Dix thèmes

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La théorie, je le sais bien, ça va un moment. Pour mieux saisir les enjeux, les fonctionnements et les mécanismes du thème en littérature, rien ne vaut une bonne petite mise en situation.

Dans ce billet, je vous propose d’évoquer dix thèmes utilisés régulièrement dans les romans. Peut-être vont-ils vous inspirer et vous donner envie de les adopter pour un de vos projets. Peut-être que leurs descriptions vont vous motiver à vous lancer dans une voie légèrement différente. Peut-être que les exemples inclus vont vous aider à mieux comprendre comment un auteur parvient à entremêler un thème avec l’intrigue et les personnages d’un récit. Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas, comme toujours, à me faire part de vos remarques.

Le bien contre le mal

La lutte classique entre le bien et le mal, la lumière contre l’obscurité, la vie contre la mort, l’altruisme contre la cruauté, la santé contre la maladie, le bonheur contre le malheur représente une des histoires les plus anciennes de l’histoire de la fiction. Elle sert de base à une partie des mythologies sur toute la planète, et est encore utilisée par les auteurs qui souhaitent conférer un vernis mythique à leurs récits, par exemple dans la fantasy.

Ce n’est pas parce que vous choisissez ce thème que vous êtes obligés de vous montrer simpliste. Par exemple, ce n’est pas nécessairement le bien qui doit ressortir gagnant ; le camp du bien peut être vérolé par le mal, et le camp du mal noyauté par le bien ; les définitions du bien et du mal peuvent être non-conventionnelles ; et naturellement, la lutte en question peut être interne plutôt que littérale. Par ailleurs, vous pouvez jeter tout ça à la corbeille pour faire de votre roman une exploration de systèmes de pensées éthiques : le bien vu par un personnage qui adhère aux préceptes de l’éthique kantienne face à un personnage religieux ou amoral, par exemple.

Autres thèmes similaires : la morale, la tentation, la divinité

Exemples :

« Le Seigneur des Anneaux », de JRR Tolkien

« Le Fléau », de Stephen King

« Les Bienveillantes » de Jonathan Littell

L’amour

Une émotion, qui éclot en sentiment, qui lie les êtres les uns aux autres et qui est à la fois à l’origine des plus sincères motivations et des drames les plus déchirants, l’amour est un des thèmes littéraires les plus riches et les plus fréquemment utilisés. Et pour cause, il est pratiquement inépuisable. L’amour prend les formes les plus diverses et se manifeste dans les contextes les plus variés.

En abordant ce thème, on peut rédiger une romance charmante et pleine d’innocence, un thriller sombre et violent ou un roman angoissé sur la détresse associée à la condition humaine. Bref, l’amour est une passerelle vers l’exploration des liens entre les individus, et entre l’humanité et le cosmos.

C’est un thème multiple, qui peut être décliné en sous-thèmes qui ont finalement peu de choses à voir les uns avec les autres : l’amour interdit, l’amour platonique, l’amour toxique, le premier amour, l’amour à sens unique, l’amour perdu, l’amour des parents pour leurs enfants, pour les amis, pour les animaux, etc…

Autres thèmes similaires : l’amitié, le sexe, le divorce

Exemples :

« Romeo et Juliette », de William Shakespeare

« Raison et sentiments » de Jane Austen

« Belle du Seigneur », d’Albert Cohen

La mort

S’il y a un concept qui est encore plus universel que l’amour, c’est bien la mort, puisque c’est une des rares choses qu’ont en commun toutes les créatures vivantes. Comment fait-on face à la perspective de sa propre mort ou à celle des autres, comment survit-on au deuil, qu’est-on prêt à faire pour déjouer la mort, qu’est-ce que cela implique de mettre fin à la vie de quelqu’un, comment continuer à vivre après avoir frôlé la mort, comment faire de la mort son métier, dans quelle mesure la mort agit-elle comme un révélateur de la vie : les déclinaisons sont là aussi innombrables.

La fascination qu’exerce la mort sur l’humanité représente également un jalon culturel fondamental, qui comporte toutes les théories possibles et imaginables sur la vie après la vie, l’au-delà, l’éternité et la place des pauvres mortels face à l’éternité.

