Le titre

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Sur ce site, ces dernières semaines, nous avons exploré diverses formes de résumés littéraires. Pour conclure, je vous propose de nous intéresser au plus bref d’entre tous, que vous avez d’ailleurs toute liberté de ne pas considérer comme un résumé à proprement parler : le titre.

Quoi qu’il en soit, de toutes les versions courtes de votre histoire, le titre est le plus crucial. En parallèle à la couverture, il s’agit du premier élément de votre livre que vos potentiels futurs lecteurs vont voir. C’est aussi ce que vous allez répéter encore et encore en évoquant votre œuvre dans des conversations, en salon, en ligne, et je vous le souhaite, dans les médias.

Un bon titre ne fait pas un bon livre, mais il peut contribuer à son succès et susciter la curiosité et l’envie. Quant à un mauvais titre, il peut à lui seul ruiner toute chance de vendre votre roman. Pour ces raisons, choisir le titre représente une des décisions de marketing les plus importantes de la promotion de votre œuvre.

Parce que ne nous y trompons pas : le titre, ça n’est pas de la littérature, c’est un argument de vente. C’est important de se le mettre en tête, et de ne pas se montrer trop sentimental à ce sujet. Le titre est une des principales portes d’entrée vers votre texte, et plus il est séduisant, meilleures sont vos chances de vendre votre bouquin. Faites preuve de souplesse : si votre éditeur (ou n’importe qui d’autre) a une meilleure idée de titre que celle que vous aviez en tête, changez-en. Oui, même si vous travaillez sur votre manuscrit depuis que vous avez huit ans et que celui-ci n’a jamais eu qu’un seul titre à vos yeux. Le titre, c’est pour les lecteurs et les libraires, pas pour vous faire plaisir à vous.

Une fois qu’on s’est mis cette réalité en tête, il est temps d’examiner les qualités qui font qu’un titre de roman est bon. Ci-dessous, je vous en énumère quatre.

Il attire l’attention

On l’a bien compris, la principale raison d’être du titre, c’est de susciter l’envie. Donc mieux il accomplit cette mission, meilleur il est. Rien n’est pire qu’un titre banal, qui génère l’ennui ou le désintérêt. Ce qu’il faut, c’est prendre lectrices et lecteurs par la pupille et ne plus les lâcher.

Pour cela, les solutions ne manquent pas : vous pouvez vous montrer intéressant, énigmatique, original, provocateur, ou même faire des promesses audacieuses, peu importe. Ce qui compte, c’est que votre titre captive l’attention, et pourquoi pas, la controverse, ou en tout cas le débat. Avertissement : on n’attire pas l’attention de manière positive sans le faire également de manière négative, mais mieux vaut une discussion enflammée que de la tiédeur.

Il est mémorable

Une fois que vous vous êtes fait remarquer, votre objectif numéro 2, c’est qu’on ne vous oublie pas. Il faut que vos lectrices et lecteurs, une fois qu’ils ont appris comment s’intitule votre roman, le gardent en tête pour de bon.

Pour cela, il est au minimum nécessaire que votre titre soit unique : faites en sorte qu’il ne soit pas identique à celui d’un autre livre déjà sorti, ou pire, d’un classique. Il serait mieux qu’on ne puisse pas confondre les deux, d’ailleurs, à moins qu’il ne s’agisse d’un pastiche. Faites quelques recherches si nécessaire.

Votre titre doit être distinctif et rester en tête. Il doit aussi être facile à trouver en ligne, parce qu’à notre époque, c’est un aspect qu’on ne peut pas se permettre de négliger. Pour cela, évitez d’utiliser des termes trop courants dans les romans de la même catégorie que le vôtre.

Il est évocateur

Pour être réussi, votre titre doit représenter le roman. Cela veut dire, pour commencer, qu’il doit évoquer une idée de votre sujet. Ce n’est pas nécessairement crucial pour un livre de fiction, mais cela peut mettre le potentiel lecteur sur la bonne voie et lui indiquer qu’il a affaire à une histoire qui peut être susceptible de l’intéresser.

Être évocateur, c’est aussi être capable de conjurer une image puissante à travers une combinaison de mots bien choisis. Ici, c’est moins le contenu de votre roman que vos compétences d’auteur et votre style qui sont mis en avant.

Il est simple

Dernier critère : un bon titre doit être simple. Mais attention, ici, la définition de « simple » peut être compliquée.

Pour commencer, on doit pouvoir le comprendre, ou en tout cas, ne pas rester avec davantage de points d’interrogation que de points d’exclamation en tête. Les gens ont davantage de facilité à réagir et à garder en mémoire des mots qu’ils connaissent, c’est ce qu’on appelle la fluidité cognitive (ironiquement, « fluidité cognitive » est une expression qui manque cruellement de fluidité cognitive). Un titre incompréhensible ou hors-sujet risque de susciter davantage de confusion que d’intérêt.

La simplicité, c’est aussi trouver un groupe de mots qui ne va pas nous emmener sur les chemins de traverse : prenez garde que votre titre ne constitue pas un jeu de mot involontaire, une référence fortuite à un sujet polémique, et pendant que vous y êtes, prenez garde à ce qu’il ne soit pas embarrassant à prononcer à haute voix.

En règle générale, les titres courts sont les meilleurs. Opter pour un titre constitué de quelques mots, voire d’un seul, revient à simplifier la vie de vos futurs lecteurs, qui pourront plus facilement le comprendre, le mémoriser et même le prononcer. C’est aussi une manière, et ce n’est pas négligeable, de s’offrir un petit supplément de flexibilité pour le design de la couverture.

Attention : un titre constitué d’un seul mot représentait une excellente option à une certaine époque, mais aujourd’hui, un tel choix complique les recherches en ligne et je vous suggère plutôt d’opter pour un titre de deux ou trois mots.

