Le syndrome de l’imposteur

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Ça existe pour de vrai, le syndrome (ou le phénomène) de l’imposteur.

Théorisé par deux psychologues français pendant les années 1970, il s’agit d’une expérience vécue par beaucoup de gens à un moment ou à un autre, qui se traduit chez les personnes qui en sont atteintes par un doute maladif autour de leurs mérites et de leurs succès. Incapables de reconnaître quand elles se sont montrées efficaces ou ont obtenu de bons résultats, elles se montent des complots, s’imaginent que leurs gloires sont le fruit du hasard ou des circonstances, et s’attendent à être démasquées à tout moment. Il y a même un indicateur, l’échelle de Clance, qui, à travers quelques questions, permet de prendre la mesure du phénomène, de 20 à 100.

Par contre, quand on trempe dans les milieux des auteurs, on rencontre souvent cette expression, « le syndrome de l’imposteur », utilisée de manière impropre pour désigner un phénomène d’une autre nature.

À différents moments-charnière du processus de l’écriture et de l’édition, lorsqu’ils soumettent leur manuscrit aux éditeurs, quand ils sont amenés à parler de leurs histoires, mais aussi quand ils construisent leur plan, quand ils rédigent leur texte ou lorsqu’ils le corrigent, ces auteurs disent souffrir de ce syndrome. On se rend compte, pourtant, qu’on a affaire ici à quelque chose d’assez différent. Parce qu’un imposteur, c’est quelqu’un qui occupe une place privilégiée sans la mériter. Le concept de « succès » fait d’ailleurs partie intégrante de la définition officielle du syndrome. Dans le cas de ces autrices et auteurs, en-dehors de celles et ceux qui accumulent prix, éloges et ventes en librairies, il ne saurait y avoir imposture, puisqu’ils n’occupent aucune position avantageuse, n’ont souvent récolté aucun succès notable, et sont simplement en train de lutter, dans l’indifférence générale, pour produire le meilleur livre possible.

Si ce n’est pas le syndrome de l’imposteur, qu’est-ce que c’est ?

Ce qu’ils ressentent, ce blocage, cette crainte, n’en est pas moins réel, et il serait cruel et déplacé de le nier. Pour le surmonter, il est nécessaire de comprendre de quoi il s’agit. Si ce n’est pas le syndrome de l’imposteur, qu’est-ce que c’est ?

Interrogées à ce sujet, les personnes concernées parlent fréquemment de « légitimité ». Elles ne se sentent pas légitimes, pas à leur place dans leur démarche d’auteur.

On a donc davantage affaire, dans ce cas, à un « syndrome de l’intrus » qu’à un syndrome de l’imposteur. Il a selon moi peu de rapport réel au succès réel ou supposé de leur œuvre littéraire. Si ces individus sont frappés par le doute ou l’angoisse, c’est plutôt parce qu’ils ressentent un décalage entre leurs compétences, telles qu’ils les évaluent, et l’idée qu’ils se font du milieu littéraire.

On a donc affaire à un décalage, qui peut avoir deux causes : il peut s’agir d’un manque d’estime de soi, qui n’a pas forcément un lien avec l’écriture, ou alors d’une tendance à surestimer le prestige lié à l’activité de romancier.

Dans le premier cas, pour triompher de cette difficulté qui peut parfois tourner au mal de vivre, il convient de procéder à un travail sur soi, éventuellement avec l’aide d’un professionnel. Ça n’a pas, quoi qu’il en soit, grand-chose à voir avec la littérature : celles et ceux qui en souffrent peuvent en ressentir les effets dans d’autres occasions que face à leur traitement de texte. On ne peut que leur souhaiter de surmonter tout ça pour vivre leur existence de manière plus décontractée.

Il n’y a aucune raison d’idéaliser la littérature

Dans le second cas, c’est relativement facile à corriger. Il n’y a aucune raison d’idéaliser la littérature, le milieu littéraire ou la condition d’écrivain. Oui, dans la culture française, on a tendance à se représenter tout ce qui touche aux Arts et aux Lettres, ou à la Culture (regardez ces lettres capitales !) comme un domaine d’exception, quelque chose de pur, de sacré, pratiqué par une élite.

Ce sont des sornettes. Tout le monde, ou presque, est capable d’écrire un roman : ça ne réclame que du papier de la persévérance. Aujourd’hui, si vous êtes déterminés à le diffuser, la parution n’est pas non plus un problème, via diverses solutions d’autoédition. Bref, l’écriture, ça n’a rien de sacro-saint, c’est juste un truc qu’on fait avec plus ou moins de succès.

