Écrire la bataille

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Après avoir brossé un portrait de la guerre en tant qu’élément générateur de worldbuilding dans un roman, après avoir approfondi la question pour réfléchir à ses implications, je vous propose à présent de descendre d’un cran dans la hiérarchie temporelle et géographique d’un conflit, pour nous intéresser à la manière dont un romancier peut raconter un de ses sanglants épisodes, j’ai nommé la bataille.

Une bataille, c’est un engagement militaire entre deux ou davantage de camps, qui est limité à un lieu et à un moment donné. Une bataille a lieu dans un endroit précis – une plaine, un plateau, un village – et se déroule dans un intervalle précis, de quelques minutes à quelques jours. Le nombre de soldats varie selon les circonstances et les époques, de quelques dizaines à des dizaines de milliers. En principe, l’engagement se termine lorsqu’un des camps se rend, s’enfuit ou subit des pertes si considérables que ses forces n’existent plus. Une série de batailles s’appelle une campagne.

Travaux préparatoires

Écrire une scène de bataille – ou un ensemble de scènes de cette nature – est une tâche délicate pour un auteur, qui peut vite s’embourber dans la confusion, ou crouler sous une profusion de détails. Pour éviter d’en arriver là, il est donc crucial de se poser un certain nombre de questions avant de rédiger quoi que ce soit.

Plus vous aurez les idées claires sur les acteurs et l’environnement de cet engagement militaire, plus il sera facile de le décrire avec clarté, même si vous n’utilisez pas explicitement tous les détails que vous avez accumulés. C’est un des rares exemples ou un worldbuilding détaillé est salutaire et ne mène pas à une perte de temps, donc si vous faites partie des auteurs qui aiment collecter une foule de notes, faites-vous plaisir, cette fois-ci, ça pourrait être très utile.

Pour commencer, il faut savoir quelles sont les forces en présence : y a-t-il deux ou davantage de camps ? Des armées de coalition, composées de soldats issus de milieux très différents, éventuellement sous des commandements différents ? Combien sont-ils ? Quelle est leur composition approximative, entre l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie, le soutien, l’aviation et tout autre corps représenté sur le champ de bataille ? Qui donne les ordres ? Est-il possible qu’ils reçoivent des renforts en cours de combat, ou que certains éléments fuient le champ de bataille ? Il n’est pas indispensable de communiquer tous ces éléments au lecteur, mais certaines de ces informations pourront avoir une résonance en cours de bataille. Par exemple, si une armée a une cavalerie et l’autre non, cela aura une influence sur le déroulement des événements.

Il faut également se demander ce que les armées en présence font là. Pourquoi se rencontrent-elles sur le champ de bataille ? Est-ce délibéré de la part de tous les commandements en présence, est-ce une décision stratégique unilatérale d’un seul des camps, qui aura par exemple demandé à ses troupes d’intercepter l’armée adverse ? Les deux camps se sont-ils rencontrés par hasard à cet endroit ? Et pourquoi est-ce que c’est à cet endroit précis et à ce moment que les hostilités éclatent ?

Il est crucial d’avoir en tête les objectifs stratégiques que poursuivent les commandants impliqués dans cette action. Chacun d’entre eux doit avoir en tête une condition de victoire et une condition de défaite, peut-être même une estimation des pertes acceptables. Il ne s’agit pas nécessairement d’une stratégie longuement échafaudée : l’officier qui dirige une escouade qui vient de se faire surprendre par une armée supérieure en nombre n’aura à cœur que de briser l’engagement et de quitter le champ de bataille aussi vite que possible, avec des pertes aussi légères que possible. Mais parfois, la bataille s’inscrit dans des plans de campagne détaillés, et comprend des objectifs primaires (la prise d’un village, l’annihilation de l’artillerie adverse) et secondaires (la capture d’un officier précis, la collecte d’information sur les nouvelles armes ennemies). En général, je conseille de rendre ces objectifs explicites pour le lecteur, qui comprendra plus facilement ce que les belligérants essayent de faire : ça rend toute la scène plus claire et plus poignante.

Pour les généraux, ces objectifs correspondent à des ordres qu’ils ont reçus, mais pour vous l’auteur, les objectifs stratégiques sont autant d’enjeux dramatiques : il est important de savoir ce que les camps en présence essayent de faire, mais également ce que ça va apporter à votre histoire, et les conséquences qu’aura la bataille sur votre intrigue et sur vos personnages. Si la situation ne change pas fondamentalement entre le début et la fin de l’engagement, à quoi bon consacrer des pages au combat ? Une bataille doit être un événement déterminant, dramatique, où certains personnages meurent et d’autres évoluent ou dévoilent des facettes d’eux-mêmes qui sont inattendues.

Le lieu où se situe le combat est important, et je conseille, non, je vous implore d’esquisser une carte pour que vous ayez les idées claires dès le départ. S’agit-il d’une plaine ? Y a-t-il aussi des collines ou des reliefs ? Existe-t-il des endroits où se cacher avant la bataille, comme des bois ou des ruines, ou des lieux où un camp pourrait essayer de se disperser lors de sa fuite, comme des marais ? Y a-t-il des traces de civilisation à proximité : villages, routes, lignes électriques, château, canaux ? Où se situent les troupes au début de l’engagement ? Jetez un coup d’œil aux lieux où se sont déroulées les grandes batailles de l’histoire, et vous comprendrez vite que la géographie est déterminante. Par ailleurs, plus vous avez les idées claires à ce sujet, plus vous communiquerez les choses clairement au lecteur.

S’interroger sur le lieu, c’est aussi se poser des questions sur l’environnement et sur les conditions du combat : un sol boueux, de la neige, la pluie qui se met à tomber en pleine bataille, des glissements de terrain, des inondations, peuvent avoir une influence déterminante sur l’issue de l’engagement. Réfléchissez également aux différents terrains qui composent le champ de bataille, et aux conséquences qu’ils peuvent avoir sur le combat : si les canons adverses risquent de s’ensabler dans des dunes, un général pourra tenter de manœuvrer pour qu’ils aillent s’y perdre.

Raconter la bataille

Un conseil très important à garder à l’esprit, si la bataille constitue un des moments forts de votre roman, c’est de consacrer du temps, et donc des pages, à tout ce qui précède la bataille : la préparation des hostilités, les conversations entre les personnages au sujet du combat qui s’annonce, les adieux, les larmes, les espoirs… Je dirais même que plus la veillée d’arme est longuement racontée, plus l’impact émotionnel des événements sera grand. Pensez à cette phase comme l’occasion d’accumuler des munitions émotionnelles que vous pourrez ensuite tirer pendant la bataille.

