Dix thèmes

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La théorie, je le sais bien, ça va un moment. Pour mieux saisir les enjeux, les fonctionnements et les mécanismes du thème en littérature, rien ne vaut une bonne petite mise en situation.

Dans ce billet, je vous propose d’évoquer dix thèmes utilisés régulièrement dans les romans. Peut-être vont-ils vous inspirer et vous donner envie de les adopter pour un de vos projets. Peut-être que leurs descriptions vont vous motiver à vous lancer dans une voie légèrement différente. Peut-être que les exemples inclus vont vous aider à mieux comprendre comment un auteur parvient à entremêler un thème avec l’intrigue et les personnages d’un récit. Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas, comme toujours, à me faire part de vos remarques.

Le bien contre le mal

La lutte classique entre le bien et le mal, la lumière contre l’obscurité, la vie contre la mort, l’altruisme contre la cruauté, la santé contre la maladie, le bonheur contre le malheur représente une des histoires les plus anciennes de l’histoire de la fiction. Elle sert de base à une partie des mythologies sur toute la planète, et est encore utilisée par les auteurs qui souhaitent conférer un vernis mythique à leurs récits, par exemple dans la fantasy.

Ce n’est pas parce que vous choisissez ce thème que vous êtes obligés de vous montrer simpliste. Par exemple, ce n’est pas nécessairement le bien qui doit ressortir gagnant ; le camp du bien peut être vérolé par le mal, et le camp du mal noyauté par le bien ; les définitions du bien et du mal peuvent être non-conventionnelles ; et naturellement, la lutte en question peut être interne plutôt que littérale. Par ailleurs, vous pouvez jeter tout ça à la corbeille pour faire de votre roman une exploration de systèmes de pensées éthiques : le bien vu par un personnage qui adhère aux préceptes de l’éthique kantienne face à un personnage religieux ou amoral, par exemple.

Autres thèmes similaires : la morale, la tentation, la divinité

Exemples :

« Le Seigneur des Anneaux », de JRR Tolkien

« Le Fléau », de Stephen King

« Les Bienveillantes » de Jonathan Littell

L’amour

Une émotion, qui éclot en sentiment, qui lie les êtres les uns aux autres et qui est à la fois à l’origine des plus sincères motivations et des drames les plus déchirants, l’amour est un des thèmes littéraires les plus riches et les plus fréquemment utilisés. Et pour cause, il est pratiquement inépuisable. L’amour prend les formes les plus diverses et se manifeste dans les contextes les plus variés.

En abordant ce thème, on peut rédiger une romance charmante et pleine d’innocence, un thriller sombre et violent ou un roman angoissé sur la détresse associée à la condition humaine. Bref, l’amour est une passerelle vers l’exploration des liens entre les individus, et entre l’humanité et le cosmos.

C’est un thème multiple, qui peut être décliné en sous-thèmes qui ont finalement peu de choses à voir les uns avec les autres : l’amour interdit, l’amour platonique, l’amour toxique, le premier amour, l’amour à sens unique, l’amour perdu, l’amour des parents pour leurs enfants, pour les amis, pour les animaux, etc…

Autres thèmes similaires : l’amitié, le sexe, le divorce

Exemples :

« Romeo et Juliette », de William Shakespeare

« Raison et sentiments » de Jane Austen

« Belle du Seigneur », d’Albert Cohen

La mort

S’il y a un concept qui est encore plus universel que l’amour, c’est bien la mort, puisque c’est une des rares choses qu’ont en commun toutes les créatures vivantes. Comment fait-on face à la perspective de sa propre mort ou à celle des autres, comment survit-on au deuil, qu’est-on prêt à faire pour déjouer la mort, qu’est-ce que cela implique de mettre fin à la vie de quelqu’un, comment continuer à vivre après avoir frôlé la mort, comment faire de la mort son métier, dans quelle mesure la mort agit-elle comme un révélateur de la vie : les déclinaisons sont là aussi innombrables.

