Les quatre espèces d’auteurs

Il n’y a pas deux types d’auteurs, comme j’ai eu l’occasion de le clamer ici. Il n’y a pas non plus trois types d’auteurs, malgré ce que j’ai pu moi-même prétendre. Même si la volonté d’établir une typologie de celles et ceux qui prennent la plume est compréhensible et même utile, cela doit se faire au nom d’une meilleur compréhension de l’acte créatif, et pas dans le but d’établir des repères identitaires vides de sens.

Comme je l’ai argumenté dans un billet précédent, certains romanciers ont tendance à prendre les catégories de « Jardinier » et d’« Architecte » au pied de la lettre, et à les traiter comme les classes de personnages de Donjons & Dragons. On serait Jardinier comme on est Barde ou Druide, avec les possibilités et les limitations que cela suppose. Ces classifications seraient des panoplies prêtes à l’emploi, qu’il nous suffit d’endosser. Rien n’est plus éloigné de la vérité, pourtant. La réalité est plus complexe et plus raffinée, et ce n’est pas en la réduisant jusqu’à l’absurde que l’on s’en approchera.

D’ailleurs, qui a décrété que la manière d’écrire était le critère à utiliser pour ranger les auteurs dans diverses catégories ? Et si, à la place, on avait choisi de s’intéresser aux raisons qui poussent les romanciers à écrire, plutôt qu’à leur approche de l’acte d’écriture ? Au « pourquoi » plutôt qu’au « comment » ? On aurait accouché d’une autre typologie, ni plus, ni moins pratique. D’un côté, on aurait donc des « types » ou des « classes » d’auteurs, d’un autre, pour pousser jusqu’au bout la métaphore rôlistique, on aurait des « espèces » ou des « races » d’auteurs.

Tout cela n’est pas très subtil. Mais peut-être qu’en superposant ces deux grilles de lectures, on pourrait commencer à porter sur la caractérisation des auteurs un regard plus nuancé, et donc plus affuté. Après tout, si vous prenez, d’un côté, les trois types d’auteurs que j’ai eu l’occasion de décrire, et que vous les croisez avec les quatre espèces d’auteurs que je passe en revue ici, vous obtenez déjà douze catégories distinctes, et vous entrevoyez à quel point la réalité est plus complexe et plus intéressante que cela.

Un Bricoleur Viscéral (comme je le suis la plupart du temps) a la même légitimité à prendre la plume qu’un Architecte Spirituel, mais ce qui se passe dans sa tête lorsqu’il accouche d’une histoire peut être complètement différent. En prenant note de ces distinctions, et des dégradés qui se situent entre elles, cette typologie apparaît pour ce qu’elle est : une béquille pour la pensée, plutôt qu’un substitut à celle-ci. En cherchant à se caractériser, un auteur va en apprendre un peu sur lui-même, mais également, du moins je l’espère, prendre conscience que la singularité de sa démarche n’est pas facile à enfermer derrière une paire d’adjectifs.

Qu’est-ce qui distingue les quatre espèces d’auteurs, tels que je vous propose de les répertorier ? Tout simplement le point d’origine de leur élan vers l’écriture : la tête, le cœur, les tripes, ou rien de tout cela. Cela constitue donc quatre familles, que je détaille ci-dessous. À laquelle appartenez-vous ? À vous de lancer le débat, ci-dessous.

Les Cérébraux

« Mon but de romancier est de rendre cette épouvantable réalité intelligible », a expliqué John le Carré. Pour un auteur Cérébral, pour commencer, l’écriture a un but, et celui-ci est exprimable et quantifiable, en plus d’avoir des effets tangibles dans le monde réel.

Ce que les auteurs qui appartiennent à cette espèce tirent de l’écriture, c’est de la satisfaction : celle d’avoir, patiemment, au prix d’efforts, obtenu un effet délibéré. C’est le sentiment que l’on obtient lorsque l’on assemble un énorme puzzle ou que l’on résout un problème mathématique.

Les Cérébraux sont des alchimistes, qui apprécient de transmuter un concept en réalité, une idée en roman. Pour eux, écrire est un défi intellectuel. C’est quelque chose d’utile, de pratique, une mécanique qui peut être perfectionnée à l’infini, grâce à énormément de travail, mais également d’une démarche qui consiste à chercher à comprendre comment on écrit, et de quelle manière on pourrait améliorer ce processus. Ils font la grimace quand on essaye de les convaincre que la vérité objective n’a que rarement sa place en art.

Au fond, on peut diviser cette espèce d’auteur en deux sous-embranchements, dont les finalités sont différentes. Les premiers, à l’image de John le Carré, voient dans l’écriture un outil de compréhension du réel. Pour eux, la fiction est la loupe qui rend visible le fonctionnement du monde qui nous entoure. En l’améliorant, on s’approche toujours plus près de la substance véritable de la condition humaine, dans une démarche qui rappelle celle des scientifiques, des naturalistes.

Le second type d’auteurs Cérébraux rassemble de grands formalistes. Ils voient l’écriture comme une mécanique d’horlogerie, qui peut être analysée objectivement, comprise et améliorée jusqu’à la perfection. Ils écrivent donc pour apprendre à mieux écrire, et pour améliorer constamment leur maîtrise technique de leur art, dans un cycle sans fin.

