Se servir des enjeux

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Quels sont les enjeux d’une histoire, à quoi servent-ils et comment peut-on s’en servir pour rendre le récit plus palpitant ? Après vous avoir proposé plusieurs définitions, je vous propose à présent de passer à l’étape suivante, et de vous fournir une marche à suivre afin d’intégrer simplement la réflexion autour des enjeux dans votre roman.

Pourquoi c’est important ? Parce que les enjeux constituent le mécanisme grâce auquel les lecteurs vont avoir envie de tourner les pages de votre roman.

Les enjeux engendrent de la tension, qui à son tour génère du suspense, pour les protagonistes comme pour les lecteurs. Le seul moyen de l’apaiser consiste à savoir si les personnages déjouent les enjeux auxquels ils sont confrontés, et de quelle manière ils s’y prennent. Et pour le savoir, il n’y a qu’une seule possibilité : continuer à lire. Bien amenée, cette question des enjeux peut engendrer chez le lecteur une expérience émotionnelle intense et mémorable, qui va laisser des traces et qui va faire en sorte qu’il recommande votre roman à ses amis et connaissances. C’est dire si cette notion est importante et si elle mérite que vous lui accordiez du soin, de l’attention et du temps.

Comment faire ? Voici une façon de procéder en six étapes que je vous propose. Naturellement, ce n’est qu’un point de départ, un outil à votre disposition. Sentez-vous libre de l’adapter ou de le modifier pour qu’il soit pleinement adapté à votre projet d’écriture. Cela dit, je vous recommande de ne pas complètement sauter cette réflexion : plus vous aurez les idées claires sur les enjeux, plus les principales étapes de l’écriture de votre roman, telles que le plan, les personnages, le décor, la structure, seront faciles à forger.

1. Définir les enjeux

Au début de votre démarche littéraire, alors que votre histoire n’est sans doute constituée que d’une idée dans votre tête, ou de quelques phrases gribouillées dans un carnet de notes, c’est le moment, déjà, de définir les enjeux.

Deux cas de figure se présentent à vous. Le premier, c’est celui où votre première impulsion créative constitue déjà une histoire digne de ce nom. Dans ce cas, votre mission est relativement simple, puisqu’elle va consister à repérer et identifier les enjeux dans cet embryon narratif. Ou, pour le dire d’une manière différente : reformulez votre idée en termes d’enjeux. Dans « Pinocchio », de Carlo Collodi, les enjeux, pour le personnage-titre, consistent à devenir un vrai petit garçon plutôt qu’un pantin ; dans « Sense and Sensibility », de Jane Austen, les enjeux pour Marianne et Elinor sont de trouver un mari sans se trahir ; dans « Dune » de Frank Herbert, l’enjeu pour Paul Atreides est de venger sa famille, spoliée par une maison rivale.

Revenez aux différentes manières de définir les enjeux que je vous ai exposé dans un précédent billet. Elles doivent vous aider à identifier ces mécanismes. Les enjeux peuvent correspondre à quelque chose que le protagoniste souhaite (« Je veux être un vrai petit garçon »), à quelque chose dont il a besoin (« Il faut que je trouve un moyen d’échapper à cette sorcière ou elle me mangera »), ou à des circonstances extérieures dans lesquelles il se retrouve enrôlé au gré des circonstances (« Le roi est fou et quelqu’un doit l’arrêter avant qu’il ne dévaste le royaume »). Bien souvent, on a affaire à une combinaison des trois. Il se peut aussi que les enjeux évoluent au cours de l’histoire, ou qu’il y ait plusieurs enjeux, typiquement de nature intérieure et extérieure. Mais de manière générale, plus limpides seront les enjeux de votre roman, meilleur il sera.

Le deuxième cas de figure, c’est celui où, lorsque vous vous penchez sur votre idée de départ, vous ne parvenez pas à identifier les enjeux. C’est le signe que votre idée n’est pas encore réellement aboutie, qu’il ne s’agit pas encore d’une histoire à proprement parler. Peut-être avez-vous eu des fragments d’idées, qui concernent le décor, le thème ou les personnages par exemple. Il vous reste à les connecter d’une manière qui puisse être exploitée sous une forme narrative.

Imaginons que vous ayez l’idée d’un héros amnésique qui se retrouve avec, sur lui, une lettre. Vous avez également l’idée d’un château souterrain, et d’une armée de statues vivantes. Tout ça, ce ne sont que des pièces détachées. Pour leur donner une forme, trouvez un enjeu. Par exemple, notre personnage amnésique cherche à retrouver la mémoire, et s’il n’y parvient pas, l’armée de statues réfugiées dans le château va conquérir le royaume. Même si tout cela doit encore être connecté et construit pour avoir du sens, mais voilà les enjeux, et avec cette simple réflexion, vous avez obtenu l’ébauche d’une histoire.

2. Exposer les enjeux

Une fois que les enjeux de votre histoire sont clairs dans votre tête, vous pouvez passer à la suite et commencer à construire, puis à rédiger votre histoire. Avoir les idées claires au sujet de vos enjeux devrait vous aider à échafauder un plan, où votre protagoniste ou vos personnages principaux font face à une série de péripéties qui, tour à tout, les éloignent et les rapprochent de la résolution de ces enjeux.

Mais il est très important de ne pas manquer cette deuxième étape : ces enjeux, il faut les exposer. Comprenez : il faut que dans votre roman, quelque part, si possible assez près du début, vous écriviez explicitement quels sont les enjeux, afin que le lecteur soit au courant. Oui, cela signifie que dans notre histoire d’amnésique, je vous suggère d’inclure une scène dans laquelle quelqu’un dit à notre héros : « Si tu ne retrouves pas tes souvenirs, l’armée des statues va conquérir le royaume. » Oui, avec ces mots-là.