La fascination qu’exerce la mort sur l’humanité représente également un jalon culturel fondamental, qui comporte toutes les théories possibles et imaginables sur la vie après la vie, l’au-delà, l’éternité et la place des pauvres mortels face à l’éternité.

La mort est un des rares aspects de l’existence qui est encore fortement ritualisé dans nos civilisations post-modernes, et qui comporte un grand nombre de symboles reconnaissables par toutes et tous. Cela permet d’ancrer un texte sur la mort dans une symbolique et des motifs qui vont avoir de la résonance auprès des lectrices et des lecteurs.

Autres thèmes similaires : la vieillesse, l’éternité, la valeur de la vie

Exemples :

« L’étranger » d’Albert Camus

« Phèdre » de Jean Racine

« La nostalgie de l’ange » d’Alice Sebold

La vengeance

Qu’est-ce qui peut motiver un individu à commettre des actes qu’il aurait pu croire impensables et à trahir toutes les valeurs qui lui semblaient fondamentales ? La vengeance répond à cette définition. C’est un acte qui est, par essence, dramatique, parce qu’en règle générale, une intrigue qui traite de ce thème commencera et se terminera par une transformation pour les protagonistes. Elle contient également, en son cœur, un conflit entre deux individus antagonistes (ou davantage).

Mais la vengeance ne doit pas être uniquement considérée comme un élément de structure dramatique : la choisir comme thème ouvre des possibilités bien plus intéressantes. Un récit qui traite de vengeance va se consacrer à évoquer la manière dont cet acte constitue une force plus destructrice que le pardon, les choix moraux qu’elle implique, ou comment une revanche menée à bien apaise rarement l’âme tourmentée de celui qui la commet.

Plat qui se mange froid, la vengeance, c’est aussi l’occasion d’écrire des romans au long cours, montrant comment une personne flouée peut ourdir des machinations pendant des décennies.

Autres thèmes similaires : le sacrifice, la colère, le fanatisme

Exemples :

« Le conte de Monte Cristo » d’Alexandre Dumas

« Les hauts de Hurlevent », d’Emily Brontë

« Dune » de Frank Herbert

La rédemption

C’est, au fond, presque l’inverse de la vengeance. Alors que la vengeance traite d’un acte commis par une personne flouée qui cherche à obtenir réparation, souvent de manière violente, auprès de l’individu qui lui a fait du tort, la rédemption traite des efforts entrepris par un individu qui a mal agi, et qui cherche à obtenir le pardon pour ses actes. Là aussi, on a affaire à un thème transformatoire par définition, puisque le protagoniste cherche à changer son propre fonctionnement ou la manière dont il est perçu par la société (ou les deux).

Tout le monde n’est pas capable de procéder à un changement de cette ampleur, aussi il est possible d’aborder le thème de la rédemption à travers la chronique d’un échec ou d’un demi-succès. Et même quand cela fonctionne, cela passe souvent par des sacrifices, l’acte rédempteur par essence étant le sacrifice de sa propre vie.

Un autre aspect intéressant du thème, c’est qu’il permet d’explorer le bien, le mal, et la manière dont on tend à ranger les individus dans ce genre de catégorie. Une histoire qui traite de rédemption verra une personne considérée comme mauvaise déployer des efforts pour devenir une bonne personne. Où se situe la frontière ? Et est-ce un changement de perception ou quelque chose de plus fondamental ?

Autres thèmes similaires : l’oubli, la transformation, la descente aux enfers

Exemples :

« Les misérables » de Victor Hugo

« Les cerfs-volants de Kaboul » de Khaled Hosseini

« Un chant de Noël » de Charles Dickens

Le pouvoir

Exercer une influence sur les autres, modeler la société, décider du sort d’autres personnes sans que ceux-ci aient voie au chapitre : le pouvoir est un thème intéressant parce qu’il met en perspective l’individu et la société, voire la civilisation. C’est un thème aussi personnel que social, qui permet tous les jeux de contraste entre le niveau particulier et le niveau général.