Inspiration

Une fois qu’on a ces critères en tête, on n’a pas encore approché le titre en lui-même. C’est intéressant de savoir à quoi il ne doit pas ressembler, mais au bout d’un moment, il faut se demander dans quelle direction aller. Quelles peuvent être les sources d’inspiration ?

Déjà, qu’on s’en rende compte ou non, il existe des standards en matière de titre, qui sont différents d’un genre à l’autre. Il est important de vous familiariser avec ce qui existe (vos concurrents, pour le dire simplement). Y adhérer a des conséquences positives : en particulier, ça permet au lectorat fidèle d’identifier en un instant à quel type de roman il a affaire. Si le titre est « Chroniques du Dragon », c’est de la fantasy » ; si c’est « L’été dans tes bras », c’est de la romance ; si c’est « Désarticulation de la chevelure du désarroi », c’est de la littérature blanche.

Cela dit, on s’en rend compte en découvrant mes exemples délibérément caricaturaux : les habitudes en matière de titres propres aux genres débouchent souvent sur des clichés. Traquez-les et tordez-leur la tête.

Pour cela, relevez quels sont les mots qui reviennent le plus souvent dans les titres des différents genres, et faites en sorte de ne pas les utiliser vous aussi. Donc évitez les mots « étoiles », « planète » ou les dates dans les titres de romans de science-fiction ; les mots « sang », « nuit » ou « vengeance » dans les titres de polars ; les mots « chronique », « épée » ou « destin » dans les romans de fantasy, etc… Il serait facile mais relativement fastidieux de mener une étude statistique des occurrences les plus nombreuses dans ces différents genres, mais tout auteur familiarisé avec son milieu doit avoir une certaine idée de ce qu’il faut éviter.

Donc comme inspiration, vous feriez bien d’aller puiser à la source, c’est-à-dire votre roman. Une approche consiste à choisir comme titre un extrait du roman. Il peut s’agir d’une phrase récurrente, d’une expression emblématique de votre personnage principal, ou, par exemple, d’une phrase qui colle particulièrement bien avec votre thème (« Pars vite et reviens tard », « Germinal »).

Autre possibilité : partir de votre personnage principal, en particulier si l’histoire est très focalisée sur votre protagoniste. Vous pouvez incorporer son nom dans le titre du roman (« Le journal de Bridget Jones »), ou simplement faire de son nom le titre en entier (« David Copperfield »). Vous pouvez aussi vous servir d’un surnom couramment utilisé dans votre histoire (« Le Grand Meaulnes »), ou d’un descriptif professionnel (« Docteur Zhivago »), ou encore faire du titre un descriptif de votre personnage central, de son apparence, de son rôle dans l’intrigue ou de ses idéaux (« La Dame aux camélias »).

Naturellement, il est possible d’opérer la même manœuvre en partant cette fois-ci du décor de votre roman, si celui-ci est notable et mémorable. Cela fonctionne exactement de la même manière. Vous pouvez adopter le nom du lieu comme titre en lui-même (« Gormenghast », « Dune ») ; l’incorporer à d’autres aspects (« Mort sur le Nil »), ou décrire par une périphrase un des lieux caractéristiques (« La Cité des Saints et des Fous »).

Et même si ça ne saute pas aux yeux, il est même possible de trouver de l’inspiration dans l’intrigue de votre roman, dans sa mécanique narrative. On peut avoir affaire à un titre qui paraphrase le sujet du livre (« La Position du tireur couché »), son thème (« Guerre et paix »), ou un peu des deux (« Cent ans de solitude »). Ou alors vous avez l’option de choisir un titre-question, qui résume et reflète les interrogations soulevées dans votre histoire (« Et si c’était vrai ? »).

Les sous-titres

Encore quelques mots des sous-titres. Ils sont très courants dans les livres hors fiction, par exemple dans ceux qui donnent des conseils (« La semaine de 4 heures – travaillez moins, gagnez plus et vivez mieux ! »). Pour les romans, c’est généralement une mauvaise idée, parce qu’ils alourdissent votre propos sans l’expliciter. A moins d’avoir une idée extraordinaire, renoncez-y.

L’exception, vous l’avez deviné, c’est celle des sagas littéraires, ou le titre de la série agit comme un titre à proprement parler, et le titre du roman, comme un sous-titre. Je le répète ici : n’écrivez pas de saga. Mais si toutefois cette idée étrange vous traversait l’esprit, faites simple. Optez pour un titre de série court, frappant et exempt de clichés, et pour un titre de roman qui se focalise de très près sur l’action de l’histoire en question (« Le Château »/« L’Année de notre guerre », « Millenium »/« Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes »).

Le pitch

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Le Fictiologue joue les réducteurs de tête en ce moment, en examinant les différentes manières de résumer un texte littéraire, dans le but d’atteindre des objectifs divers. Nous avons déjà abordé le sujet, qui sert de concept, de point de départ à une histoire ; nous avons ensuite détaillé le synopsis, qui détaille l’intrigue d’un projet, souvent pour le soumettre à une maison d’édition. Cette fois-ci, je vous propose d’aborder un autre passage obligé de l’activité d’une romancière ou d’un romancier : le pitch.

D’habitude, je n’aime pas trop utiliser des anglicismes dans mes articles, surtout dans les titres, parce que j’estime qu’une de mes missions en tant qu’écrivain francophone est d’être au service de la langue, mais comme je ne suis pas à une contradiction près, je fais une exception, parce que ce mot-ci est rigolo à lire et à dire, comme d’ailleurs celui de la semaine prochaine, donc je m’y autorise. Cela dit, ce terme est loin d’être intraduisible. On pourrait très bien dire « argument » ou « lancement », sans rien perdre dans l’opération.