Les Émotionnels

« Pourquoi est-ce que j’écris ? Parce que j’aime ça », a répondu Christine Angot, interrogée par la revue « Papiers. » Les auteurs Émotionnels peuvent différer sur bien des aspects, mais ils se rejoignent sur un plan : ils écrivent par goût, par passion, parce que cela leur procure des sensations agréables, qu’il s’agit de leur passe-temps préféré.

Pour un Émotionnel, la conséquence de l’acte d’écrire, c’est le plaisir, c’est cela qu’ils recherchent et qui les pousse en avant. Écrire les rend joyeux, leur change les idées, leur permet d’échapper à leur quotidien, les divertit, les amuse. La récompense est immédiate et instantanément satisfaisante. Ils écrivent pour la même raison que certains jouent au tennis, se bronzent sur les plages ou jouent de la clarinette : parce que ça leur plaît.

La médaille a son revers, cela dit. En quête de leur dose de plaisir, certains d’entre eux fuient autant que possible tous les aspects plus rébarbatifs de l’existence de femme ou d’homme de lettres, ce qui fait qu’il peut leur arriver de manquer de motivation, parce que lors des moments difficiles de la rédaction d’un roman, le plaisir n’est pas toujours au rendez-vous.

Tous les Émotionnels ne trouvent pas le plaisir dans les mêmes aspects de l’écriture. Ils peuvent même être très spécialisés. Certains membres de cette espèce apprécient de jouer avec les mots, leur rythme et leur sonorité, et d’explorer la poétique du langage. D’autres sont passionnés par leurs personnages, aiment entrer dans leur tête, comprendre comment ils fonctionnent, les confronter les uns aux autres, jusqu’à, parfois, les considérer – presque – comme des proches. Il y a également des romanciers qui appartiennent à cette famille parce qu’ils ont tant aimé une œuvre littéraire qu’ils cherchent à reproduire à travers l’écriture leur plaisir de lecteurs. Ceux-là sont souvent auteurs de fan fiction ou de pastiches, proches de l’original ou savamment revisités.

Les Viscéraux

« J’écris parce que j’ai dès mon enfance éprouvé le besoin de m’exprimer et que je ressens un malaise quand je ne le fais pas. » À l’image de Georges Simenon, les auteurs Viscéraux expriment parce qu’ils en ressentent le besoin.

On le comprend bien, un romancier qui appartient à cette espèce obtient du soulagement en échange de ses efforts. Elle ou il a l’écriture qui la démange : c’est une compulsion, une obligation, comme le fait de respirer ou de s’alimenter. On ne peut pas dire que les auteurs Viscéraux aiment réellement écrire : plutôt, ils souffrent de ne pas le faire. Si les circonstances les privent de la possibilité de créer par ce biais, ils asphyxient, puis s’étiolent. En tout cas ils font la grimace.

Bien sûr, il s’agit d’une motivation en creux : un Viscéral, c’est quelqu’un qui ne supporte pas de ne pas écrire, mais qui peut parfois manquer d’un réel intérêt pour le faire. Au nom de la satisfaction de leur besoin, ils peuvent se contenter d’histoires imparfaites, voire bâclées, se sentant moins concernés par la qualité du résultat final que par le fait que le processus de création ait eu lieu.

Tous, bien entendu, ne ressentent pas ce besoin d’écrire pour les mêmes raisons. Certains produisent tant d’idées que celles-ci s’accumulent dans leur cerveau et finissent par sentir le moisi si elles ne trouvent pas une vie sur le papier. D’autres ressentent la nécessité de prendre la plume parce que cela leur permet de matérialiser des émotions qui sont enfouies en eux, et cela contribue donc à leur bonne santé mentale. Il y en a aussi qui voient dans le fait de donner vie à des personnages une manière de faire vivre les voix dans leur tête, les différents aspects de leur personnalité et de se réconcilier avec elles.

Les Spirituels

Charles Bukowski l’a très bien résumé : « Si je savais pourquoi j’écris, je n’en serais sûrement plus capable. » Pour un Spirituel, l’acte d’écriture est un mystère, et plus on cherche à le comprendre, plus on s’éloigne de la vérité. Dans leur cas, l’écriture est vécue soit comme une routine, soit comme une quête, en tous les cas comme un cycle sans fin, qui n’est pas destiné à connaître de dénouement. Le point d’interrogation, toujours situé à la fin de la question « Pourquoi est-ce que j’écris ? » constitue pour eux la plus essentielle des motivations.

Le point faible des Spirituels, c’est leur immobilisme. Ils peuvent produire des œuvres d’une grande beauté, mais leur démarche artistique est nécessairement statique, puisqu’ils refusent de s’interroger sur sa nature, et donc de se diriger vers tout changement ou progrès, quel qu’en soit la nature. Ils pratiquent une écriture en suspension, ni analytique, ni existentielle.