La mort est un des rares aspects de l’existence qui est encore fortement ritualisé dans nos civilisations post-modernes, et qui comporte un grand nombre de symboles reconnaissables par toutes et tous. Cela permet d’ancrer un texte sur la mort dans une symbolique et des motifs qui vont avoir de la résonance auprès des lectrices et des lecteurs.

Autres thèmes similaires : la vieillesse, l’éternité, la valeur de la vie

Exemples :

« L’étranger » d’Albert Camus

« Phèdre » de Jean Racine

« La nostalgie de l’ange » d’Alice Sebold

La vengeance

Qu’est-ce qui peut motiver un individu à commettre des actes qu’il aurait pu croire impensables et à trahir toutes les valeurs qui lui semblaient fondamentales ? La vengeance répond à cette définition. C’est un acte qui est, par essence, dramatique, parce qu’en règle générale, une intrigue qui traite de ce thème commencera et se terminera par une transformation pour les protagonistes. Elle contient également, en son cœur, un conflit entre deux individus antagonistes (ou davantage).

Mais la vengeance ne doit pas être uniquement considérée comme un élément de structure dramatique : la choisir comme thème ouvre des possibilités bien plus intéressantes. Un récit qui traite de vengeance va se consacrer à évoquer la manière dont cet acte constitue une force plus destructrice que le pardon, les choix moraux qu’elle implique, ou comment une revanche menée à bien apaise rarement l’âme tourmentée de celui qui la commet.

Plat qui se mange froid, la vengeance, c’est aussi l’occasion d’écrire des romans au long cours, montrant comment une personne flouée peut ourdir des machinations pendant des décennies.

Autres thèmes similaires : le sacrifice, la colère, le fanatisme

Exemples :

« Le conte de Monte Cristo » d’Alexandre Dumas

« Les hauts de Hurlevent », d’Emily Brontë

« Dune » de Frank Herbert

La rédemption

C’est, au fond, presque l’inverse de la vengeance. Alors que la vengeance traite d’un acte commis par une personne flouée qui cherche à obtenir réparation, souvent de manière violente, auprès de l’individu qui lui a fait du tort, la rédemption traite des efforts entrepris par un individu qui a mal agi, et qui cherche à obtenir le pardon pour ses actes. Là aussi, on a affaire à un thème transformatoire par définition, puisque le protagoniste cherche à changer son propre fonctionnement ou la manière dont il est perçu par la société (ou les deux).

Tout le monde n’est pas capable de procéder à un changement de cette ampleur, aussi il est possible d’aborder le thème de la rédemption à travers la chronique d’un échec ou d’un demi-succès. Et même quand cela fonctionne, cela passe souvent par des sacrifices, l’acte rédempteur par essence étant le sacrifice de sa propre vie.

Un autre aspect intéressant du thème, c’est qu’il permet d’explorer le bien, le mal, et la manière dont on tend à ranger les individus dans ce genre de catégorie. Une histoire qui traite de rédemption verra une personne considérée comme mauvaise déployer des efforts pour devenir une bonne personne. Où se situe la frontière ? Et est-ce un changement de perception ou quelque chose de plus fondamental ?

Autres thèmes similaires : l’oubli, la transformation, la descente aux enfers

Exemples :

« Les misérables » de Victor Hugo

« Les cerfs-volants de Kaboul » de Khaled Hosseini

« Un chant de Noël » de Charles Dickens

Le pouvoir

Exercer une influence sur les autres, modeler la société, décider du sort d’autres personnes sans que ceux-ci aient voie au chapitre : le pouvoir est un thème intéressant parce qu’il met en perspective l’individu et la société, voire la civilisation. C’est un thème aussi personnel que social, qui permet tous les jeux de contraste entre le niveau particulier et le niveau général.

Le pouvoir est également un sujet protéiforme, en cela qu’il peut changer du tout au tout en fonction de l’angle que l’on choisit d’aborder. Le pouvoir subi par l’individu situé tout en bas de l’échelle sociale est différent du pouvoir absolu vu par la personne qui le possède, ou par celui qui tente de l’acquérir, ou encore par celui qui est en train de le perdre.