Bref. Le pitch, c’est, pour faire simple, un condensé de votre roman destiné à donner irrésistiblement envie de le lire. Situé à mi-chemin entre le résumé et l’argument de vente, il n’a qu’un but : susciter la curiosité de la personne qui le découvre. Si c’est un lecteur, le pitch est destiné à provoquer l’acte d’achat. Si c’est un éditeur, il ne doit avoir qu’une seule envie, après en avoir pris connaissance : vous faire signer un contrat.

Votre arme maîtresse pour vendre votre texte

On peut même aller plus loin. Si le sujet constitue le cœur de votre histoire d’un point de vue littéraire, le pitch en est le cœur du point de vue du marketing. C’est votre arme maîtresse pour vendre votre texte, celle que vous allez utiliser en salon, lors de dédicaces, sur les réseaux sociaux ou dans n’importe quelle conversation pour séduire les lecteurs ; celle dont vous allez vous servir pour donner envie aux éditeurs de s’intéresser à vous ; pour convaincre les journalistes, les blogueurs, les critiques de parler de votre livre ; celle qui sera utilisée par un agent pour vendre le projet à un éditeur, par un membre d’un comité de lecture pour persuader une maison d’édition de s’intéresser à la manuscrit, par celle-ci pour évoquer votre projet auprès de ses réseaux de diffusions, et par les libraires pour le vendre à leur clientèle. Le pitch, c’est le schibboleth qui va permettre à votre roman de circuler et d’être imprimé par millions d’exemplaires.

Un orphelin va dans une école pour les magiciens

Un professeur découvre des secrets cachés dans de vieilles œuvres d’art en cherchant le Saint-Graal

Une lycéenne introvertie tombe amoureuse d’un vampire

Un astronaute, naufragé sur Mars, doit trouver un moyen de survivre

Peut-être que là, vous êtes un tout petit peu anxieux. C’est normal : rater votre pitch, c’est un luxe que vous ne pouvez pas vous payer. Afin de mettre toutes les chances de votre côté, tâchez d’observer les quelques règles décrites ci-dessous.

Un bon pitch doit être court. Les anglophones les surnomment « elevator pitch », comprenez, un argument qui peut être communiqué lors d’une conversation délivrée le temps d’un bref trajet en ascenseur, si possible en compagnie du patron d’une grande maison d’édition qui se trouverait piégé avec vous pendant quelques dizaines de secondes (on peut rêver). Dans la mesure du possible, limitez-vous à une ou deux phrases, et tâchez si possible de ne pas dépasser une vingtaine de mots (et en aucun cas plus d’une cinquantaine de mots).

L’idée n’est pas d’expliquer votre histoire

Pour y parvenir, retirez-en presque tout le contenu de votre bouquin. L’idée n’est pas d’expliquer votre histoire ou de détailler votre démarche. Tout cela peut venir plus tard, dans un deuxième temps. Il s’agit simplement de ne conserver que les éléments qui vont susciter la réaction suivante : « Hé, ça a l’air intéressant, dis m’en plus ! ».

Comment on fait ça ? Comme toujours avec le travail des mots, on couche une idée sur le papier, puis une autre, puis on triture, on bouture, on modifie, on améliore, jusqu’à ce que ça nous semble convenir. N’hésitez pas à soumettre votre pitch à vos bêta-lecteurs, si vous en avez.

Et dans le doute, faites passer un test à votre pitch, en vous posant les questions suivantes et en y répondant de manière impitoyable :

  • Est-ce que c’est court ? Est-ce qu’on peut le raccourcir ? Est-ce que chaque mot est indispensable ?
  • Est-ce que c’est unique ? Est-ce que cela semble distinct de tous les autres romans du même genre ?
  • Est-ce que c’est mémorable ? Est-ce que le pitch est suffisamment frappant pour que la personne s’en rappelle 24 heures après l’avoir entendu ?
  • Est-ce que c’est efficace ? Est-ce que cela peut pousser un lecteur potentiel ou un éditeur à se dire : « Hé, ça a l’air intéressant, dis m’en plus ! » ?

Il est possible de concevoir des pitches un peu plus long que ça, de la taille d’un paragraphe, à utilise dans des circonstances où votre public consent à vous accorder un peu plus d’attention. C’est le genre de matériel que je vous ai déjà suggéré d’inclure dans votre communiqué de presse quand j’y ai consacré un article. Mais pour l’essentiel, la démarche est la même : un texte court pour susciter l’envie d’un livre.

Un orphelin anglais de onze ans tout ce qu’il y a d’ordinaire se voit ouvrir les portes d’une école pour magiciens. Alors qu’il suit des cours pour se servir de son balai et de sa baguette magique, il est confronté à un secret de famille, lié à un effroyable sorcier dont personne n’ose prononcer le nom.

Un pitch réussi doit vanter les mérites de votre livre, pas en vous jetant des fleurs, mais en en soulignant les qualités intrinsèques. En d’autres termes, en en prenant connaissance, on doit comprendre immédiatement ce qui, dans votre roman, est frappant, unique, rafraichissant, captivant. S’il donne l’impression inverse, s’il semble banal, déjà vu, réchauffé, vous n’allez pas en vendre beaucoup. Un mauvais pitch peut tuer tous vos efforts. C’est une cruelle réalité.

Le livre vu comme un produit

Alors oui, je vous entends déjà grincer des dents : là, on se situe fermement dans le territoire du capitalisme. C’est le livre vu comme un produit. Du pur consumérisme. Ça ne vous fait pas nécessairement plaisir, vous avez peut-être même l’impression de prostituer votre manuscrit, à résumer ainsi vulgairement ses innombrables subtilités dans le but avilissant de faire du chiffre. Rien ne vous y oblige, en réalité. Mais si vous souhaitez convaincre un maximum de lectrices et lecteurs de vous lire, c’est bien ainsi qu’il faut procéder, et fondamentalement, il n’’y a rien de mal à ça. Détendez-vous.

