Le Monde Hurlant : un jeu de rôle

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Un jeu de rôle médiéval-fantastique gratuit et open source. Le pari est de proposer un jeu simple à apprendre, mais d’une certaine richesse, situé dans le décor de mes romans, le Monde Hurlant, mais facile à transposer dans un autre univers. Par rapport à la référence D&D, j’ai souhaité créer un jeu où les personnages, au fil de l’expérience, étendent la gamme de ce qu’ils savent faire mais sans trop gagner en puissance. Je voulais également me passer de figurines et représenter la dynamique des combats de manière moins littérale.

En octobre, mon ordinateur a cessé de fonctionner. J’ai un vieux portable qui fait l’affaire, mais il est lent et il ne permet pas de se lancer dans des travaux ambitieux, même en traitement de texte. Comme la situation s’est prolongée, j’ai décidé d’en profiter pour mener à bien un projet qui ne réclamait pas un ordinateur rapide, à savoir écrire un jeu de rôle pour mes enfants.

En tout cas, c’était l’idée de départ. Nos garçons ont déjà été initiés aux jeux de rôle avec l’excellent système Jeu de rôle Junior, mais cette option montre ses limites, et je me suis dit que pour continuer, il allait nous falloir un système de règles simples, et pourquoi pas, pendant que j’y étais, en profiter pour vivre des aventures dans le Monde Hurlant, l’univers de mes romans de fantasy « Merveilles du Monde Hurlant » et « Révolution dans le Monde Hurlant ».

Au départ, je voulais juste jouer à la première édition de L’Oeil Noir. Et puis j’ai vu une version renouvelée de L’Oeil Noir qui s’appelle L’Anneau Noir. J’ai hésité, j’ai tenté de combiner les deux, et puis j’ai eu des idées de règles supplémentaires, je me suis inspiré de plein d’autres systèmes, et puis ma volonté de jouer dans le Monde Hurlant a dicté encore d’autres adaptations, et finalement, tout ce qui reste du système original, c’est le système Attaque / Parade.

Là, je sentais que j’étais dans les ennuis. Parce que j’avais piqué le virus, et mon objectif était à présent d’intégrer dans le jeu toutes les espèces, tous les pouvoirs, tous les monstres aperçus dans mes bouquins. Et il y en a pas mal. Et pendant que j’y étais, me dis-je, pourquoi ne pas réécrire mon vieil univers D&D, celui qui a – dans les grandes lignes – servi de base au Monde Hurlant ? Et pourquoi ne pas y intégrer mes notes, celles qui m’ont permis d’établir l’univers des livres ? Et quand j’ai à nouveau bénéficié d’un ordinateur (merci à mon frère), j’en ai profité pour y ajouter toutes les illustrations réalisées au fil des années pour cet univers. Et en ajouter quelques autres.

Le résultat, c’est « Le Monde Hurlant : un jeu de rôle », et je suis presque embarrassé de constater qu’il fait plus de 300 pages. Voici la dernière version diffusée, la 0.6 :

Le Monde Hurlant – un jeu de rôle 0.6

Nouvelle version 0.6 (septembre 2025, corrections majeures et mineures, une nouvelle espèce (l’Humain du Monde Muet), nouvelles règles sur le remix des classes de personnages (trois nouvelles classes : l’Occultiste, l’Hérétique et le Maître-d’armes), 36 sorts et capacités de personnages supplémentaires (principalement chez les Mystiques, Prêtres, Champions et Dévoyés), quelques illustrations supplémentaires).

Le Monde Hurlant – un jeu de rôle 0.5

Nouvelle version 0.5 (janvier 2025, corrections majeures et mineures, règles sur les jets opposés, le combat à deux mains et les activités hors-aventures, rajout d’une créature, la sirène des marais, quatre nouvelles illustrations)

Le Monde Hurlant – un jeu de rôle 0.4

Nouvelle version 0.4 (janvier 2024, corrections mineures, nouvelles conditions de partage, règles sur les égrégores, rajout d’une créature, l’icorne)

Le Monde Hurlant – un jeu de rôle

Voilà la première version diffusée, la 0.3.