Au fond, on peut distinguer deux grandes sous-catégories d’auteurs Spirituels : les premiers sont en communication avec l’indicible. Selon eux, il y a quelque chose d’inexprimable dans la démarche d’un artiste, et chercher à le comprendre est vain, et même contreproductif. De la même manière que seule la pratique du bouddhisme permet d’en comprendre les principes, ils considèrent qu’il n’y a qu’en écrivant que l’on comprend pourquoi l’on écrit, et ce discernement disparait le plus souvent au moment où l’on pose la plume.

Pour la seconde sous-catégorie, il y a quelque chose de magique dans l’écriture, et pour cette raison, ils refusent de jeter sur elle un regard analytique. Au fond, ils ne savent pas pourquoi ils écrivent, et ils ne veulent pas le savoir. Certains peuvent même réagir avec colère lorsque l’on cherche à lever à leur place un coin du mystère. Il est tout à fait possible qu’ils appartiennent en réalité à une des trois autres catégories, mais prennent leurs distances avec toute forme de typologie, de peur de casser la machine.

Mort aux Jardiniers !

blog mort aux jardiniers

Il y a deux types d’auteurs, tout le monde sait ça. Il y a d’un côté les Jardiniers, qui créent au fil de la plume, de l’autre les Architectes, qui bâtissent des plans minutieux avant de rédiger le moindre mot. Chaque personne qui écrit est priée de se situer dans une de ces deux catégories. Et comme les autrices et auteurs sont perpétuellement en quête de bonnes occasions de dire « Je ne suis pas comme les autres », ils sont innombrables à clamer haut et fort qu’ils se situent à mi-chemin entre les deux catégories, et sont donc des « Jarchitectes » ou de « Ardiniers. »

Tout cela est parfaitement ridicule.

Lorsque, dans ce blog, je me suis attaqué à la question, j’avais fait preuve d’une certaine naïveté. Je n’avais pas encore eu l’occasion de m’entretenir de ces choses-là avec d’autres écrivains, et j’étais loin de me douter de la fascination que cette dichotomie exerçait. La jugeant imparfaite, j’ai donc décrété qu’il n’y avait pas deux, mais trois types d’auteurs, vite baptisés les Architectes, les Bricoleurs et les Explorateurs, divisés en fonction du moment qui, pour eux, représentait le principal acte créatif : respectivement avant, après ou pendant l’écriture.

Nombreux sont les romanciers qui se sont beaucoup trop enthousiasmés pour ces classifications

Sauf qu’en disant cela, il était clair dans ma tête que ce que je proposais n’était qu’un outil supplémentaire : une typologie qui permettait à chacun de mieux comprendre le processus de création et la manière singulière dont il ou elle l’abordait. Il me paraissait évident que, en-dehors des tendances particulières des uns et des autres, nous étions tous parfois Architecte, parfois Jardinier, et oui, parfois Bricoleur ou Explorateur. En d’autres termes, il ne s’agissait pas d’enfermer des individus, qui plus est des artistes, dans des panoplies étriquées, mais au contraire de leur permettre d’étendre leurs perspective en s’interrogeant sur des aspects de leur travail qui, pour certains, restent non-dits.

Malheureusement, nombreux sont les romanciers qui se sont, à mon avis, beaucoup trop enthousiasmés pour ces classifications d’auteurs (ou même de lecteurs) : ceux-ci ne les voient pas comme des outils, mais comme des classes de personnages, des descriptifs auxquels se rallier, des bannières qui représentent à elles seules toute notre identité d’écrivain. Baladez-vous en ligne sur les sites d’auteurs ou sur les réseaux, et vous en croiserez vite qui se décrivent comme « Jardinier » et pour qui ce simple mot suffit à clore la discussion sur leur démarche créative.

On est « Architecte » ou « Jardinier » comme, dans d’autres contextes, on est « Guerrier » ou « Magicien » ; « Beatles » ou « Stones » ; « Gryffondor » ou « Serpentard » : c’est tout l’un ou tout l’autre, on n’a qu’à choisir son camp, en adopter le langage, en porter les couleurs et s’en réclamer et cela tranche la question à tout jamais. On le voit bien : ce qui est conçu au départ comme un outil d’exploration de l’acte créatif est devenu tout le contraire. C’est, dans certains cas en tout cas, un carcan, une limitation artificielle que l’on s’impose, avec parfois un enthousiasme qui confine au fétichisme. Je suis Architecte, d’ailleurs j’ai la casquette logotée, le badge et l’emoji qui va avec.

Je ne veux pas réellement la mort des Architectes et des Jardiniers

Peut-être par paresse, peut-être par confort, peut-être par peur de briser la magie de l’écriture en adoptant une posture trop cérébrale, certains auteurs ont utilisé un instrument destiné à affranchir leurs démarches créatrices de la rouille de l’habitude et en ont fait une prison. Comme il est démoralisant de croiser la route d’auteurs qui se décrivent comme de « purs Architectes », ou des « Jardiniers convaincus », pensant avoir élucidé le mystère de leur imaginaire, alors qu’ils n’ont fait que remplacer un point d’interrogation par un point final, stérile et sans appel.