Une facette de ce thème qui fascine particulièrement les romanciers, c’est la manière dont le pouvoir corrompt et met à mal les valeurs des êtres, quelles que soient leurs intentions de départ. L’exercice du pouvoir absolu, tyrannique, écrase l’individu et sert de ferment à toute la littérature dystopique.

Autres thèmes similaires : l’ambition, la corruption, la responsabilité

Exemples :

« Le rouge et le noir » de Stendhal

« La ferme des animaux » de George Orwell

« Macbeth » de William Shakespeare

La survie

Au verso du thème de la mort se trouve le thème de la survie. Toutes les créatures vivantes sont animées par des mécanismes qui les poussent à échapper au danger et aux périls en tous genres, donc il n’y a rien d’étonnant à réaliser qu’il s’agit d’un des thèmes majeurs de la littérature.

Une histoire centrée sur le thème de la survie va la plupart du temps mettre en scène un individu ou un groupe face à une menace extérieure, que celle-ci vienne de l’environnement, de la civilisation humaine, qu’il s’agisse d’une maladie, d’une catastrophe naturelle ou d’un puissant ennemi ou groupe d’ennemis. La nature de cette menace va conditionner la manière dont le thème est abordé : un roman consacré à un personnage qui tente de s’échapper d’une nature hostile pour retourner à la civilisation sera radicalement différent d’un récit postapocalyptique où aucune échappatoire n’est disponible.

Une histoire de survie tend à révéler la nature profonde de des personnages : ce qui reste d’eux une fois qu’ils ont abandonné toutes leurs ressources et tous leurs espoirs. Certains exposent leur noirceur profonde, d’autres révèlent des ressources insoupçonnées.

Autres thèmes similaires : la civilisation contre la nature sauvage, l’instinct, l’apocalypse

Exemples :

« La Route » de Cormac McCarthy

« Sa majesté des mouches » de William Golding

« Seul sur Mars » d’Andy Weir

La justice

En tant que thème littéraire, la justice matérialise l’idée selon laquelle un comportement vertueux mérite une récompense, et que le vice mène à la punition. Par ailleurs, la justice est également sociale : il s’agit alors de s’intéresser au principe selon lequel tous les êtres humains ont des droits égaux et peuvent prétendre à un standard minimal de condition de vie, et à ne pas subir de mauvais traitement sans avoir commis de faute.

Les romans qui sont consacrés à ce thème cherchent donc à répondre à des questions comme « Qu’est-ce qui est juste ? », « Comment lutter contre l’injustice ? », « Qu’est-ce qui constitue une punition acceptable ? ». Ils abordent à la fois le sentiment d’être confronté à l’injustice, qui peut naître dans le cœur d’un individu, mais aussi la manière dont une société organise son système judiciaire et les punitions qui l’accompagnent.

La justice et l’injustice, il faut le noter, ne sont pas uniquement des notions liées à l’appareil juridique. Elles touchent à la philosophie, à l’éthique, à la culture, mais aussi à l’économie, partant du principe que, par exemple, la hiérarchie sociale née des inégalités de revenus peut mener elle aussi à des injustices.

Autres thèmes similaires : l’égalité, la pureté, la loyauté

Exemples :

« Germinal » d’Emile Zola

« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » de Harper Lee

« Le procès » de Franz Kafka

La guerre

J’ai déjà eu l’occasion de consacrer une quantité d’articles invraisemblable à la guerre. En tant que thème littéraire, celle-ci permet de confronter les personnages – tous les personnages – au pire événement de leur existence. La guerre voit la société toute entière, mais aussi les relations entre les êtres, la décence la plus élémentaire, et parfois l’espoir lui-même, disparaître, sans que l’on puisse savoir quand ou même si tout cela va réapparaître un jour. Parce que le conflit et la remise en question sont partout, cela en fait le thème littéraire par excellence.

Pour aborder le thème de la guerre, il n’est même pas forcément nécessaire de situer l’action du roman au cœur du conflit. On peut très bien s’en éloigner dans l’espace et s’intéresse au sort des civils, ou dans le temps et se focaliser sur la période qui précède ou qui suit un conflit armé. Un livre qui parle de la guerre ne doit d’ailleurs pas nécessairement mettre en scène la guerre, et peut très bien se contenter de l’évoquer à travers ses stigmates, ses séquelles ou ses racines.