Et j’en profite pour vous proposer la feuille de personnage :

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Et un écran sommaire pour résumer les principaux points de règles :

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Sentez-vous libres de le télécharger, de le lire, d’y jouer et toutes ces choses réjouissantes. Fondamentalement, c’est un truc que j’ai fait pour mes proches et pour moi. La présente version n’est pas définitive. Elle a besoin d’être relue, testée, la mise en page est simple, et si je la destinais au grand public, ça serait illustré très différemment. Mais ça fait le boulot que je m’étais fixé au départ, et puis si vous avez lu mes romans et que vous avez envie de savoir ce qui se cache derrière un nom de pays ou de créature cité à la sauvette, probablement que vous trouverez des pages et des pages d’explication. Peut-être que je posterai ici d’autres versions dans l’avenir, même si je vais à nouveau me concentrer sur la littérature. Si vous avez des remarques, en tout cas, elles sont les bienvenues et j’en tiendrai compte pour les futures corrections.

Les quatre espèces d’auteurs

Il n’y a pas deux types d’auteurs, comme j’ai eu l’occasion de le clamer ici. Il n’y a pas non plus trois types d’auteurs, malgré ce que j’ai pu moi-même prétendre. Même si la volonté d’établir une typologie de celles et ceux qui prennent la plume est compréhensible et même utile, cela doit se faire au nom d’une meilleur compréhension de l’acte créatif, et pas dans le but d’établir des repères identitaires vides de sens.

Comme je l’ai argumenté dans un billet précédent, certains romanciers ont tendance à prendre les catégories de « Jardinier » et d’« Architecte » au pied de la lettre, et à les traiter comme les classes de personnages de Donjons & Dragons. On serait Jardinier comme on est Barde ou Druide, avec les possibilités et les limitations que cela suppose. Ces classifications seraient des panoplies prêtes à l’emploi, qu’il nous suffit d’endosser. Rien n’est plus éloigné de la vérité, pourtant. La réalité est plus complexe et plus raffinée, et ce n’est pas en la réduisant jusqu’à l’absurde que l’on s’en approchera.

D’ailleurs, qui a décrété que la manière d’écrire était le critère à utiliser pour ranger les auteurs dans diverses catégories ? Et si, à la place, on avait choisi de s’intéresser aux raisons qui poussent les romanciers à écrire, plutôt qu’à leur approche de l’acte d’écriture ? Au « pourquoi » plutôt qu’au « comment » ? On aurait accouché d’une autre typologie, ni plus, ni moins pratique. D’un côté, on aurait donc des « types » ou des « classes » d’auteurs, d’un autre, pour pousser jusqu’au bout la métaphore rôlistique, on aurait des « espèces » ou des « races » d’auteurs.

Tout cela n’est pas très subtil. Mais peut-être qu’en superposant ces deux grilles de lectures, on pourrait commencer à porter sur la caractérisation des auteurs un regard plus nuancé, et donc plus affuté. Après tout, si vous prenez, d’un côté, les trois types d’auteurs que j’ai eu l’occasion de décrire, et que vous les croisez avec les quatre espèces d’auteurs que je passe en revue ici, vous obtenez déjà douze catégories distinctes, et vous entrevoyez à quel point la réalité est plus complexe et plus intéressante que cela.

Un Bricoleur Viscéral (comme je le suis la plupart du temps) a la même légitimité à prendre la plume qu’un Architecte Spirituel, mais ce qui se passe dans sa tête lorsqu’il accouche d’une histoire peut être complètement différent. En prenant note de ces distinctions, et des dégradés qui se situent entre elles, cette typologie apparaît pour ce qu’elle est : une béquille pour la pensée, plutôt qu’un substitut à celle-ci. En cherchant à se caractériser, un auteur va en apprendre un peu sur lui-même, mais également, du moins je l’espère, prendre conscience que la singularité de sa démarche n’est pas facile à enfermer derrière une paire d’adjectifs.