Avant l’engagement, prenez le temps de présenter au lecteur l’état d’esprit de vos personnages ; faites peu à peu monter la tension, puis la terreur, alors que la bataille s’approche ; rendez explicite ce que vos protagonistes craignent de perdre dans le combat : leur vie, leurs amis, la guerre, voire l’avenir de la civilisation toute entière ; ponctuez cette phase de scènes consacrées à certains de vos personnages, en particulier ceux que vous avez prévu de tuer lors de la bataille : plus ils apparaîtront comme attachants juste avant l’engagement, plus leur mort sera ressentie comme cruelle. Oui, c’est de la manipulation émotionnelle.

Cette phase sert à augmenter l’anticipation du lecteur, jusqu’à ce que ça soit presque insupportable : au moment où les hostilités éclatent, il doit craindre pour les personnages présents, et partager leur inquiétude au sujet d’une éventuelle défaite. Au fond, il s’agit des mécanismes du suspense, mais généralisés à tous les acteurs présents sur le champ de bataille.

En ce qui concerne la bataille en elle-même, je vous recommande de prévoir un déroulement précis, au besoin en le traçant directement sur votre carte : vous y noterez les différentes étapes, les mouvements de troupes, les offensives, les contre-offensives, les renforts et les surprises de dernière minute. Il est également important d’y relever le parcours de vos personnages, en particulier s’il est très différent des points forts de la bataille. Attention : à moins que vous souhaitiez noircir des centaines de pages à décrire des mouvements de troupe, ne prévoyez pas d’innombrables rebondissements dans votre bataille. Si vous alignez trois à cinq événements majeurs, ça sera généralement plus que suffisant.

Construire votre bataille en amont, savoir qui fait quoi et à quel moment, pour quelle raison, ce qu’ils peuvent voir autour d’eux, le temps que prennent leurs déplacements, va vous aider à écrire la scène de bataille sans trop de difficultés. Au moment de rédiger, cela dit, n’oubliez pas que le lecteur n’a pas vu votre plan et ne sait rien de vos intentions : votre travail, c’est donc de lui faire comprendre aussi clairement que possible ce qui se passe au cours de la bataille.

Arrêtons-nous un instant sur cette notion de clarté : votre mission, en tant qu’auteur d’une scène de bataille, c’est de vous assurer que pour chaque mouvement de troupe, chaque offensive et contre-offensive, chaque événement marquant de la bataille, le lecteur comprenne qui sont les troupes impliquées, d’où elles viennent et où elles vont, quel type d’armes elles utilisent, quel effet cela a sur les troupes adverses et quelles pertes elles subissent elles-mêmes. Pas besoin d’ensevelir le texte sous des détails stratégiques, mais il est important d’éviter à tout prix la confusion. Il faut aussi parvenir à faire comprendre les intentions stratégiques des officiers, ce qu’ils espèrent obtenir et si oui ou non, ils parviennent à leurs fins. Il existe une certaine marge pour se montrer ambigu, par exemple en décrivant l’action, mais en ne révélant le plan des généraux qu’après coup, afin de ménager le suspense, mais en règle générale, dans un domaine aussi propice à la confusion qu’une bataille, tout doit être limpide et se lire sans efforts. Une exception notable est le récit de bataille à la première personne, sur lequel je vais revenir.

En plus du plan, il peut être utile de fractionner votre bataille en plusieurs actes : la montée de la tension, que j’ai déjà mentionnée, les premiers engagements, le gros de la bataille, le dénouement et les conséquences du combat. Procéder de cette manière vous permet de bénéficier d’un découpage qui favorise la tension dramatique et qui offre différents niveaux d’intensité. Selon vos thèmes et vos intentions, l’une ou l’autre de ces phases pourra prendre plus ou moins d’importance et occuper plus ou moins de place. Il est tout à fait concevable, par exemple, de rédiger une scène de combat qui passe rapidement sur les faits d’armes pour se concentrer plus longuement sur le sort des victimes, une fois la bataille terminée.

Une bataille peut constituer la partie la plus émotionnellement intense de votre roman, l’apogée de votre intrigue, si on utilise la terminologie de la pyramide de Freytag. Si vous le souhaitez, elle peut avoir un impact sur tous les personnages qui y participent, et constituer pour eux un tournant. Certains d’entre eux vont mourir, d’autres vont être blessés, d’autres encore vont être durablement traumatisés par ce dont ils vont faire l’expérience, ou vivre des événements qui vont transformer leurs motivations, en leur donnant par exemple des envies de vengeance. Un personnage peut aussi être transformé de manière positive par une bataille : ce sera le cas par exemple si à cette occasion il réalise son plein potentiel, s’il acquiert des certitudes au sujet de ses priorités et de ses objectifs, ou si ses faits d’armes lui valent d’obtenir une réputation héroïque qu’il n’avait pas auparavant. Si l’un de vos personnages ressort de la bataille sans être changé, c’est du gâchis.

Rédiger la bataille

Vos choix narratifs ont une influence considérable sur la forme que va prendre la bataille au sein de votre récit.

C’est le cas en particulier de la focalisation. Tout ce que j’ai mentionné jusqu’ici est principalement valable pour une bataille qui serait racontée à la troisième personne. Pour comprendre les différents actes d’un engagement militaire, comment ils s’inscrivent sur le champ de bataille, il faut du recul, et ce n’est qu’en découvrant les faits à travers l’œil d’un narrateur omniscient et extérieur au conflit que l’on va parvenir à atteindre le niveau de clarté maximal. Si la stratégie et l’articulation dramatique de la bataille sont importantes pour vous, c’est probablement ce type de narration qui va vous être utile. Par contre, le résultat risque d’être un peu clinique, loin de la violence et de la peur du champ de bataille.

La focalisation à la troisième personne avec des points de vue multiple offre un bon compromis entre la clarté de la narration et l’implication émotionnelle des protagonistes et du lecteur. Elle consiste à raconter le combat à-travers un certain nombre de personnages qui y participent : soldats des deux camps, héros, soigneurs, généraux, civils, etc… De cette manière, vous pouvez raconter votre bataille sous la forme de vignettes, centrées sur l’expérience subjective de vos personnages-point-de-vue, ce qui vous permet de construire une narration poignante, mais en incluant le point de vue des stratèges et des officiers, vous pouvez aisément expliquer au lecteur ce qui se passe sur le champ de bataille.