Exposé de cette manière, cela semble terriblement simpliste. Peut-être êtes-vous en train de vous dire que ce n’est pas la peine d’être aussi littéral, et qu’il vaut mieux exposer vos enjeux de manière plus subtile, indirecte, ou faire confiance aux capacités de compréhension du lecteur qui va saisir de lui-même à quoi rime votre histoire, sans qu’il soit besoin de lui souligner à gros traits rouges.

Respectueusement, vous avez tort.

Les enjeux donnent une direction à l’histoire. Ce sont eux qui relient le début à la fin de votre roman, le protagoniste à tous les autres personnages, rendent les thèmes concrets, donnent de l’importance aux décisions qui sont prises, et confèrent de la résonance émotionnelle à votre récit. Plus vos enjeux sont clairs, compréhensibles et dépourvus d’ambiguïté, plus vos lecteurs vont saisir le type d’histoire qu’on leur raconte, les conséquences des choix, des échecs et des réussites de vos personnages, et plus ils vont se sentir impliqués. Pour que cela fonctionne, il n’y a pas à tourner autour du pot : dites explicitement quels sont les enjeux de l’histoire, aussi tôt que possible. Vos lecteurs ne vont même pas se rendre compte que vous manquez de subtilité, je vous le promets.

Les studios Pixar ont tout compris à la manière d’intégrer les enjeux dans une histoire. Je vous invite à revoir leurs films dans cette optique : vous serez surpris de constater à quel point l’exposition des enjeux y est explicite. L’exemple le plus criant est le film « Le monde de Nemo », dont le titre même résume les enjeux (« Finding Nemo », le titre original, signifie « Trouver Nemo »). Je suis allé vérifier : dans les cinq premières minutes de l’histoire, on entend notre protagoniste, Marin, le père du poisson Nemo qui vient de se faire emporter par un pêcheur, dire : « Ils ont emporté mon fils. Je dois trouver le bateau », puis une minute plus tard : « Je dois trouver mon fils. » Difficile d’être plus clair et moins subtil, et pourtant, c’est exactement ça qu’il faut faire.

Il y a des exceptions. C’est le cas par exemple de tout ce qui concerne les enjeux intérieurs. Un auteur de roman existentiel qui rédige un roman sur le deuil pourra se permettre de laisser planer le doute sur la nature du malaise du protagoniste. Oui, on sent immédiatement que quelque chose ne va pas et que les enjeux du roman vont consister pour lui à surmonter (ou non), la crise qui le tenaille, mais il n’est probablement pas si urgent de livrer immédiatement tous les détails sur la nature de cette crise.

Autre exception : comme on le verra plus loin, parfois les enjeux changent. Pas la peine de casser le suspense pour nous dérouler toute la chaîne d’enjeux qui attendent le protagoniste. Exposez déjà le premier, ça sera bien suffisant. Ce qui compte, c’est qu’à chaque instant, il y ait un enjeu clair.

3. Établir un lien entre le protagoniste et les enjeux

Pour que votre roman fonctionne, il faut que votre protagoniste soit connecté aux enjeux. Considérez qu’il s’agit là d’une autre règle d’or : pas d’histoire réussie sans relier les personnages principaux avec les enjeux. Dans certains cas, ce lien va de soi, parce qu’on a affaire à des enjeux d’une nature personnelle. Dans d’autres cas, il convient d’établir ce lien d’une autre manière.

Les possibilités sont infinies. Il peut s’agir de quelque chose de personnel, qui lui tient à cœur et qu’il cherche à accomplir (« Je veux identifier l’assassin de mon mari ») ; il peut s’agir d’un danger qu’il court, ou d’une échéance qu’il cherche à respecter (« Ce bus va exploser si la vitesse descend en-dessous de 50 miles à l’heure ! ») ; on peut avoir affaire à une situation qui le dépasse, mais dans laquelle il finit par jouer un rôle-clé (« Il faut détruire l’Etoile de la mort ! »)

Quelle que soit la nature de la connexion, il est crucial que votre personnage ne soit pas indifférent aux enjeux. Si c’est le cas, le roman est ruiné : on ne peut pas demander aux lecteurs de s’intéresser à l’histoire qu’on leur raconte davantage que ceux qui la vivent. Il y a mille manières différentes d’établir une telle connexion, la seule erreur étant de ne pas le faire.

Même dans les cas où les enjeux d’une histoire dépassent la situation individuelle du protagoniste, il est préférable de trouver une manière d’illustrer que tout cela a une résonance personnelle pour lui. Pourquoi ? Parce que c’est ainsi que fonctionnent nos émotions. Il est difficile d’avoir de l’empathie pour une foule, mais très facile de comprendre les souffrances d’un individu. Oui, Superman va sauver Metropolis de la destruction, et tant mieux pour les habitants de la ville, mais l’histoire sera plus poignante si, quelque part, Lois Lane est en danger (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle cette pauvre Lois est souvent en danger).

Il est généralement préférable que votre protagoniste ait quelque chose de personnel à perdre en cas d’échec. Oui, il peut s’agir d’un danger qui le frappe, lui ou un proche, mais en fonction des genres et des histoires, cela peut prendre une forme plus indirecte : il peut voire une histoire d’amour prometteuse se terminer avant terme ; il peut rater une promotion qu’il convoitait ; un de ses secrets peut être révélé, le mettant dans l’embarras ; il peut rater son année ou un examen important ; il peut perdre sa liberté, son honneur, sa fortune.