Le pouvoir est également un sujet protéiforme, en cela qu’il peut changer du tout au tout en fonction de l’angle que l’on choisit d’aborder. Le pouvoir subi par l’individu situé tout en bas de l’échelle sociale est différent du pouvoir absolu vu par la personne qui le possède, ou par celui qui tente de l’acquérir, ou encore par celui qui est en train de le perdre.

Une facette de ce thème qui fascine particulièrement les romanciers, c’est la manière dont le pouvoir corrompt et met à mal les valeurs des êtres, quelles que soient leurs intentions de départ. L’exercice du pouvoir absolu, tyrannique, écrase l’individu et sert de ferment à toute la littérature dystopique.

Autres thèmes similaires : l’ambition, la corruption, la responsabilité

Exemples :

« Le rouge et le noir » de Stendhal

« La ferme des animaux » de George Orwell

« Macbeth » de William Shakespeare

La survie

Au verso du thème de la mort se trouve le thème de la survie. Toutes les créatures vivantes sont animées par des mécanismes qui les poussent à échapper au danger et aux périls en tous genres, donc il n’y a rien d’étonnant à réaliser qu’il s’agit d’un des thèmes majeurs de la littérature.

Une histoire centrée sur le thème de la survie va la plupart du temps mettre en scène un individu ou un groupe face à une menace extérieure, que celle-ci vienne de l’environnement, de la civilisation humaine, qu’il s’agisse d’une maladie, d’une catastrophe naturelle ou d’un puissant ennemi ou groupe d’ennemis. La nature de cette menace va conditionner la manière dont le thème est abordé : un roman consacré à un personnage qui tente de s’échapper d’une nature hostile pour retourner à la civilisation sera radicalement différent d’un récit postapocalyptique où aucune échappatoire n’est disponible.

Une histoire de survie tend à révéler la nature profonde de des personnages : ce qui reste d’eux une fois qu’ils ont abandonné toutes leurs ressources et tous leurs espoirs. Certains exposent leur noirceur profonde, d’autres révèlent des ressources insoupçonnées.

Autres thèmes similaires : la civilisation contre la nature sauvage, l’instinct, l’apocalypse

Exemples :

« La Route » de Cormac McCarthy

« Sa majesté des mouches » de William Golding

« Seul sur Mars » d’Andy Weir

La justice

En tant que thème littéraire, la justice matérialise l’idée selon laquelle un comportement vertueux mérite une récompense, et que le vice mène à la punition. Par ailleurs, la justice est également sociale : il s’agit alors de s’intéresser au principe selon lequel tous les êtres humains ont des droits égaux et peuvent prétendre à un standard minimal de condition de vie, et à ne pas subir de mauvais traitement sans avoir commis de faute.

Les romans qui sont consacrés à ce thème cherchent donc à répondre à des questions comme « Qu’est-ce qui est juste ? », « Comment lutter contre l’injustice ? », « Qu’est-ce qui constitue une punition acceptable ? ». Ils abordent à la fois le sentiment d’être confronté à l’injustice, qui peut naître dans le cœur d’un individu, mais aussi la manière dont une société organise son système judiciaire et les punitions qui l’accompagnent.

La justice et l’injustice, il faut le noter, ne sont pas uniquement des notions liées à l’appareil juridique. Elles touchent à la philosophie, à l’éthique, à la culture, mais aussi à l’économie, partant du principe que, par exemple, la hiérarchie sociale née des inégalités de revenus peut mener elle aussi à des injustices.

Autres thèmes similaires : l’égalité, la pureté, la loyauté

Exemples :

« Germinal » d’Emile Zola

« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » de Harper Lee

« Le procès » de Franz Kafka

La guerre

J’ai déjà eu l’occasion de consacrer une quantité d’articles invraisemblable à la guerre. En tant que thème littéraire, celle-ci permet de confronter les personnages – tous les personnages – au pire événement de leur existence. La guerre voit la société toute entière, mais aussi les relations entre les êtres, la décence la plus élémentaire, et parfois l’espoir lui-même, disparaître, sans que l’on puisse savoir quand ou même si tout cela va réapparaître un jour. Parce que le conflit et la remise en question sont partout, cela en fait le thème littéraire par excellence.