Troisième option, la narration à la première personne vous amène à raconter la bataille à travers l’expérience d’un narrateur unique, plongé dans les événements. Il s’agit de l’option la plus émotionnellement viscérale et sans doute la plus réaliste, pour qui veut découvrir les horreurs de la guerre, mais elle bute sur une limite indépassable : tout ce qui ne se déroule pas dans le champ de vision de votre narrateur ne peut pas être raconté. Et si celui-ci est un troufion, il ne connaît rien de la stratégie de ses supérieurs et il est possible qu’il ne comprenne rien à ce qu’il voit. Une telle scène de bataille risque d’être confuse, mais si votre seule ambition est de rendre compte du cheminement de votre protagoniste, elle peut être l’option la plus adaptée.

Deux mots du temps de verbe. Par définition, le récit au passé est celui qui vous donne la flexibilité dont vous avez besoin pour raconter le déroulement de votre bataille. Il est possible de raconter une bataille au présent, mais cela va vous donner moins d’options et compliquer la rédaction de cette partie de votre roman. Paradoxalement, l’utilisation du présent risque de créer une distance émotionnelle entre les événements et vos personnages, ce qui n’est pas nécessairement l’effet souhaité. À moins de la coupler avec une narration à la première personne et de jouer à fond la carte de la subjectivité, ce n’est probablement pas la meilleure option.

La bataille, si vous le souhaitez, peut fonctionner comme un roman dans le roman, une miniature des enjeux et des préoccupations de votre histoire. C’est le cas en particulier d’un point de vue thématique : les thèmes de votre roman, vous allez les retrouver dans votre bataille. Réfléchissez à la manière dont ils pourraient trouver leur place dans les événements que vous décrivez. Si votre histoire parle d’honneur, décidez lesquels des protagonistes de votre bataille vont se comporter de manière honorable ou déshonorable.

⏩ La semaine prochaine: La bataille terrestre

 

Apprends à écrire

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On y est. Nous y voilà. C’est le centième article posté sur ce blog, en-dehors des critiques, des interviews et d’autres billets secondaires, et donc il est plus que temps pour moi, en ce lieu consacré à l’écriture, de me mettre à vous apprendre à écrire.

Je vous taquine. Bien sûr, vous savez déjà écrire. Pour certains d’entre vous, vous savez à peu près, comme moi, avec de grosses lacunes à combler et une belle marge de progression. D’autres s’en sortent bien mieux, que ce soit grâce à leur travail ou à leur talent, et d’autres encore sont des surdoués qui savent tous et ont tous les talents – que faites-vous sur ce blog, au fait ?

En réalité, j’aurais dû intituler ce billet « Apprends à apprendre à écrire. » Parce que oui, en littérature, comme dans toutes les autres formes d’expression artistique, il y a toujours des choses à perfectionner, des techniques à découvrir, des compétences à parfaire. Apprendre est un processus qui ne cesse qu’avec la mort. Vous souhaitez être auteur, pourquoi ne pas avoir l’ambition de devenir le meilleur auteur que vous puissiez être ?

Certains auteurs, qui ne manquent pas une occasion de défendre leur point de vue sur les réseaux, ne souscrivent pas à ce point de vue. Pour eux, la littérature est quelque chose de si personnel qu’elle échappe à tout jugement de valeur. Ils estiment que chacun doit être libre d’écrire ce qu’il veut et comme il veut, qu’il n’existe aucune règle à suivre, et que toute tentative de corriger, de conseiller un auteur, ou simplement d’émettre un point de vue est une violation de sa créativité personnelle, accueillie dès lors avec hostilité.

Selon moi, ceux qui pensent cela ont à la fois raison et tort.

Ils ont raison parce que oui, chaque personne qui écrit procède comme elle veut, choisit les mots qu’elle veut, traite les thèmes qu’elle veut et met en scène les thèmes qu’elle veut pour raconter les histoires qu’elle veut, auxquelles elle donne la structure qu’elle veut. En littérature, il n’y a pas de lois, il n’y a pas de crime, et si le but poursuivi se limite au simple plaisir d’écrire, pour son épanouissement personnel, sans chercher la satisfaction des lecteurs, personne n’a quoi que ce soit à y redire. Quand mes enfants prennent place devant le clavier d’un piano et frappent les touches au hasard, juste pour éprouver la satisfaction de faire naître des sons, je ne les gronde pas sous prétexte qu’ils ne connaissent rien au solfège.

Par contre, ce qu’ils produisent n’est pas de la musique, et ce que produirait un auteur qui écrirait n’importe comment, sans rime ni raison, ne serait pas de la littérature.

Quand Ornette Coleman a inventé le free jazz, il a commencé par prendre le temps d’étudier attentivement la théorie musicale et l’harmonie. Au final, il a fait naître un type de musique que les non-initiés auront peut-être du mal à distinguer des tâtonnements aléatoires de mes enfants, mais pour y parvenir, Coleman a dû oublier une quantité considérable de techniques et d’informations sur la musique, dans le but de s’en affranchir et de créer quelque chose de nouveau, délibérément. La liberté, mais en pleine connaissance des lois de la musique.

Un peu de la même manière, Jackson Pollock a commencé par étudier de manière très formelle la peinture murale, la sculpture et les arts folkloriques amérindiens avant de mettre sur pied, en pleine conscience, une peinture expressionniste basée sur des jets de peinture sur la toile, qui semblent aléatoire. Comme Ornette Coleman, Pollock savait exactement ce qu’il faisait, quelles règles il avait l’intention de respecter, et quelles autres il souhaitait oublier.

On le voit bien à la lumière de ces exemples : ce n’est pas un hasard si le mot « art » vient du latin « ars », qui signifie « habileté, connaissance technique. » L’art, ça n’est pas seulement faire tout ce qui nous passe par la tête. C’est s’appuyer sur le travail de celles et ceux qui nous ont précédé pour raffiner son expression, la perfectionner, lui donner la meilleure forme possible. La littérature ne fait pas exception.

Si vous écrivez, vous êtes dans la même situation que moi : des dizaines de milliers d’auteurs sont meilleurs que vous. La probabilité que vous soyez un prodige, dont l’œuvre est une germination spontanée, inégalée et imperfectible, est très proche de zéro. Dans le passé, des génies en ont oublié plus sur la littérature en un mois que vous n’en apprendrez pendant toute votre vie. Pourquoi ne pas se hisser sur les épaules de ces géants pour, grâce à eux, voir un peu plus loin ?