Dans certains romans, le protagoniste peut également être affecté sur un plan idéologique, dans le cas par exemple où une cause à laquelle il adhère est ruinée ou discréditée. Il peut également être affecté au niveau de ses valeurs : son altruisme, son professionnalisme, sa curiosité sont telles que son implication dans l’intrigue ne fait que se renforcer (« Sa place est dans un musée ! »)

Pourquoi est-ce que la fantasy multiplie jusqu’à l’écœurement les histoires d’Élus et de Prophétie ? Parce que c’est un moyen bon marché d’établir un lien entre un individu et des enjeux qui lui sont extérieurs (« Tu dois sauver le monde parce que tu es le seul à pouvoir le faire, la Prophétie l’a dit ! »)

Quelle que soit sa nature, cette connexion protagoniste-enjeux, soignez-la. Plus vous le ferez, plus votre histoire sera poignante. Si ce lien s’incarne dans un personnage, rendez-le attachant, faites en sorte qu’on comprenne pourquoi il peut inspirer de l’amour, de l’amitié, de la loyauté. Si c’est une cause, rendez-la concrète : faites-nous découvrir les habitants du village qui risque d’être démoli, faites-en des individus qu’on a envie de défendre ; présentez-nous le veuf dont l’assassinat de l’épouse sert de base à l’enquête de votre protagoniste, et laissez-le nous décrire sa femme avec ses mots. Tout ce travail va vous rapporter gros par la suite.

4. Établir un lien entre le lecteur et les enjeux

Naturellement, s’il est très important de tisser des liens entre le protagoniste et les enjeux, il faut en faire de même pour la lectrice ou le lecteur. Voilà encore une opération qu’il vaut mieux ne pas négliger. Plus le lecteur sera attaché personnellement à ce que vos personnages triomphent des enjeux qui sont au cœur de votre intrigue, plus il sera accroché par votre histoire, et plus il sera affecté émotionnellement en refermant le livre.

Heureusement, une bonne partie du travail qui permet d’établir le lien protagoniste-enjeux fonctionne également avec le lien lecteur-enjeux. Pour que votre lectorat adhère immédiatement et durablement aux enjeux, il est préférable de lui faire dès le départ passer du temps avec ceux-ci. Dès les premiers chapitres, laissez-le se promener dans les verts pâturages de la Comté, et faire connaissance avec la touchante innocence des Hobbits : lorsque les menaces qui pèsent sur le monde se préciseront, son attachement pour ce pays et ses habitants renforcera son émotion. Dans une romance, quand les deux amoureux traversent une crise et semblent sur le point de se séparer, c’est parce que vous aurez pris le temps, en amont, de montrer à quel point ils peuvent se rendre mutuellement heureux que vos lecteurs seront captivés. Dans un thriller, c’est parce que vous aurez consacré du temps à nous montrer qui sont les otages et à quoi ressemble leur vie que vos lecteurs craindront pour leur vie lorsque la situation tournera à l’aigre.

Personne ne se soucie réellement du sort de parfaits inconnus, de statistiques, de théories : ce n’est qu’en faisant réellement la connaissance des personnages secondaires, des victimes, des innocents, en apprenant qui ils sont, en les voyant évoluer de manière concrète, que l’on forge un lien avec eux et que l’on se soucie de leur sort.

Un avantage de procéder de cette manière, c’est que si vous vous montrez efficace, cela vous permettra de mettre en scène un personnage principal antipathique. Votre protagoniste peut être un vrai salaud s’il protège un personnage secondaire dont vous vous souciez ; si vous vous préoccupez sincèrement du but poursuivi par le protagoniste, dans une certaine mesure, cela vous préoccupera moins s’il doit, pour arriver à ses fins, user de méthodes qui ne sont pas très recommandables. Travailler ainsi sur l’attachement du lecteur et sur les enjeux permet ainsi de jouer avec ses sentiments et de le glisser dans les baskets d’individus ambigus, mais dont les aspirations sont nobles.

5. Rappeler les enjeux

Établir les enjeux de manière claire et mémorable dès le départ, c’est important. Mais ça ne suffit pas : il faut les rappeler encore et encore. La mémoire des lecteurs est loin d’être parfaite, en particulier en ce qui concerne leurs réactions émotionnelles. Oui, ils se souviennent sans doute de la Comté, ou de l’époux de l’héroïne que vous leur avez montré dans les premiers chapitres, mais si vous ne leur rappelez pas pour quelle raison ils les ont trouvés sympathiques, vous allez les perdre et la conclusion de votre histoire n’aura pas l’impact que vous souhaitez.

Il convient donc de rappeler régulièrement les enjeux, en particulier quand l’histoire est longue et complexe. Ce n’est pas si facile à faire que ça, parce qu’à rabâcher toujours les mêmes choses, on peut vite lasser. Il faut donc trouver un moyen de revitaliser la connexion entre le lecteur et les enjeux, sans se contenter de répéter les mêmes informations encore et encore. Pour cela, je vous propose trois pistes.

La première est la plus naturelle : c’est celle qui consiste à entrelacer ce rappel dans l’intrigue. Prenons la situation simple d’une histoire où l’enjeu est d’éviter la destruction d’un village ou d’une région. Si, au cours du récit, la situation ne cesse de se détériorer, que ce lieu subit des attaques répétées, que des intrigues secondaires mettent en scène en miniature ce qui risque d’arriver au terme du roman, vos lecteurs ne vont jamais perdre de vue les enjeux. Si l’étudiant qui est votre protagoniste est constamment ballotté par l’intrigue dans des événements qui l’empêchent d’étudier et que sa moyenne est de plus en plus mauvaise, le spectre du redoublement ne va jamais s’éloigner. Si ça fonctionne de cette manière, c’est très bien : il n’y a rien de plus à faire.

Mais parfois, les circonstances de l’intrigue font qu’il est difficile de procéder de la sorte. Une méthode qui fonctionne bien, dans ce cas, consiste à intercaler des intrigues secondaires qui font écho aux enjeux centraux de l’intrigue. Le héros vient en aide à des gens qui lui rappellent son village ; la détective fait la connaissance d’une femme dont la situation lui rappelle celle de son épouse ; une petite catastrophe locale rappelle qu’une grande catastrophe globale est sur le point de se produire. Ces événements servent à rappeler au protagoniste et au lecteur ce qui est en jeu et ce qui risque de se produire dans le pire des scénarios.