Deux mots encore pour vous dire que même si vous avez trouvé le pitch parfait, celui-ci sera forcément un argument de vente générique pour votre roman, destiné au public dans son ensemble. Il est possible de pousser le vice jusqu’à développer des pitches pour des publics ciblés, en soulignant des qualités différentes en fonction d’intérêts particuliers. C’est particulièrement utile en salon, lorsqu’on est confronté à des profils de lectrices et lecteurs distincts. Il peut être pratique d’avoir en tête des approches qui s’adaptent à leurs centres d’intérêts spécifiques.

Ainsi, en ce qui concerne mon roman « Révolution dans le Monde Hurlant », le pitch de base peut s’exposer ainsi :

Une jeune femme part à la recherche de son frère qui s’est fait enlever dans un univers parallèle déchiré par une révolution

C’est celui que j’utiliserais face à une personne dont je ne sais rien et qui ne révèlerais aucun détail au sujet de ses préférences de lecture. Cela dit, une bonne partie des personnes que je rencontre en séance de dédicace sont intéressées par la fantasy ou plus généralement par la littérature de genre, donc face à eux j’utiliserais plutôt l’argumentaire suivant :

Une jeune femme de notre monde se retrouve mêlée, dans un univers baroque et fantastique, à une guerre larvée entre un pouvoir religieux et des rebelles qui contrôlent les lois de la fiction

Et puis il m’est arrivé d’essayer de convaincre des personnes passionnées de romances de s’intéresser à mon roman. Dans ces circonstances, je l’ai plutôt décrit de cette manière :

Une jeune femme vit une relation drôle et volcanique avec un coup d’un soir qui s’est embarqué par inadvertance dans son voyage dans un univers parallèle

Naturellement, si ce genre de chose vous amuse, n’hésitez pas à décliner votre pitch pour tous les publics possibles et imaginables.

Le genre

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Il y a plusieurs sortes de chiens. Au gré de la sélection, l’humanité a appris à distinguer les caniches des épagneuls, les teckels des bouledogues, les bergers allemands des chihuahuas. De la même manière, il y a plusieurs sortes de romans : des polars, des romances, des thrillers, des récits de science-fiction, d’horreur ou d’espionnage, et plein d’autres.

Ce sont ces distinctions que l’on appelle les « genres. » Voilà. Je pourrais très bien en rester là. L’essentiel est dit.

Mais comme ça ne serait pas très enrichissant, je vous propose d’approfondir un peu la question. Oui, les genres (et les sous-genres) existent, ils constituent la typologie principale des histoires de fiction, mais de quoi sont-ils faits exactement ? Qu’est-ce qui fait qu’un roman appartient à un genre plutôt qu’un autre ?

Autant vous prévenir tout de suite : je ne vous indiquerai ici aucune règle, aucune recette à toute épreuve pour déterminer si une histoire appartient à un genre plutôt qu’à un autre. Tout simplement parce que ces choses-là n’existent pas. La notion de genre n’est pas une vérité scientifique, on est plutôt dans le flou artistique.

Les genres littéraires sont constitués de conventions et de traditions

Et ce n’est pas difficile à comprendre : un livre, c’est un construit complexe, long, regorgeant de concepts différents, et on ne s’étonnera pas qu’il puisse s’inscrire dans plusieurs genres différents à la fois. Si on additionne les millions de romans qui ont façonné l’histoire de la littérature, forcément, on trouvera presque autant de titres qui illustrent parfaitement les définitions des genres que d’autres qui s’en écartent. Si vous êtes en quête d’un contre-exemple, vous allez assurément le trouver.

Parce que le débat fait rage. Les genres littéraires sont constitués d’un ensemble de conventions et de traditions héritées de l’histoire. Tout le monde n’est pas d’accord à leur sujet, loin de là. Si vous prenez un groupe d’auteurs, d’éditeurs, de libraires et que vous leur demandez de fixer les frontières qui séparent les genres (ou pire, les sous-genres), ils ne parviendront pas à s’entendre sur une position commune.

Certains genres semblent malgré tout plus faciles à définir que d’autres, puisqu’ils s’articulent autour d’une idée forte. Le roman historique raconte des récits qui s’inscrivent dans une page d’histoire ; le roman policier s’intéresse au crime et à ceux qui enquêtent à son sujet ; la romance, c’est le genre de l’amour, etc…

Et malgré tout, même avec des positions de départ aussi simples en apparence, les limites sont parfois difficiles à franchir. Une entorse de trop par rapport à la vérité historique et vous vous situez dans l’uchronie plutôt que dans le roman historique. Certains sous-genre du roman historique obéissent à leurs propres règles et conventions, comme le roman de cape et d’épée. Le polar parle de crime, d’accord, mais si vous vous situez du côté de la victime, vous basculez vite dans le thriller. Certains romans consacrent à la criminalité un rôle important sans explicitement se réclamer du genre. Et que dire des histoires qui adoptent le point de vue des criminels eux-mêmes ? Quant à la romance, oui, c’est de l’amour, mais de nos jours, le mot évoque principalement des bouquins courts et vite lus, qui obéissent à des règles très codifiées pour un public d’habitués, plutôt que les œuvres de Jane Austen ou de George Eliot.

Certains genres sont des nébuleuses

Et ça, ce sont les genres les plus simples à définir. De manière classique, on appelle « fantastique » l’irruption d’un élément surnaturel ou inexpliqué dans un cadre réaliste, et « merveilleux » les récits où ces éléments sont acceptés comme normaux par les personnages. Mais pour mesurer à quel point les choses sont compliquées, la plupart des auteurs concernés ont tendance à rattacher la fantasy au fantastique plutôt qu’au merveilleux, à la définition duquel elle correspond pourtant parfaitement. Et on ne parlera pas de l’« urban fantasy », qui rajoute une dose de réalisme dans la fantasy, mais sans souhaiter s’inscrire dans le fantastique pour autant.