Oui, l’humilité, c’est aussi, parfois, une qualité qui peut aider un auteur.

Jetez donc un œil attentif aux différents conseils que l’on peut trouver au sujet de la littérature. Pour l’essentiel, ils se recoupent assez souvent. Apprenez à charpenter une intrigue, ce que c’est qu’un personnage, à quoi sert un thème, comment se débrouiller avec l’exposition. Prenez connaissance de quelques principes célèbres de l’écriture, comme « Montrer plutôt que raconter », « Tue tes chouchous » ou encore le fameux « Fusil de Tchekhov. » Jetez un coup d’œil à ma liste d’articles : j’ai abordé la plupart de ces sujets. D’autres que moi en ont parlé et en parlent encore, mieux ou différemment.

Ces principes, ces techniques, existent parce qu’ils fonctionnent. Ils ont été mis à l’épreuve par des milliers de romanciers, dans des milliers de romans, et ont donné de bons résultats. Comme le contrepoint ou la théorie des couleurs, dans d’autres arts, elles constituent des bases solides sur lesquelles vous pouvez asseoir votre créativité et en libérer tout le potentiel.

Toutes ces règles, prenez en connaissance, apprivoisez-les, essayez-les, tordez-les, ignorez-les si vous le devez. Il ne s’agit pas des commandes d’un langage informatique : ce sont des suggestions, des sentiers tracés dans la jungle de la créativité, qui permettent de se repérer et de tracer son propre chemin. D’autres cultures, d’autres époques, avaient une esthétique différente et avaient foi en d’autres règles, et même les créateurs d’aujourd’hui s’autorisent à tordre le cou aux vaches sacrées, au besoin : les mythes antiques n’ont ni descriptions, ni dialogues ; les contes n’ont rien qu’on puisse réellement identifier comme des personnages ; il existe apparemment des feuilletons chinois comme « Doupo Cangqiong » dans lesquels chaque personnage est partie prenante dans quatre ou cinq intrigues différentes, ce qui paraît un peu confus à nos yeux d’occidentaux ; lorsque le scénariste Russel T. Davies a repris la série britannique « Doctor Who », il a délibérément piétiné la règle du « fusil de Tchekhov » à plusieurs reprises, sortant des révélations de son chapeau, parce qu’il estimait que parfois, la surprise doit l’emporter sur la construction dramatique.

Bref, les lois de la littérature sont davantage un genre de lignes de conduite que de véritables règles. Mais elles ne sont pas arbitraires pour autant et ne sortent pas de nulle part. S’astreindre à les suivre, c’est bien souvent un moyen de repérer les failles d’un texte et de parvenir à les combler, bref, de mieux écrire, et de satisfaire encore plus les lecteurs.

Si vous avez l’ambition d’ignorer une de ces règles, de la trahir ou de la modifier, ne le faites pas par ignorance, mais en toute connaissance de cause, en anticipant ce que cette décision aura comme conséquences sur votre texte, afin de produire l’effet que vous désirez. Oui, on peut très bien rédiger une histoire sans personnages, sans dialogue, sans structure, sans thème, ou tout est raconté et où l’action est constamment interrompue pour laisser la place à de l’exposition, mais il faut le faire délibérément. Et si votre texte ne fonctionne pas, s’il est bancal, s’il est incompréhensible ou déplaît aux lecteurs, reprenez-le et demandez-vous si certaines des lois que vous avez choisi de briser n’étaient pas, finalement, nécessaires.

⏩ La semaine prochaine: Apprends à accepter la critique

Écrire le sexe

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On fait davantage l’amour dans la réalité que dans les livres.

Ce constat peut paraître paradoxal : après tout, la littérature pourrait sembler être par excellence le lieu d’accomplissement de tous les fantasmes, mais en s’y penchant de près, on réalise que ce n’est pas tout à fait le cas. Oui, on assassine bien davantage entre les pages que dans la vie de tous les jours, mais il n’en va pas de même pour le sexe.

Alors que la sexualité fait partie de la vie de tous les jours, qu’il s’agit d’une activité à laquelle tous les adultes s’adonnent avec plus ou moins de régularité, il y a des genres entiers de la littérature qui ne l’évoquent pas du tout, ou de manière très allusive, et où quoi que ce soit de trop explicite paraîtrait terriblement déplacé. Au fond, par bien des aspects, la littérature traite la vie sexuelle un peu comme elle traite tout ce qui se passe aux toilettes : on sait que ça existe mais on n’a pas particulièrement envie de s’attarder là-dessus.

Existe-t-il un puritanisme en littérature?

En théorie, écrire une étreinte de manière explicite dans un texte destiné à des lecteurs adultes devrait être la chose la plus naturelle du monde, mais, à moins que l’on se situe dans un genre qui réserve au sexe la première place, comme la littérature érotique ou certaines romances, ce type de scène est souvent absent. Les lecteurs, comme les éditeurs, et bien souvent, les auteurs eux-mêmes, n’ont pas envie de voir ça : ils jugent ces scènes trop intimes, trop explicites, et suspectent ceux qui les écrivent de ne chercher qu’à exciter le lecteur à bon compte.

Comme l’a écrit G.R.R. Martin:

« Je peux décrire une hache fracassant un crâne humain dans les moindres détails et personne ne s’en souciera. Si je rédige une description tout aussi détaillée d’un pénis rentrant dans un vagin, je reçois des lettres de lecteurs mécontents. Pour moi, c’est frustrant, c’est de la folie. Au bout du compte, un pénis rentrant dans un vagin représente quelque chose qui a donné beaucoup de plaisir à beaucoup de gens. Les haches dans les crânes, pas tellement. »

Faut-il comprendre qu’il existe un puritanisme en littérature ? Sommes-nous choqués par le déploiement de l’intimité dans la sphère littéraire ? La voit-t-on comme de la pornographie ? Ou alors la sexualité est-elle considérée comme une partie si ordinaire, si répétitive de l’existence qu’elle ne revêt, aux yeux de certains lecteurs, aucun intérêt littéraire ?

Quelle qu’en soit la raison, prendre en compte la sexualité dans un roman doit tenir compte de cette retenue. Chaque romancier, mais aussi chaque maison d’édition, va devoir trouver la bonne manière d’en tenir compte.

La plus simple, c’est naturellement de renoncer complètement aux scènes de sexe, ou d’ailleurs à toute mention de la sexualité. On raconte des histoires qui se focalisent sur d’autres parties de l’expérience humaine, et on laisse de côté tout ce qui se passer au-dessous de la ceinture. C’est évidemment un choix respectable, même si on peut considérer qu’il laisse de côté un pan significatif de nos existences.

