Projet Sergio 2 : Vite, vite, vite

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Comme annoncé tout récemment, sur mon site, je vais dresser la chronique de mon projet romanesque en cours, surnommé Projet Sergio. Je dissipe un malentendu qui s’est rapidement installé : il ne s’agit pas de publier un billet chaque jour. Franchement, ça serait déjà pas mal que j’en rédige un par semaine. Par ailleurs, tout cela m’est surtout utile à moi. C’est un carnet de notes personnel. Je le partage au cas où d’autres que moi trouveraient ça chouette malgré tout. Je le répète, cela dit : n’hésitez pas à me poser des questions. Oh, et pendant qu’on y est : Stéphane Arnier a lancé son propre carnet de bord.

Je parlerai plus tard de mes intentions. Ici, j’aimerais relever que mon premier objectif avec ce projet a consisté à constituer très rapidement une masse de texte suffisante. Je suis parti d’un plan, rachitique mais existant, je savais où je mettais les pieds, je pouvais donc me mettre à rédiger sans entraves, mais comme je me suis lancé dans ce projet sur un coup de tête et que je sais que tôt ou tard, je devrai m’interrompre pour me consacrer à d’autres textes, j’ai jugé important de me lier les mains aussi vite que possible.

En d’autres termes, il s’est agi pour moi d’écrire suffisamment de pages pour que, psychologiquement, abandonner le projet devienne plus difficile que le poursuivre (ou y revenir). Si j’avais pris le temps de bichonner une dizaine de pages, juste une petite amorce de texte, peut-être que j’aurais fini par me dire que le jeu n’en valait pas la chandelle et que j’aurais tout arrêté. Des projets entamés mais pas terminés, j’en ai plein mes cartons, comme vous pouvez le voir ici. Là, j’ai foncé sans m’arrêter, écrivant aussi vite que possible, en ne me posant aucune question sur la qualité du résultat. Bref, ce qu’on recommande de faire pour un premier jet, mais à un degré supérieur. J’ai passé le cap des cinquante pages en dix jours, donc en ce qui me concerne j’ai franchi la barrière psychologique qui devrait assurer que je vais mener ce roman à bien jusqu’au bout. Je dirais bien que je croise les doigts, mais si je le fais, je ne pourrai pas écrire. Vite, vite, vite.

Critique : Le Sorcier de Terremer

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De l’enfance à l’âge adulte, la trajectoire d’un apprenti magicien, surnommé Epervier, qui va, par arrogance, libérer dans le monde insulaire de Terremer une créature du néant qu’il va finir par poursuivre à travers le globe.

Titre : Le Sorcier de Terremer

Autrice : Ursula K. Le Guin (traduction Philippe Hupp)

Editeur : Le Livre de poche (ebook)

Depuis longtemps, je nourris le projet, sur ce site, d’évoquer les classiques de la fantasy. Bien souvent, lorsque j’évoque le genre avec des individus qui s’en disent amateurs, je constate qu’ils connaissent bien les oeuvres des trente dernières années, mais qu’ils n’ont jamais lu les classiques. C’est dommage, et c’est pourquoi je suis tenté d’écrire des billets sur les oeuvres de Lord Dunsany, Fritz Leiber, Robert Howard, Poul Anderson, Tanith Lee, Michael Moorcock, Jack Vance, Roger Zelazny, etc… Dans les faits, cependant, il faut bien que j’admette que mes critiques ne sont pratiquement lues par personne, et qu’un tel projet ne justifierait pas l’énergie que j’y mettrais.

Par ailleurs, j’ai moi aussi énormément de lacunes, et je ne suis pas une référence dans ce domaine. Dans le but de parfaire ma culture générale, j’ai donc décidé, sur un coup de tête, de me plonger dans un ouvrage qui est considéré comme un classique du genre, et que je n’avais jamais abordé : Le Sorcier de Terremer, d’Ursula K. Le Guin.

C’est un chef d’oeuvre. Je ne classe pas les livres, mais si je le faisais, ce roman serait allé se loger, avant même que j’en achève la lecture, dans les hauteurs de tous mes classements personnels. Il me paraît bien cruel que ce livre ait existé pendant toute ma longue vie sans que je m’y plonge. Enfin voilà, c’est fait.