Qu’est-ce qui distingue les quatre espèces d’auteurs, tels que je vous propose de les répertorier ? Tout simplement le point d’origine de leur élan vers l’écriture : la tête, le cœur, les tripes, ou rien de tout cela. Cela constitue donc quatre familles, que je détaille ci-dessous. À laquelle appartenez-vous ? À vous de lancer le débat, ci-dessous.

Les Cérébraux

« Mon but de romancier est de rendre cette épouvantable réalité intelligible », a expliqué John le Carré. Pour un auteur Cérébral, pour commencer, l’écriture a un but, et celui-ci est exprimable et quantifiable, en plus d’avoir des effets tangibles dans le monde réel.

Ce que les auteurs qui appartiennent à cette espèce tirent de l’écriture, c’est de la satisfaction : celle d’avoir, patiemment, au prix d’efforts, obtenu un effet délibéré. C’est le sentiment que l’on obtient lorsque l’on assemble un énorme puzzle ou que l’on résout un problème mathématique.

Les Cérébraux sont des alchimistes, qui apprécient de transmuter un concept en réalité, une idée en roman. Pour eux, écrire est un défi intellectuel. C’est quelque chose d’utile, de pratique, une mécanique qui peut être perfectionnée à l’infini, grâce à énormément de travail, mais également d’une démarche qui consiste à chercher à comprendre comment on écrit, et de quelle manière on pourrait améliorer ce processus. Ils font la grimace quand on essaye de les convaincre que la vérité objective n’a que rarement sa place en art.

Au fond, on peut diviser cette espèce d’auteur en deux sous-embranchements, dont les finalités sont différentes. Les premiers, à l’image de John le Carré, voient dans l’écriture un outil de compréhension du réel. Pour eux, la fiction est la loupe qui rend visible le fonctionnement du monde qui nous entoure. En l’améliorant, on s’approche toujours plus près de la substance véritable de la condition humaine, dans une démarche qui rappelle celle des scientifiques, des naturalistes.

Le second type d’auteurs Cérébraux rassemble de grands formalistes. Ils voient l’écriture comme une mécanique d’horlogerie, qui peut être analysée objectivement, comprise et améliorée jusqu’à la perfection. Ils écrivent donc pour apprendre à mieux écrire, et pour améliorer constamment leur maîtrise technique de leur art, dans un cycle sans fin.

Les Émotionnels

« Pourquoi est-ce que j’écris ? Parce que j’aime ça », a répondu Christine Angot, interrogée par la revue « Papiers. » Les auteurs Émotionnels peuvent différer sur bien des aspects, mais ils se rejoignent sur un plan : ils écrivent par goût, par passion, parce que cela leur procure des sensations agréables, qu’il s’agit de leur passe-temps préféré.

Pour un Émotionnel, la conséquence de l’acte d’écrire, c’est le plaisir, c’est cela qu’ils recherchent et qui les pousse en avant. Écrire les rend joyeux, leur change les idées, leur permet d’échapper à leur quotidien, les divertit, les amuse. La récompense est immédiate et instantanément satisfaisante. Ils écrivent pour la même raison que certains jouent au tennis, se bronzent sur les plages ou jouent de la clarinette : parce que ça leur plaît.

La médaille a son revers, cela dit. En quête de leur dose de plaisir, certains d’entre eux fuient autant que possible tous les aspects plus rébarbatifs de l’existence de femme ou d’homme de lettres, ce qui fait qu’il peut leur arriver de manquer de motivation, parce que lors des moments difficiles de la rédaction d’un roman, le plaisir n’est pas toujours au rendez-vous.