On s’éloigne pudiquement du sexe alors qu’on s’attarde sur la violence

Autre option très populaire : les personnages ont une vie sexuelle, mais ils ne la partagent pas avec les lecteurs. Dès que deux individus, dans un livre, sont sur le point de devenir intimes, le narrateur ne décrit rien du tout, il s’éloigne pudiquement et le chapitre se termine abruptement, laissant le lecteur se charger d’imaginer l’étreinte. Il s’agit d’une option popularisée par des séries télévisées, ou un solo de saxophone et un fondu au noir étaient chargés de faire comprendre au téléspectateur qu’il allait se passer un truc sexy et qu’il n’était pas invité à rester.

Cette solution a le mérite de régler le problème : elle dote les personnages d’une vie sexuelle tout en préservant les lecteurs qui ne souhaitent pas la partager avec eux. Cette chaste discrétion, toutefois, ne rend que plus criante la différence de traitement entre le sexe et la violence : on s’éloigne pudiquement du premier alors qu’on n’hésite pas à s’attarder sur la seconde.

Dans ces circonstances, des auteurs moins timorés peuvent décider de s’attarder un peu plus longtemps dans la chambre à coucher et de traiter les relations sexuelles avec la même attention que le reste de leur narratif. Pour y parvenir, il existe différentes approches. La plus courante consiste à adopter un vocabulaire riche en métaphores, afin d’éviter d’avoir à décrire trop explicitement les différents organes et la manière dont on s’en sert. L’auteur renonce donc à ce registre anatomique et parle, à la place, de « feux d’artifices », de « tremblements de terre » et de « petite mort. »

On bascule dans une surenchère qui frise le surréalisme

L’avantage de cette solution, c’est qu’elle s’évite la fausse pudeur et qu’elle s’attache au ressenti des personnages. L’écueil, c’est que cela peut vite tourner au ridicule. À force de comparer l’extase à tout et à n’importe quoi, à faire usage de métaphores tellement alambiquées qu’elles semblent sorties de nulle part, on bascule dans une surenchère qui frise le surréalisme.

Depuis 1993, la revue littéraire britannique Literary Review décerne chaque année son « Bad Sex in Fiction Award », ou « Trophée du mauvais sexe en fiction. » Ce trophée à forte valeur sarcastique montre du doigt les auteurs dont la plume s’est emportée, en souhaitant écrire une scène de sexe, vers les rivages du risible.

Voici un extrait du roman primé en 2018, « Katerina » de James Frey:

Aveuglant époustouflant tremblant accablant explosif blanc Seigneur je jouis en elle ma bite palpite nous gémissons tous deux yeux cœurs âmes corps un seul.

Du coup, certains auteurs, pour faire passer une scène de sexe, sont tentés de faire exactement l’inverse : l’écrire sans affect, de manière sobre, clinique et descriptive, façon Nouveau Roman, sans rien qui puisse passer pour une métaphore ou quoi que ce soit de trop excitant. Cette option fonctionne très bien pour décrire le sexe triste, rongé par le quotidien et la monotonie, mais est bien trop terne pour être utilisée dans un autre contexte. Le sexe sans émotion, sans joie, ça n’est – heureusement – pas le schéma classique.

Et puis il y a toujours l’option de l’érotisme : décrire un accouplement dans le but délibéré d’exciter le lecteur. Il s’agit d’une démarche qui a l’avantage de l’honnêteté, mais qui risque de ployer sous le poids de l’emphase et des descriptions survitaminées. En choisissant cette voie, contrairement à l’option précédente, on renouera avec le côté jubilatoire de la sexualité, mais on quittera le domaine du réel pour balancer dans celui du fantasme, ce qui conviendra, en réalité, à très peu de styles de livres. Il vaut mieux conserver cette possibilité pour la littérature érotique proprement dite, aux romances épicées, au New Adult et aux autres genres qui cherchent à émoustiller.

La clé est d’écrire le sexe avec la même intégrité que n’importe quelle autre scène

Au fond, entre une scène de sexe centrée sur l’émotion, sur les faits ou sur les fantasmes, la première option reste la meilleure, mais uniquement si l’on prend garde de ne pas verser dans l’excès. La clé est de l’écrire avec la même intégrité que n’importe quelle autre scène : les personnages restent tels qu’ils sont dans le reste du roman, avec leur personnalité et leurs autres traits distinctifs ; la scène ne constitue pas une interruption de l’intrigue, mais en fait partie intégrante, avec la même importance pour le narratif que n’importe quelle autre scène ; il faut s’interdire la gratuité, et veiller à ce que la scène serve un but, qu’elle fasse progresser les enjeux internes ou externes du livre.

Une scène de sexe réussie est une scène dans laquelle les personnages conservent leur personnalité et leur dignité, et qu’on ne pourrait pas couper du narratif sans rendre celui-ci incompréhensible. Il faut aussi qu’elle soit mémorable, distincte de toute les autres scènes du même genre. Pour y parvenir, une bonne manière de procéder est d’oublier quelques instants que l’on a affaire à des pénis et des vagins, et de se rappeler qu’il y a aussi des personnages, un lieu, un vécu, des circonstances.

Lorsque deux personnages couchent ensemble, en particulier pour la première fois, tout peut être potentiellement significatif : un mot prononcé, le ton de la voix, un geste, une hésitation.

Il ne s’agit pas de faire un cours d’anatomie, mais de raconter un moment partagé entre deux individus. Dans cette perspective, toute occasion qui permet d’interrompre l’action ou de changer le rythme est la bienvenue : les complications autour du préservatif, une sonnerie de téléphone, le chat qui débarque dans la pièce, un bruit de moteur, un fou rire, bref, tous ces moments où le réel vient se mêler au fantasme, où l’on improvise, tâtonne, se trompe, rigole, recommence, bref, tout ce qui confère à l’acte de la vraisemblance émotionnelle, voilà ce qui peut changer une scène de sexe banale en quelque chose de mémorable.

⏩ La semaine prochaine: Éléments de décor – le pouvoir

 

Écrire les adolescents

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Plus des enfants, pas encore des adultes : le vingtième siècle a inventé cet âge intermédiaire qu’on appelle l’adolescence. Si vous souhaitez incorporer dans votre roman des personnages qui en sont à ce stade de leur évolution, il y a quelques conseils qui peuvent vous mener vers davantage d’authenticité et de vraisemblance.

