Qu’est-ce que le style ?
La question est centrale et pourtant insaisissable. Qu’est-ce que le style en littérature ? Le style, vous savez, c’est cette notion agaçante dont tout le monde a une notion intuitive mais que personne n’arrive à définir. Cette semaine et dans les prochains billets, je vous propose de l’explorer un peu.
Parce qu’en réalité, trouver une définition satisfaisante du style, ça n’est pas si compliqué que ça : c’est l’application pratique de celle-ci qui peut être délicate. En deux mots, le style d’un écrivain, c’est la somme des éléments qui rendent son écriture unique et la distinguent de toutes les autres. Et le même principe s’applique également au roman, qui peut avoir un style distinct des autres écrits de son auteur.
Le style, en d’autres termes, c’est la personnalité d’une œuvre.
Réfléchissez un instant à ce qui constitue la personnalité d’un individu : certaines personnes sont bavardes ou taciturnes, ambitieuses ou modestes, traditionnelles ou iconoclastes, sincères ou manipulatrices, directes ou insaisissables. Il existe d’innombrables critères qui se conjuguent pour forger l’impression que va laisser une personne sur autrui et en faire quelqu’un d’unique. Le style, en littérature, c’est la même chose : l’accumulation de tous les aspects d’une œuvre qui contribuent à lui donner une personnalité.
Le style va se loger partout dans une œuvre romanesque
Pour le dire autrement : si vous faites l’addition de toutes les décisions esthétiques qui contribuent à la rédaction d’un roman, cette somme constitue le style de l’ouvrage. Et si vous faites la moyenne de toutes les décisions esthétiques prises par un auteur au cours de sa carrière, le résultat, c’est son style.
Le style va se loger partout dans une œuvre romanesque. Chacun des éléments que j’ai décrit jusqu’ici dans une perspective structurelle existe également dans une perspective stylistique.
Prenons une œuvre au hasard, et considérons les milliers de choix qui la constituent : comment l’action est-elle découpée en chapitres ? Les paragraphes sont-ils longs ou courts ? Et les phrases ? Quel type de vocabulaire l’auteur utilise-t-il ? Joue-t-il avec la grammaire, la ponctuation, la syntaxe ? Toutes ces options peuvent obéir à des contraintes pratiques comme celles de la construction narrative, mais elles sont aussi des éléments constitutifs du style. Il peut s’agir, de la part de l’auteur, d’une volonté délibérée d’émouvoir ou d’influencer le lecteur, mais même les décisions inconscientes finissent par contribuer au style.
Il existe différents niveaux de vocabulaire
Le choix des mots est un des principaux éléments constitutifs du style, ou en tout cas un des plus visibles. Il existe différents niveaux de vocabulaire, et un auteur serait bien inspiré de prendre la décision de se situer dans l’un d’eux : son langage peut être sophistiqué, ampoulé, académique, direct, familier, relâché, ou toute autre option entre deux. Il peut même combiner plusieurs niveaux de langage, pour autant que cela ait du sens, en optant par exemple pour un langage familier dans les dialogues et un style lyrique dans les descriptions.
Au-delà du niveau de langage, le vocabulaire offre d’autres choix à un écrivain : certains ont un goût prononcé pour les archaïsmes, d’autres laissent volontiers des néologismes sortir de leur plume (parfois ils inventent eux-mêmes des mots, ou jouent avec leur orthographe). Certains évitent les répétitions comme la peste, d’autres les tolèrent ou les recherchent. Pour certains, la musicalité du langage, les allitérations, les associations de sons n’ont pas d’importance, d’autres ne jurent que par elles.
Le principe à garder à l’esprit, c’est que dans un texte narratif comme un roman, le vocabulaire peut vite constituer un obstacle entre l’auteur et le lecteur. Beaucoup de gens sont rebutés par un niveau de langage trop lâche, ou n’apprécient pas de devoir sortir leur dictionnaire toutes les deux pages pour comprendre ce qui se passe. Souvent, faire simple est la meilleure option, ou en tout cas celle qui édifie le moins grand nombre de barrières à la lecture.