Le récit nous présente une partie de la vie d’un personnage dont l’autrice nous raconte d’emblée qu’il va connaître une trajectoire illustre (dont l’essentiel n’est d’ailleurs pas inclu dans ce volume, et que Le Guin n’avait aucune intention d’explorer davantage à l’époque). On le découvre petit garçon, gardien de chèvre sur l’île de Gont, puis dans ses premiers tâtonnements de sorcier, lors de son apprentissage dans une école de magie, et enfin dans les années qui suivent son enseignement, où il va longuement payer une erreur commise en raison de son arrogance. C’est à la fois un bildungsroman, un récit initiatique et une fable sur l’hubris et la manière dont un individu peut parvenir à dompter ses démons intérieurs. Certains ont voulu y voir un précurseur des aventures de Harry Potter, sans doute parce qu’il y a une école de magie dans « Le Sorcier de Terremer », mais ni l’un, ni l’autre n’ont inventé ce concept et les deux oeuvres ont finalement très peu de choses en commun.

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Parmi les tours de force du roman, son protagoniste, Epervier, ou Ged, un jeune homme difficile à aimer : arrogant et revanchard dès qu’il s’initie à la magie et dévoile tout son talent pour cette discipline, il devient progressivement amer et se referme sur lui-même, et ce n’est qu’à la fin du roman qu’il finit par découvrir qui il est et comment il fonctionne, et conquiert ses défauts les plus rédhibitoires. Entre les mains d’une autrice moins talentueuse, on aurait tôt fait de décrocher de ce roman au coeur duquel vient se loger un personnage si désagréable, mais elle parvient à nous attacher à sa destinée malgré tout, parce qu’on parvient toujours à comprendre ce qui l’anime, et qu’il finit par être la principale victime de sa prétention.

Le style du « Sorcier de Terremer » diffère des romans contemporains de fantasy (comme d’ailleurs de ceux publiés à l’époque). Le récit est écrit comme une fable, ou comme une chronique médiévale. L’autrice ne souligne aucun effet et s’interdit de s’apesantir sur les émotions ressenties par les personnages. Elle laisse parler les faits, souvent avec une certaine distance, et s’autorise des raccourcis où des événements qui auraient pu occuper des chapitres entiers sont résumés, voire expliqués par un narrateur omniscient qui peut paraître expéditif. Le résultat, c’est un récit très dense, où chaque chapitre nous plonge dans une situation nouvelle, et où le lecteur finit malgré tout par s’attacher aux personnages et aux lieux, une fois qu’il est parvenu à domestiquer les codes du roman.

Ce choix stylistique a un autre effet : il confère au livre un vernis de classicisme, qui dissimule avec effronterie son originalité et son caractère iconoclaste. Ici, rien n’est comme dans les classiques de la fantasy qui ont précédé Terremer, et à dire vrai, l’oeuvre est si singulière qu’elle détonnerait même si elle paraissait aujourd’hui. Ici, pas de grands continent semé de montagnes et de vastes prairies, mais un éparpillement d’îles ; pas de chevaux, mais des bateaux ; aucun des personnages principaux n’est un homme blanc ; on n’empoigne pas d’épée, d’ailleurs, on ne se sert pas de la violence pour régler les conflits. Quant à la magie, qui est par bien des aspects au centre de l’action, elle est à la fois traditionnelle et singulière, juste assez expliquée pour nous faire comprendre ses limites, juste assez mystérieuse pour qu’elle ne finisse pas par ressembler à de la mécanique.

Encore deux mots des derniers chapitres, où le récit prend quelques distances avec ce qui précède, du point de vue du style comme de celui du rythme. L’action se fait plus lente, les enjeux plus vifs, et les pages se peuplent d’une profonde mélancolie, alors que les personnages semblent disparaître au coeur d’un monde qui les dépasse, rappelant par moment la poésie d’un Robert Frost ou les romans de Charles Ferdinand Ramuz.

Critique : Verse, Chorus, Monster!

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Un récit autobiographique de la vie et de la carrière du guitariste anglais Graham Coxon, de sa naissance en Allemagne au sein d’une famille de militaires à sa riche carrière musicale et artistique, principalement marquée par son rôle au sein du groupe Blur.

Titre : Verse, Chorus, Monster!

Auteurs : Graham Coxon et Rob Young

Editeur : Faber Books (ebook)

Au sein de ma mythologie personnelle, Graham Coxon a toujours occupé une place à part. Il y a quelque chose chez ce personnage créatif et taciturne, qui semble constamment en proie à une colère muette, qu’il ne parvient à exprimer qu’à travers son art, auquel je me suis toujours identifié. D’ailleurs, un personnage de mon roman « Révolution dans le Monde Hurlant » est en partie inspiré par lui. Naturellement, j’ai eu envie de lire son autobiographie.