En langage Facebook, on dirait donc « C’est compliqué », et encore, ce n’est pas grand-chose en comparaison de la science-fiction, un genre sur la définition duquel personne n’arrive à s’entendre. Eh oui, c’est un genre qui parle du futur (ou parfois non), qui s’intéresse au progrès technologique ou scientifique (ou parfois non), qui nous emmène dans des mondes parallèles, dans des passés fictifs ou au limites de la narration.

Bref, certains genres sont davantage des nébuleuses, de gros paquets brinquebalants de coutumes littéraires disparates qui ont peu de rapports les unes avec les autres, une addition de motifs que l’on regroupe parce qu’on l’a toujours fait, et voilà tout. Et encore, ce n’est pas toujours le cas. Traditionnellement par exemple, le motif du voyage dans le temps est rattaché à la science-fiction et celui du double au fantastique, mais vous pouvez très bien échanger les étiquettes dans certains cas.

On peut être tenté, devant tant de complications, de s’interroger : pourquoi continuer à se servir d’une notion tellement vague que personne n’est capable d’en fournir une définition ? En réalité, ça n’est pas parce que c’est flou que c’est inutile.

Le genre est utile pour vendre des livres

Déjà, et il n’y a pas à en rougir, le genre est utile pour vendre des livres. C’est du marketing. Les maisons d’éditions classent leurs romans par genre, dans l’espoir que cela aide les lectrices et lecteurs à faire leur choix, et que, s’ils apprécient un titre, ils aient envie d’en découvrir un autre. Les libraires font de même, pour exactement les mêmes raisons.

Et cela facilite réellement la vie du lectorat, dans la plupart des cas. Même si les contours des genres sont flous, ranger un bouquin dans une catégorie plutôt qu’une autre peut l’aider à trouver son public. C’est aussi, dans le cadre du contrat auteur-lecteurs, une forme de courtoisie : un romancier annonce la couleur en cherchant à inscrire son œuvre dans une tradition reconnaissable, afin d’éviter aux personnes qui ne seraient pas intéressées de perdre leur temps.

Enfin, le genre peut faire partie intégrante de la démarche d’écriture, et même se situer en amont de celle-ci. Si de nombreux auteurs se soucient peu de ces questions et ne réfléchissent au genre qu’au moment où leur roman est terminé, d’autres prévoient de le faire avant même d’esquisser leur histoire. S’inscrire dans un genre peut être la première impulsion, le premier désir d’un écrivain qui lance un projet de livre. Certains apprécient de s’inscrire dans un cadre et d’en respecter les règles, d’autres saisissent l’occasion de les revisiter et de détourner des codes connus de toutes et tous.

Le pacte de qualité de l’autoédition

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Les romans autoédités ne sont pas de plus mauvaise qualité que ceux qui sont issus des maisons d’édition. Certains d’entre eux sont même meilleurs, écrits avec davantage de soin, relus avec plus d’attention, fignolés dans le moindre détail, alors qu’il arrive que des ouvrages issus des canaux plus officiels soient assemblés à la hâte, sans trop se préoccuper de la qualité du produit fini.

Cela étant dit, l’autoédition traîne une réputation souvent peu élogieuse. Une grande partie du lectorat ignore tout de son existence. Et parmi ceux qui en ont entendu parler, certains refusent de s’approcher d’un roman qui n’aurait pas reçu l’estampille d’une maison d’édition, craignant que ceux-ci soient bâclés, des premiers jets vite pondus, à l’orthographe et à la grammaire approximatifs, au texte jamais relu, à la mise en page repoussante, bref, des livres réalisés sans aucun regard extérieur ni contrôle qualité, quel qu’il soit.

Ce point de vue ne correspond sans doute pas à la réalité, mais il existe, et le monde de l’autoédition aurait selon moi tout à gagner à en tenir compte s’il souhaite continuer à s’étendre. En deux mots : ne pouvant pas compter sur la béquille du contrôle éditorial, la production autopubliée doit asseoir sa légitimité sur d’autres bases. Naturellement, produire un travail de qualité est et restera le meilleur argument qu’un écrivain pourra faire valoir, et le seul qui compte pour une partie de ses lecteurs.

Néanmoins, étant donné l’offre pléthorique de livres, tout ce qui peut aider un auteur à ressortir du lot est à encourager. Lorsque les piles à lire des amateurs de bouquins culminent déjà à des hauteurs dangereuses, alors qu’ils se contentent de puiser dans la production des maisons d’édition, qu’est-ce qui pourrait pousser ces lecteurs à s’aventurer dans la jungle de l’autoédition, s’ils craignent d’avoir une mauvaise expérience ? À l’heure actuelle, ils n’ont pas de point d’entrée, rien qui leur indique qu’un livre qui n’est pas passé par les circuits traditionnels vaut le détour, qu’il a été réalisé avec le même soin et le même souci du détail que s’il était issu des plus grandes maisons.

Le constat que je dresse ici n’est pas nouveau. Depuis des années, le petit monde de la littérature autoéditée planche sur la question, l’envisageant sous tous ses angles. L’idée de créer un label de qualité qui pourrait servir de garantie au lectorat a été envisagée, étudiée, longuement débattue, avant que chaque tentative de construire quelque chose ne sombre dans des querelles sur des points de détail. On ne va pas les blâmer parce qu’en réalité, c’est leur plus grande qualité : les autrices et les auteurs auto-édité-e-s sont farouchement indépendants, ils ont du mal à se plier à ce qu’ils considèrent comme une contrainte extérieure, à plus forte raison s’ils ne sont pas d’accord à 100% avec ce qu’on leur propose. Qui plus est, à quoi bon mettre en place une autorité extérieure qui garantit la qualité d’un ouvrage ? N’est-ce pas réinventer les maisons d’édition ? Personne n’a besoin de ça.