Enfin, troisième approche : le rappel symbolique. C’est le plus simple, mais ça peut également être le moins subtil. Votre protagoniste a sur lui un objet, ou alors il a une habitude, il chante une chanson, il a un tatouage, ou quoi que ce soit, qui représente les enjeux. En incluant ces éléments dans l’histoire, cela permet de rappeler les enjeux sans avoir à dérouler à nouveau toutes les explications. Si votre héroïne tente de refaire sa vie après le décès de son mari, la montre dont il lui a fait cadeau et avec l’ouverture de laquelle elle ne cesse de jouer peut suffire à indiquer aux lecteurs où elle se situe par rapport aux enjeux émotionnels de l’histoire.

6. Augmenter les enjeux

Dans une histoire dynamique, les enjeux évoluent progressivement. En général, la situation se corse et tout va de pire en pire. Nous aurons l’occasion d’aborder cet aspect dans un prochain billet en détail. Mais à ce stade, notez que les enjeux de départ ne sont pas nécessairement une donnée immuable, mais qu’elle est amenée à évoluer au cours du récit.

Les corrections

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Corriger un roman, ça n’est pas comme corriger une dictée. C’est un travail d’une toute autre ampleur. Oui, l’usage du même verbe pour décrire les deux situations risque de nous induire en erreur, mais il s’agit de faire bien plus que de rajouter des « s » à la fin des mots au pluriel et de marquer les points sur les « i » et les barres des « t. »

Encore que cette dimension existe, et qu’elle est importante. Avant de la balayer sous le tapis, elle mérite d’être mentionnée. Oui, une des raisons d’être de la phase de correction d’un roman, c’est de dénicher et de se débarrasser de toutes les erreurs d’orthographe, de grammaire et de typographie que vous pouvez rencontrer, afin que, si possible, il n’en reste aucune. C’est de la dératisation.

Mais les corrections, c’est tellement plus que ça. Pour reprendre une métaphore utilisée lors du billet précédent, l’écrivain est comme un sculpteur : après avoir accumulé suffisamment de terre glaise lors de la rédaction du premier jet, c’est au cours des corrections qu’il lui donne sa forme définitive. En tout cas, pour un écrivain qui appartient à l’espèce des Bricoleurs, c’est ainsi que ça se passe. Pour les Architectes et les Explorateurs, cette étape est moins cruciale mais elle est importante malgré tout.

Relire un texte que l’on connaît bien, ça devient assez écœurant à la longue

Car que corrige-t-on exactement lors des corrections ? En bref : tout. Notez d’ailleurs que le mot « corrections », je le note au pluriel depuis le début. Ce n’est pas un hasard. Des passages, sur votre texte, vous allez en faire plusieurs, je vous le garantis. Avant d’être terminé, un roman doit être relu plusieurs fois, de la première à la dernière page, intégralement, jusqu’à ce qu’il ait l’aspect qu’on souhaite lui donner.

Ça n’est pas toujours rigolo à faire, d’ailleurs : relire un texte que l’on connaît bien, une fois, deux fois, cinq fois, ça devient assez écœurant à la longue. À force de recommencer à le corriger encore et encore, vous vous surprendrez probablement à vous mettre à détester ce texte dans lequel vous avez mis tellement de vous-mêmes. Mais c’est très bien : chaque relecture vous familiarise davantage avec tout ce qui fonctionne et tout ce qui ne fonctionne pas dans votre histoire, et vous procure la vision d’ensemble nécessaire pour opérer les bons choix de corrections.

Et cela concerne les domaines les plus divers. La grammaire, c’est une chose. Mais vous allez également opérer des relectures pour vérifier que votre personnage fonctionne, que votre structure est bien construite, que les moments d’émotion sont correctement amenés, que l’action est claire, que le style est approprié, que les dialogues fonctionnent, qu’il n’y a pas de longueurs, que tous les éléments nécessaires à la compréhension de l’histoire sont présents, mais qu’on ne noie pas le texte sous les textes d’exposition, etc… Passez votre texte au peigne fin : tout doit être relu, tout doit être revu, comme un avion de ligne dont on démonte chaque rivet lors de sa grande révision. Et une fois que c’est fait, on recommence. Et on recommence. Et encore.

Afin de prendre du recul, il peut être salutaire de laisser s’écouler deux ou trois semaines

Ça signifie que vous n’avez pas à régler tous les problèmes de votre texte lors du premier jet. Au contraire : si vous tentez de le faire, vous allez sans doute perdre du temps et même vous enliser. Mieux vaut attendre de disposer d’un texte complet, terminé, afin que vous puissiez analyser ce qui fonctionne et ce qui doit être modifié. C’est à ça que sert la phase de correction.

Si vous le jugez nécessaire, afin de prendre du recul, il peut être salutaire de laisser s’écouler deux ou trois semaines entre le moment où vous complétez le premier jet et celui où vous entamez les corrections. De cette manière, vous pourrez revisiter le texte avec un œil neuf. De même, certains auteurs jugent qu’un changement de support les aide à considérer leur livre d’un œil neuf : ils font donc les corrections sur une version papier du manuscrit, avant de les copier dans le fichier informatique original. Ça vaut la peine de tenter le coup.

Un petit exemple de correction, pour bien comprendre ce que ça implique : vous venez d’achever une première relecture de votre roman et vous réalisez que certaines choses importantes ne fonctionnent pas. Le début, en particulier, est lent et on s’y ennuie à mourir.

Reste à savoir pourquoi : est-ce que le langage est trop opaque ? Est-ce que les personnages sont impénétrables et nous empêchent de nous sentir les bienvenus dans le récit ? Est-ce que l’histoire ne commence pas au bon endroit et qu’il faudrait couper quelque part ? Est-ce que l’incipit et la première page manquent d’efficacité ? Il n’y a pas de raison toute faite : si vous parvenez à identifier un souci, tentez plusieurs approches pour débloquer la situation. En principe, l’une d’elle devrait donner de bons résultats et vous permettre de progresser. Le fait de prendre un peu de distance vis-à-vis du texte doit vous aider à être lucide et à trouver la solution. Après tout, personne n’est mieux placé que vous pour dire ce qui fonctionne ou pas dans votre histoire.