Donc mort aux Jardiniers ! Et mort aux Architectes ! Point d’exclamation ! Et en disant cela, soyons tout à fait clair, je n’exprime aucune hostilité vis-à-vis de qui que ce soit, je ne veux pas réellement la mort des Architectes et des Jardiniers. Je suis uniquement animé par le désir que nous prenions toutes et tous nos distances par rapport à des étiquettes qui ne sont ni très efficaces pour nous définir, ni très intéressantes pour générer un débat sur la littérature.

Bien sûr qu’il est confortable de se situer dans une catégorie. Ça peut même être pratique : nombreux sont les auteurs qui se servent de cette nomenclature comme un code, imparfait mais largement connu, afin de communiquer simplement autour des idées complexes qui ont trait au travail d’écriture. Mais pour d’autres, une minorité, souhaitons-le, le mot est la chose toute entière, et ces catégories se substituent à tout le débat, à toute l’introspection très féconde qui peut naître de ce genre de questions.

Ce qu’on aime chez un artiste, c’est sa singularité

Disons-le tout net : ce qu’on aime chez un artiste, c’est sa singularité. L’art est l’émanation d’un individu, occupant une place unique au confluent de toutes les influences culturelles et existentielles, en interaction avec un médium à travers lequel il s’exprime. On ne saurait enfermer les auteurs dans des cases, ou en tout cas pas dans des catégories aussi larges et aussi grossières. Le seul intérêt de le faire, c’est que cela permet de prendre du recul et de mieux comprendre pourquoi on crée d’une certaine manière plutôt que d’une autre.

Il y a un ennemi de Batman qui s’appelle Two-Face. Il prend toutes ses décisions en tirant à pile-ou-face. En 1989, dans la bande dessinée « Arkham Asylum » de Grant Morrison et Dave McKean, un psychologue avait eu l’idée de le soigner en lui offrant de plus en plus de choix : plutôt qu’une pièce, il lui avait confié un dé, et projetait de le pousser ensuite à prendre ses décisions à travers le Yi-King, pour multiplier ses possibilités. Même si, dans l’histoire, cette approche s’est révélée être un échec complet pour ce pauvre Two-Face, peut-être que c’est la bonne solution pour les auteurs.

Plutôt que deux catégories, j’en ai déjà proposé trois. Dans un prochain billet, je tenterai d’établir que l’on pourrait très bien caractériser les auteurs selon des critères complètement différents. Qui sait ? Peut-être qu’à terme, les auteurs renonceront à faire appel à des étiquettes simplistes pour décrire leur démarche, et s’ouvriront à leur étrangeté et à leur individualité.

Les huit types de lecteurs

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Comme tant d’autres avant moi, j’ai eu l’audace de classer les auteurs en trois grandes catégories. C’est un exercice qui permet d’y voir plus clair sur sa démarche d’écriture et sur la manière dont il convient de poursuivre nos priorités. Il est toutefois encore bien plus utile de s’intéresser aux lecteurs, et de les placer eux aussi dans un certain nombre de catégories.

Il ne s’agit pas ici de se montrer réducteur : les lecteurs ont des aspirations innombrables, et apprécient la lecture pour des raisons très diverses. Comme avec les auteurs, il faut bien comprendre que, même si l’on place un lecteur dans une des catégories ci-dessous plutôt que dans une autre, cela ne l’empêche pas d’être concerné par des critères qui n’y figurent pas. En réalité, en tant que lecteurs, nous faisons tous probablement partie de deux ou trois catégories différentes. Ce n’est pas de naturalisme qu’il s’agit ici : on ne colle pas une étiquette à chaque lecteur comme s’il était un spécimen rare de libellule.

Néanmoins, l’idée qu’il existe différentes raisons d’empoigner un livre, qui correspondent à différentes manières de satisfaire ces envies, est une notion précieuse à garder en tête pour quiconque a pour vocation d’écrire. En se préoccupant de la manière dont réfléchissent les lecteurs, ce qui capte leur intérêt, ce qui les touche, on pourra plus facilement les satisfaire, ou en tout cas éviter de les froisser. Sans tomber dans un populisme artistique qui consisterait à flatter en toutes occasions les souhaits du marché, il n’y a pas de mal à garder en tête les aspirations de celles et ceux qui vont nous lire, quitte à choisir ensuite, en toute connaissance de cause de ne pas en tenir compte.

Les Esthètes

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La première tribu de lectrices et de lecteurs, que je choisis de surnommer « les Esthètes » mais que vous êtes libres d’appeler comme vous le souhaitez, est formée de celles et ceux qui, plus que tout, sont attirés par le style.

La littérature, pour eux, c’est d’abord l’écriture. Rien ne les séduit davantage qu’une belle plume, rien ne les émeut plus qu’une phrase bien tournée. Les Esthètes s’autorisent à aller picorer dans tous les genres, dans toutes les formes, passant d’un roman classique à un polar, en passant par un bel essai historique ou un recueil de poèmes, en quête du bonheur évasif que représente une série de mots bien agencés. Ces amoureux de la langue ont des opinions sur le subjonctif et l’usage des points-virgules, et s’intéressent moins à l’histoire qu’on leur raconte qu’à la manière dont celle-ci est racontée.