La voix de l’auteur, c’est ce qui transparaît de sa personnalité dans son écriture
Le style va également se loger dans la manière dont les phrases sont composées : certains auteurs ne jurent que par les très longues phrases, proustiennes et interminables, alors que d’autres alignent les fragments de phrases courts et abrupts. Pour certains, il est impératif qu’une phrase comporte un sujet, un verbe et un complément, alors que d’autres entretiennent avec la grammaire une relation plus ludique. Ces possibilités, bien que moins visibles que le choix de vocabulaire, vont avoir un impact déterminant sur la manière dont un texte sera reçu par le lecteur.
Une notion plus difficile à cerner lorsque l’on parle de style littéraire, c’est celle de la voix. La voix de l’auteur, c’est ce qui transparaît de sa personnalité dans son écriture : le ton, la signature émotionnelle du texte qu’il produit. La voix d’un auteur peut être impersonnelle ou bavarde, charmante ou pince-sans-rire, affirmative ou réflective, objective ou passionnée, sérieuse ou drôle. Ainsi, on n’aura aucune peine à distinguer la voix grave et grandiloquente d’un Victor Hugo avec la voix mélancolique et sarcastique d’un Boris Vian, pour citer ces deux exemples.
Pour un auteur, développer sa propre voix est généralement un processus naturel. Bien sûr, le style va muter en fonction des projets : il ne sera pas le même si un auteur signe une comédie ou s’il s’attaque à un roman policier. Toutefois, à force d’écrire, des constantes finissent par émerger, des habitudes, bonnes ou mauvaises, qui trahissent la nature profonde d’un écrivain et qui transparaissent en filigrane dans ses œuvres : la voix, c’est ça.
Vous pouvez faciliter l’émergence de votre propre voix en vous donnant la liberté d’écrire les choses à votre manière. Vous ne parlez pas exactement comme les autres, pourquoi écririez-vous comme tout le monde ? Explorez vos limites, cherchez la manière de vous exprimer qui vous corresponde le mieux, et votre voix finira par émerger d’elle-même.
Le style est une rencontre
Si la voix d’un auteur finit par devenir son identité, sa marque de fabrique, cela ne l’empêche pas d’explorer une infinité de styles. À ce sujet, il est important de se remémorer deux principes fondamentaux.
Le premier, c’est que le style est une affaire de choix esthétique, plongée profondément dans la subjectivité. Quand on parle de style, il y a pas de choix « juste » ou « faux », même s’il peut y avoir des choix plus ou moins efficaces. Ce qui nous mène au second principe : le style est une rencontre. Il s’agit de trouver le bon style pour la bonne œuvre pour le bon public. Votre approche est adaptée à ce que vous voulez écrire, mais elle rebute vos lecteurs : c’est qu’il y a sans doute quelque chose à corriger. Votre manière d’écrire séduit vos lecteurs mais vous fait passer à côté de votre sujet : cela va vous placer face à un dilemme moral entre votre amour de la littérature et votre goût pour le succès, j’imagine, mais quoi qu’il en soit il ne s’agit pas d’une situation idéale, vous en conviendrez.
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Article très intéressant. Je suis d’accord avec les éléments que tu soulignes mais j’en vois un autre, qui définit le style d’un auteur : son œil. Ce qui fait que la mer, pour l’un, sera bleue argent, et vert tumultueux pour un autre. Ça rejoint, quelque part, ton article sur la métaphore. Pas de style sans œil littéraire, sans sensibilité au monde.
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Merci! J’aurais tendance à dire que pour moi, ça fait partie de ce que j’ai appelé « la voix », mais tu as raison, c’est une notion distincte. D’ailleurs ça me donne une idée pour un autre billet…
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Un article très intéressant, le style est probablement le sujet le plus épineux en écriture.