Quand vous opérez une correction quelque part, cela peut avoir des conséquences sur le reste du texte

Cela dit, un texte littéraire, c’est un biotope dynamique, en évolution constante. Chaque élément modifié, c’est comme ajouter une espèce invasive dans un étang : ça bouleverse l’équilibre. Quand vous opérez une correction quelque part, cela peut avoir des conséquences sur le reste du texte. C’est un peu l’effet domino : en changeant quelque chose, vous pouvez constater que toute une série de problèmes se règlent comme par magie, mais vous pouvez aussi observer qu’un petit changement est susceptible de modifier la dynamique de votre histoire et causer d’autres problèmes qui doivent être résolus à leur tour.

Pour revenir à notre exemple : imaginons que je découvre que le début du roman ne fonctionne pas parce que le protagoniste s’y montre beaucoup trop passif. En le faisant agir davantage, en lui permettant de devenir le moteur de l’intrigue, une nouvelle dynamique se met en place, qui rend le premier chapitre bien plus intéressant. Problème réglé, je jubile.

Cela dit, en poursuivant ma relecture, je réalise que, en me basant sur mon plan, mon personnage principal est supposé être au bord de la dépression au début du roman : en modifiant sa façon d’agir pour le rendre plus proactif, il ne peut désormais plus apparaître comme déprimé, ce qui va m’obliger à modifier les interactions qu’il était supposé avoir par la suite avec des personnages principaux, des amis qui lui apportent leur soutien. Tout à coup, ce sont de nombreuses scènes interconnectées qui n’ont plus de sens du tout. Zut.

On a parfois l’impression que le chaos surgit de partout

Si ça se trouve, un petit correctif va m’obliger à réécrire des pages, voire des chapitres entiers. Cela peut être décourageant, parce que, lors de cette phase, on a parfois l’impression que le chaos surgit de partout et que deux problèmes nouveaux apparaissent pour chaque solution trouvée, mais avec l’expérience, on réalise que chaque correction bien réfléchie améliore malgré tout l’état général du roman.

Par exemple, en réécrivant les premières interactions entre mon protagoniste et ses amis, maintenant que je ne peux plus le présenter comme déprimé, je découvre qu’il est plus élégant de lui trouver un problème pratique, comme un souci d’argent. En agissant de la sorte, je remplace une condition émotionnelle, vague et peu enracinée dans mon narratif, par une situation dramatique avec des causes et des solutions définies, et peut-être même que je vais découvrir que ce manque de thunes se connecte parfaitement avec un autre élément d’intrigue qui intervient plus tard dans mon récit (« Ah, mais alors il a une bonne raison de rencontrer Clara à la banque au chapitre 4 ! »)

Peu à peu, vous allez réaliser que vos modifications vous obligent à en faire d’autre, oui, mais que la solidité de l’ensemble s’en trouve renforcée. L’intrigue est mieux charpentée, les personnages mieux dessinés, votre voix plus affirmée, et au bout d’un moment, vous vous rendez compte, après quelques relectures, que vous êtes en présence d’un texte qui fonctionne. Peut-être que vous vous serez un tout petit peu éloigné du plan, peut-être que ce n’est pas exactement ce que vous avez prévu, mais ce que vous obtenez au final, c’est la meilleure version de votre histoire que vous pouvez imaginer.

⏩ La semaine prochaine: Corrections – la checklist

 

 

Personnages: les outils

blog personnages outilsDans cette série consacrée à l’exploration de la fonction des personnages en fiction, après avoir passé en revue certaines règles et certains conseils, il est temps de s’attarder sur un certain nombre d’outils que le romancier a à sa disposition pour donner forme à ses personnages de manière pratique et convaincante.

Les fiches

Pour s’y repérer, et en particulier dans un gros roman où il y a énormément de personnages importants, il peut être pratique de doter chacun d’eux d’une fiche qui contient toutes les informations pratiques à son sujet et qui peut servir de référence tout au long de la rédaction du livre. Certains romanciers considèrent qu’il s’agit d’un passage obligé, le complément naturel au plan du roman, qui est, à leurs yeux, tout aussi essentiel que celui-ci. Au fond, quelle que soit l’importance qu’on leur donne, les fiches ne sont qu’un outil pour organiser vos pensées au sujet de vos personnages.

Comme le plan, il existe d’innombrables manières de créer une fiche de personnage. À chacun de trouver l’approche qui lui convient le mieux. Une bonne manière d’aborder la question, c’est de commencer comme s’il s’agissait d’un formulaire administratif, avec les données de base : noms, surnoms, âge, nationalité, lieu d’origine et de résidence, profession, liens familiaux, etc… Ensuite, vous pouvez consacrer une section à la description physique, en mentionnant autant de détails que ça vous paraît nécessaire : taille, poids, apparence, origine ethnique, mais aussi accent, gestuelle, style vestimentaire, etc… De la même manière, vous pouvez décrire un personnage du point de vue mental et intellectuel : niveau d’intelligence, éducation, force de volonté et de concentration, maladies et troubles mentaux, capacité d’apprentissage, etc… Une section peut être consacrée à la description émotionnelle : forces et faiblesses, introverti(e)/extraverti(e), comment le personnage réagit à la tentation, à la tristesse, au conflit, au changement ? Qu’est-ce qui lui fait peur ? Qu’est-ce qui lui fait envie ? Quelles sont ses croyances, sa spiritualité ? Enfin, décrivez l’arc narratif du personnage, la manière dont il évolue au cours de l’histoire et ses relations-clé avec d’autres figures marquantes du roman.