Même s’ils sont unis par leur amour du style, les Esthètes sont rarement d’accord sur quoi que ce soit d’autres, certains ne jurant que par la sobriété, d’autres préférant les styles pompeux et emphatiques. On peut les comparer avec des amateurs de vins, qui, certes, peuvent reconnaître un grand cru, mais qui, à force, en viennent à préférer se tourner exclusivement vers des Bordeaux ou des Bourgogne.

Comment les satisfaire

Il n’y a pas besoin d’être poète pour séduire un lecteur qui appartient au clan des Esthètes, mais il est conseillé de lui ménager çà et là des plaisirs de lecture. Même si vous préférez une écriture plutôt sobre, que vous fuyez les effets de style, vous parviendrez à gagner les faveurs de ces lecteurs-là en vous autorisant, une fois de temps en temps, une description marquante, une image bien trouvée, une phrase belle à voir et à entendre. Même si le style n’est pas votre priorité, il n’y a pas de mal à concevoir votre roman comme un cake aux pépites de chocolat, le gâteau formant une narration efficace mais sans fulgurance d’inspiration, les pépites représentant un certain nombre de passages au style plus recherché que vous offrez en pâture à vos lecteurs Esthètes.

Comment les faire fuir

En amateurs de la langue française, un Esthète est attiré par le style, mais surtout, il est immédiatement répugné par les fautes d’orthographe et de grammaire, qui ont sur eux l’effet que l’ail a sur les vampires. Soignez-donc l’aspect formel de votre texte afin qu’il soit irréprochable, et vous éviterez que cette famille de lecteurs referme votre bouquin après y avoir jeté un simple coup d’œil. Allez même un peu plus loin, en évitant les répétitions et les enjoliveurs de phrases et en cherchant toujours le mot juste.

Les Rêveurs

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Pour un Rêveur, un livre n’est pas une collection de pages, ça n’est pas non plus uniquement une œuvre littéraire : c’est une machine à voyager, à quitter notre réalité. Un Rêveur, en deux mots, c’est un lecteur qui privilégie tout ce qui peut stimuler son imaginaire. Ça fait beaucoup.

Ce ne sont donc pas les mots qui séduisent les Rêveurs dans la littérature : ce sont les idées. Eux, ce qui leur plaît, c’est qu’on les emmène loin de la banalité, dans des univers exotiques remplis de surprises et d’émerveillement. La capacité d’un auteur a faire surgir des univers entiers de son imagination et d’y faire voyager ses lecteurs en ne se servant de rien d’autre que du papier et de l’encre, c’est cela qui leur donne envie de goûter et de regoûter à cette très recommandable drogue qu’est la lecture.

Naturellement, ce sont les littératures de l’imaginaire qui ont leur préférence. Fantasy, fantastique, science-fiction, etc… : tous les genres qui donnent la priorité à l’imaginaire par rapport à d’autres considérations sont naturellement taillés pour ce genre de lecteur. Cela dit, un vrai Rêveur goûtera peu l’imaginaire en carton-pâte : là où, par exemple, un thriller est maquillé en roman fantastique par l’ajout de quelques vampires en kit qu’on croirait empruntés à de meilleurs romans, comme on loue un déguisement pour une fête costumée.

Comment les satisfaire

Pour plaire à des lecteurs Rêveurs, il faut avoir des idées et il faut faire preuve d’originalité. Il n’y a pas nécessairement besoin d’œuvrer dans le domaine des littératures de genre, d’ailleurs. Raconté de manière originale ou dépaysante, un roman réaliste saura séduire ce genre de lecteurs.

Il suffit de penser à L’Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet de Reif Larsen, un roman qui raconte le voyage initiatique d’un jeune garçon à travers les Etats-Unis, à grands renforts de diagrammes et de notes de bas de page, pour se rendre compte que n’importe quel sujet peut guider le lecteur dans un monde d’imagination. Le réalisme magique, un genre à cheval entre réalité et merveilleux, saura séduire la plupart des Rêveurs. Il suffit parfois d’une touche d’excentricité pour les satisfaire.

Comment les faire fuir

C’est en particulier au niveau du choix des thèmes que les Rêveurs peuvent être amenés à faire la grimace. S’ils espèrent trouver de l’évasion en ouvrant un livre, ils risquent d’être découragés par un narratif qui insisterait trop lourdement sur des thèmes liés aux aspects les plus sombres du quotidien : chômage, crise, violence, dépression, etc. Si vous vous engagez sur cette voie, il faudra, pour faire passer la pilule auprès des Rêveurs, opter pour un traitement esthétique singulier : conjuguez thèmes réalistes et traitement réalistes et vous les perdrez complètement.

Un Rêveur, c’est un oiseau piégé dans un appartement. Fermez toutes les fenêtres et il s’étiolera. Par contre, il suffit parfois d’en entrebâiller une, de lui laisser un peu d’espoir, un brin d’évasion, et il pourra adhérer à votre histoire.

Les Réalistes

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Un Réaliste, c’est exactement le contraire d’un Rêveur. Les Réalistes, pour paraphraser Peter Pan, sont tout à fait le genre de personnes dont l’incrédulité serait capable de faire mourir les fées. En règle générale, ils n’ont d’intérêt que pour le monde palpable, observable, connu ; ils n’apprécient que les histoires qui, selon eux, pourraient avoir lieu pour de vrai dans le monde réel.

