John, Paul, George, Ringo : les Beatles ont signé une des œuvres musicales les plus mémorables du 20e siècle. Et derrière cette évidence se cache une réalité compliquée : créer en groupe, ça n’est pas facile. Et quand ça fonctionne, il s’agit d’un petit miracle.
Afin de prolonger les réflexions nées dans le billet précédent, au sujet de ces auteurs qui font le choix d’écrire en public, j’aimerais encore m’intéresser à une aventure proche mais distincte : celle des écrivains qui signent un livre à plusieurs. Parce que oui, on s’est habitués depuis un siècle à ce que la musique puisse être composée de manière collective, en particulier parce que c’est ainsi qu’elle est jouée. Mais la littérature reste bien souvent une création solitaire.
Pourtant, il n’y a pas de raison que ça se passe ainsi. Rien ne s’oppose fondamentalement à ce qu’un roman soit écrit à deux, voire trois ou quatre. D’ailleurs les exemples ne manquent pas. Le plus connu d’entre tous, c’est sans doute le Nouveau Testament, un livre à succès rédigé par quatre auteurs. Plus près de nous, les frères Goncourt ont signé une série d’œuvres en duo. On peut également citer H. Bustos Domecq, le pseudonyme utilisé par les Argentins Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares pour signer leurs écrits communs, Emile Erckmann et Alexandre Chatrian, Jacob et Wilhelm Grimm, Marx et Engels.
Qui écrit quoi? Comment on procède?
Mais l’image de l’écrivain luttant seul face à sa muse est trop forte pour que les signatures collectives se soient popularisées. La pratique se retrouve plutôt chez les auteurs de genre, moins frileux. On pense en particulier à Boileau-Narcejac, le duo d’auteurs de romans policiers, auteurs de quarante-trois livres. Plus près de nous, celles qui m’ont publié aux Éditions du Héron d’Argent, Diana et Vanessa Callico, ont rédigé ensemble une trilogie fantastique historique, « Les Sept Portes de l’Apocalypse. »
Mais si l’écriture à quatre mains (ou davantage) n’est pas plus répandue, ça n’est pas uniquement à cause des a priori répandus dans le monde de l’édition. C’est aussi parce qu’elle nécessite de répondre à une question qui peut être épineuse : qui écrit quoi ? Comment on procède ? De quelle manière va-t-on se répartir les rôles ? Dans un groupe musical, les choses sont, en apparence, plus simples : le chanteur chante, le bassiste va s’occuper de la basse, etc… Alors qu’en littérature, une telle division des tâches naturelles n’existe pas.
On n’est d’ailleurs pas obligé de la créer. Lorsqu’on décide d’écrire à plusieurs, il est tout à fait possible de le faire en tant qu’égaux, des partenaires qui contribuent de la même manière au résultat final. Chacun sera alors libre de contribuer aux idées de départ, aux personnages, à la rédaction, à la relecture, selon sa fantaisie et son inspiration. Le document va changer de mains, encore et encore, dans un va-et-vient qui cessera au moment où les deux auteurs seront satisfaits du résultat. C’est d’ailleurs toute la beauté de cette approche : tenter de voir si les deux voix singulières de deux auteurs peuvent fusionner pour en former une troisième, à la fois distincte et prolongement logique des styles qui la constituent.
Une telle aventure risque d’aboutir à un enlisement du projet
Cela dit, si vous souhaitez vous lancer dans cette aventure, mieux vaut discuter au préalable d’un processus de décision en cas de désaccord : par exemple, ne rien inclure qui ne reçoive pas le feu vert des deux auteurs. Cela peut mener à de longues discussions et va presque fatalement ralentir le processus d’écriture, mais c’est le prix à payer pour que la bonne entente perdure tout au long du travail. Une telle aventure d’écriture « démocratique » risque malgré tout d’aboutir à un enlisement du projet, en particulier si les partenaires ne sont pas sur la même longueur d’ondes ou si leur implication n’est pas au diapason.
Une autre manière de procéder, c’est l’inverse de la démocratie : la dictature. Un des auteurs prend toutes les décisions finales, les autres sont des exécutants qui sont sous ses ordres. C’est ainsi que procède James Patterson, l’écrivain le plus riche du monde. Il a mis au point une formule pour pondre des romans à succès, se contente de définir les grandes lignes de ses histoires, et salarie une vingtaine de personnes pour se charger à sa place du laborieux travail d’écriture.
Cette approche est cynique et James Patterson ne récolte que le mépris de ses pairs et de la critique. Mais elle débouche sur des succès hallucinants en termes de ventes, donc le principal intéressé se fiche probablement copieusement de sa place dans l’histoire de la littérature. Et puis après tout, on n’a qu’à se dire que grâce à ce travail en atelier, vingt écrivains peuvent vivre de leur plume, même s’ils n’en tirent probablement pas une grande fierté.
