euh, par exemple en jouant de la guitare dans une dimension parallèle (préparation instantanée).

C’est un développement classique, et tout cela tient parfaitement debout, à condition que la dernière scène justifie cette décision. En particulier, s’il sacrifie sa vie sans savoir quel impact réel cela pourrait avoir, ou s’il existait manifestement d’autres moyens de régler la situation qui n’aurait pas mené à sa mort, on est en présence de retombées imméritées, qui vont susciter davantage de perplexité que d’émotion.

La préparation instantanée ne peut pas juste être n’importe quoi : il doit s’agir d’un élément crédible qui justifie pleinement l’action et les conséquences qui suivent, et dans l’idéal, sans être prévisible. C’est une scène-clé, prenez le temps de la soigner.

Tester le mérite

Déterminer si des retombées sont méritées ou non est une question subtile, pour laquelle il n’existe pas de méthode scientifique. D’ailleurs, attendez-vous à ce que la solution que vous finissez par adopter fonctionne pour certaines personnes mais pas pour d’autres. Dans ce domaine comme dans d’autres, on ne peut pas contenter tout le monde. Tout au plus peut-on chercher à satisfaire un maximum de lecteurs, et à faire taire par avances les protestations les plus bruyantes.

Toutefois, si vous avez l’impression qu’il y a quelque chose qui cloche, qu’un moment n’est pas complètement mérité ou que vos bêta-lectrices et lecteurs vous signalent leur insatisfaction, je vous propose de tester votre arc narratif en vous posant une question, que voici : qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Est-ce que c’est le tempérament du personnage (préparation profonde), son état d’esprit (préparation dramatique) ou sa réaction immédiate (préparation instantanée) ?

Selon la manière dont vous répondez à cette question, cela peut vous permettre d’identifier dans quel secteur se situe le problème, et d’y remédier efficacement.

Ambiance et ton

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Alors que nous avons récemment consacré notre attention à la question du ton en littérature, c’est à une notion voisine que je vous propose de nous consacrer, à savoir l’ambiance. Les deux concepts sont si semblables qu’on pourrait les confondre, pourtant, une romancière ou un romancier a tout à gagner à être capable de les distinguer, car cela peut lui permettre des ajustements subtils qui vont contribuer à la qualité de son œuvre.

L’ambiance, c’est quoi ? C’est l’atmosphère qui se dégage d’une œuvre (ou d’un passage d’une œuvre), le sentiment général qui en ressort et qui est communiqué au lecteur qui découvre ces mots.

Au fond, on peut dire que l’ambiance est au lecteur ce que le ton est à l’auteur. Alors que le ton transmet le point de vue que l’auteur porte sur son histoire, l’attitude qu’il adopte vis-à-vis de son propos et de ses personnages, l’ambiance décrit les émotions qu’évoque le texte chez le lecteur.

On ne s’étonnera pas dès lors de constater que les mêmes mots peuvent souvent décrire les deux concepts : sarcastique, nostalgique, dramatique, léger, humoristique, triste, etc… sont des termes qui peuvent tout aussi bien s’appliquer au ton qu’à l’ambiance. De la même manière qu’un personnage ou un roman peuvent adopter un ton terrifiant ou joyeux, un lecteur peut faire l’expérience d’une ambiance terrifiante ou joyeuse en lisant ces pages.

Pour résumer : le ton est une intention délibérée et exprimée, l’ambiance est un message reçu et subi.

Et tout cela serait simple si un ton effrayant débouchait toujours sur une ambiance effrayante. Si c’était le cas, si ces deux notions étaient systématiquement appariées, il ne servirait à rien d’opérer une distinction, puisque ce ne seraient que les deux facettes d’une même pièce. C’est cependant loin d’être le cas.

Dans la plupart des cas, ton et ambiance se confondent

Dans son roman « Bleak House », Charles Dickens adopte un ton sarcastique pour décrire les mécanismes d’un procès au long cours et ses effets sur celles et ceux qui y sont associés. Mais l’ambiance générale de ce roman traversé par une affaire de meurtre est bien souvent lugubre et captivante. En utilisant deux narrateurs différents et en prenant ses distances avec ses personnages, l’auteur parvient à proposer un ton et une ambiance distinctes, ce qui confère une grande originalité à son roman.