Ce qui intéresse un Réaliste, c’est l’humanité. Ce qu’ils souhaitent, c’est qu’on leur raconte des histoires de gens qui vivent leur vie et qui rencontrent des difficultés face à d’autres gens ou face à eux-mêmes. La plupart d’entre eux finissent par ne plus se satisfaire de la lecture de romans, toute fiction étant, en fin de compte, trop irréaliste pour eux. Ce sont donc des livres d’histoire, des témoignages, des essais, qui ont leur préférence.

Comment les satisfaire

Pour plaire aux Réalistes, il faut soigner la psychologie des personnages. C’est ça qui les attire en premier lieu vers la littérature. Si vous parvenez à dresser le portrait d’individus qui semblent avoir une vie en-dehors de la page, le pari est déjà à moitié gagné.

Certains Réalistes sont attirés par les ouvrages bien documentés et apprécient qu’un bouquin leur délivre des informations réelles. C’est pour eux qu’il convient de faire des recherches, de truffer votre narratif de détails spécifiques au lieu et à l’époque dans lesquels il se déroule. Même dans un roman de genre, ils apprécieront tous les aspects qui parviennent à évoquer avec véracité l’expérience de la vie quotidienne.

Comment les faire fuir

Oui, l’imaginaire fait partie de la vie de tous les jours, et donc du réel. Mais n’allez pas dire ça à un Réaliste : ça ne va pas le faire changer d’avis. Intéressés par ce qui existe pour de vrai, la moindre incartade vers le surnaturel, l’uchronique ou pire, le merveilleux peut provoquer chez eux une suspension immédiate de leur incrédulité. En d’autres termes : n’importe quel élément qui n’appartient pas au registre réaliste risque de leur sembler factice, et donc sans intérêt, et de leur faire interrompre leur lecture.

Il ne faut pas y voir une forme d’intolérance : c’est une simple préférence. D’ailleurs un Réaliste pourrait très bien, dans certaines circonstances, se laisser séduire par un roman de genre, pour peu que vienne s’y loger un mécanisme qui justifie ses aspects les moins conventionnels : rêve, hallucinations, poésie, métaphore. En les prenant par la main, on peut parfois les réconcilier avec l’imaginaire.

Les Groupies

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Ne voyez rien de péjoratif dans le terme que j’utilise ici. Les Groupie sont simplement les lecteurs ou les lectrices pour qui l’intérêt principal d’un roman, ce sont les personnages. À l’instar des supporters d’équipes de sport ou des fans de groupes de musique, ce qui leur plaît, c’est de s’identifier aux individualités et de vivre leur passion à travers les yeux de celles-ci.

Dans le cas du roman, une Groupie va l’empoigner en y cherchant des personnages qui lui plaisent, qui attirent sa sympathie, qui le séduisent, voire qui l’agacent de manière divertissante. À partir de là, ils vont suivre l’histoire qu’on leur raconte en prenant parti pour un ou plusieurs personnages, en s’investissant émotionnellement dans les aventures de ceux-ci, en spéculant sur leurs choix amicaux ou amoureux.

Cette catégorie de lecteurs hante Tumblr où ils expriment leur passion pour leurs personnages préférés à travers des créations graphiques, des mèmes, des bédés, mais aussi des hashtags, des fanfictions et des poèmes, parfois aux limites du fétichisme. Plus que d’autres lecteurs, ils laissent parler leurs émotions et leur créativité et font en sorte que la fiction déborde dans leur vie de tous les jours, en se l’appropriant et en la célébrant.

Comment les satisfaire

Certains genres de littérature attirent davantage les Groupies que les autres : ce sont les romans young adult, new adult, feelgood, mais aussi la romance et une partie de la fantasy, en particulier la fantasy urbaine. Il n’y a rien d’étonnant à cela : il s’agit des genres qui laissent le plus de place aux personnages et à leurs relations.

Car au fond, pour satisfaire ces lecteurs, il suffit de leur proposer une histoire dans laquelle les personnages, davantage que l’intrigue, servent de moteurs à l’action. C’est encore mieux si les émotions y sont exacerbées, si l’amour, la haine et l’amitié sont examinées sous tous les angles, et si les couples se font et se défont lors de coups de théâtre. Rien ne leur plaît davantage que de ressentir des émotions en tous genres. Ajoutons que, dans la mesure où ils s’attachent aux personnages, les feuilletons et les livres à suites ont les faveurs des Groupies.

Comment les faire fuir

Quand, en tant qu’auteur, vous tuez un personnage, vous allez forcément tuer le personnage préféré d’une Groupie. C’est important de garder ça à l’esprit, non pas qu’il faille y renoncer, mais forcément, chaque décision risque de briser des cœurs. Éliminer cruellement un personnage ou même simplement en marginaliser un risque de faire battre en retraite certains de ces lecteurs. Mais attention : si vous évitez les moments tragiques pour ne pas les brusquer, cela ne va pas non plus leur plaire. Mieux vaut donner une belle mort à un personnage que de le laisser s’étioler.