Autres thèmes similaires : la catastrophe, la famine, la crise

Exemples :

« A l’ouest rien de nouveau » d’Erich Maria Remarque

« La guerre éternelle » de Joe Haldemann

« Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut

La famille

La famille est la plus petite forme de société humaine. Constituée d’individus unis, parfois en tout cas, par la génétique, par un vécu commun, et par une affection réciproque, elle ne constitue pas pour autant un groupe nécessairement fonctionnel. Même les familles les plus unies comprennent des membres qui ne peuvent pas se supporter, et il suffit parfois que survienne une crise, un deuil, une affaire d’argent pour découvrir que l’unité familial n’était qu’un vernis qui craquelle rapidement.

En d’autres termes : la famille rajoute une couche de complication à tous les drames humains existants, raison pour laquelle il s’agit d’un thème éminemment littéraire. La famille exacerbe les émotions : elle rend les joies partagées plus grandes, les triomphes plus doux, mais elle peut aussi transformer les peines en tragédies.

Comme toutes les histoires qui tournent autour d’une communauté, un roman dont le thème est la famille va donner l’occasion à un auteur de s’interroger sur la place de l’individu au sein de celle-ci, et des compromis qu’il doit faire pour continuer à exister. Les liens entre parents et enfants, entre frères et sœurs, qui continuent à exister même s’ils se détériorent, constituent une exception dans les relations humaines, qui mérite d’être approfondie.

Autres thèmes similaires : la transmission, la communauté, le passage à l’âge adulte

Exemples :

« Les quatre filles du Docteur March » de Louisa May Alcott

« Le Parrain » de Mario Puzzo

« Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez

Éléments de décor: le sexe

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Rien n’est plus important que le sexe. De tous les concepts inventés par l’humanité et qui peuvent être incorporés dans une création littéraire, il est assurément le plus polyvalent et celui qui vient jouer le rôle le plus important dans nos préoccupations. Le sexe est partout, le sexe est en rapport avec tous les champs d’activité, et même ne pas parler de sexe revient à en parler.

L’importance qu’on lui donne n’a rien d’accidentel. Le sexe, après tout, est lié à la reproduction, qui est, avec la préservation, un des deux instincts principaux de l’être humain et de la plupart des espèces animales. Nous sommes programmés pour l’incorporer dans tous nos comportements. Et même pour ceux qui n’auraient aucunement le souhait de se reproduire, le plaisir engendré par une relation sexuelle et la frustration suscitée par la privation en fait une des pulsions les plus vivaces qui conditionne notre comportement.

Mais le sexe, ça va bien plus loin qu’un simple instinct que l’on serait tenté de satisfaire. On l’associe, parfois à tort, aux relations sentimentales et amoureuses, et donc par extension à l’idée de couple, le construit social le plus basique, la brique avec laquelle on a bâti notre société. Le sexe peut être le ferment d’une relation stable et harmonieuse, ou devenir l’outil avec lequel on trahit son conjoint, on se réconcilie, ou on prend acte de nos différences. C’est le théâtre de nos envies, la mise en scène de nos désirs.

Le sexe peut également intervenir dans des relations de pouvoir, sachant que celle ou celui qui procure des relations sexuelles à autrui peut être en position d’exercer du pouvoir sur celui-ci. Il peut être utilisé comme monnaie d’échange, comme récompense, comme motivation, comme fausse promesse, voire troqué contre une faveur, un avantage ou de l’argent. On peut se sentir forcé d’avoir des relations sexuelles avec quelqu’un parce que ce dernier se trouve en situation de pouvoir ou exerce un chantage.

Les relations sexuelles, un des actes les plus intimes qui soit, peut ainsi devenir une forme de violence, ou être utilisé comme une contrainte. Il peut aussi être dévalué au rang de simple marchandise, soit que l’acte lui-même soit vendu, sous la forme de prostitution, soit que la publicité en évoque l’écho sous la forme d’images plus ou moins érotiques pour détourner le désir que celles-ci évoquent vers le produit qui doit être vendu.