La fiche de personnage est une affaire de dosage. Certains auteurs aiment tout savoir des individus qui traversent leurs romans, et rédigent des fiches longues et complètes. D’autres zappent complètement cette étape. Cela dit, ne perdez pas de vue qu’il s’agit d’un document de travail, qui doit présenter une dimension pratique : dans ces conditions, connaître la taille de chaque personnage au centimètre près et détailler le cursus scolaire de tout le monde risque de vous encombrer plutôt que de vous aider.

Les questionnaires

En complément ou à la place de tout ou partie de la fiche de personnage, vous pouvez choisir de remplir un questionnaire pour chacun des personnages importants de votre roman.

Pour que ça soit efficace et que cela permette de les comparer et de les contraster les uns aux autres, il convient d’utiliser les mêmes questions pour chacun d’entre eux. Par contre, le choix des questions vous appartient et dépend de vos priorités. Vous pouvez y répondre en adoptant un point de vue extérieur (« Samantha pense que la vie est une série de rencontres ») ou comme si le personnage lui-même répondait aux questions (« J’ai toujours vu la vie comme une série de rencontres »)

En comparaison avec la fiche, le questionnaire se veut moins une référence qu’un outil de développement. En répondant aux questions, vous pourrez « tester » le personnage, le situer par rapport à certains dilemmes moraux et existentiels, voir, en somme, de quelle étoffe il est fait.

Ainsi, je suggère de prévoir une série de questions très ouvertes, d’ordre psychologique ou social, destinées à en révéler autant que possible sur la nature profonde d’un être. En voici une petite sélection, mais sentez-vous libres bien entendu de partir dans une direction complètement différente : « Qu’est-ce qui fait que vous accordez votre confiance à quelqu’un ? », « Quelle est votre définition de l’honneur ? », « Êtes-vous capable de pardonner ? », « Que seriez-vous prêt à sacrifier par amour ? » ou encore « Quelle est la chose la plus précieuse que vous possédez ? »

En établissant une grille de questions dans ce genre-là, avant d’entamer la rédaction du roman, cela devrait vous permettre d’explorer un peu la psyché des personnages et de tenter de comprendre de l’intérieur comment ils réagissent aux situations de conflit : en procédant de la sorte, on peut leur donner de la cohérence et de l’épaisseur.

Les questionnaires n’ont pas beaucoup d’intérêt en tant que référence à suivre lors de l’écriture, mais c’est un outil exploratoire qui peut générer des idées et vous aider à développer vos personnages, les arrimer au thème de votre roman et les contraster les uns avec les autres.

Dix choses

Une technique qui donne un peu les mêmes résultats que celle des questionnaires, même si elle fonctionne d’une manière très différente, c’est celle qui consiste à établir une liste de dix choses, informations, anecdotes, révélations au sujet de chacun de vos personnages importants, mais attention : rien de tout cela ne sera mentionné, même de manière oblique, dans le texte proprement dit.

Cynthia ne sait pas bien lire l’heure sur une montre à aiguilles. Quand elle était adolescente, elle faisait semblant de lire le journal parce qu’elle pensait que ça lui donnait l’air intelligent. Son beau-père a tué son chien quand elle était petite. La première fois qu’elle s’est rendue à un entretien d’embauche, elle avait oublié ses chaussures et portait des pantoufles. Elle a vu le film « Full Metal Jacket » à quarante-deux reprises. Lorsqu’il neige en hiver pour la première fois, elle a l’habitude de faire un vœu. Elle a une cicatrice sur la jambe causée par un accident de VTT. Elle a passé un an en couple avec un garçon qui la rabaissait constamment. Elle rêve de devenir végétarienne mais n’y arrive pas. Elle aurait toujours voulu avoir un deuxième prénom.

À quoi est-ce que ça peut servir de garnir ainsi la vie de vos personnages de détails qui ne seront jamais utilisés ? Ça va vous être utile à vous, l’auteur.

Pour commencer, cela vous apprend à mieux connaître vos personnages et à les considérer comme des individus pleinement réalisés, qui ont une existence, même fictive, en-dehors de l’intrigue de votre roman. Cela vous habitue à entrer dans la peau de ces personnages et à tenter de découvrir ce qui les fait réagir, ce qui les touche et ce qu’ils ont traversé.

Par ailleurs, il s’agit d’un processus créatif qui, paradoxalement, peut vous révéler des aspects qui vont vous surprendre vous-mêmes et qui vont vous amener à développer leur rôle dans des directions inattendues. Enfin, même si ça n’est pas évident de prime abord, procéder de la sorte aide à renforcer la crédibilité de vos personnages, puisque lorsque vous les utiliserez, vous aurez dans un coin de votre tête toute une foule d’informations qui les humanisent.

Les nuages de qualificatifs

Cet outil-ci est un peu différent : il vous permet de mieux définir un personnage, oui, mais il vous fournit également une aide pour l’écriture du roman proprement dit. Il consiste, pour chaque personnage que vous jugez important, à constituer une liste d’adverbes et d’adjectifs que vous allez utiliser pour le décrire : un nuage de qualificatifs.

En se préparant de la sorte, vous allez fourbir les armes qui vont vous permettre, à travers les mots que vous utilisez, de caractériser un personnage et de lui donne de la cohérence sur toute la longueur du roman. Chacune des figures centrales de votre histoire se verra ainsi rattachée à un champ lexical, une famille de mots qui contribuera à lui donner une tonalité propre.

Dans le roman contemporain, on consacre moins de temps qu’autrefois à décrire précisément les personnages, leur apparence et leurs habitudes. On préfère généralement laisser leurs actes les définir, et il est tout à fait possible d’écrire tout un bouquin sans mentionner la couleur des cheveux du protagoniste. Dans ces conditions, établir un nuage de qualificatifs qui lui sont rattachés permet de renforcer la typologie d’un personnage sans tomber dans le piège des descriptions minutieuses et barbantes.