On ne va pas se mentir, dans la plupart des cas, ton et ambiance se confondent. L’auteur adopte une certaine attitude vis-à-vis de son histoire, et c’est celle-ci qui se transmet aux lectrices et lecteurs qui découvrent le texte. En prenant le parti d’écrire un texte triste, c’est bien des résonances de tristesse que le lectorat va percevoir en le lisant.

Toutefois, il existe des astuces qui permettent, d’un point de vue pratique, de distinguer les deux notions au sein d’un même roman, si c’est votre choix. Il s’agit d’une approche qui est parfois utilisée dans la littérature d’horreur, pour ne citer que cet exemple. Imaginons une histoire de maison hantée, qui s’ouvre de manière traditionnelle par une série de scènes qui montrent de quelle manière les membres d’une famille s’installent dans leur nouveau domicile. Une option pour l’auteur est de rédiger ces chapitres d’introduction sur un ton léger, voire convivial, afin de nous permettre de faire connaissance avec ses personnages avant que le drame ne survienne, et de créer de l’attachement. Pourtant, la situation, le descriptif des lieux, un certain nombre de détails en apparence innocents ainsi que le simple fait d’avoir entre les mains une histoire de maison hantée va mettre le lecteur sur ses gardes et installer une ambiance sinistre, bien avant qu’elle ne se propage au ton du récit.

La romance est également un genre où ton et ambiance peuvent occasionnellement parcourir des chemins divergents. Certains titres peuvent toucher à des sujets graves : questions de vie ou de mort en milieu hospitalier, crime, naufrages, etc…, ce qui fait que l’ambiance, en tout cas pendant certains passages, pourra être assez lourde. Pourtant, en accord avec les codes du genre, l’auteur maintiendra malgré tout un ton léger et divertissant même au cours de ces chapitres, afin de nous faire comprendre que même si ces épreuves sont sérieuses pour les personnages, le lecteur est invité à les appréhender avec une distance espiègle.

Ton et ambiance font donc partie des axes principaux du volet stylistique de l’écriture romanesque. Pour résumer en quelques mots tout ce qu’on a pu dire à ce sujet jusqu’ici : la voix, c’est la signature esthétique d’un romancier, celle que l’on retrouve d’une œuvre à l’autre ; le style, c’est la personnalité d’une œuvre ; le ton, c’est l’attitude de l’auteur vis-à-vis de ce qu’il écrit ; l’ambiance, c’est la résonance émotionnelle du texte.

Détournement de genre

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Après avoir ausculté les genres littéraires un peu sous tous les angles, dans cet article, je vous propose de les triturer, de les modifier, de les repenser, et de se poser cette question : et si le concept de genres était un incubateur à idées ?

La réponse est « oui », hein, ça peut être un incubateur à idées. Vous pensez bien, sinon, que je ne vous ferais pas perdre votre temps.

Pour vous en rendre compte par vous-mêmes, je vous propose quelques approches, quelques petits exercices créatifs ludiques à faire chez vous.

D’abord, l’interpolation. On l’a évoqué dans un récent billet, il est possible de croiser deux genres, d’en bouturer un sur les branches de l’autre, par exemple en adoptant la substance d’un premier genre avec la surface d’un second. Dans ce domaine, il n’est pas très difficile d’accoucher de concepts inédits en prenant un petit peu de ci, en ajoutant un petit peu de ça et en saupoudrant le tout d’une pincée de quelque chose d’autre. Comme souvent avec de l’écriture, c’est de la cuisine.

Il n’y a pas de limites. Oui, vous pouvez raconter une histoire de cape et d’épée avec des fantômes ; bien sûr, rien ne s’oppose à mettre en scène des vampires à l’âge de la pierre ; ça va de soi, vous pouvez croiser le drame hospitalier avec la fresque médiévale ; et pourquoi pas une comédie autobiographique ? C’est tout bête, vous cherchez à rendre votre récit singulier en défrichant des territoires peu explorés par les romanciers avant vous.