De manière plus banale, un roman qui s’attache à l’intrigue et dans lequel les personnages ne sont guère que des véhicules qu’on ne passe pas beaucoup de temps à explorer ne revêtira à leurs yeux que peu d’intérêt.

Les Bibliothécaires

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La plupart des lecteurs sont intéressés en premier lieu par le contenu des livres. Les Bibliothécaires font exception. Eux, ce qui leur plaît, ce sont les livres eux-mêmes, en tant qu’objets.

Un livre, en ce qui les concerne, c’est quelque chose que l’on repère d’abord dans les rayons d’une librairie, attiré par sa couverture ; c’est ensuite la découverte d’un titre au graphisme accrocheur, d’un choix de couleurs approprié ; c’est aussi le grain du papier, l’odeur des reliures, le bruit que font les pages quand on les tourne ; ça peut être également la mise en page, le choix des polices de caractère, les illustrations intérieures, même, s’il y en a.

Bref : les Bibliothécaires sont des sensuels : un livre leur procure du plaisir avant même la lecture, qui ne constitue dès lors presque qu’un agréable prolongement de ce qu’ils recherchent.

Comment les satisfaire

Au fond, un auteur qui n’est pas auto-édité a généralement peu de pouvoir sur la production de l’objet-livre en lui-même. C’est plutôt un boulot d’éditeur. Cela dit, il n’est pas interdit de donner son avis, de tenter de rejeter un illustrateur qui vous semble mal adapté, de questionner les choix de maquettage et de format. Vous n’allez pas vous attirer que des sympathies, mais la démarche est légitime. Et puis, pour commencer, pourquoi ne pas proposer votre manuscrit a des maisons d’édition qui font bien leur travail.

En-dehors de ça, pour faire plaisir aux Bibliothécaires, il faut garder l’aspect esthétique en tête. Si votre roman s’y prête, pourquoi ne pas prévoir une carte ? Ou même des illustrations intérieures ? Des diagrammes, même, pourquoi pas ? Et rien ne vous empêche, au moment des dédicaces, d’y glisser votre carte de visite ou un marque-page, qui constituera un petit objet de collection sympathique et souvent très apprécié.

Comment les faire fuir

Pour vous fâcher pour de bon avec un Bibliothécaire, ça n’est pas compliqué : il suffit de leur dire « Mon bouquin n’est disponible que sur liseuse. » Là, normalement, ils vont cesser de vous adresser la parole pour tourner les talons, agacés, après, peut-être, vous avoir giflé. Pour eux, un livre n’est pas juste un fichier, un bloc d’information. Sous forme désincarnée, il n’a pas d’intérêt à leurs yeux.

De la même manière, ils n’entreront pas en matière au sujet d’un livre sans mise en page, dont la maquette est faite sans soin, et dont la couverture est laide, même si le texte est un bouleversant chef-d’œuvre. Un écrivain serait bien inspiré de garder en tête que le succès d’un roman, en particulier d’un premier roman, dépend en grande partie des apparences. Un aspect à ne négliger qu’à vos risques et périls…

Les Audacieux

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C’est quand ça bouge qu’un Audacieux s’amuse le plus. Lui, ce qu’il lui faut, ce sont des sensations fortes, sentir l’adrénaline qui coule quand ils lisent. Ce qu’ils recherchent donc avant tout, c’est l’action, quelle que soit la forme qu’elle peut prendre : scènes de combat, de poursuite, de bataille, d’étreinte, de cascade, etc… selon le type de littérature auquel ils ont affaire.

Ces lecteurs exigeants sont souvent très à l’écoute de leur ennui : quand un roman les endort, ils le posent, et quand des chapitres tournent au ralenti, ils peuvent sauter des pages entières de description ou d’exposition pour en arriver aux passages qu’ils recherchent, comme un gastronome qui se débarrasse de la carapace du homard pour en déguster la chair.

Dans la fantasy, ils s’attendent à ce que les personnages sortent leur épée de leur fourreau, dans les romans policiers, ils veulent entendre des coups de feu, et si vous écrivez des romances, ils vous en supplient, ne tardez pas trop avant d’en venir au froissement des draps.

Comment les satisfaire

Il faut du mouvement ! Leur préférence va aller aux romans qui comportent beaucoup d’action, donc gardez ça en mémoire si vous compter leur faire plaisir. Mais même si votre histoire ne se prête pas particulièrement à des scènes d’action en série, il est possible de modeler leur écriture de manière à ce qu’ils y trouvent leur compte, en tout cas en partie : c’est ce que j’ai abordé dans un billet sur les descriptions, en vantant les mérites de ce que j’ai appelé les « descriptions dynamiques. »

Comment les faire fuir

Les Audacieux haïssent les descriptions presque autant qu’ils aiment l’action. Si vous ne voulez pas les voir jeter votre roman à travers la pièce, limitez donc ces passages au strict minimum, et réduisez les envolées lyriques autant que possible.

En-dehors de ça, et en particulier dans la littérature de genre, renoncez aux longues scènes d’exposition où rien ne se passe, à part expliquer au lecteur la routine d’un commissariat ou les mécanismes économiques de la guilde des voleurs. Si ces informations sont cruciales pour la compréhension de votre intrigue, tentez de les mêler à l’action autant que possible, sans quoi les Audacieux vont s’endormir.