Peu connu du grand public, il est sans contexte un des plus grands guitaristes de sa génération au Royaume-Uni, mais aussi un musicien qui a eu la chance de connaître le succès et qui s’en est servi pour créer presque sans contraintes ces dernières décennies, ce qui fait que sa carrière est marquée par des projets stylistiquement et formellement extrêmement variés, du brûlot punk au bijou folk en passant par des musiques pour série télé, la bande originale d’une bande dessinée, un supergroupe de reprises de vieux tubes oubliés ou encore un album entier consacrée à l’oeuvre imaginaire d’un groupe fictif. Quant on approche un personnage comme celui-là, une partie de l’intérêt, c’est donc de se demander comment il fonctionne et à quoi ressemble son processus créatif.

Une des grandes qualités de « Verse, Chorus, Monster! », c’est précisément que le livre couvre toute l’existence de son auteur, de sa naissance jusqu’aux événements les plus récents, de sa vie privée à sa vie publique. Tous les événements retenus sont traités avec la même importance, sans fétichisme particulier pour les phases de sa vie où il a été au devant de la scène. Ainsi, les événements qui sont probablement les plus attendus par les fans de Blur, le sommet du succès du groupe, sa désintégration et sa reformation, sont traités sur un pied d’égalité avec l’enfance de l’artiste, ses études où les différentes étapes de sa carrière solo, pour mon plus grand plaisir dans la mesure où je suis amateur de chacune des phases de son cheminement artistique.

Cela dit, le résultat est un récit émotionnellement plat. Graham Coxon a atteint l’âge où il a appris à s’accommoder des défauts des autres et à domestiquer les siens, et il raconte ses souvenirs avec une sérénité qui frise par moments le détachement. C’est une série d’anecdotes, pas davantage. C’est au lecteur de relier les faits entre eux, et de chercher à comprendre pourquoi ce personnage a eu trois filles avec trois femmes différentes, pourquoi il se décrit régulièrement comme quelqu’un d’affable mais consacre beaucoup plus de pages à parler des objets (vêtements, instruments, motos, maisons) que des personnes qu’il aime, et surtout à percer à jour sa relation avec son plus proche collaborateur musical Damon Albarn. Il y aurait un beau récit à écrire sur la relation entre ces deux hommes incapables de réellement communiquer, en raison d’un complexe d’infériorité pour Graham, en raison d’un désintérêt pour les mécaniques sociales pour Damon, mais qui ne remettent jamais en question leur fonctionnement parce qu’il n’affecte pas leur processus créatif. Peut-être est-ce trop intime, peut-être Coxon est-il né trop tard pour parvenir à déconstruire les aspects toxiques de cette relation. Quoi qu’il en soit, charge au lecteur d’assembler les pièces du puzzle.

Pourquoi lire une autobiographie lorsqu’on est romancier ? Pour deux raisons principales, selon moi. D’abord, il s’agit de comprendre comment un artiste fonctionne, comment il travaille, d’où naissent ses idées. Dans ce livre, en particulier, on trouvera d’intéressantes réflexions sur la manière dont l’auteur envisage, parfois en parallèle, parfois conjointement, inspiration musicale et plastique. Il n’y a pas trop d’efforts à déployer pour étendre ça à l’inspiration littéraire et s’en nourrir. La seconde raison d’approcher ce genre de texte, c’est qu’ils fourmillent d’éléments frappés du sceau du réel qu’un auteur astucieux pourra détourner à son avantage pour conférer le vernis du réalisme à des récits fictifs. Je ne vais pas copier les anecdotes familiales ou professionnelles contenues dans ce livre, mais elles vont sans doute fertiliser mes histoires à venir, d’une manière ou d’une autre.

Critique : Le porteur d’espoir

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La lutte des enfants d’Aliel contre les esclaves d’Orga tourne au conflit ouvert. Dans ce quatrième tome des « Enfants d’Aliel », le jeune Jaz traverse des aventures déchirantes et les Synalions sont frappés par plusieurs drames qui les bouleversent.

Disculpeur : Sara est une amie.

Titre : Les enfants d’Aliel tome 4 – Le porteur d’espoir

Autrice : Sara Schneider

Editions : Le Chien qui pense (ebook)

Encore davantage que les tomes précédents, ce quatrième volume des « Enfants d’Aliel » représente moins une histoire complète qu’un jalon supplémentaire dans une grande fresque. Ce qui caractérise ce livre, c’est qu’il introduit relativement peu de nouveaux concepts – ce qui paraît assez naturel, une fois arrivé aux quatre cinquièmes d’une saga – préférant développer et approfondir les personnages, lieux et concepts qui sont déjà familiers aux lectrices et lecteurs.