Pour aborder le thème de la guerre, il n’est même pas forcément nécessaire de situer l’action du roman au cœur du conflit. On peut très bien s’en éloigner dans l’espace et s’intéresse au sort des civils, ou dans le temps et se focaliser sur la période qui précède ou qui suit un conflit armé. Un livre qui parle de la guerre ne doit d’ailleurs pas nécessairement mettre en scène la guerre, et peut très bien se contenter de l’évoquer à travers ses stigmates, ses séquelles ou ses racines.

Autres thèmes similaires : la catastrophe, la famine, la crise

Exemples :

« A l’ouest rien de nouveau » d’Erich Maria Remarque

« La guerre éternelle » de Joe Haldemann

« Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut

La famille

La famille est la plus petite forme de société humaine. Constituée d’individus unis, parfois en tout cas, par la génétique, par un vécu commun, et par une affection réciproque, elle ne constitue pas pour autant un groupe nécessairement fonctionnel. Même les familles les plus unies comprennent des membres qui ne peuvent pas se supporter, et il suffit parfois que survienne une crise, un deuil, une affaire d’argent pour découvrir que l’unité familial n’était qu’un vernis qui craquelle rapidement.

En d’autres termes : la famille rajoute une couche de complication à tous les drames humains existants, raison pour laquelle il s’agit d’un thème éminemment littéraire. La famille exacerbe les émotions : elle rend les joies partagées plus grandes, les triomphes plus doux, mais elle peut aussi transformer les peines en tragédies.

Comme toutes les histoires qui tournent autour d’une communauté, un roman dont le thème est la famille va donner l’occasion à un auteur de s’interroger sur la place de l’individu au sein de celle-ci, et des compromis qu’il doit faire pour continuer à exister. Les liens entre parents et enfants, entre frères et sœurs, qui continuent à exister même s’ils se détériorent, constituent une exception dans les relations humaines, qui mérite d’être approfondie.

Autres thèmes similaires : la transmission, la communauté, le passage à l’âge adulte

Exemples :

« Les quatre filles du Docteur March » de Louisa May Alcott

« Le Parrain » de Mario Puzzo

« Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez

13 réflexions sur “Dix thèmes

  1. Merci beaucoup pour vos billets très instructifs. Parmi les thèmes qui m’intéresse particulièrement il y a la folie et la dissociation de personnalité (thème récurrent et traité de diverses façons)
    Quel est votre avis sur ces deux thèmes ?
    Belle journée
    Khedidja

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    • Pour moi, la folie est clairement un thème au sens où je l’entends, c’est à dire l’axe philosophique qui est susceptible de nourrir chaque aspect d’un roman. En revanche, je pense que la dissociation de personnalité, c’est un peu trop spécifique et concret pour servir de thème, j’aurais tendance à penser que cela fonctionne plutôt comme un sujet de roman, mais qu’il serait délicat de construire le contenu thématique d’un récit autour d’une pathologie aussi distinctive. Pour citer un autre exemple, « l’amour », c’est un thème, mais « les applis de rencontre », c’est plutôt un sujet. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre.

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  2. Je crois que les thèmes que j’utilise le plus dans mes romans sont ceux de la lutte pour la liberté et de la recherche de la paix. Dans certains cas, on peut les rapprocher de celui de la guerre, mais dans d’autres, non. Je trouve ces combats tellement puissants et inspirants. ça m’amuse presque de voir comment je les décline dans des histoires aussi différentes les unes que les autres.

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    • C’est très intéressant. En effet, une autrice comme toi qui explore une veine thématique avec persistance et créativité peut s’en servir pour conférer une cohérence supplémentaire à son oeuvre. C’est quelque chose que j’admire beaucoup.

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