Les Fans

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On l’a vu, les Groupies sont les lecteurs qui s’entichent d’un personnage. Mais ils le font sans à priori, par automatisme, dès qu’ils découvrent un roman. Variété voisine de lecteurs, les Fans, eux, ont déjà une idée en tête quand ils découvrent un livre, en tout cas la plupart du temps. Eux, ce sont des fidèles : ils sont accros à un auteur, à une série, à un univers, ou tout simplement à un genre.

Rien ne distingue un Fan d’un autre type de lecteur, en tout cas avant qu’ils aient approché une œuvre pour la première fois. Cela dit, si votre premier roman leur a plu, ils aimeront la suite, c’est garanti. S’ils ont apprécié tout ce que vous avez écrit, vous les retrouverez lors des séances de dédicaces et ils finiront par en savoir davantage sur votre univers que vous n’en savez vous-mêmes.

Ce qui ne signifie pas que les Fans manquent de discernement, bien au contraire : ils en ont autant que les autres catégories de lecteurs. Cela dit, lorsqu’ils se connectent à une œuvre avec passion, ils ressentent le besoin de la revisiter encore et encore et recherchent tout ce qui pourra leur remémorer les éléments qui ont suscité leur engouement

Comment les satisfaire

Le plus dur, lorsqu’un auteur encontre un Fan, c’est de lui donner envie de découvrir son œuvre. Une fois que c’est fait, à condition naturellement que ça lui plaise, celui-ci continuera de lire tout ce que cet écrivain écrira. Reste à captiver son attention pour la première fois.

Pour y parvenir, le secret n’est pas bien compliqué : il suffit de se comparer à d’autres auteurs. Que cela soit lors de salons ou simplement dans le cadre d’un profil en ligne, si vous décrivez vos histoires comme « Un savant mélange de Mary Higgins Clark et de HP Lovecraft », vous aurez capté l’attention des Fans de ces auteurs, qui tenteront peut-être leur chance avec vous.

Comment les faire fuir

On l’a vu, les Fans se caractérisent par leur fidélité. Mais l’amour est une arme à double tranchant : rompez de manière trop radicale avec le style qui leur a plu au départ et ils vous tourneront le dos, parfois même avec agressivité. Encore pire : si vous vous lancez dans un exercice de déconstruction de votre travail, en rédigeant un roman dans lequel tous les thèmes et tous les personnages de vos romans précédents sont dévissés de leurs piédestaux pour être disséqués sans pitié, ils ne vous le pardonneront jamais. Pour un Fan, la série qui a son affection est sacrée et tout ce qui la remet en question s’apparente à un sacrilège.

Les Chroniqueurs

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Comme vous êtes sur WordPress et que vous êtes en train de lire un blog, il y a de fortes chances que vous connaissiez des Chroniqueurs. Il s’agit simplement de celles et ceux dont l’acte de lecture aboutit à un acte d’écriture : la rédaction d’une critique, d’une chronique, voire d’une vidéo en ligne.

Pour les Chroniqueurs, le roman est un objet d’étude et de commentaire, au-delà du plaisir qu’ils peuvent en tirer par ailleurs. Mentalement, alors qu’il est en train de lire un livre, un Chroniqueur va noter certains aspects de l’intrigue ou de l’écriture qui le font réagir, en vue de l’incorporer dans un billet à rédiger après coup. Cet engagement, cette dimension interactive, vient nourrir pour eux le plaisir de lecture jusqu’à en être indissociable.

À force, l’activité d’écriture d’un Chroniqueur va colorer ses choix de lecture – avec, peut-être, une volonté de se diversifier qu’il n’aurait pas s’il n’avait pas pris l’habitude de commenter ses choix. Cela va également le rendre plus exigeant : lorsqu’on lit beaucoup et qu’on analyse les romans, on finit par comprendre mieux que la plupart des gens comment une histoire est construite, ce qui fonctionne et ce qui fonctionne mal.

Comment les satisfaire

Au-delà de tout le cirque autour des fameux « Services presse », qui permettent à des éditeurs d’espérer des bonnes critiques de blogueurs en leur offrant des exemplaires gratuits, allant jusqu’à tisser avec eux des partenariats qu’on imaginerait difficilement dans la presse, pour séduire un Chroniqueur, il n’y a pas des milliers de solutions : il faut produire des romans de qualité qui fuient les clichés et se démarquent de ce qu’on peut lire par ailleurs.

La plupart des Chroniqueurs sont par ailleurs très actifs en convention et en ligne : soyez accessibles en tant qu’auteur, avenant et courtois, et vous pourrez marquer des points auprès d’eux (ce qui ne veut pas dire qu’ils vont dire du bien de vos romans s’ils ne les apprécient pas).

Comment les faire fuir

Les Chroniqueurs flairent le factice et la facilité à mille lieues à la ronde. Contentez-vous, par exemple, de produire une énième saga de vampires qui vivent en marge du monde des humains et ils ne vous pardonneront pas de les avoir ennuyés.

⏩ La semaine prochaine: Le contrat auteur-lecteurs