Parce qu’il représente une part de nous qui est à la fois essentielle et difficile à contrôler, et qu’il peut être la cause de naissances imprévues et de déchirements entre les individus, le sexe a toujours été considéré avec circonspection par les religions, toujours en quête de pureté et de stabilité. Celles-ci ont cherché à codifier et à réglementer les ébats, par édicter des règles destinées à décréter quand ceux-ci étaient acceptables ou non, par fixer le type de partenaires et de relations jugées acceptables ou prohibées. Le tabou de l’inceste, qui force à aller chercher un-e partenaire en-dehors de la tribu, de la famille, est considéré comme une des toutes premières règles d’organisation sociale, la condition préalable à toute construction d’une société.

Comme tout concept lié à l’humanité depuis ses débuts, le sexe est lié à la culture. Certaines pratiques sont considérées de manières très différentes selon l’aire culturelle dans laquelle on se situe. Certaines approches, certaines manières de parler et de vivre la sexualité diffèrent d’un endroit à l’autre et ont généré des traditions distinctes en fonction du contexte où on vit. Pour un Kayapo du Brésil, un homosexuel de San Francisco, un jeune Brésilien ou un luthérien rigoriste, la conception culturelle du sexe sera tellement distincte que l’expérience en sera radicalement différente.

L’autre manifestation culturelle de notre sexualité, c’est la création artistique. Le sexe imprègne la littérature, le théâtre, le cinéma, la chanson, les arts plastiques et toutes les autres formes de création, dans lesquelles il joue un rôle qui peut être aussi crucial que dans la vie réelle. Parce que la sexualité est quelque chose d’universel, d’immanent, lié aux pulsions de vie et de mort, de nombreux artistes veulent y voir un reflet de l’expérience humaine dans toute sa complexité, ou un révélateur des contradictions qui naissent de la friction entre notre nature animale et les construits culturels dont on l’entoure.

Enfin, le sexe est important parce qu’il est arrimé à notre identité. La découverte de la sexualité joue dans de nombreuses cultures le rôle d’un rite de passage vers l’âge adulte. Qui plus est, chacun se définit, en petite ou en grande part, en fonction de ses appétits sexuels, de leur intensité, du rôle qu’on choisit de leur donner, du sens qu’on leur trouve, du type de partenaires qui ont notre préférence, de notre parcours, etc… Un individu réservé et peu à l’écoute de son corps qui n’a qu’une expérience limitée de sa sexualité traversera la vie sur un sentier très différent de celui qui donne à sa sexualité un rôle central et est toujours en quête de nouvelles sensations et de nouvelles expériences.

Parce que notre sexualité dit une partie de qui nous sommes, certains sont même tentés de se regrouper par affinités sexuelles. Certains homosexuels, pour ne citer qu’eux, vont chercher auprès de ceux qui ont un vécu similaire un sens de la communauté et des valeurs communes qui, finalement, ont relativement peu de choses à voir avec leur sexualité, mais qui s’y enracinent malgré tout.

On le voit bien à la lecture de tout ça – et encore, je n’ai fait qu’effleurer le sujet – le sexe est partout et il peut venir laisser sa trace sous les expériences humaines les plus diverses. Cela en fait un objet romanesque par excellence, lui qui peut déboucher sur les plus grandes joies comme sur les plus épouvantables tragédies, célébrer la gloire de l’humanité ou en souligner les aspects les plus dérisoires et vulgaires.

Le sexe et le décor

Pour qui souhaite explorer certaines des facettes de la sexualité dans un cadre romanesque, l’idée de pratiquer l’immersion dans un lieu, un contexte ou une époque baignés de sexe semble être une des plus intéressantes.

Pour aborder le thème de la manière la plus directe qui soit, il peut être intéressant de situer l’intrigue du roman dans un endroit où des relations sexuelles ont lieu, où elles sont organisées, où on en parle, où l’on y réfléchit. Situer l’intrigue dans une maison de passe, un sex shop, une maison de production de films pornographiques, une boîte échangiste, un cabinet de sexologie, un donjon ou même une simple boîte de nuit permet d’examiner certains des codes de la sexualité, lorsqu’ils existent pour eux-mêmes, coupés du reste des relations humaines (encore que c’est rarement aussi simple que ça).