Naturellement, il serait absurde de prétendre que tous les adolescents sont taillés dans le même moule, ou que certaines règles s’appliquent à chacun d’entre eux. Cela dit, ils traversent, chacun à leur manière, des épreuves qui les transforment, et qui vont les façonner jusqu’à ce qu’ils deviennent des adultes, et cela signifie que certains grands principes peuvent s’appliquer à la plupart d’entre eux.

J’ai tendance à définir un adolescent comme un « teenager », soit de thirteen à nineteen, de 13 à 19 ans. Mais pour être réaliste, il faut admettre que les frontières de cet âge sont floues. Les circonstances forcent certains à être catapultés dans le monde des adolescents dès 10 ou 11 ans, en particulier les filles, dont la puberté précoce peut les confronter parfois aux regards déplacés des messieurs. À l’inverse, certains individus passent des années à tenter d’émerger du marasme qu’est l’adolescence, ont du mal à prendre le contrôle de leur propre vie, et peuvent être considérés comme de grands ados jusqu’à trente ans, voire même davantage. À vous de voir où se situent les limites selon vos propres définitions.

Chaque adolescent est un individu

Avant de s’intéresser à ce que les ados peuvent avoir en commun, il est utile de rappeler que, comme les enfants, ils sont avant toute chose des êtres singuliers, qu’on ne peut pas aisément classer dans une catégorie ou une autre.

Oui, nous avons tous en tête des profils qui nous paraissent correspondre à l’adolescence : le rebelle, le geek, le sportif… Mais dans la vie réelle les adolescents sont compliqués et plein de paradoxes. Pour créer des personnages d’ados convaincants, voyez-les en premier lieu comme des personnages, pas comme des ados. Contentez-vous de rendre compte de leurs actions et de leurs pensées, en faisant en sorte qu’elles soient cohérentes avec l’idée que vous en avez, et sans trop vous préoccuper de savoir si le résultat ressemble à l’idée que vous vous faites d’un individu qui traverse cette période de sa vie. Les personnages, comme les gens, ne devraient pas être définis par des étiquettes simplistes.

Souvenez-vous de votre propre jeunesse, et vous réaliserez qu’il est rare qu’un adolescent corresponde à 100% à un cliché. Et si la grande sportive parlait quatre langues et jouait du violon ? Et si la personne la plus populaire du lycée était un type bizarroïde et pas cool du tout, mais qui s’attire la sympathie des gens parce qu’il est drôle et toujours prêt à aider ? Et si un personnage d’adolescent homosexuel était parfaitement à l’aise avec son identité (et très branché foot) ?

Les adolescents sont en cours de construction

Qui suis-je ? Que vais-je devenir ? Qui va m’aimer ? Voilà trois questions que se posent de nombreux adolescents, avec plus ou moins de force. Simple curiosité indolore pour certains, ces interrogations peuvent engendrer des douleurs existentielles terribles chez d’autres.

Fondamentalement, un adolescent, c’est quelqu’un qui se trouve à un carrefour de son existence : il a assimilé les bases de la vie pendant son enfance, et il doit prendre les décisions qui vont lui permettre d’affirmer qui il est et ce qu’il veut faire lors de la prochaine étape. Certains le vivent très bien et ont les idées claires ; d’autres se sentent déchirés, parce que ce qu’ils découvrent à leur sujet leur paraît difficile à accepter ; certains rentrent dans leur carapace, en espérant que toutes ces angoisses existentielles vont disparaître s’ils cessent d’y accorder leur attention ; d’autres encore recherchent activement à en apprendre le plus possible à leur sujet, en multipliant les expériences en tous genres ; on peut encore citer le cas de ceux qui choisissent de se réfugier dans le sarcasme et l’ironie, pour ne pas avoir à s’approcher trop près des émotions qui leur font mal.

Les adolescents sont en pleine métamorphose. Leur corps change, et si parfois ça se passe bien, d’autres fois, c’est difficile à vivre. Il y en a qui attrapent des boutons sur le visage ; certains deviennent gros, parce que leur corps cesse d’accepter la manière dont ils se nourrissent ; certaines filles se retrouvent affublées d’une poitrine qui leur attire plus d’embêtements que de satisfaction ; il y a des jeunes qui deviennent physiquement séduisants et qui ne savent pas comment se comporter à ce sujet, ou qui changent brutalement, modifiant leurs priorités en fonction du regard des autres.

Transformation physique et psychologique vont de pair. Parfois elles se combinent, parfois elles s’annulent. En plus, la jeunesse est l’âge où la plupart des gens commencent à apprivoiser leur sexualité, généralement sans avoir toutes les clés, même s’ils ont été bien accompagnés par leurs parents et leurs proches. C’est l’âge des tâtonnements, des expériences, des erreurs, des triomphes.

Les adolescents cherchent les limites

La métamorphose que traversent les adolescents n’est pas qu’intérieure. Elle est aussi sociale. Ils doivent trouver leur place dans une société qui existe déjà, qui ne va pas ralentir pour leur faciliter la vie, et qui, bien souvent, se méfie de leur spontanéité et de leur émotivité.

De nombreux adolescents traversent donc cette période en procédant à des expériences sociopsychologiques. Non pas qu’ils le conçoivent de cette manière, mais dans les faits, c’est bien cela qu’ils font en cherchant, en de nombreuses occasions, les limites de ce qui est acceptable. Il y a des ados qui défient l’autorité de leurs parents, tâtant le terrain pour chercher les points de rupture ou pour élargir les frontières de ce qui est autorisé ; certains procèdent de la même manière avec d’autres individus qui incarnent l’autorité : professeurs, policiers, coach ; il y en a qui n’adoptent pas une posture de défi, mais dont la passivité constitue une bravade en elle-même : ils ne font rien, passent leur temps à dormir, ne rangent pas leur chambre, ne font pas de projets.

Si vous incluez des personnages d’adolescents dans un roman, demandez-vous s’ils vont les trouver, ces limites, qui va les leur fixer, sous quelle forme, et ce qui risque de se passer dans leur tête si personne n’est là pour leur dire « Stop. »

Les adolescents ne sont pas autonomes

Un adolescent n’est plus un enfant, mais en général, il habite tout de même chez ses parents, et dépend du cadre familial pour toutes sortes de choses importantes : argent, nourriture, lessive, soutien, logis, etc…

Sauf exception, un personnage d’adolescent, ça n’est pas un individu autonome, libre de prendre ses propres décisions sans attaches, mais une pièce rapportée d’un ensemble plus large. Lorsqu’on crée ce genre de personnage, il faut donc penser à son environnement familial, à ce que celui-ci lui apporte ou ne lui apporte pas, et au rôle que celui-ci joue dans son quotidien.