Pour créer un nuage de qualificatifs, pensez aux mots dont vous aurez besoin pour décrire l’attitude de votre personnage, son langage corporel, sa voix, ses gestes, son regard. Se comporte-t-il avec calme ou de manière frénétique ? Sa gestuelle rappelle-t-elle celle d’un clown, d’un mannequin, d’un crapaud ? Sa personnalité est-elle comparable à un bolide, un train régional, un avion ? À titre d’exemple, j’inclus ici le nuage de qualificatifs que j’ai établi pour S, la Chevalière Luminar, un des personnages de mon roman « Merveilles du Monde Hurlant » :

Puissante, digne, fière, dure, féline, léonine, guerrière, disciplinée, honnête, sincère, vigoureuse, robuste, aguerrie, intègre, ferme, solide, sévère, amazone, militaire, chevaleresque, franche, sérieuse, droite, loyale, décidée, inflexible, empathique, vraie, fiable, loyale, décidée, furieuse, rugissante, noble, intransigeante, fermée, froide, hautaine, redoutable, brusque

Les collages

Si votre imaginaire est tourné vers le visuel, il y a un outil dont vous pouvez vous servir et qui servira à la fois à vous inspirer et à ancrer vos personnages dans leur identité propre : les collages.

L’idée est de constituer une image composée de différentes photos, dessins et autres sources iconographiques qui constituent vos principales sources d’inspiration pour l’un de vos personnages. Le collage vous servira ensuite de générateur d’idée, mais aussi de référence pour conserver une ligne esthétique propre au personnage en question. Libre à vous de procéder de la sorte pour un seul de vos personnages, tous les personnages principaux, voire même absolument tous les personnages du roman (même si ce dernier cas me paraît un peu excessif : ne feriez-vous pas mieux d’écrire ? Hmmm ?)

Vous imaginez le flic de votre roman policier comme un mélange entre Vincent Cassel et Colin Farrel ? Mettez des photos de ces deux acteurs. L’atmosphère qui se dégage d’un tableau d’Edward Hopper se rapproche d’une des scènes-clé qui implique ce personnage ? Ajoutez-en une image à votre collage. Le dilemme auquel il fait face dans l’histoire le rapproche d’une figure historique ou d’un personnage de fiction ? Là aussi, trouvez une illustration qui vous parle et insérez-là dans votre image composite.

Réaliser un collage pour inspirer la création d’un personnage de roman n’est pas une démarche intellectuelle : laissez-vous guider par votre instinct, et ne vous fixez aucune règle. Tout type d’image est le bienvenu. Surtout, soyez attentifs à ce qui se passe en vous pendant que vous collectionnez ces différents éléments : des idées pourraient surgir qui vous seraient utiles par la suite.

Même si, à titre personnel, j’ai constaté que cette approche ne me convient pas trop, je vous propose ci-dessous, à titre d’exemple, un collage réalisé pour Matyas, un des personnages du roman que je suis en train d’écrire :s

collage matyas

Les diagrammes

Dernier outil dont vous pouvez vous servir, les diagrammes ne servent pas à décrire les personnages eux-mêmes, mais à les situer les uns par rapport aux autres.

Pour procéder, ce n’est pas bien compliqué : inscrivez les noms de vos personnages principaux sur une feuille (réelle ou virtuelle), et tracez entre eux des flèches qui correspondent à la nature de leurs relations. Je suggère d’utiliser un code couleur, pour, en fonction de vos besoins, traduire l’intensité de leur relation (de l’amour à la haine), le degré de confiance ou, par exemple, les liens familiaux ou professionnels. Vous pouvez également rajouter un mot (ou plusieurs) au-dessus de la flèche pour préciser la nature de la relation (« mépris », « intrigué », « ne sait pas sur quel pied danser ») Si les gens vous prennent pour un fou, persévérez: ils sont jaloux.

Rien n’empêche de tracer ainsi plusieurs diagrammes, chacun correspondant à un type de relation différent, en fonction de vos besoins. Vous pourrez ainsi détailler les affinités affectives entre vos personnages sur une première feuille, et leurs relations hiérarchiques sur une autre, par exemple. Je suggère également de prévoir un diagramme montrant les relations entre les personnages au début du roman, et un second à la fin, pour retracer l’évolution qui doit intervenir au cours de l’histoire.

Ici, je parle principalement de personnages, mais il peut être utile d’ajouter au diagramme des groupes ou institutions qui jouent un rôle dans l’intrigue, et avec qui les personnages peuvent également tisser des liens (« les yakuzas », « les croisé », « le FBI », « le parti socialiste », etc…)

📖 La semaine prochaine: Personnages – le protagoniste

Construire une intrigue: résumé

blog le petit plus

Comme j’ai eu l’occasion de le faire précédemment pour mes séries consacrées à « La structure d’un roman » et à « Des idées au roman« , et comme certains d’entre vous semblaient trouver cela utile, je regroupe ici tous mes billets consacrés à la construction d’une intrigue romanesque et aux choix majeurs que cela implique. Bonne (re)lecture!

Première partie: Les formes de l’intrigue

Deuxième partie: Les formes de l’intrigue 2

Troisième partie: L’intrigue sans forme

Quatrième partie: Prologues, épilogues et interludes

Cinquième partie: Le plan

Sixième partie: Le narrateur – la troisième personne

Septième partie: Le narrateur – la première personne

Huitième partie: Le narrateur – autres possibilités

Neuvième partie: Le récit au passé

Dixième parie: Le récit au présent

Le plan

blog plan

Établir un plan, c’est l’acte créatif le plus important de l’écriture d’un roman. Et une fois qu’un plan est complet, il devient le document de référence le plus crucial pour toutes les étapes qui vont suivre. Bref, je m’en voudrais d’insister, mais le plan est très, très important. S’il y a bien un moment où il faut se concentrer un minimum, c’est quand on aborde cette phase.