Mais la sexualité est moins une affaire de lieu qu’une affaire de milieu. Un roman qui s’attacherait à s’attarder sur la sexualité d’un de ses protagonistes pourrait par exemple se focaliser sur toute une faune nocturne que fréquenterait celui-ci, qui pratiquent les relations sexuelles sans lendemain. Choisir les milieux échangistes comme décor, ou ceux qui pratiquent le sado-masochisme, permettrait, par un simple choix de décor, de révéler des dimensions complètement différentes de la sexualité.

Et puis la sexualité a des prolongements en ligne de nos jours. Il existe des applications qui permettent de trouver facilement des partenaires, et un projet romanesque pourrait s’intéresser à leurs utilisateurs. Des expériences de réalité virtuelle où le monde des accros à la pornographie peuvent également montrer des facettes de la sexualité humaine qui transitent par la Toile.

Il existe également des époques qui sont traversées par des changements dans les modalités de la sexualité. La révolution sexuelle de la fin des années 1970, la crise correspondant à l’émergence du SIDA dans les années 1980, les persécutions des homosexuels dans certains pays africains contemporains, et, pourquoi pas, un avenir pas si lointain où des robots deviendront des partenaires sexuels à part entière : voilà quelques exemples de décors qui peuvent permettre à un romancier de s’interroger sur la nature de la sexualité humaine.

Le sexe et le thème

Comme le sexe est connecté à tous les aspects de l’expérience humaine, il est facile de s’en servir comme point de départ pour explorer une grande quantité de thèmes.

Certains d’entre eux sont très étroitement liés à la sexualité elle-même. Ainsi, il est possible de se servir du sexe dans une histoire pour s’intéresser à la notion d’intimité, comment elle se crée, comment elle évolue, comment elle se brise. Pendant de cette notion, le thème de la pudeur peut également être abordé en tandem avec elle. Comment deux êtres vainquent leurs réticences et abaissent leurs barrières pour s’offrir l’un à l’autre, comment cela les transforme, et dans quelles circonstances ils cessent de le faire : c’est un magnifique thème de roman.

Un romancier plus audacieux pourrait attaquer les questions centrales bille en tête et s’intéresser au thème de l’érotisme : qu’est-ce qui émoustille, par quels mécanismes et qu’est-ce que les individus sont prêts à faire pour renouveler cette expérience, voilà un sujet qui mérite d’être abordé. Il peut déborder sur les questions d’addictions sexuelles, sur l’asymétrie des représentations érotiques par genres, ou sur les limites et les tabous que chacun transporte en lui, et dans quelles circonstances celles-ci peuvent être franchies.

Sexe et amour sont intimement liés, et il peut être intéressant de décortiquer la manière dont ils s’emboîtent l’un dans l’autre, avec la relation sexuelle qui peut naître du sentiment amoureux, ou l’inverse, ou les deux qui peuvent fleurir en parallèle, ou s’épanouir et s’étioler à des rythmes différents. Il y a du sexe sans amour, qu’il soit bien ou mal vécu, et de l’amour sans sexe, qui là aussi peut être satisfaisant ou non.

Enfin, explorer les thèmes adjacents au sexe, cela peut également passer par une inversion délibérée : ainsi, la sexualité est également un joli moyen de s’intéresser à des thèmes comme la violence ou la mort. Comment la vie érotique peut s’adapter ou se transformer face à la mortalité, la maladie ou la souffrance, est-ce que mélanger ces extrêmes les rend plus difficiles à vivre ou au contraire plus supportable ? Voilà encore une fois des questions hautement romanesques.

Le sexe et l’intrigue

Tout le chemin qui mène à une relation sexuelle est de nature théâtrale et dramatique : le premier contact, l’approche, la séduction, les préliminaires, la relation sexuelle elle-même, ses prolongements, les tentatives de recommencer et la manière dont la relation se transforme, tout cela peut donner à une intrigue à la forme aisément reconnaissable, et qui possède divers points d’articulation qui peuvent être utilisés pour créer des enjeux dramatiques ou des effets comiques. Toute une branche de la romance fonctionne exactement comme ça, se concentrant sur les moyens compliqués par lesquels deux êtres peuvent être amenés à coucher ensemble.