Partant du principe qu’il existe chez les lecteurs un besoin de points de repère face à l’offre pléthorique qui déferle sur le marché, mais que toute contrainte est mal vécue par les auteurs qui sont les principaux intéressés, je propose donc un pacte de qualité pour l’auto-édition.

Il ne s’agit pas d’un label, il ne s’agit pas d’un cahier des charges, personne ne force qui que ce soit à faire quoi que ce soit, lecteurs et écrivains conservent leur entière liberté. Il s’agit d’un acte volontaire, librement consenti et public, de la part d’un auteur auto-édité, de s’engager à produire un livre répondant à des normes minimales de qualité formelle.

En deux mots, il s’agit d’un engagement sur l’honneur à fournir un produit qui correspond à des standards proches de ceux des maisons d’édition, ceux dont les lecteurs ont l’habitude. Le simple fait d’adhérer à ce pacte témoigne d’une volonté de bien faire, d’un aveu que l’édition correspond à une somme de métiers ou d’interventions (relecture, correction, mise en page, illustration, contrôle éditorial, etc…). Si l’auteur qui s’engage possède certaines des compétences requises pour faire le travail lui-même, tant mieux, sinon, il fait appel à des tiers.

Cette exigence, de nombreux auto-édités s’y plient déjà, naturellement. Mais le lecteur n’en est pas toujours informé. Je suggère de rendre cette démarche explicite.

Le pacte qualité des auteurs auto-édités est un engagement qu’un écrivain prend à titre personnel, vis-à-vis de ses lecteurs. Il prend la forme qu’il souhaite, épouse les limites qu’il veut, et est communiqué de la manière dont il a envie. Pour débroussailler le terrain et faciliter les démarches de celles et ceux qui souhaiteraient s’engager dans cette voie, je vous suggère ici une manière de faire, conçue pour être évolutive et paramétrable. À chacune et chacun de voir s’il souhaite la reprendre telle quelle ou la modifier.

Dans la conception du pacte telle que je la propose, l’engagement est imprimé sur le quatrième de couverture, en bas de page, en faisant figurer la phrase suivante : « L’autrice/auteur garantit que ce livre auto-édité a été : »

À la suite de cette phrase, il inclut l’un ou l’autre des quatre pictogrammes suivants, en fonction de sa situation et des limites qu’il souhaite donner à son engagement. Chacun de ces symboles représente une promesse différente. Ensemble, elles assurent une qualité formelle minimale à un ouvrage.

Relu

signalétique relu copie

Le roman a été intégralement relu plusieurs fois par le romancier lui-même, dans l’optique d’en assurer la qualité formelle, traquant les erreurs de grammaire, d’orthographe et de typographie, mais également les répétitions et autres erreurs stylistiques, ainsi que les faiblesses de construction narrative et structurelle. Le pictogramme « Relu » symbolise à lui seul une exigence de qualité de faible niveau, mais assure au lecteur qu’il n’a pas affaire au premier jet d’un texte envoyé à la hâte à la publication.

Corrigé

signalétique corrigé copie

Ce symbole assure que le roman a été entièrement relu et corrigé par une tierce personne, éventuellement par un correcteur professionnel, ou grâce à l’assistance d’une application d’analyse textuel, afin de l’expurger des erreurs en tous genres, telles que celles qui sont mentionnées dans le paragraphe précédent. Pour autant que l’auteur le sache, un texte « Corrigé » est un texte sans fautes.

Mis en page

signalétique mis en page copie

Un document marqué par ce symbole a été mis en page avec soin. L’auteur a fait appel à un maquettiste professionnel, ou, à défaut, a pris sur lui d’observer avec soin les standards les plus exigeants de typographie, de choix de polices, de traitements des images, de formatage des paragraphes, de titrages et autres considérations techniques, afin de garantir une lecture fluide et agréable au lecteur.

Validé

signalétique éditorial copie

Dernière catégorie du pacte, l’estampille « Validé » témoigne que le texte a bénéficié d’un contrôle éditorial par une tierce personne : un éditeur, coach en écriture ou écrivain qui s’est penché sur le texte avec un regard critique, qui a attiré l’attention de l’auteur sur les faiblesses dans le fond et dans la forme, et qui a exploré avec lui les moyens de les surmonter, jusqu’à parvenir à un résultat satisfaisant pour tous les deux. Un roman « Validé » est produit avec la même exigence qu’un texte ayant bénéficié du contrôle éditorial d’une maison d’édition.

Les définitions de ces quatre catégories sont laissées vagues et c’est volontaire. Qu’est-ce qu’une mise en page « agréable », par exemple ? La plupart des romans sont publiés avec des paragraphes justifiés, et il s’agit d’un standard largement reconnu, mais un auteur qui ne souhaite pas s’y plier pourra choisir d’inclure le symbole « Mis en page » malgré tout, s’il juge que le résultat est tout de même esthétiquement cohérent et plaisant.

Au fond, l’avis de l’auteur compte peu : cet engagement est pris vis-à-vis du lecteur et c’est lui qui, en fin de compte, décidera si celui-ci est crédible ou non. Un texte bâclé et truffé d’erreurs dont l’auteur aurait l’audace d’inclure une signalétique comme celle-ci serait ridiculisé par ses lecteurs et risquerait de s’attirer une mauvaise réputation. En réalité, il n’y a rien à gagner à affirmer que l’on se plie à des exigences formelles si ce n’est pas le cas. Les faussaires se font vite débusquer.

