La lutte des classes

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J’ai d’abord été tenté de consacrer un de mes billets de la série « Éléments de décor » aux classes sociales, afin de les examiner sous toutes les coutures, mais à la réflexion, il y aurait probablement eu pas mal de redites avec l’article consacré au pouvoir, et à celui que j’ai écrit sur l’argent. Et puis c’est principalement dans le domaine de la création des personnages et des relations qu’ils entretiennent entre eux que la question des classes sociales est intéressante, aussi c’est surtout de ça que je parle ici.

Mais si ça se trouve, ce débat vous semble superflu. J’ai déjà eu droit à ce genre de réaction autour de moi. Dans la culture française, imprégnée de liberté-égalité-fraternité, tout le monde est enfant de la République et le concept même des classes sociales paraît impensable. Oui, il y a peut-être des différences de revenus, argumente-t-on, mais enfin, chacun est d’abord un individu, et on ne saurait diviser le peuple en catégories socio-économiques, dans la mesure où la Révolution a aboli tout ça.

Sauf que bien sûr, les mêmes qui tiennent ce discours sont les premiers à raconter des blagues sur les bourgeois, les prolos, les bobos. En deux mots : ils voient les divisions de classes au sein de la société, mais se refusent à les désigner comme telles, et sont à mille lieues de s’imaginer qu’ils appartiennent eux-mêmes à une classe sociale qui conditionne en partie leur comportement. Pourtant, c’est bien le cas.

Oui, nous sommes tous des individus, et oui, au sein d’une même catégorie cohabitent des gens très différents. Mais si nous sommes conditionnés par notre genre, par notre culture, par notre orientation sexuelle, par notre profession, nous le sommes également par la classe sociale à laquelle nous appartenons.

Dans la culture anglo-saxonne, britannique en particulier, c’est tout le contraire : le sentiment d’appartenance à une classe est très fort, il n’existe aucun tabou ni aucun déni à ce sujet, on parle de ces questions ouvertement, c’est même, dans certains cas, un sujet de fierté d’appartenir à une classe plutôt qu’une autre.

Les classes sociales, c’est quoi ? Ce sont de grandes catégories qui existent dans la société, sans avoir été constituées comme telles. Elles regroupent des individus qui partagent une même hiérarchie sociale, basée sur le revenu, le statut, l’influence, et qui, de ce fait, ont en commun une culture, un mode de vie, un langage, des références. Selon de quelle classe vous êtes issus, vous ne porterez pas le même regard sur le fonctionnement de la société, vous n’aurez pas les mêmes centres d’intérêt, vous ne vous exprimerez pas de la même manière.

C’est cela qui rend cette notion précieuse pour un romancier, qui peut, en prenant conscience de l’existence de ces divisions et de la manière dont elles découpent la société en segments invisibles, donner de l’épaisseur et de la crédibilité à ses personnages. Si un bourgeois et un banlieusard portent les mêmes chaussures, aiment la même chanson, utilisent le même mot, ils ne le feront sans doute par pour la même raison, et en prendre conscience ajoute une dimension qui peut être fascinante pour un auteur.

Découpage

Si l’existence des classes sociales est difficile à nier, tracer leurs frontières n’est pas toujours aisé, d’autant plus que même les personnes qui appartiennent à une classe en particulier n’en ont pas la même vision, et ne fixeraient pas la limite au même endroit. En plus, diverses notions se chevauchent, lorsque l’on parle de classes sociales, qu’elles appartiennent au champ économique, sociologique et culturel, ce qui permet à différents découpages de coexister sans nécessairement se contredire. Pour vous poser les bonnes questions au sujet des origines sociales des personnages de votre roman, je vous suggère de jeter un coup d’œil aux divisions suivantes, en gardant à l’esprit que la question n’est pas close.

Quand on parle de classes sociales, la plupart des gens s’imaginent un système à trois étages : la classe inférieure ou ouvrière, la classe moyenne (parfois séparée entre classe moyenne inférieure et classe moyenne supérieure) et la classe supérieure. Il s’agit d’une division simple, compréhensible et qui correspond à une vision largement partagée de la société : il y a d’un côté les aliénés, perpétuellement en manque d’argent et qui ont peu d’influence sur leur destin, deuxièmement ceux qui s’en sortent grâce à leur travail mais sans rouler sur l’or, et troisièmement ceux qui ont beaucoup plus d’argent qu’il n’est nécessaire pour vivre au quotidien.