En littérature, l’originalité ne vaut pas grand-chose

Mais en littérature, l’originalité ne vaut pas grand-chose si on n’a que ça à offrir aux lecteurs. C’est pourquoi il existe d’autres approches sans doute plus intéressantes, qui interrogent l’idée même de genre et qui les aident à sortir des ornières qui peuvent se présenter, soit à cause de l’usure des vieilles ficelles, soit en fonction de l’évolution des sensibilités.

Ainsi, il est possible de revisiter un genre et de le mettre à jour, en quelque sorte, en tenant compte du monde dans lequel nous vivons et des dernières tendances dans le monde de la fiction. Ce n’est pas une impulsion nouvelle, d’ailleurs. Dans les années 1970, des cinéastes italiens, puis américains, ont revu et corrigé le western, troquant les héros d’autrefois contre des individus sinistres, piégés dans un monde crépusculaire fait de violence et de cynisme. C’était toujours du western, mais revu et corrigé.

Forcément, cette approche fonctionne mieux avec des genres qui ont été un peu laissés de côté, qui évoquent une époque lointaine ou qui sont tellement retranchés dans des motifs issus d’une longue tradition qu’ils pourraient profiter d’un peu de fraicheur. Donc allez-y, sentez-vous libres de vous approprier la sword and sorcery, le roman de boxeurs (oui, ça a existé et c’était même assez populaire il y a un siècle), les histoires d’aviateurs ou de mondes perdus pour les faire entrer dans le 21e siècle.

Rien n’empêche d’aller un peu plus loin. Plutôt que se contenter de dépoussiérer un genre, et si on le déconstruisait ? La démarche n’est pas si différente, mais elle suppose une posture critique. En deux mots, on cherche ce qui cloche dans les présupposés d’un genre, et on écrit un roman à charge, ou en tout cas à message, pour tenter de corriger le tir.

Si la thèse est tout ce qui vous intéresse, écrivez une thèse

La place des personnages féminins dans le western consiste à incarner un nombre limité de clichés et à exister en marge de protagonistes masculins : un roman déconstruit pourrait tenter de raconter ce type d’histoire à partir de leur perspective, en réglant son compte au sexisme de l’époque. On pourrait réserver le même traitement aux récits d’explorateurs, en le détournant pour en faire le procès de la pensée colonialiste. Et pourquoi on ne profitait pas, le temps d’un roman, de faire le procès de la violence gratuite dans les sagas de fantasy, où, d’ordinaire, on règle les problèmes au fil de l’épée sans que personne ne s’en émeuve.

Attention tout de même : si la thèse est tout ce qui vous intéresse, écrivez une thèse. Même déconstruit, un roman doit rester un roman, et en adoptant un ton trop démonstratif, vous risquez de fatiguer le lecteur.

Autre idée : et si on inventait un nouveau genre ? Bien sûr, la proposition est absurde, parce qu’un roman à lui-seul ne va jamais constituer un genre à proprement parler. Mais après tout, quand William Gibson a écrit « Neuromancien », il a donné naissance au premier (et à l’époque, le seul) livre estampillé « cyberpunk. » Pourquoi ne pas vous laisser gagner par l’ivresse de l’ambition, et concevoir, dès le départ, votre nouvelle histoire comme la pierre fondatrice d’une nouvelle tendance de la littérature ? Peu importe, pour le moment, que d’autres que vous suivent le mouvement. On verra bien quelle place la postérité vous réserve.

Dans ce domaine, les territoires à conquérir sont nombreux, mais pas toujours faciles à entrevoir. Une possibilité consiste malgré tout à inverser les propositions de genres existants. C’est ainsi que d’autres que vous (raté, donc, sur ce coup), ont inventé la littérature pré-apocalyptique, située comme son nom l’indique en amont de la catastrophe décrite dans la littérature pré-apocalyptique. Mais imitez leur exemple : prenez l’urban fantasy, ce genre qui emprunte des codes du fantastique et de la fantasy pour les inscrire dans un cadre urbain contemporain, et changez de décor pour créer la rural fantasy. Oui, des vampires au milieu des vaches et des marguerites. Enfin bon, en l’occurrence, vous ne pouvez plus vraiment l’inventer puisque c’est moi qui ai eu l’idée. Mais à vous de jouer pour inventer un autre genre littéraire.