Le pacte qualité des auteurs auto-édités est un instrument de marketing destiné à présenter un roman sous un jour plus séduisant, c’est le témoignage d’un souci de bien faire, c’est un instrument destiné à rapprocher les auteurs des lecteurs. C’est surtout une idée faite pour être utilisée dans le monde réel, modifiée, améliorée, débattue. Chacun peut se l’approprier et en offrir une variante personnelle. Au final, le double objectif poursuivi est la satisfaction des lecteurs et la fin des stéréotypes sur l’auto-édition.

Plus encore que d’habitude, je vous encourage donc à débattre de cet article ici, de le partager autour de vous et de poursuivre la discussion sur les réseaux et dans le monde réel, dans l’intérêt des lecteurs comme dans celui des auteurs.

Le public-cible

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Pour qui est-ce que j’écris ?

La question est fondamentale, dans la mesure où, comme j’ai eu l’occasion de l’affirmer ici, il ne saurait y avoir d’auteur sans lecteur. Une œuvre littéraire, quelle que soit sa nature, est faite pour être lue, et l’existence d’un public réel ou supposé fait partie de sa définition dès le point de départ. Certains, dès lors, franchissent le pas suivant, et font l’effort de se l’imaginer, ce lecteur, d’en esquisser le profil, voire même de l’intégrer dans ses pensées en cours d’écriture, afin de répondre à cette question redoutable : « À qui est-ce que mon roman s’adresse ? »

À cette question, une bonne partie des auteurs répondront « À tout le monde » ou « Je ne m’en soucie pas. » Lorsqu’on fait le choix d’écrire, c’est qu’il y a des choses en nous qui réclament d’être couchées sur le papier, et l’idée qu’elles puissent avoir un destinataire peut nous sembler étrange, voire déplacée. Pourquoi diable vouloir décider à la place du lecteur si le texte va lui convenir ? Pourquoi limiter ainsi son public avant même que le roman l’atteigne ?

Parce que c’est nécessaire, voilà pourquoi.

J’en discutais récemment lors d’un échange de courriels avec Stéphane Arnier : lorsque, il y a quelques années, je me suis mis en tête de rédiger un roman de fantasy intitulé « Mangesonge » qui est devenu depuis « La Ville des Mystères » et « La Mer des Secrets », je l’ai fait pour moi, uniquement dans le but de me divertir et d’écrire quelque chose dont je serais fier. Je souhaitais créer un roman foisonnant, baroque, avec des éléments qu’on rencontre rarement dans la fantasy, le tout centré sur une héroïne adolescente, dont on aurait assisté au passage à l’âge adulte. Dans mon esprit, les thèmes abordés dans le manuscrit étaient universels et le résultat était susceptible d’intéresser un large public.

La plupart des lecteurs souhaitent lire des livres qui mettent en scènes des personnages qui leur ressemblent

C’était naïf de ma part. Lorsqu’un éditeur a accepté de publier mon manuscrit, et dans les mois qui ont suivi la sortie du premier tome, j’ai progressivement réalisé que la plupart des lecteurs souhaitent lire des livres qui mettent en scène des personnages qui leur ressemblent, et, peut-être davantage encore, qu’ils ne souhaitent pas lire des romans dont les personnages ne leurs ressemblent pas.

Ainsi, les jeunes lisent des livres dont les héros sont jeunes, les quadragénaires des livres dont les protagonistes sont des quadragénaires et les femmes lisent des livres qui racontent des histoires de femmes. On peut trouver ça désolant d’un point de vue philosophique, mais c’est un fait. En salon, je constate qu’une moitié de mes lecteurs correspondent à ce profil: comme la protagoniste de mon roman, ce sont des jeunes femmes entre 13 et 20 ans.

Qu’on le veuille ou non, il existe donc un mécanisme d’identification entre les personnages principaux du roman et le lectorat, qui génère des attentes sur la nature du roman en elle-même, une sorte de public-cible immanent. Même si vous n’avez jamais songé à avoir en tête un type de lecteurs spécifique, la cible va se localiser d’elle-même, en fonction de certains éléments que vous incluez dans votre roman. Il est possible de lutter contre cette tendance, de se situer délibérément en porte-à-faux avec elle, mais cela va réclamer un effort de la part de l’auteur, de l’éditeur et du lecteur pour tordre le cou aux idées reçues.

La cible existe de toute manière, qu’on le veuille ou non

La nature du protagoniste n’est d’ailleurs pas le seul élément qui dessine dans les têtes un public-cible. Certains genres, qu’on le veuille ou non, ont davantage de résonance auprès de la jeunesse que les autres : le roman d’aventure, le fantastique, les enquêtes, certaines formes de romance peuvent être classés dans cette catégorie, partant du parti-pris qu’un adulte qui a suffisamment de bagage émotionnel ne sera pas rassasié par ce type de lecture, riches en sensations fortes et en mélodrame.

Tenter de convaincre un quadragénaire de lire un roman parlant d’une adolescente qui fait un voyage dans un pays magique, c’est comme tenter de convaincre une fillette de s’intéresser à un bouquin consacré à un ingénieur dépressif qui se remet difficilement de son divorce : quelle que soit la qualité du texte, ils risquent de ne pas se sentir concernés. Le livre va leur filer des mains, parce que les enjeux ne les toucheront pas.

On le réalise : la cible existe de toute manière, qu’on le veuille ou non. Elle peut même être multiple, incluant plusieurs grilles d’interprétation parfois contradictoires. Ainsi, on peut partir de l’auteur, à supposer qu’il ait livré une réflexion sur la question : quel genre de livre souhaite-t-il écrire, et à quel public destine-t-il celui-ci ?