C’est une grande réussite. Avec justesse et une belle économie de moyens, Sara Schneider se met à cueillir les fruits de tout le travail de préparation mis en place dans les épisodes précédents, toutes ces grenades patiemment dégoupillées qui se mettent à exploser les unes après les autres. Ici, certains arcs narratifs connaissent leur aboutissement ou leur point de bascule, et c’est presque toujours payant. On est attaché aux personnages et à leur quête, et les moments qu’ils traversent au cours de ce roman en deviennent infiniment plus poignants et précieux. On craint pour la santé et l’avenir de chacun des protagonistes, qui connaissent des épreuves plus intimes et plus douloureuses que celles des tomes précédents. Il faut souligner à quel point tout cela est bien mené et satisfaisant pour les lecteurs fidèles. C’est aussi souvent poignant, émouvant. Tout ce qu’on demande à la littérature.

Au fond, c’est aussi tout ce qu’on réclame d’un quatrième acte : le paroxysme, le déchaînement des passions et des ennuis, où tout tourne mal, tout est bouleversée et l’existence de nos héros semble plus compliquée que jamais. À ce titre « Le Porteur d’espoir » fait figure de modèle à suivre.

Le roman n’est pas, cela dit, un simple prolongement des précédents. Il introduit quelques nouveautés fascinantes. Le passage dans un nid d’Arac est très réussi, lugubre, révoltant à souhait et souvent terrifiant. Sara Schneider n’a pas peur d’explorer des tons plus sombres que dans les tomes précédents, ce qui fonctionne à merveille. Et puis ce volume est également, dans les grandes largeurs, un récit de guerre, et il comporte des scènes de bataille très réussies, souvent racontées davantage de la perspective des marges du combat plutôt que du coeur de la mêlée. Une romance est également menée avec pas mal de doigté.

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Je sais que ça devient un peu répétitif pour celles et ceux qui ont lu les critiques précédentes, mais ça mérite d’être mentionné une fois de plus : on retrouve aussi ici les qualités qu’on aime retrouver dans « Les enfants d’Aliel », en particulier la plume alerte et efficace de l’autrice, mais aussi des personnages distinctifs et immédiatement attachants. Tout cela semble tellement naturel, et c’est pourtant diablement difficile à réussir.

Tout ne m’a pas convaincu dans ce livre, cela dit. Mes réserves proviennent presque exclusivement de l’usage par Sara Schneider de la narration omnisciente. Si, jusqu’ici, il s’agissait selon moi d’un choix neutre, de confort, qui lui permettait de fureter d’un personnage à l’autre, dans ce livre, les choses prennent une autre tournure. À plusieurs reprises, le roman génère du suspense ou nous livre des révélations qui n’existent que parce que le narrateur omniscient a choisi de nous cacher des éléments d’intrigue. En clair : des événements se produisent, ou des personnages subissent des changements, tout cela hors-champ, et quand on le découvre après coup, on nous présente ça comme un coup de théâtre.

Ce choix m’a déplu pour trois raisons : premièrement, cela veut dire que des scènes-clé de l’évolution des personnages, certaines d’entre elles attendues depuis plusieurs tomes, ne sont pas partagées avec le lecteur. On ne les vit pas, on les découvre après-coup. C’est frustrant. Deuxièmement, cacher des informations au lecteur, c’est le point fort de la narration focalisée, et quand on procède de la même manière avec la narration omnisciente, on ébrèche la confiance qui s’est tissée entre l’auteur et le lecteur. On a un peu l’impression de se faire balader. Enfin, ce recours au hors-champ fait que certaines révélations tombent à plat. En toute fin d’histoire, un personnage subit une transformation radicale, mais comme on n’a presque pas vu celui-ci depuis le premier tome, et qu’on n’a pas eu accès du tout à son intériorité, ce qui aurait pu être un drame déchirant n’est au final qu’une péripétie de plus.

Il convient toutefois de le mentionner : ces aspects resteront invisibles pour la quasi-totalité des lectrices et des lecteurs, et sont loin d’avoir gâché ma lecture de ce qui reste comme un excellent roman d’une toute aussi excellente série de fantasy.