En fait, comme la sexualité fonctionne selon diverses échelles de temps, celles-ci peuvent être utilisées comme autant d’éléments de construction d’intrigue, qui peuvent être pris isolements ou combinés de différentes manières : une étreinte, une nuit ou une relation entière ne fonctionnent pas selon la même unité de temps et présentent des enjeux différents pour les amants qui sont mis en scène dans ce genre d’histoire.

Le sexe peut également être un apprentissage, et un roman, par exemple un ouvrage éducatif destiné à la jeunesse, peut s’attacher à décrire les premiers pas d’un adolescent ou d’une adolescente dans le domaine de la sexualité active. L’intrigue s’appuierait ainsi sur ses tâtonnements et sa progression. On pourrait tout aussi bien imaginer une même structure utilisée dans un roman plus audacieux, attaché à décrire la manière dont un personnage se familiarise avec un segment de sa sexualité qui lui était jusque là inconnu : BDSM, jeux de rôle ou homosexualité, par exemple…

Le sexe et les personnages

Il y a deux grandes manières d’utiliser la sexualité pour définir les personnages. La première, c’est de s’intéresser aux relations sexuelles qui se construisent entre eux, la seconde, c’est de s’intéresser à leur vie sexuelle, et à la manière dont celle-ci les caractérise.

S’il existe, ou s’il a existé une relation sexuelle entre deux des personnages d’un roman, celle-ci va créer entre eux une connexion qui peut prendre plusieurs formes, selon la nature du lien : amour, promiscuité, complicité, embarras, secret, hostilité, haine, pour ne citer que celles-ci. Une relation sexuelle entre deux personnages peut apparaître, disparaître, s’intensifier, décliner, renaître ou changer de nature, et chacun de ces points d’articulation peut être lié à l’intrigue ou être utilisé comme une opportunité pour mieux connaître les personnages.

L’autre idée, c’est donc de se servir de la sexualité pour caractériser un personnage. Il s’agit d’un filtre de plus, qui peut aider à cerner le tempérament d’un des protagonistes d’une œuvre romanesque, tout aussi sûrement que ses opinions politiques ou son niveau d’éducation. Pour certaines personnes, la sexualité joue un rôle central dans leur existence ; pour d’autres, elle n’occupe qu’une place secondaire. Certains sont actifs et expérimentés ; d’autres timides et peu chevronnés ; il y en a qui sont prêts à tout essayer ; d’autres se cantonnent à un certain nombre de pratiques familières, etc… En vous interrogeant sur le genre de personne que vos personnages deviennent quand ils sont dans un lit, vous allez peut-être réaliser certaines choses à leur sujet que vous ne suspectiez même pas.

Variantes autour du sexe

La sexualité humaine telle qu’elle existe dans le monde réel présente déjà une grande quantité d’options. Malgré tout, certains auteurs œuvrant dans le domaine des littératures de l’imaginaire sont tentés d’explorer la question dans des configurations inédites.

Et si un troisième sexe apparaissait : de quelle manière celui-ci se combinerait aux possibilités existantes et réinventerait-il dans son sillage tout ce que nous connaissons de la sexualité. Et si certains aspects du sexe disparaissaient, pour des raisons politiques ou biologiques ? Que donnerait par exemple un roman situé dans un univers où les amants n’ont pas le droit de se voir ? Ou de se toucher avec les mains ?

Et la sexualité peut-elle revêtir des formes insoupçonnables ? À quoi pourrait ressembler un accouplement avec un extraterrestre au schéma corporel très éloigné du notre ? Ou avec un télépathe capable de connaître les désirs de sa partenaire mieux qu’elle-même ? Et si des mutants apparaissaient, capables d’engendrer de nouvelles formes de plaisir sans aucun contact ?

La manière dont la sexualité nous connecte n’a peut-être jamais été explorée aussi finement que dans le roman « Palimpsest », de Catherynne M. Valente, dans laquelle des individus découvrent qu’ils peuvent accéder à une étrange ville située dans un univers parallèle que l’on ne peut visiter que lorsqu’on fait l’amour avec un inconnu. C’est le genre d’idée métaphorique qui montre à quel point les liens entre fantasy et sexualité sont riches et honteusement inexploités.

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