Tous les Émotionnels ne trouvent pas le plaisir dans les mêmes aspects de l’écriture. Ils peuvent même être très spécialisés. Certains membres de cette espèce apprécient de jouer avec les mots, leur rythme et leur sonorité, et d’explorer la poétique du langage. D’autres sont passionnés par leurs personnages, aiment entrer dans leur tête, comprendre comment ils fonctionnent, les confronter les uns aux autres, jusqu’à, parfois, les considérer – presque – comme des proches. Il y a également des romanciers qui appartiennent à cette famille parce qu’ils ont tant aimé une œuvre littéraire qu’ils cherchent à reproduire à travers l’écriture leur plaisir de lecteurs. Ceux-là sont souvent auteurs de fan fiction ou de pastiches, proches de l’original ou savamment revisités.

Les Viscéraux

« J’écris parce que j’ai dès mon enfance éprouvé le besoin de m’exprimer et que je ressens un malaise quand je ne le fais pas. » À l’image de Georges Simenon, les auteurs Viscéraux expriment parce qu’ils en ressentent le besoin.

On le comprend bien, un romancier qui appartient à cette espèce obtient du soulagement en échange de ses efforts. Elle ou il a l’écriture qui la démange : c’est une compulsion, une obligation, comme le fait de respirer ou de s’alimenter. On ne peut pas dire que les auteurs Viscéraux aiment réellement écrire : plutôt, ils souffrent de ne pas le faire. Si les circonstances les privent de la possibilité de créer par ce biais, ils asphyxient, puis s’étiolent. En tout cas ils font la grimace.

Bien sûr, il s’agit d’une motivation en creux : un Viscéral, c’est quelqu’un qui ne supporte pas de ne pas écrire, mais qui peut parfois manquer d’un réel intérêt pour le faire. Au nom de la satisfaction de leur besoin, ils peuvent se contenter d’histoires imparfaites, voire bâclées, se sentant moins concernés par la qualité du résultat final que par le fait que le processus de création ait eu lieu.

Tous, bien entendu, ne ressentent pas ce besoin d’écrire pour les mêmes raisons. Certains produisent tant d’idées que celles-ci s’accumulent dans leur cerveau et finissent par sentir le moisi si elles ne trouvent pas une vie sur le papier. D’autres ressentent la nécessité de prendre la plume parce que cela leur permet de matérialiser des émotions qui sont enfouies en eux, et cela contribue donc à leur bonne santé mentale. Il y en a aussi qui voient dans le fait de donner vie à des personnages une manière de faire vivre les voix dans leur tête, les différents aspects de leur personnalité et de se réconcilier avec elles.

Les Spirituels

Charles Bukowski l’a très bien résumé : « Si je savais pourquoi j’écris, je n’en serais sûrement plus capable. » Pour un Spirituel, l’acte d’écriture est un mystère, et plus on cherche à le comprendre, plus on s’éloigne de la vérité. Dans leur cas, l’écriture est vécue soit comme une routine, soit comme une quête, en tous les cas comme un cycle sans fin, qui n’est pas destiné à connaître de dénouement. Le point d’interrogation, toujours situé à la fin de la question « Pourquoi est-ce que j’écris ? » constitue pour eux la plus essentielle des motivations.

Le point faible des Spirituels, c’est leur immobilisme. Ils peuvent produire des œuvres d’une grande beauté, mais leur démarche artistique est nécessairement statique, puisqu’ils refusent de s’interroger sur sa nature, et donc de se diriger vers tout changement ou progrès, quel qu’en soit la nature. Ils pratiquent une écriture en suspension, ni analytique, ni existentielle.

Au fond, on peut distinguer deux grandes sous-catégories d’auteurs Spirituels : les premiers sont en communication avec l’indicible. Selon eux, il y a quelque chose d’inexprimable dans la démarche d’un artiste, et chercher à le comprendre est vain, et même contreproductif. De la même manière que seule la pratique du bouddhisme permet d’en comprendre les principes, ils considèrent qu’il n’y a qu’en écrivant que l’on comprend pourquoi l’on écrit, et ce discernement disparait le plus souvent au moment où l’on pose la plume.