En affinant un peu ce modèle après avoir observé la réalité, on peut néanmoins constater qu’il serait plus juste de diviser la société en cinq tranches, parce que les deux catégories extrêmes ont des caractéristiques qui les distinguent radicalement des autres classes. On obtiendrait donc une classe sous-inférieure, constituée d’individus qui ne peuvent pas travailler, ni se nourrir, ni se loger, sans faire appel à une aide extérieure, puis une classe inférieure, une classe moyenne, une classe supérieure, et une classe sur-supérieure, dans laquelle on trouve des superriches dont les revenus sont si importants que leur expérience de vie n’a rien en commun avec celle des classes situées en-dessous dans la hiérarchie.

En se basant davantage sur le travail que sur le revenu, Karl Marx proposait un découpage en sept classes sociales distinctes. Il s’agit du sous-prolétariat, du prolétariat, de la paysannerie, de la petite bourgeoisie, de la bourgeoisie commerçante, de la bourgeoisie industrielle et de l’aristocratie financière. On le voit bien : même si ces catégories ont des points communs, il s’agit d’un découpage différent, qui s’appuie principalement sur l’activité et les principales sources de revenus de chacun, une approche qui semble désuète alors que notre société s’éloigne peu à peu de la valeur travail.

En réalité, de nombreuses approches sont possibles lorsqu’il s’agit de procéder au découpage de la société en classes, et un romancier peut choisir celle qui lui convient le mieux, celle qui sert le projet. Si on a envie de considérer qu’il existe, par exemple, une classe financière au sein de notre société, distincte des classes supérieures plus ancrées dans l’économie réelle, ce n’est pas une mauvaise approche. De la même manière, pourquoi ne pas procéder à une distinction entre bourgeois de droite et bourgeois de gauche (les fameux bobos, dont le nom est désormais utilisé pour dire tout et n’importe quoi), des groupes que leur niveau de vie rapproche, mais que leurs valeurs éloignent. Et puis même s’ils ne sont probablement pas assez nombreux à l’heure actuelle pour constituer des classes, peut-être que dans l’avenir, les éco-conscients et les décroissants pourront être ajoutés à la liste. Et ce ne sont que quelques exemples.

Classe et esthétique

Parmi les impacts que l’appartenance à une classe sociale peut avoir sur un personnage, son univers esthétique est le plus visible. Pour commencer, selon votre classe d’origine, vous n’allez pas vous vêtir de la même manière. Plus on se situe au sommet de la pyramide, plus le style d’habillement semblera classique, élégant, sophistiqué. Cela n’a rien d’étonnant : ce sont les individus des classes supérieures qui déterminent les standards d’élégance qui font référence. À l’inverse, les classes inférieures s’habillent de manière plus variée, combinant différentes influences, privilégiant l’effet, le cliquant, le confort ou l’ironie à l’élégance classique.

L’apparence des pauvres est souvent tournée en dérision, assimilée à du mauvais goût ou à un style vulgaire. Après tout, à l’origine, le mot « vulgaire » signifie « populaire. » Ce n’est qu’après des siècles de mépris qu’il est devenu péjoratif.

La logique est la même pour tout ce qui a trait à l’apparence, à l’esthétique, à l’art : la voiture, la décoration d’intérieur, la musique, etc… Plus on monte l’échelle sociale, plus on assistera à une adhésion à une référence unique de ce qui est considéré comme « le bon goût », plus on baisse, plus on trouvera de la variété et de l’expérimentation (qui, forcément, n’est pas toujours très heureuse).

Parfois, la classe sociale peut même séparer deux individus qui, lorsqu’on les décrit brièvement, pourraient sembler proches. Mais un fan de hip-hop fauché qui vit en banlieue et un fils à papa branché rap ne présenteront qu’une ressemblance superficielle : les matières, les marques, l’attitude, tout ce qui compte sera différent. Cela ne fait que renforcer le fossé économique qui peut exister entre les classes, d’ailleurs : comme c’est la classe supérieure qui fixe les critères, un individu issu des classes ouvrières et qui se présenterait à un entretien d’embauche dans une grande banque risquerait d’avoir l’air déguisé – parce que, d’une certaine manière, il le serait.