Tout est important pour un adolescent

Si les enfants manquent de perspective pour comprendre le monde autour d’eux, les adolescents manquent de vécu pour juger de l’importance réelle des choses. Un revers, un échec, un espoir qui serait ressenti comme anodin par un adulte peut, dans certaines circonstances, être perçu comme une tragédie d’une magnitude considérablement plus grande par un adolescent. Une fois de plus, ça n’est pas un manque d’intelligence et de discernement de leur part : simplement, avant un certain âge, on a rarement accumulé suffisamment d’expérience de vie pour savoir classer avec justesse ce qui est grave et ce qui est juste préoccupant.

Un jeune a rarement cette patine, et dès lors, tout est important pour lui, tout lui tient à cœur, tout arrive constamment au rang numéro un de ses priorités. S’il a une peine de cœur, c’est la pire de tous les temps ; s’il embrasse une cause, c’est la plus importante de l’univers ; s’il est victime d’une injustice, il s’agit de la plus criante de toute son existence.

Cela ne veut pas dire nécessairement que votre personnage d’adolescent va se donner en spectacle : certaines personnes sont des introvertis, et il n’est pas rare que les jeunes, pour préserver leurs émotions, les enrobent dans une épaisse couche de cynisme ou de léthargie pour ne pas avoir à s’y frotter de manière trop étroite.

Les adolescents sont rarement stupides, rarement géniaux

Comme les enfants, les adolescents ne doivent pas être dépeints comme diminués intellectuellement par le simple fait qu’ils sont jeunes. Une relative inexpérience ne dit rien sur l’intelligence d’un individu, elle ne fait qu’illustrer que celui-ci a moins de références qu’il peut rapporter à la présente situation. L’âge d’un individu a peu à voir avec ses capacités cérébrales, en général.

Par le même principe, un adolescent a peu de chance d’être un petit génie. Pour ne citer que cet exemple, le cliché du jeune geek qui comprend tout en informatique a peut-être quelques racines dans la réalité, mais en général il est utilisé par des auteurs adultes qui ne comprennent rien au hacking et qui l’associent automatiquement à la jeunesse, sans trop réfléchir aux implications que cela peut avoir.

Les adolescents pensent peu à l’avenir et aux conséquences de leurs actions

Un adolescent, bien souvent, c’est quelqu’un qui ne s’est pas encore pris beaucoup de baffes de l’existence : il n’a pas pleuré beaucoup de gens qu’il aimait, il n’a pas vu de longues histoires d’amour et de longues amitiés se fissurer puis disparaître, il n’a pas été atteint par une maladie qui l’oblige à prendre un traitement pendant des mois. Bref : il n’a pas acquis une conscience aiguë de sa condition de mortel, et n’a pas développé une conscience du temps qui passe.

De ce fait, de nombreux jeunes ont du mal à se projeter dans l’avenir, et surtout, à envisager que leurs décisions, leurs actes puissent avoir des répercussions pendant des années. Si certains d’entre eux peuvent paraître irresponsables, jouant avec leur santé, leur vie, leur sécurité, c’est parce qu’ils n’ont jamais eu à payer le prix de leurs erreurs et qu’ils vivent dans l’illusion qu’ils n’auront jamais à le faire. L’adolescence n’est pas l’âge de la prudence.

Les adolescents n’ont pas la même perception du temps que les adultes

De manière générale, un jeune ne verra pas défiler les jours à la même vitesse qu’une grande personne. Pour lui, ceux-ci passent beaucoup plus lentement.

Si un adulte devait revivre le lycée, ces quelques années passeraient relativement vite pour lui ; pour un adolescent, c’est toute sa vie. Il a l’impression que le début du semestre est survenu il y a un siècle, et quand il se projette vers l’avenir, l’idée qu’il puisse un jour entrer dans la vie active lui semble tellement lointaine qu’elle est difficile à croire. Lorsqu’il attend un événement avec impatience, les jours s’étirent à l’infini, et l’attente est une agonie. Pourquoi se hâter à faire quoi que ce soit, dans ces conditions ? L’adolescent agira quand il agira, rien ne presse.

Les adolescents sont tribaux

Un adolescent n’est pas qu’un individu. On l’a vu, il dépend de ses parents. Et la manière dont il organise sa vie sociale est également différente de celle des adultes. En pleine construction, il va chercher à s’entourer de jeunes qui lui ressemblent, qui ont les mêmes centres d’intérêt que lui, qui traversent les mêmes difficultés ou qui ont commis les mêmes erreurs.

Grâce à ce réseau, cette tribu dans laquelle l’adolescent s’inscrit, il bénéficie d’un groupe dans lequel il se sent à la fois normal, et unique. Oui, les membres de son clan lui renvoient une image proche de la sienne, ce qui lui montre qu’il n’est pas une erreur, un monstre, mais qu’il en existe bel et bien d’autres comme lui ; et en même temps, les membres de la tribu vont se servir de ce qu’ils ont en commun, le revendiquer, l’exacerber pour crier à la face du monde qu’ils sont différents. Pour un adolescent, c’est paradoxal, la socialisation est à la fois une manière de se construire comme individu et de se fondre dans le moule.

Naturellement, rien n’est simple et un même adolescent pourra s’inscrire dans plusieurs cercles sociaux en même temps, qui pourront même paraître contradictoires.

Le langage des adolescents

Comme avec les enfants, un auteur qui a l’ambition de mettre en scène des personnages d’adolescents serait bien inspiré d’écouter un peu comment ceux-ci parlent lorsqu’ils sont entre eux. Le premier constat, c’est que leurs dialogues n’ont rien de caricatural : en règle générale, un adolescent s’exprimera exactement comme un adulte, dans une situation identique. Lorsqu’ils sont en cercle fermé, ils vont parfois pratiquer une langue plus relâchée, et la ponctuer de termes à la mode, auxquels certains d’entre eux sont très perméables, mais ceux-ci ne vont pas intervenir tous les trois mots, ni même dans chaque phrase.

Ce qui rend le langage d’un personnage adolescent authentique, c’est quand ce qu’il dit correspond à ce qu’on sait de lui, comme pour n’importe quel autre personnage. Vouloir « jeunifier » les dialogues de vos personnages ados en y incluant ce que vous percevez comme des mots à la mode est voué à l’échec. Premièrement, la plupart des jeunes ne s’en servent pas autant qu’on le pense ; deuxièmement, ces mots seront devenus complètement ringards d’ici à ce que votre livre soit imprimé.