Un outil pour renouveler votre intrigue

Le détournement de genre, ça peut également fonctionner comme un outil pour renouveler votre intrigue. On ne se rend pas toujours compte à quel point certains genres sont associés à certains schémas narratifs, alors qu’il n’y a en réalité aucune raison que cette relation soit si étroite. La trame ultraclassique de la quête est omniprésente dans la fantasy, donc si vous vous lancez dans ce genre, interrogez-vous, et tentez pour une intrigue très différente : racontez une journée dans la vie d’un magicien, toute la vie d’un chevalier, ou, pourquoi pas, un procès ou une enquête de police. Et si votre prochain roman policier n’évoquait pas, pour une fois, les investigations autour d’un meurtre, mais le quotidien d’un détective forcé de jongler entre de multiples enquêtes qui ne mènent nulle part ? La romance, afin de s’affranchir du schéma attendu rencontre – sentiments – complications – amour, pourrait bénéficier d’une narration déstructurée, présentée dans le désordre.

Et ce qui est valable pour l’intrigue l’est tout autant pour les personnages. Réfléchissez au type de protagoniste que vous rencontrez habituellement dans certains types de romans, et tentez de prendre le contrepied, pour voir où cela peut vous emmener. Et si le personnage principal de votre roman policier était une petite fille ? Pourquoi pas une romance présentée du point de vue d’un personnage masculin, et destinée à un lectorat masculin ? Un thriller raconté de la perspective d’un chat ? Un roman d’aventure dont les protagonistes sont des personnes âgées ? Jetez elfes, nains et toutes les classes de personnage de D&D à la poubelle au moment de pondre votre roman de fantasy, et osez réinventer une nouvelle fois vos personnages de vampires, loin de l’imagerie romantique, pour les dépeindre comme des monstres d’épouvante.

Pour faire vivre les genres au-delà des clichés qu’ils transbahutent, il faut d’abord prendre conscience des motifs récurrents qui les constituent, puis avoir l’audace de les remplacer par des éléments différents.

Le genre : la substance et la surface

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Je le reconnais, ma proposition de diviser toute la fiction en seulement quatre genres dans un récent billet s’est heurtée à une forte résistance. Je m’y attendais (d’ailleurs, j’ai écrit cette phrase il y a des mois, bien avant de recevoir la moindre réaction).

Mais je ne me décourage pas, et je vous propose cette semaine une autre nomenclature, aussi distincte de celle que l’on utilise habituellement que de celle que j’ai proposé pour la remplacer.

L’idée de base est simple : ce que nous appelons habituellement « genre » n’existe pas vraiment, mais est composé de deux notions distinctes, que j’ai choisi d’appeler la « substance » et la « surface. »

La substance, c’est ce qui caractérise un genre dans son fonctionnement : ses traits distinctifs du point de vue de l’intrigue, du thème ou des personnages. La surface, c’est l’ensemble des motifs et des éléments esthétiques qui sont traditionnellement associés au genre, sans en constituer pour autant le cœur.

Les deux parties sont parfaitement détachables

Un exemple ? La science-fiction, en gros, c’est le genre littéraire qui s’attache à mettre en scène des personnages aux prises avec les mutations scientifiques, technologiques, sociales et psychologiques de l’humanité. Ça, c’est la substance. La surface, ce sont des vaisseaux spatiaux, des robots, des pistolets laser et des machines à voyager dans le temps.

Mais en réalité, les deux parties sont parfaitement détachables et peuvent exister indépendamment l’une de l’autre. Ainsi, vous pouvez, sans difficultés, mettre en chantier un roman qui s’inscrit dans la substance d’un genre, mais avec la surface d’un autre.