Pour la seconde sous-catégorie, il y a quelque chose de magique dans l’écriture, et pour cette raison, ils refusent de jeter sur elle un regard analytique. Au fond, ils ne savent pas pourquoi ils écrivent, et ils ne veulent pas le savoir. Certains peuvent même réagir avec colère lorsque l’on cherche à lever à leur place un coin du mystère. Il est tout à fait possible qu’ils appartiennent en réalité à une des trois autres catégories, mais prennent leurs distances avec toute forme de typologie, de peur de casser la machine.

Critique : Mythic Odysseys of Theros

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Dans le monde de Theros, des héros forgent leur propre légende et tentent de s’attirer les bonnes grâces d’un panthéon de Dieux querelleurs et jaloux. Ce décor de campagne pour le jeu de rôle « Donjons & Dragons » s’inspire de la mythologie grecque… jusqu’à un certain point.

Titre : Mythic Odysseys of Theros

Auteur: Wizards of the Coast

Éditeur: Wizards of the Coast (vo)

Ce n’est pas dans mes habitudes de rédiger ou de publier ici des critiques de matériel de jeu de rôle. Premièrement, ce n’est pas le sujet de ce blog. Deuxièmement, même si je garde un œil sur la production rôlistique, je ne joue plus depuis des années.

Cela dit, je fais une exception aujourd’hui, parce que je pense que l’évocation de ce livre peut intriguer tous les auteurs qui s’intéressent au worldbuilding et plus généralement à la construction d’un décor de roman.

« Mythic Odysseys of Theros » est un univers de campagne destiné à la cinquième édition du jeu de rôle « Donjons & Dragons », qui est tiré d’un univers créé à la base pour le jeu de cartes à collectionner « Magic : L’Assemblée », publié par le même éditeur. Il s’agit d’un produit singulier, puisqu’il propose la description d’un univers de fiction largement inspiré de la mythologie et de l’histoire grecque, qui en reprend les codes, certains éléments narratifs, et tente d’en refléter l’ambiance, mais en recréant tout cela de zéro, plutôt que de se servir directement des personnages, lieux et histoires connus de tous.

On a donc affaire à un ersatz : Theros n’est pas la Grèce, mais elle y ressemble énormément, en plus vaste et plus flamboyant. On y trouve la trace que l’inconscient collectif a conservé des cités-États grecques, mais remodelée, reformulée, avec, par exemple, une ville nommée Meletis qui tient – plus ou moins – le rôle d’Athènes. Ce monde-là est peuplé d’humains, mais aussi de centaures, de satyres, ou encore de minotaures, qui ont eux aussi leurs terres natales et leur culture.

TherosOdyssey

Quant aux Dieux, ce ne sont pas les Olympiens auxquels nous sommes accoutumés. Ici, il n’y a pas de Zeus, d’Apollon ou d’Artemis. À leur place, on trouve des figures aux noms différents, mais qui leur ressemblent énormément. On serait bien en peine de dénicher des différences fondamentales entre Demeter et Karametra, son homologue sur Theros.

Par contre, certaines figures du panthéon ne trouveraient pas leur place aussi facilement parmi les Olympiens. Heliod, le dieu du soleil, est un amalgame psychorigide d’Apollon et de Zeus. Et on cherchera en vain un équivalent de Mars, le dieu grec de la guerre. À la place, Theros propose deux divinités aux philosophies rivales : Iroas, le dieu-centaure de la victoire, et Mogis, le dieu-minotaure du massacre. On mentionnera encore que Theros n’a pas d’équivalent d’Hermes, mais qu’il inclut Phenax, une sorte de version grecque du dieu scandinave Loki.

Ces figures divines jouent un rôle de premier plan dans les aventures que les joueurs qui utilisent ce livre vont vivre. On meurt pour elles, on se bat pour elles, on exécute des quêtes épiques en leur nom. Des mécaniques de jeu permettent d’imiter assez efficacement le type de récits épiques hérités de l’époque des aèdes.