Comment est-ce que votre personnage s’habille, quels sont ses goûts en matière esthétique, musicale, architecturale, etc… Tout cela est – dans certains cas en tout cas – le produit de son milieu. Et si ça ne l’est pas, il peut s’agir d’une exception qui mérite d’être explorée. Pourquoi le sans-abri est-il fan de Debussy ? Pourquoi le trader porte toujours la même vieille paire d’espadrilles ? Autorisez-vous quelques pas de côté pour approfondir la description des liens que votre personnage entretient avec sa classe sociale d’origine.

Classe et langage

Au fond, le langage n’est qu’une esthétique de plus, et lui aussi est profondément marqué par l’origine sociale. La manière dont on prend la parole, les occasions, la forme du discours, le ton employé, et plus que tout, le vocabulaire, varient énormément selon le milieu dont un personnage est issu.

Au fond, c’est exactement la même situation que celle que nous avons évoqué ci-dessus. Il existe un langage correct, qui est, essentiellement, celui de la classe supérieure, et plus on s’en écarte, plus cela risque de heurter, et moins cela va sembler correct. C’est particulièrement le cas en français, une aire culturelle plus préoccupée que les autres par l’idée qu’il existerait une seule et unique norme à respecter en matière de langage.

En règle générale, plus on descend dans l’échelle sociale, plus le langage est poreux aux influences extérieures. C’est là que la langue s’acoquine avec d’autres, se métisse, se bouture, s’enrichit de néologismes et de jeux de langage (comme le verlan), peu concernée par ce qui se fait et ce qui ne se fait pas. Peu à peu, les trouvailles de langage remontent les classes et gagnent leurs lettres de noblesse, jusqu’à être, parfois, adoubées par l’élite.

En règle générale, un personnage issu des classes supérieures va parler une langue plus pure et plus soutenue, et un personnage issu des classes inférieures va parler une langue plus hybride et plus inventive. Ainsi, vous pouvez les caractériser simplement via les dialogues.

Encore une fois, comme la norme vient d’en haut, la plupart des individus qui proviennent des classes ouvrières possèdent plusieurs registres de langage, entre lesquels ils peuvent commuter à volonté. Ainsi, ils parleront d’une certaine manière en famille, d’une autre avec leurs potes, et d’une manière très différente au travail. C’est le cas de tout le monde, jusqu’à un certain point, mais plus grand est l’écart social, plus vastes est l’étendue de vocabulaire que quelqu’un est obligé de mobiliser pour s’en sortir dans la vie quotidienne. Certains parlent le langage des dominants comme s’ils s’exprimaient avec aisance dans une langue étrangère. Comme la nécessité n’existe pas de la même manière, les personnages de classes supérieures n’ont pas la même mobilité linguistique.

Classe et identité

La classe sociale n’est pas seulement une situation subie, c’est aussi un signe de ralliement, une revendication de type identitaire. Même si elle n’est pas toujours vécue ainsi de manière consciente, c’est bien de cette manière que les choses sont vécues en général.

Un individu de la classe ouvrière va ainsi, peut-être, développer un discours sur la beauté et la simplicité de ses racines, un personnage de la classe moyenne peut adopter une posture victimaire qui consiste à dire que ce sont les gens comme lui qui contribuent le plus à la société sans jamais rien recevoir en retour, quant à quelqu’un des classes supérieures, il va s’enorgueillir du parcours de sa famille et des vies illustres de ses prestigieux ancêtres.

L’identité de classe, c’est quelque chose qui colle aux baskets et qui dresse des barrières invisibles entre les gens. Ainsi, il est relativement rare que l’on se marie en-dehors de sa classe, et lorsqu’on le fait, cela peut susciter chez certains une réaction de rejet. Les loisirs qu’affectionnent chaque classe présentent peu d’attrait pour les autres, et peuvent même être sujet de moqueries, voire de mépris : on ne trouve pas du tout le même type d’individus dans un bar PMU, une soirée télé ou à l’opéra. Et même quelqu’un qui sera parvenu, par son travail, par chance ou par un autre facteur, à élever son niveau de revenu et son statut social, ne va pas nécessairement épouser les valeurs de la classe dirigeante, ni se percevoir lui-même comme un de ses membres.