Vous prenez par exemple la romance. En substance, on a affaire à un genre qui s’intéresse à la naissance et à l’évolution du sentiment amoureux auprès de ses personnages principaux. Et bien vous pouvez y apposer la surface de la science-fiction, et soudain les tourtereaux s’éprennent l’un de l’autre au cœur d’un empire galactique déchiré par une guerre stellaire. D’ailleurs, vous pourriez raconter exactement la même histoire (dans les grandes lignes) avec la surface d’une invasion de zombies, d’une saga de fantasy ou d’un récit de guerre.

Ce ne sont, finalement, que des habillages interchangeables, des « skins », comme on le dit en informatique pour désigner les thèmes qui permettent de modifier l’apparence d’un logiciel ou d’un personnage de jeu vidéo sans en altérer les fonctionnalités.

De nombreuses œuvres connues peuvent être analysées avec cette grille de lecture

Il suffit de renverser l’équation pour réaliser à quel point cette manière de considérer les genres enrichit notre perception : un roman de substance « science-fiction » et de surface « romance » pourrait par exemple raconter le coup de foudre et les premiers rendez-vous d’un humain et d’une intelligence artificielle, ou de deux individus appartenant à des espèces à la perception de la réalité radicalement différente.

De nombreuses œuvres connues peuvent être analysées avec cette grille de lecture. Ainsi, la série « Game of Thrones » de G.R.R Martin est un roman qu’on peut classer de cette manière : « substance : roman de guerre, surface : fantasy. » « No Country for Old Men » de Cormac McCarthy est un western/polar. « Le Seigneur des Anneaux » de J.R.R. Tolkien peut être classé sous post-apocalyptique/fantasy. Et comme j’ai pu l’écrire ici-même, « Le hussard sur le toit » est un roman zombies/aventure.

Hollywood est friand de cette méthode. Les films destinés au grand public sont presque toujours basés sur la substance de genres perçus comme simples par les producteurs : action, comédie, aventure, etc… Afin d’y ajouter un peu de couleur et de diversité, on y accole ensuite la surface d’un autre genre : science-fiction, guerre, mythologie, polar, etc… Pour cette raison, la plupart des gens ont une perception superficielle de certains genres, tout simplement parce qu’ils ont été beaucoup moins exposés à sa substance qu’à sa surface.

Tout cela mène à une approche en kit de la notion de genre, qui peut être ludique et même féconde en nouvelles idées. Une romancière ou un romancier qui est en quête d’originalité pourra même tenter de voir s’il est possible d’inventer des combinaisons inédites. Pour votre prochain livre, pourquoi ne pas essayer des cocktails horreur/comédie, autobiographie/steampunk ou espionnage/conte, par exemple ?

Et puis rien ne vous empêche, si vous êtes ambitieux, de bricoler votre surface à partir de plusieurs genres. Vous pourriez ainsi vous lancer dans la rédaction d’une saga dont la substance est la fantasy, et dont la surface emprunte au space opera, au western, au chanbara et au film de guerre, et vous pourriez appeler ça « Star Wars. »

Les quatre genres

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On est tous pareils, nous, celles et ceux qui écrivent. Nous sommes tous tellement persuadés que chaque roman que nous signons est unique, qu’au moment de chercher à le situer dans un genre, souvent, on est tenté de le placer au carrefour de plusieurs micro-genres très pointus, afin de prouver à quel point notre œuvre est singulière :

« Pour faire simple, mon bouquin se situe entre le polar uchronique et une sorte de dieselpunk postapocalyptique revisité, mais c’est principalement une comédie romantique inspirée de la grande tradition des screwball comedies des années 1940 »

OK, on arrête ça. Ça ne sert à rien. Si votre œuvre est unique, les lecteurs vont s’en apercevoir par eux-mêmes et le faire savoir autour d’eux. Par contre, la valse des étiquettes, ça risque surtout de les faire fuir, surtout s’ils n’y comprennent rien. Séduire le lecteur, c’est comme séduire tout court : on ne montre pas son côté le plus bizarre d’entrée de jeu.

Et si on faisait simple, plutôt ? C’est généralement une bonne idée.