À cela s’ajoute un certain nombre d’intermédiaires : éditeurs, libraires, correcteurs. A quel genre de livre pensent-ils avoir affaire et vers quel genre de lecteur vont-ils le diriger ? Leur intervention va générer une cible, qui peut être très différentes de celle que l’écrivain avait en tête. Lorsqu’il arrive dans cette phase, le texte devient un produit qu’il faut vendre, et se doit également de correspondre aux critères du marketing. Il faut que les éditeurs sachent dans quelle collection le sortir et que les libraires sachent dans quel rayon le ranger. C’est ainsi que, dans le cas de mon roman, ce que je concevais comme un roman de fantasy foisonnant tous-publics s’est transformé en un roman steampunk pour adolescentes, sans que le texte soit particulièrement modifié.

Choisir de s’adresser à tout le monde, c’est choisir de ne s’adresser à personne

Il ne s’agit pas, c’est important de le souligner, d’une mauvaise chose. Décider de s’adresser à un public en particulier, c’est souvent donner à un roman la chance d’exister. Et ça, c’est la raison d’être des maisons d’édition. Oui, vous avez peut-être l’impression d’avoir conçu un roman poignant consacré à la condition humaine, que chaque lecteur serait bien inspiré de lire, mais si votre éditeur décrète qu’en réalité, il s’agit d’un roman feelgood destiné aux femmes trentenaires, c’est sans doute un peu cruel à vivre, mais il n’a probablement pas tort. Choisir de s’adresser à tout le monde, c’est choisir de ne s’adresser à personne : c’est un luxe qu’un auteur peut s’offrir, mais certainement pas une maison d’édition, qui prend un risque sur chaque sortie.

Il faut encore mentionner un troisième filtre, un dernier étage qui va avoir son idée sur la question du public-cible : il s’agit de celui des destinataires. Les lecteurs, mais aussi les critiques et les journalistes. Pensent-ils être la cible du livre ? Se sentent-ils interpellés ? Laissés de côté ? À qui s’imaginent-ils qu’il est destiné ?

Pourquoi L’Attrape-cœur et Harry Potter sont devenus des romans lus par un public large et diversifié, alors qu’ils auraient pu être considérés comme des romans jeunesse ? Parce qu’ils ont su toucher des lecteurs aux profils différents. Ce sont les lecteurs, au final, qui décident dans quelle catégorie on finit par classer un roman (raison pour laquelle tant de bouquins finissent à la poubelle).

C’est important de comprendre que c’est en partie au public lui-même de choisir s’il se sent appartenir ou non à la cible d’un roman, parce que des malentendus sont inévitables. Prenons la science-fiction par exemple. En tant que genre, elle inclut des romans dans lesquels des concepts de science-fiction sont au cœur même de l’intrigue, mais aussi des romans d’action, d’aventure ou de romance dans lesquels la science-fiction ne constitue qu’un décor, aussi présent soit-il. Il existe un public qui correspond à chacune de ces situations, mais ces deux catégories de lecteurs se mélangent peu, et si vous vous contentez de vendre votre bouquin comme une œuvre de SF, vous risquez de leurrer une partie de votre lectorat – même sans le faire exprès – et donc de manquer en partie votre cible.

Qu’est-ce qu’un public adulte et que veut-il?

Autre exemple : les livres conseillés à un public adulte. Voilà sans doute la deuxième catégorie la moins utile qu’on puisse imaginer (la catégorie numéro un étant occupée par les livres destinés aux gens qui aiment la lecture). Car au fond, qu’est-ce qu’un public adulte et que veut-il ? Bien souvent, sous ce label sont vendues des histoires qui contiennent des passages explicites de sexualité ou de violence, interdits aux moins de 18 ans. Pourtant, à trop forcer le trait, ces romans-là risquent de ne séduire que des adolescents en quête de titillation, et donc de ne jamais atteindre un public adulte.

Dans d’autres cas, un roman pour adultes sera un roman dont les personnages sont des adultes et qui touche à des thèmes liés à l’âge adulte (la famille, l’échec, le vieillissement, le regret, le deuil). Là, oui, en les destinant à un public adulte, vous allez atteindre en partie votre cible… mais rater tous les lecteurs qui lisent principalement pour s’évader, ou qui préfèrent les essais aux romans.

On le comprend bien : le public-cible ne peut donc pas facilement se résumer à une catégorie démographique. C’est bien trop vague. Un public-cible, c’est la famille de lecteurs spécifique que vous souhaitez atteindre. Pour y parvenir, mieux vaut être précis et clair, en décrivant votre œuvre, qu’il s’agisse d’un projet ou d’un roman terminé, sous la forme d’un pitch, incluant, en fonction des besoins, des indications de genre ou de catégories de population ou des analogies avec d’autres œuvres connues.

Ainsi, plutôt que de simplement destiner votre livre aux adolescents, dites qu’il s’agit « d’un croisement entre Peter Pan et Hunger Games. » Plutôt que de décrire votre œuvre comme « une exploration de l’identité des individus dans un milieu urbain du 21e siècle », dites qu’il s’agit d’un « thriller LGBT+ » Et puis votre bouquin sur un couple qui se déchire sur les lunes de Jupiter, renoncez à le présenter comme « une œuvre de science-fiction sur les relations entre les êtres » alors qu’il s’agit plutôt d’une « romance dans les étoiles. »

Trouver la cible juste, c’est une question de marketing, oui, mais ne voyons pas cela comme un gros mot : dans le cas d’espèce, le marketing sert les intérêts de l’auteur, de l’éditeur et du lecteur. Idéalement, il doit leur permettre d’accorder leurs violons et de parvenir à parler tous de la même chose lorsqu’ils évoquent un livre. Tout cela commence avec l’écrivain, qui doit avoir le recul et la lucidité nécessaire pour comprendre le type de livre qu’il a écrit et le genre d’individus que celui-ci est susceptible d’intéresser.

⏩ La semaine prochaine: Les huit types de lecteurs