Un romancier pourra ainsi présenter les différentes classes sociales comme des univers qui existent en parallèle tout en s’ignorant, les tentatives de voyager l’une à l’autre se heurtant parfois à de vives résistances. Il peut être fécond de s’interroger, au sujet de chaque personnage, sur la conscience de classe qu’il peut avoir, qu’elle soit inexistante ou d’une férocité fanatique, pour éventuellement la faire évoluer en cours de roman.

Classe et conflit

Même s’il peut très bien y avoir des rapprochements, des collaborations, des interpénétrations, la découverte d’intérêts communs, la relation entre les classes sociales est de nature dialectique.

Et comment pourrait-il en être autrement ? Les classes supérieures possèdent les moyens de production, les infrastructures, le terrain, tout ce qui génère du revenu et détermine les conditions de vie pour l’ensemble de la population. À l’inverse, tout en bas de l’échelle, on trouve des individus qui n’ont aucun contrôle, aucune influence sur ces facteurs. Ils se trouvent donc dans une situation de domination, d’aliénation par rapport aux classes supérieures. Par exemple, le salarié veut voir son salaire augmenter alors que le patron souhaite le réduire pour augmenter sa part du gâteau (ou la rentabilité de son entreprise : ce n’est pas nécessairement du cynisme).

Mais les classes sociales se logent dans une pyramide : en termes de population, les pauvres sont bien plus nombreux que les riches. Cela confère un autre argument aux dominés : celui du nombre. Dans un régime démocratique, ils peuvent se mobiliser lors d’élections, et s’ils ne sont pas entendus, manifester leur mécontentement, voire faire appel à la violence.

On comprend bien qu’il est dans l’intérêt des classes supérieures d’éviter, si possible, un éveil des consciences politiques au sein de la population. En théorie, dans un régime démocratique, la masse populaire l’emporte toujours et trouvera forcément un candidat pour défendre ses intérêts. Mais ceux-ci ne sont pas toujours identifiables, et se joue un jeu du poker menteur entre les classes sociales, qui peut être décrit par la blague suivante :

Un pauvre, un représentant de la classe moyenne et un riche se partagent dix gâteaux. Pendant que personne ne regarde, le riche en mange neuf, puis se tourne vers le représentant de la classe moyenne et lui dit : « Fais gaffe : je crois que le pauvre a envie de te voler ton gâteau. »

Bien sûr, c’est caricatural, et bien sûr, au quotidien, la relation entre les classes n’est pas faite que de conflit. C’est malgré tout une grille de lecture intéressante pour un romancier, qui permet de faire apparaître des lignes de tension invisibles entre les personnages, et qui peut simplifier la construction des enjeux dramatiques d’un récit.

Changer de classe

Dans les faits, en moyenne, les gens ne changent pas de classe. Les perspectives d’ascension sociale n’ont pas évolué au cours du vingtième siècle, selon de nombreuses études, et en-dehors des destinées individuelles, on peut affirmer qu’une famille pauvre il y a un siècle est restée pauvre, et qu’une famille riche est restée riche. Il y a énormément d’inertie dans la mobilité sociale, et c’est le cas même dans les pays qui ont connu des changements de régimes qui semblent radicaux, comme la Chine.

Pourtant, il existe des personnes qui s’extraient de leur condition à la seule force de leur volonté et de leur travail. À l’inverse, il existe des accidentés de la vie qui perdent tout et se retrouvent à goûter à une pauvreté dont ils n’auraient jamais suspecté l’existence. Comme ces deux situations portent la marque du changement et de l’exceptionnel, elles sont toutes deux, par essence, intéressantes pour un romancier.

En règle générale, beaucoup de gens qui changent de niveau de revenu ne changent pas de classe sociale. Dans certains cas, ils emportent avec eux les valeurs, les signifiants, les préférences esthétiques de leur classe d’origine ; dans d’autres, ils imitent les attitudes et le mode de vie de leur nouvelle classe, mais sans les intérioriser pour autant ; enfin, il existe le cas où il y a un réel désir de s’intégrer dans sa nouvelle classe, mais où celui-ci se heurte à une réaction de rejet de la part de ses membres. C’est la figure du « nouveau riche », où une personne qui vient d’accéder à la prospérité est jugée vulgaire par celles et ceux qui ont de l’argent depuis de nombreuses générations.