Critique : Luda

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Pendant le montage tumultueux d’un spectacle, dans la ville de Gasglow, Luci, une drag queen, ancienne star, entre en collision avec Luda, une jeune artiste de scène au charme vénéneux qu’elle va initier aux secrets du Glamour, la magie des apparences et de la manipulation.

Titre : Luda – a novel

Auteur : Grant Morrison

Editeur : Penguin Random House (ebook)

Peu d’auteurs ont eu autant d’impact sur moi et sur mon écriture que Grant Morrison. Le scénariste de bande dessinée écossais n’est peut-être pas très connu du grand public, mais certains de ses comics comme « Doom Patrol », « Arkham Asylum », « We3 » et surtout « The Invisibles » ont profondément influencé des oeuvres très populaires. Pas de « Matrix » sans lui, par exemple. En ce qui me concerne, mon cerveau adolescent a été marqué de manière indélébile par son imagination impertinente et par sa tendance à balancer à la figure du lecteur d’innombrables idées à peine esquissées, évoquant un univers profond et mystérieux. C’est ce qu’on retrouve dans mon roman « Révolution dans le Monde Hurlant » par exemple, et qui a frustré quelques lecteurs peu amateurs de la quête de la saturation, ce qui est bien compréhensible mais était pourtant tout à fait délibéré de ma part. Je voulais écrire de la fantasy à la Grant Morrison.

« Luda », qui vient de sortir, est son premier roman. C’est une catastrophe.

La lecture de « Luda » n’est pas aisée, mais pas parce que le texte est trop riche en idées. C’est plutôt à cause des nombreux détours qu’il prend pour raconter une histoire plutôt simple.

D’abord, il s’agit d’un roman qui se situe dans une convergence de milieux qui réclame sans doute une petite initiation pour la lectrice ou le lecteur, comme si l’auteur souhaitait se montrer délibérément obscur. On y parle du pantomime, un point de repère incontournable du théâtre britannique, mais presque totalement inconnu en-dehors du Royaume-Uni. Le spectacle qui est au coeur du roman, et dont on découvre la nature en filigrane, est une version surréaliste et musicale d’Aladdin, dont l’action est transposée en Chine, et qui est mariée avec une forme revisitée du Fantôme de l’Opéra, jusqu’à interférer avec la trame de l’histoire de manière métadramatique. C’est bon, vous suivez toujours ? Ah, bien sûr, tout cela se passe dans une version alternative de la ville écossais de Glasgow, baptisée Gasglow. Et connaître un peu la scène drag queen britannique du début du 21e siècle n’est peut-être pas indispensable, mais disons que ça aide. Et la télé-réalité britannique. Et les tabloïds.

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Rien de tout cela ne serait rédhibitoire, cela dit. Le roman nous fournit en réalité la plupart des clés dont nous avons besoin pour suivre l’intrigue. Largement plus problématique est le style choisi par Grant Morrison pour raconter son histoire. Celui-ci est, il n’y a pas d’autres mots, insupportable. Luci, qui nous sert de narratrice, pratique une langue extrêmement ampoulée, compliquée à outrance, et n’utilise jamais un simple adjectif quand une métaphore tordue et obscure lui vient à l’esprit. En réalité, la plupart des éléments de description sont comparés à deux, trois, voire quatre métaphores différentes, lourdes et clinquantes comme les bijoux de la couronne. Ca pourrait être tolérable si les excès de ce style étaient réservés à certains moments-clés, mais on ne quitte jamais cet effet de saturation, même pour évoquer les détails les plus banals. Ca devient vite épuisant.

Parfois, le roman croule tellement sous les effets qu’il en oublie de raconter une histoire. Une longue, très longue séquence ou Luci initie Luda aux secrets du Glamour est tellement chargée en figures de style qu’elle est presque incompréhensible, mais n’a absolument aucun impact sur l’intrigue. C’est d’ailleurs le cas de toute cette histoire de magie, incluse sans doute pour plaire aux fans des oeuvres précédentes de l’auteur, mais qui, ici, n’a aucune utilité. On pourrait facilement couper des centaines de pages, et on sent que l’éditeur n’a pas fait son travail pour cadrer celui qui est, après tout, un romancier débutant.

Tout n’est pas à jeter. La fin du roman propose une pirouette qui justifie en partie – mais pas en totalité – certaines des circonvolutions qui précèdent. Certains personnages sont fascinants et si l’abord du texte est difficile, il a le mérite de ne ressembler à aucun autre. Cela dit, si vous voulez découvrir Grant Morrison, lisez plutôt « The Invisibles ».