Ce qu’on appelle un plan, c’est un document dans lequel toute l’intrigue du roman est résumée : chaque action, chaque fait, chaque personnage, chaque scène, le tout dans l’ordre. Tout ce qui figure dans le plan se reflète dans le roman et tout ce qui est dans le roman a pris ses racines dans le plan. Si le roman est une symphonie, le plan en est la partition.

Le plan, cela dit, ne naît pas de nulle part : c’est le fruit d’un parcours créatif que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer sur ce blog. Il commence par la collecte d’idées, se poursuit par l’élaboration d’un argument, puis par une tentative de lui donner une forme. Ensuite seulement on peut envisager de passer au plan.

On met en place un plan pour la même raison qu’on dessine les plans d’une maison

C’est avec cette étape qu’un livre voit réellement le jour : les enjeux dramatiques, l’évolution des personnages, les coups de théâtre, les moments marquants de l’intrigue, tout figure dans ce document. Au fond, une fois qu’on a mis sur pied un plan bien échafaudé, le roman existe déjà : il ne reste plus qu’à l’habiller avec des mots, des phrases, et toutes ces petites choses qui rendent la lecture agréable.

C’est dire qu’il est très fortement déconseillé de se passer complètement de plan avant d’aborder la phase d’écriture. Un roman, même court, même simple, ça reste un gros morceau d’information à conserver en entier dans un cerveau : sans coucher par écrit certaines de vos idées, sans les relier entre elles, sans rien planifier, elles risquent de vous échapper, ou d’arriver sur la page pèle-mêle et de se retrouver mal utilisées, voire incompréhensibles.

On met en place un plan pour la même raison qu’on commence par dessiner les plans d’une maison avant de lancer le chantier : ça évite pas mal d’erreurs de jugement.

Cela dit, malgré l’importance centrale du plan dans l’aventure de l’écriture, au fond, ça n’est rien d’autre qu’un banal document Word.

Votre plan va vraisemblablement ressembler à un tableau à double entrée

Ou disons : ça peut prendre à peu près n’importe quelle forme, en fonction de vos envies, vos habitudes et de ce que vous trouvez le plus pratique : document Word, Excel ou autre programme du genre, notes lâchées directement sur le papier, post-it punaisées sur un mur, lignes tracées au feutre sur un tableau blanc. Au fond, tout ce qui compte, c’est que vous vous y retrouviez. A titre personnel, j’utilise OneNote.

Quelle que soit votre approche, votre plan va vraisemblablement ressembler à un tableau à double entrée. Les lignes vont représenter chacun de vos chapitres (ou toute autre division qui fait sens pour vous, si vous n’utilisez pas de chapitres). Vous pouvez même descendre au niveau des paragraphes si vous souhaitez un plan plus précis.

Les colonnes vont représenter un certain nombre d’éléments constitutifs de votre intrigue. Cela peut, par exemple, prendre la forme suivante :

Colonne 1 : Numéro et/ou titre du chapitre

Colonne 2 : Les personnages principaux en présence

Colonne 3 : Le(s) lieu(x) où se déroule l’action.

Colonne 4 : Les moments-clé de l’intrigue, action par action.

Colonne 5 : Cheminement et évolution des personnages principaux.

A vous de voir ce qui vous convient. Vous pouvez très bien vous passer de l’une ou l’autre de ces colonnes, ou alors en rajouter d’autres. Certains, en particulier dans les littératures de l’imaginaire, souhaiteront faire figurer une colonne où sont mentionnés les éléments explicatifs liés à l’univers, afin qu’ils trouvent leur place naturellement dans le texte. On peut faire figurer des notes sur le style ou sur le langage, ajouter des repères temporels précis pour parvenir à situer les actions les unes par rapport aux autres, repérer les moments où les personnages quittent la scène et mentionner ce qu’ils font quand on ne parle pas d’eux. On peut utiliser des codes couleur pour les lieux ou les personnages, rajouter des flèches pour rendre plus claires le cheminement de certains des protagonistes, faire figurer des diagrammes pour visualiser les montées et les descentes de la tension narrative, mentionner en grisé les informations connues des lecteurs mais pas des personnages (ou l’inverse)… Les possibilités sont infinies.

Certains ont besoin d’une planification très précise

Une autre manière de rédiger un plan, parfaitement réalisable, est de l’échafauder entièrement à l’aide de la théorie des blocs. L’auteur décrira alors l’action bloc par bloc, en détaillant au besoin les transitions qui relient les blocs les uns aux autres, comme s’il jouait aux Lego.

Le plan sert à planifier l’écriture, à l’auteur de savoir de quoi il aura besoin dans ce domaine. Certains ont besoin d’une planification très précise, scène par scène. Moi, je sais qu’en procédant ainsi, je risque de rendre le moment de l’écriture très ennuyeux et je préfère opter pour un plan plus vague, qui me laisse une certaine marge d’interprétation (mais cette approche m’oblige parfois à procéder à des raccommodages quand surviennent des contradictions ou des éléments d’intrigue que je n’avais pas anticipés).

En règle générale, plus il y a de détails dans un plan, moins vous allez vous mélanger les pinceaux en rédigeant votre manuscrit, et plus solide sera l’intrigue, mais le prix à payer est le risque de manquer de spontanéité dans l’écriture. A l’inverse, moins il y a de détails dans un plan, plus cela laisse la porte ouverte à de nouvelles idées pendant le processus d’écriture, au risque que toute la charpente de l’intrigue s’effondre parce qu’elle n’aura pas été suffisamment planifiée.

Si vous ne savez pas de quoi vous avez besoin, je vous suggère d’essayer le modèle décrit ci-dessus, qui constitue un bon point de départ.

Atelier : une fois que vous avez terminé de créer un plan pour votre texte, envisagez d’y ajouter des colonnes supplémentaires pour mentionner des aspects qui n’y figurent pas encore. Est-ce que certaines de ces nouvelles catégories vous aident ? Dans ce cas, gardez-les. Si ce n’est pas le cas, supprimez-les ou modifiez-les.

📖 La semaine prochaine: la narration à la 3e personne