En deux mots, pour changer réellement de classe, il faut généralement deux générations. Et les enfants des nouveaux riches, nés dans l’opulence au contraire de leurs parents, risquent de ne pas partager les valeurs de ceux-ci, ce qui va générer des conflits, et le conflit, pour un écrivain, c’est la vie.

Alternatives

Ici, nous avons examiné le modèle qui existe dans notre société, où les classes sociales se divisent en fonction de la fortune et du revenu, ainsi que du pouvoir et du statut social qui en découlent. Il ne s’agit en aucun cas de l’unique possibilité. Dans une société alternative, dans un lointain futur, dans un monde de science-fiction ou de fantasy, la valeur qui divise les membres de la société en différentes classes peut être d’une nature très différente.

Une société de guerriers pourra diviser les classes en fonction des prouesses au combat ou des hauts-faits de guerre ; une société de magiciens classera les grands talents mystiques au sommet de l’échelle sociale, alors que celles et ceux qui n’ont pas de pouvoir n’auront pas non plus de statut ou d’influence ; et une civilisation basée sur la foi pourra penser, à tort ou à raison, que c’est la faveur des Dieux qui détermine la qualité de vie de ses membres. L’accès à certaines ressources peut également constituer un critère de séparation entre les classes : il peut s’agir du carburant, voire de l’eau, dans une société postapocalyptique, ou, pourquoi pas, d’une substance qui dope les facultés mentales. La pureté génétique peut être l’aspect qui est favorisé au sein d’une société, alors qu’une autre privilégiera au contraire les mutations, et laissera les humains « normaux » croupir au bas de l’échelle sociale.

⏩ La semaine prochaine: Dystopie et utopie

13 réflexions sur “La lutte des classes

  1. C’est intéressant de voir que pour un romancier le concept de classes sociales est super intéressant alors qu’il est quasiment tabou dans notre société. En grande partie parce que la classe dominante n’a aucun intérêt à ce que les classes inférieures se pensent comme telles (voir les Pinçon-Charlot sur le sujet). Et pourtant c’est un réservoir d’histoire inépuisable… qu’elles soient de fiction ou IRL.

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    • Je pense que c’est en partie culturel. Comme je l’ai écrit, au Royaume-Uni, les membres de la classe ouvrière s’en revendiquent explicitement, et le concept de classes sociales est omniprésent dans le débat public. C’est aussi le cas à une moindre mesure dans un pays comme l’Italie. L’idée qu’on ne parle pas de ces choses-là est surtout française et principalement liée selon moi aux idéaux républicains. Après tout, le fait que les Britanniques se pensent en termes d’identité de classe n’a eu absolument aucune influence sur l’émancipation des classes ouvrière dans ce pays.

      Mais oui, le thème est très riche, et presque pas exploité en France.

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    • Merci beaucoup ! Une partie des articles que j’ai écrit récemment pour ce blog (et qui restent à paraître) ont été conçus délibérément pour être plus courts, parce que tout cela commençait à me réclamer trop de temps.

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  2. Encore un article très riche.
    Je trouve assez étonnant de dire que les classes sociales sont un sujet tabou en France, alors qu’elles sont omniprésentes dans la vie politique… (on parle toujours de France d’en haut / France d’en bas, riches vs. pauvres, etc.)
    A titre de comparaison, quand j’étais en Australie, la perspective était complètement différente. Les Australiens se considèrent comme une société très égalitaire (bon évidemment c’est une fiction, bien sûr que les inégalités existent). Du coup, au quotidien, les gens n’ont pas du tout la volonté d’impressionner les autres ou d’afficher leur statut, tout le monde s’appelle par le prénom, etc. Il y a un rejet total de l’élitisme, même les hommes d’affaires super riches veulent se faire passer pour le type normal qui va boire des bières avec ses potes au bar du coin. Je trouve le contraste assez drôle avec la France où les gens essayent plutôt de se faire paraître plus riches qu’ils ne le sont.
    Bref, je trouve que c’est un thème extrêmement riche, autant pour la caractérisation des personnages et les intrigues potentielles.