En deux mots, si vous craignez de ne pas être au niveau, sortez-vous l’idée de la tête : il n’y a pas de niveau. Il n’y a même pas réellement de milieu littéraire, juste des personnes qui écrivent chacune de leur côté, avec des objectifs et des marqueurs de succès très différents.

D’ailleurs, cette notion de « marqueurs de succès » est importante pour examiner un troisième phénomène qu’on a tendance à assimiler au syndrome de l’imposteur : la peur de l’échec.

Les auteurs n’écrivent pas tous pour les mêmes raisons. Certains ambitionnent simplement d’écrire, de rédiger un roman du début jusqu’à la fin, d’y prendre du plaisir, d’autres aimeraient signer un livre réussi, de qualité, qui plaise aux lecteurs, voire à la critique, et puis il y a celles et ceux qui rêvent de vivre de leur plume, voire même de faire fortune, de marquer les mémoires et l’histoire de la littérature. Des visées très diverses, donc.

Avoir peur d’échouer, c’est rationnel

Mais chacun de ces projets peut se solder par un échec. Ce roman, on peut se retrouver dans l’incapacité de le terminer ; il peut être mauvais, et décrit comme tel par des lecteurs impitoyables et une critique assassine ; et puis on peut aussi échouer à vivre de son écriture, parce que très peu de gens y parviennent, quel que soit le talent.

Écrire, c’est s’essayer à une discipline facile à entreprendre mais difficile à parfaire, et tout ça en public, avec relativement peu de récompenses au bout du chemin. Dans ces circonstances, avoir peur d’échouer, ça n’est pas pathologique, c’est rationnel. En particulier, lorsqu’on réorganise toute sa vie en tentant le pari de la professionnalisation, il serait insensé de ne pas nourrir certaines craintes.

Dans les autres cas, et en particulier lorsque l’angoisse d’échouer vous paralyse, il convient de prendre un peu de recul. Oui, vous pouvez vous ramasser, votre roman peut être très mauvais, il peut déplaire, ne pas se vendre. Mais quelles sont les conséquences réelles de tout cela ? Pas grand-chose. Oui, votre égo sera peut-être froissé pendant un moment, vous ressentirez éventuellement un sentiment d’injustice, mais cette déconvenue ne va pas vous tuer. Elle sera sans doute vite oubliée, Il ne vous restera plus alors qu’à vous remettre à la tâche, sachant que la meilleure manière de rebondir après un mauvais roman, c’est d’écrire un bon roman.

Syndrome de l’intrus ou peur de l’échec : ces phénomènes sont bien plus fréquents chez les écrivains que ce syndrome de l’imposteur dont on ne cesse de parler mais qui n’a pas grand chose à voir avec l’écriture. Pour passer le cap, le mieux est de prendre du recul, de chercher à se connaître soi-même, son talent et ses ambitions, et de prendre conscience qu’au final, l’écriture, ça n’est que des mots sur du papier.

4 réflexions sur “Le syndrome de l’imposteur

  1. Tout ceci est très juste. Et c’est dommage, parce que les gens s’échinent à lutter contre quelque chose qu’ils identifient mal (et donc combattent avec peu d’efficacité). Le syndrome de l’imposteur, avec son appellation un peu médicale, donne l’impression aux auteurs de souffrir d’un trouble psy. Alors que leur cerveau fonctionne très bien et que, le plus souvent avec lucidité, il ne fait que tirer la sonnette d’alarme quant à un certain manque de compétence (et ça, ça se soigne très bien).

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  2. J’attendais cet article! Et je suis entièrement d’accord, ça remet bien en perspective si l’on s’attache au rôle d’écrivain de la personne : l’écart entre ce qu’on croit valoir (et qu’on vaut peut-être en terme de compétence) et ce qu’on pense que les autres attendent d’un écrivain.
    Ça permet aussi de se questionner sur ses compétences et d’eventuellement combler ses lacunes en se formant. Je me demande aussi si ce « syndrome » n’est pas aussi fréquent parce que, justement, il n’y a pas de formation reconnue officiellement et donc chacun dose à sa sauce la qualité qu’il pense devoir atteindre.
    Commentaire un peu fouilli, mais ton article me donne à penser. Merci!

    Aimé par 1 personne

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