Mais à la lecture de ce livre habilement rédigé et richement illustré, on est saisi par une question : pourquoi diable ne pas simplement avoir utilisé les dieux grecs ? Même si l’un des deux est en bronze et l’autre pas, qu’est-ce que Purphoros, le dieu de la forge de Theros, permet d’accomplir narrativement que son équivalent hellénique Hephaïstos ne permet pas ?

Il y a vraisemblablement plusieurs réponses à cette question, qui vont du registre le plus cynique au plus convaincant. Pour commencer, il est aisé de s’en rendre compte, proposer une Grèce remodelée permet à l’éditeur Wizards of the Coast de posséder complètement la propriété intellectuelle ainsi produite. Pour le dire crûment : ils peuvent sortir des autocollants et des lunch-box à l’effigie de Heliod et encaisser tous les bénéfices, alors que s’ils faisaient la même chose avec Apollon, rien n’empêcherait la concurrence de marcher sur leurs plates-bandes, puisque le personnage est dans le domaine public.

Deuxième considération qui a peu à voir avec un souci de créativité : zapper les originaux et les remplacer par des copies permet d’esquiver des débats qui auraient à coup sûr surgi à la publication, tels que des accusations d’appropriation culturelle ou des querelles d’experts qui n’apprécient pas la manière dont l’éditeur a retranscrit l’histoire ou la mythologie grecque. Là, Wizards peut clamer, avec hypocrisie mais tout de même : « Ah mais non, Thassa, déesse de la mer, n’a rien à voir avec Poseidon, je ne sais pas de quoi vous parlez, laissez-moi tranquille ou j’appelle la police. »

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Et puis les mythes grecs, il faut s’en rappeler, n’ont pas été créés pour tous les publics. En particulier, les aventures extramaritales de Zeus seraient peut-être difficiles à justifier vis-à-vis d’un public américain prompt à s’offusquer de toutes sortes de choses. Les dieux de Theros, plus sages, ont moins tendance à semer leur progéniture dans tous les coins. Là, on est tranquilles. On s’ennuie un peu, mais on est tranquilles.

Pour se montrer un peu moins sarcastique, le fait que les auteurs fassent le choix d’ignorer les aspects les moins modernes du monde antique permet l’univers présenté dans cet ouvrage d’inclure sans limites ni distinction les personnages de tous les genres et de toutes les origines. Ce n’est peut-être pas complètement raccord avec la vérité historique, mais cela permet d’incarner ou de mettre en scène des femmes qui commandent des régiments ou des philosophes qui ont toutes les couleurs de peau imaginables.

Par ailleurs, en-dehors de ces considérations fondées sur le marketing, proposer un ersatz de Grèce antique ouvre également des perspectives créatives intéressantes.

Déjà, comme je l’ai expliqué, les dieux de Theros, mais également les cultures, les nations, ne sont pas de simples décalques de leurs modèles grecs. Parfois, le décor de campagne prend même des distances vertigineuses avec la mythologie. Une cité-État labyrinthique peuplée de minotaures, des hordes de morts-vivants masqués qui s’échappent de l’enfer, des îles mouvantes, une peuplade de lions anthropomorphes qui vivent dans le désert : voilà autant d’idées propres à Theros, qui seraient plus délicates à insérer dans un livre fidèle à la tradition. Les auteurs se permettent tout et signalent ainsi aux meneurs de jeu qu’ils peuvent faire de même.

Il en découle une grande liberté. Il n’y a pas de tabou, pas de retenue à avoir par rapport à l’héritage culturel de la Grèce antique. Envie de tuer un Dieu ? D’en ajouter un ? Tenté par l’idée de détruire une ville par une catastrophe naturelle ? Ou d’ajouter à Theros une île, inspirée de l’Atlantide, mais peuplée d’êtres aux étranges pouvoirs ? Et si vos versions locales de Platon et Protagoras étaient des magiciens ? Comme ce n’est pas la Grèce, tout cela s’insérera sans peine dans vos histoires.