En l’occurrence, et si, plutôt que de diviser la littérature en une infinité de genres pas plus vastes que des miettes, et dont les frontières sont floues, on prenait un peu de recul ? Comme on l’a vu dans un récent billet, cette détermination par genres est héritée des tâtonnements de l’histoire et comporte pas mal d’absurdités. Il est intéressant de repartir de zéro et de tenter de jeter sur la littérature un regard analytique et objectif.

Ce que je propose, c’est de répartir toutes les œuvres de fiction en quatre catégories

Ce que je propose, c’est de répartir toutes les œuvres de fiction de l’histoire de l’humanité en quatre catégories, et de le faire en posant seulement deux questions (plus une question subsidiaire). Oui, le résultat est sans doute moins précis, mais vous allez vous en apercevoir, cela va permettre à vos livres de se découvrir un voisinage aussi étendu qu’inattendu.

La première question est la suivante : « Est-ce que cette histoire est réaliste ou non ? »

En d’autres termes, est-ce que tous les événements qui composent le récit pourraient avoir lieu dans le monde réel tel que nous le connaissons, même s’ils sont présentés de manière exagérée par emphase dramatique. A la moindre entorse, la réponse est « non », aussi science-fiction, fantastique, réalisme magique se retrouvent d’un côté, pendant que les romances, les histoires d’espionnage ou les romans historiques, pour ne citer qu’eux, finissent ensemble.

Seconde question : « Est-ce que cette histoire est polarisée ou non ? »

Ça, ça réclame quelques explications. Ce que j’appelle « polarisé » dans ce contexte, c’est ce qui caractérise les œuvres de fiction dont l’intrigue et le thème s’articulent autour d’une seule notion centrale : le crime pour les polars, par exemple, ou l’amour pour les romances. C’est d’ailleurs la question subsidiaire que je propose : « Polarisée sur quoi ? »

Ainsi, les histoires de Sherlock Holmes de sir Arthur Conan Doyle seront classées sous « Réaliste/polarisé (crime). », « Le Rouge et le Noir » de Stendhal sous « Réaliste/non-polarisé », « Jonathan Strange & Mr Norrell » de Susanna Clarke appartiendra à la catégorie « Non-réaliste/polarisé (magie) », et « Dune » de Frank Herbert à « Non-réaliste/non-polarisé. »

Ce système est exactement aussi imparfait que celui que l’on utilise actuellement !

Ce qui est intéressant avec ce concept, c’est qu’on découvre que tout ce qui est d’ordinaire regroupé pèle-mèle dans la catégorie « littérature de genre » n’atterrit pas forcément dans le même tiroir.

La science-fiction, par exemple, se fait complètement éventrer par ce système des deux questions, certaines œuvres majeures étant classées dans une catégories, certaines dans une autre. Ainsi, un auteur de SF comme Isaac Asimov aura commis « Les Robots » en « Non-réaliste/polarisé (robots) » et « Fondation » en « Non-réaliste/non-polarisé. »

Mais je vous connais, je vois venir votre objection : ce système est exactement aussi imparfait que celui que l’on utilise actuellement ! La limite entre « polarisé » et « non-polarisé » est subjective, et on pourrait débattre à l’infini de ce qui rentre dans une case plutôt que dans une autre. D’ailleurs, même le seuil entre « réaliste » et « non-réaliste » n’est pas aussi net qu’on pourrait le croire de prime abord. Je suis sûr que vous avez des exemples de livres en tête qui font s’effondrer tout le château de cartes.

Et vous avez raison. Malgré tout, même imparfait, ce système a l’avantage d’être issu de l’observation des œuvres en tant que telles plutôt que de la tradition, ce qui encourage à la réflexion sur ces questions plutôt que d’adopter une posture passive. Par ailleurs, répartir les œuvres littéraires en quatre grandes catégories permet d’en finir avec l’idiote dichotomie « littérature blanche/littérature de genre », qui ne rime à rien. Enfin, elle permet de réaliser que des romans qui semblent très éloignés les uns des autres ont en réalité beaucoup en commun et qu’il s’agit, au bout du compte, de littérature avant tout.