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    • Mon point de vue, qui vaut ce qu’il vaut, est que le Français perçoit les classes sociales sous l’angle du revenu et du statut, mais jamais de l’identité. Les classes, c’est pour les autres, pas pour moi, qui suis un individu. Il va désigner quelqu’un d’autre que lui comme faisant partie du dessus du panier, tout en regrettant qu’il n’ait pas la même chance lui aussi. Un Anglais de la working class, va, au contraire, se revendiquer comme tel et il préférerait mourir que de devenir upper class, ce que tout le monde autour de lui percevrait comme une trahison.

      C’est ce qui me fait penser, à tort ou à raison, que le sujet est occulté en France, parce qu’il y a toute une dimension qui est vécue mais qui ne se fraye jamais un passage dans les consciences ou dans le discours.

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      • Je comprends tout à fait d’où vient ce point de vue, c’est vrai que si en France on se mettait à revendiquer d’appartenir à telle ou telle classe, ça torpillerait l’idéal de mobilité sociale (même si la réalité socio-économique l’a déjà un peu amoché).
        Mais justement je trouve ça amusant d’observer le décalage entre la façon dont la société s’imagine elle-même, et ce qu’il se passe « en vrai », je trouve que ça en dit long sur une culture.

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  5. Je suis surpris que tu écrive que le concept de lutte des classe n’ est pas fréquent dans le monde de l’écriture français. Dans les années 1970-80, une bonne frange du roman policier français était très politisée (à gauche) ; mais je ne lis plus de rompol et je ne sais pas très bien si c’est encore d’actualité. Ce qui est vraisemblable, c’est que le concept ait cédé devant la montée d’un individualisme plutôt ancré à droite (puisqu’on constate cette montée dans pas mal de domaines non écrituriens).
    En tout cas, ton article est une fois de plus une mine de pistes qui font envie… Oserai-je injecter de la lutte des classes dans les petites pommes ? pas sûr, mais le seul fait de me poser la question montre que le risque est là.
    il faudrait que je me méfie plus de ton influence ; d’ailleurs, si je suis en train de lire Steve Costigan, c’est entièrement de ta faute ! 🙂

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    • pour être complet, il faut dire qu’une autre frange du rompol était très politisée à droite (dure), exploitant l’anticommunisme pré-chute du mur de Berlun (« les chars soviétiques à deux heures de Paris ») et au ton qu’on pourrait facilement qualifier de masculiniste ; pour celle-là, si la lutte des classes existait, c’était en tant qu’arme de l’ennemi 🙂

      quant aux tendances de la production littéraire française actuelle, il faudrait que j’en lise pour en avoir une idée.. mais ça me tombe des mains avant de sortir de la librairie !

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    • Pardonne-moi s’il te plaît cette imprécision, mais mon propos n’était pas de dire que le concept de lutte des classes n’était pas présent dans la littérature française, mais bien dans la culture française, les valeurs, le discours public. Bien entendu, on trouve de tout dans les livres. Par contre, dans le dialogue public, j’ai peut-être tort, mais il me paraît excessivement rare que quelqu’un se présente comme appartenant à la « classe supérieure », ou qu’un autre se réclame des valeurs de la classe ouvrière.
      Quant à Steve Costigan, c’est chouette, et c’est une oeuvre plus engagée politiquement que cela n’en a l’air.

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      • Tu as raison, et j’ai réagi en me limitant au monde de l’écrit. Dans la France d’aujourd’hui, le concept de lutte de classe est passé aux oubliettes ; dans l’expression publique et privée (pour ce que j’en sais, bien sûr), personne ne se définit comme de la « classe ouvrière » (disparue) ou du « patronat » ; tout le monde est « classe moyenne intermédiaire mitigée »… de fait, la doxa est sinon l’effort individuel du moins la situation individuelle : on ne réussit que par soi même, on ne s’en sort que par soi-même, il ne faut compter que sur la cellule familiale-amicale étroite.. (et si quelqu’un se plante, son échec est de sa faute). Et pire, l’identité de classe a glissé sur l’identité d’origine avec toutes les oppositions frontales que ça génère : français/pas français, blanc/pas blanc, urbain/rural, métropole/ville moyenne, etc etc

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