DD-Satyr

En plus de cette liberté, l’approche singulière de Theros offre davantage d’égalité du point de vue de la culture générale. Parmi les joueuses et les joueurs de D&D, tous n’ont pas une connaissance encyclopédique de la mythologie. En réinventant tout cela, tout le monde se retrouve sur un pied d’égalité : celle qui sait tout au sujet de l’histoire de Sparte ne va pas faire dérailler la partie par des digressions, puisque sur Theros, Sparte n’existe pas. Ou en tout cas, pas exactement. Le décor de campagne est plus hospitalier, plus facile d’accès que ne le serait un livre consacré à la Grèce.

Ce qui le rend également plus ouvert au grand public, c’est que Theros est une version simplifiée de la Grèce, optimisée pour le jeu. Ici, l’histoire complexe du Péloponnèse est condensée dans un temps, mythique, rendue plus claire, plus facile à assimiler, sans avoir à trahir une réalité historique. De la même manière, les relations entre les Dieux, leurs hiérarchies internes, les détails de leurs origines et de leurs ministères, sont bien plus simples dans le monde de Theros qu’elles ne le seraient dans un ouvrage consacré à la mythologie. C’est de la pop-mythologie.

Enfin, d’une certaine manière, on pourrait argumenter que la voie choisie par les concepteurs de ce livre est presque une obligation. Theros a été conçu pour Magic, un jeu où les participants campent des voyageurs dimensionnels dotés de capacités extraordinaires, et il est ici adapté pour D&D, où les joueurs incarnent des magiciens, des moines, des bardes et autres druides. Dans un cas comme dans l’autre, on se trouve déjà à mille lieues de la Grèce antique. Prendre ses distances avec le modèle permet de parvenir plus élégamment à un mélange entre la mythologie et les éléments hérités du jeu.

Au final, « Mythic Odysseys of Theros » est un supplément de jeu de rôle très réussi. Il parvient à évoquer une ambiance très spécifique et à la marier aux contraintes du jeu auquel il est destiné. En ce qui concerne les auteurs qui œuvreraient dans le domaine de la fantasy ou de l’uchronie, il peut également fournir un exemple d’une manière très pragmatique de résoudre une équation complexe entre source d’inspiration et nécessités pratiques. À quel point doit-on se rapprocher ou s’éloigner de nos sources d’inspiration ? Peut-on puiser dans les œuvres du domaine public ? Leur doit-on une certaine fidélité ou peut-on s’autoriser à les réinventer complètement ? Quels sont les critères qui permettent de prendre ce type de décision esthétique ? Theros offre un exemple de réponse à ces questions que peuvent se poser de nombreux auteurs.

Les Farandriens, une race pour D&D 5e

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Quelque chose d’un peu différent cette semaine. Constatant qu’il y avait des quantités invraisemblables de travail préparatoires qui dormaient sur mon disque dur, en rapport avec mon univers de fantasy steampunk du Monde Hurlant, et ayant eu l’envie de m’y replonger, je me suis dit qu’il serait amusant d’en partager une petite partie avec mes lecteurs, sous une forme ludique.

J’ai donc eu l’idée de créer une race pour Donjons et Dragons, cinquième édition. Un document qui peut être utilisé de trois manières: pour les joueurs, il peut effectivement servir de base à un personnage de jeu de rôle, pour mes lecteurs, il présente quelques informations inédites qui peuvent être intéressantes, et pour les curieux… eh bien c’est une curiosité.

Si cette idée a du succès, peut-être que j’appliquerai le même principe à d’autres races de mon univers, comme les Lithiques, les Prismates ou les Farandriens. Donc si ça vous plaît, manifestez-vous.

Le document au format pdf est ici, bonne découverte:

Les Farandriens