Mais la manière la plus répandue de collaborer, pour les écrivains, ressemble finalement beaucoup à celle d’un groupe de musique : chacun s’occupe d’une partie spécifique du travail d’écriture, en fonction de ses talents ou de ses affinités. Dans le cas du duo Boileau-Narcejac, Pierre Boileau se chargeait de l’intrigue, Thomas Narcejac des ambiances.
Il existe d’innombrables manières d’écrire à plusieurs
C’est d’ailleurs la répartition classique : l’un des auteurs construit la charpente, s’occupe de la structure du roman, puis le second décore, rédige le texte proprement dit, donnant du corps et de la vie à ce qui n’était qu’une succession d’événements et de scènes. Selon les modalités de travail définies au préalable, rien n’interdit aux deux compères de jeter un coup d’œil sur ce que fait l’autre : le charpentier participant à la relecture avec un œil critique et créatif, le décorateur suggérant des modifications dans la trame de l’histoire.
Il existe d’innombrables autres manières d’écrire à plusieurs, qu’il serait trop long de lister ici, tant elles sont forcément la résultante des singularités des auteurs qui décident de travailler en tandem. Le duo peut construire la trame ensemble, puis alterner la rédaction de chaque chapitre, une fois l’un, une fois l’autre ; l’un peut écrire le premier jet, l’autre se charger des réécritures ; l’un peut planter des situations dramatiques, l’autre y faire évoluer les personnages, à la manière des jeux de rôles ; le duo peut construire l’intrigue à deux, puis passer à la rédaction de manière spécialisée, les descriptions pour l’un, les dialogues pour l’autre ; dans la littérature de genre, l’un peut construire le monde, l’autre l’intrigue, etc…
On le voit bien avec ces quelques exemples : il y a quelque chose de ludique dans l’écriture à plusieurs, et il serait dommage de passer à côté des innombrables possibilités de s’amuser de cette manière.
Les sensibilités peuvent être exacerbées
Un petit avertissement malgré tout : écrire, c’est une affaire très personnelle. La littérature permet de transmettre ce que l’on a tout au fond de soi, et celles et ceux qui s’y adonnent ont tendance à prendre les choses à cœur. Lorsque l’on doit partager ce privilège, même si l’on croit y être préparé, les sensibilités peuvent être exacerbées et, certaines fois, surviennent des accrocs qui font capoter le projet.
L’un des deux peut vouloir prendre le pouvoir sur l’autre ; les deux constatent que leurs visions de l’écriture sont incompatibles ; l’un est moins motivé et moins impliqué que l’autre, etc… Les Beatles, après tout, ont fini par se séparer, pour toutes ces raisons et sans doute pour des centaines d’autres. Donc si vous tentez le coup d’une expérience d’écriture collective et que vous en arrivez dans ce genre d’impasse, ça n’est pas grave : cette alchimie est délicate. Réessayez dans d’autres circonstances, pour un autre projet et/ou avec d’autres partenaires.
Une belle approche, qui fait ressortir les multiples façons d’aborder cette démarche. Démarque qui me parle d’ailleurs bien puisque je suis justement en train de tenter l’expérience avec une consœur de plume — nous écrivons ensemble un roman cross-over de nos personnages. On est plutôt du genre à se passer le relais, et à se laisser surprendre l’une l’autre par ce qu’apporte chacune à chaque nouveau paragraphe, même si une trame de base a été fixée et démocratiquement consentie.
Encore une fois, heureuse de te lire et de suivre ton ouverture à toutes les étapes et démarches possibles d’écriture, accompagnées de tes analyses et conseils.
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Une de mes premières expériences d’écriture, et une des plus durables, était une forme de cadavre exquis. On était 4 copines et on écrivait chacune notre tour un chapitre. On a commencé au collège, et continué pendant des années. C’est un super souvenir (et on parle toujours de reprendre), une expérience très motivante, et un exercice très enrichissant !
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Sans doute un truc à essayer un jour. Ne serait-ce que pour avoir une contrainte sur le facteur temps et me sentir obligé de ne pas reporter au lendemain.
Et puis ça peut déboucher sur des choses sympathique. Je suis depuis longtemps un genre de cadavre exquis graphico-littéraire-à-quatre-mains qui a fini par déboucher sur un bel Album…
Comment ça? Moi, faire de la réclame pour que la suite de L’Oetherium de Hellypse et K_Zlovetch sorte rapidement sur du vrai papier en cellulose?
Oui bon peut-être, un peu. Mais c’est parce que je préfère lire sur papier, c’est mon côté vieux jeu…
Si j’abuse, le Taulier saura bien me censurer de toutes façons, non?
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Je pense que c’est quelque chose que l’on est capable de faire ou pas. Ecrire à plusieurs, c’est rajouter des contraintes d’une nature radicalement différente de l’écriture en solitaire. A titre personnel, j’en serais incapable.
Aucun problème avec ce genre de réclame 😉
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