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Merci! Oui, je dois dire que je ne savais pas trop comment empoigner cet article, mais comme j’avais l’intention d’écrire une série d’articles sur différents aspects du style, je me suis senti obligé de commencer par un billet d’ordre général 😉
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super bien expliqué et dit! j’adore cette phrase « Pour un auteur, développer sa propre voix est généralement un processus naturel. Bien sûr, le style va muter en fonction des projets : il ne sera pas le même si un auteur signe une comédie ou s’il s’attaque à un roman policier. » dont je suis tout à fait d’accord donc il ne faut pas parler de développer son « style » mais plutôt « développer sa voix » en utilisant différents styles et là je m’y retrouve mieux car j’aime expérimenter différents styles, différentes façons d’écrire mais c’est vrai que ma voix est plus directe, simple, familière et sarcastique et c’est aussi ce que j’aime et ce que j’aime quand je lis aussi!
« Beaucoup de gens n’apprécient pas de devoir sortir leur dictionnaire toutes les deux pages pour comprendre ce qui se passe. » Tout à fait d’accord, ça c’est tout moi et c’est aussi une des raisons pourquoi je n’aime pas les classiques car je comprends rien, rien dans la façon de parler et ça a plus tendance à m’énerver dans ce cas et à refermer le livre car je trouve ça chiant!
Un style simple, langage simple et direct parle beaucoup plus au grand public dont moi aussi!
C’est comme si un scientifique voulait écrire un livre pour grand public mais il a oublié une chose: de soigner son langage et le rendre simple et accessible au grand public dont on a plus l’impression que des scientifiques écrivent juste pour des scientifiques qui se comprennent dans leur langage!
Et un langage trop complexe, scientifique que je ne comprends pas, moi ça me fait fuir! C’est hyper chiant! Et déjà que la lecture est une activité qui demande déjà de la concentration, si en plus de se concentrer pour lire des phrases, on doit décortiquer chaque mot pour essayer de comprendre la phrase et ce que veut dire la phrase, ça demande encore plus de concentration et je trouve ça très chiant! Déjà que moi j’ai été dégoûté de la lecture et des livres classiques à cause du lycée, non merci pour m’infliger des souffrances encore pour me dégoûter encore plus de ça alors que j’ai réussi à aimer lire que depuis 2017
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« Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire », a écrit Italo Calvino. Je ne peux que t’encourager à faire preuve de davantage de curiosité, d’audace et de persévérance. Tous les auteurs ont beaucoup à apprendre de ces livres que tu trouves « chiants » et que tu abandonnes, selon moi, un peu trop vite.
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C’est pas comme ça que tu vas me donner envie en tout cas! oui je suis une flemmarde mais les classiques ne sont pas aux goûts de tout le monde c’est tout! Et il n’y a que des classiques polar et horreur qui m’intéressent pour l’instant
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A mon avis, il est important de réaliser que « les classiques », ça n’est pas une catégorie de livres homogènes, ce sont simplement les ouvrages, en tous genres, de toutes époques et de tous styles, qui ont été retenus par notre civilisation afin de les transmettre aux générations suivantes. Je fais le pari qu’avec un peu de bonne volonté, chacun serait capable d’y trouver des livres qui lui conviennent.
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Ainsi donc: « le style va muter en fonction des projets : il ne sera pas le même si un auteur signe une comédie ou s’il s’attaque à un roman policier. »
Je suis suis plutôt d’accord avec l’idée qu’un style puisse évoluer selon le genre de l’œuvre.
D’ailleurs Eugène Tartempion, Scénariste (fictif) des tortues ninja, le disait dans son livre* : « La Science-Fiction est le véritable mutagène de mon scénario. »
Oui bon, il se murmure aussi que les champignons de la pizza d’Eugène étaient, comment dire? Spéciaux. Mais personne n’a jamais pu le confirmer…
*(Le Bushido et la gastronomie italienne appliqués à la scénarisation)
Mais je déconne sérieusement hein: je suis vraiment d’accord avec ça. Le genre et le style se rencontrent et font des petits, c’est comme ça. D’ailleurs, comme dans le cadre d’une reproduction sexuée, plus le style et le genre sont éloignés et plus les résultats peuvent êtres surprenants. En mal parfois comme en bien, souvent…
Allez hop, après cette mise en bouche, vivement l’article suivant!
Jee Esbée
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J’ai bien ri, merci ! Et en plus, ton commentaire m’a donné une idée d’article, donc deux fois merci !
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Fichtre! Me voilà donc muse quelque part? Amusant.
Hâte de lire ton article en tout cas.
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