⏩ La semaine prochaine: La littérature jeunesse

Écrire les enfants

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Dans un billet précédent, je me suis intéressé aux différentes manières de se servir de l’enfance et des enfants dans le cadre du décor, du thème, de l’intrigue et des personnages d’un roman. Ce que je n’ai pas fait, et qui pourtant peut se montrer très utile pour les romanciers, c’est de me pencher sur les meilleurs moyens de créer et de faire vivre sur la page des personnages d’enfants.

Même pour celles et ceux qui ont l’habitude de côtoyer des personnes mineures, soit dans leur famille, soit dans leur environnement socio-professionnel, leur donner vie dans un texte romanesque peut se révéler être un défi épineux. Créer un personnage d’enfant, c’est s’exposer à différents pièges dans lesquels il est facile de tomber. On perçoit tous de manière intuitive qu’un enfant, c’est un être différent d’un adulte, mais il n’est pas toujours facile d’articuler ces différences, ni d’ailleurs de constater les points communs. En créant un personnage enfantin, on aura tôt fait de tomber dans la caricature, ou de quitter le registre réaliste, jusqu’à créer des personnages qui ne ressemblent à aucun être humain connu.

Les conseils ci-dessous doivent vous permettre d’éviter les principaux écueils, tout en créant une vaste gamme de personnages d’enfants différents les uns des autres.

Chaque enfant est un individu

Ça peut sembler évident de le postuler de cette manière, mais c’est pourtant le conseil le plus utile que l’on puisse délivrer à leur sujet : les personnages d’enfants sont des individus, exactement dans les mêmes proportions que les personnages d’adultes. « Enfant » n’est pas un descriptif psychologique qui permette de comprendre quelqu’un, pas plus que « Femme » ou « Danois » : il y a autant de différence de tempérament entre deux enfants qu’il y en a entre n’importe quels autres membres de l’espèce humaine.

Il vous suffit de vous souvenir de votre propre enfance pour réaliser que chacun, dès son plus jeune âge, a un caractère bien à lui, des priorités différentes, une certaine manière de s’exprimer, des choses qu’il aime ou qu’il déteste, etc… Les règles ordinaires qui s’appliquent aux autres personnages de roman s’appliquent aussi aux personnages enfants, et s’en rendre compte permet d’éviter un certain nombre d’ornières dans lesquels tombent certains auteurs.

Chaque enfant poursuit des buts qui lui sont propres

Même si les enfants, pour la plupart, ne sont pas maîtres de leur destin et ne prennent pas eux-mêmes la plupart des décisions qui régissent leur quotidien, cela ne signifie pas qu’ils traversent l’existence comme des automates, sans espoirs ni aspirations spécifiques. Comme les personnages adultes, les enfants poursuivent des buts. En réalité, on pourrait même dire que la réalisation de leurs buts leur tient plus à cœur et les motive davantage que les adultes, et qu’ils ont moins tendance que ces derniers à laisser l’échec ou la réalité les décourager.

Qu’ils soient poussés en avant par l’envie de courir dans tous les sens, de se déguiser, de dessiner ou alors qu’ils aient des aspirations plus sérieuses, liées aux circonstances de leur existence, comme le souhait de vivre dans une famille harmonieuse, de faire taire ceux qui les harcèlent ou de visiter le pays de leurs origines, les enfants sont des créatures animées par leurs souhaits. Ceux-ci peuvent être durables ou éphémères, mais pour écrire un personnage d’enfant de manière convaincante, garder à l’esprit le but que celui-ci poursuit est un passage obligé.

Résistez à l’envie de les rendre mignons

C’est la nature qui nous programme à trouver les enfants mignons et à les protéger. Comme toujours, il y a des exceptions, mais en principe, n’importe quel mammifère adulte va parvenir à reconnaître n’importe quel petit de mammifère, de son espèce ou d’une autre, et dans certains cas va même prendre soin de lui.

Ce n’est pas une raison pour tenter de recréer cette émotion en littérature. L’instinct de protection qui envahit la plupart d’entre nous en présence d’un petit d’homme est une réaction viscérale, mais cela ne signifie pas que tout chez les enfants est mignon et prétexte à l’émerveillement. Traitez-les comme n’importe quel autre personnage et ne faites pas particulièrement d’efforts pour émouvoir vos lecteurs par leur entremise. S’ils sont touchants, ce sont les circonstances qui en décideront ainsi. Sans cela, vos personnages d’enfants ne seront guère plus que des pantins sans substance.

Les enfants sont rarement stupides, rarement géniaux

Si vous n’avez pas l’habitude de côtoyer des enfants, il est possible que vous pensiez qu’ils sont un peu idiots. Ce n’est pas le cas. En règle générale, les enfants ne sont pas du tout plus bêtes que les adultes, si on définit l’intelligence comme la capacité de trouver des solutions lorsqu’on est confronté à une situation nouvelle. Ils peuvent avoir d’autres traits qui peuvent être interprétés comme des défauts intellectuels (voir ci-dessous), mais pas un manque d’intelligence.

Dans vos romans, évitez donc d’écrire des scènes où des enfants sont incapables de comprendre des choses simples, de mener des raisonnements de base, ou d’assimiler ce qui se trouve juste devant eux. Ce n’est pas ainsi que ça marche.

À l’inverse, évitez également les personnages de petits génies, dont les facultés dépassent de loin celles des adultes. À moins qu’il existe une explication, les enfants sont aussi intelligents que les grandes personnes, ni plus, ni moins.

Les enfants manquent de perspective

Elle est là, la véritable faille cognitive des enfants : ils manquent d’expérience de vie. Forcément, me direz-vous, quand on a six ans, on peut difficilement avoir autant de bouteille que quand on en a quarante.

C’est ça qui peut parfois donner l’impression qu’ils ont des difficultés de compréhension : il leur manque la perspective pour relier les concepts les uns aux autres et saisir leur importance. Plus un enfant est petit, moins il pourra s’appuyer sur son vécu pour tirer les bonnes conclusions.

Exemple : qui sont les policiers et en quoi consiste leur travail ? Un tout petit enfant comprendra sans doute qu’ils sont chargés d’arrêter les méchants, mais aura du mal à saisir les tenants et les aboutissants de cette occupation. En grandissant, il acquerra davantage de connaissances, jusqu’à avoir une idée plus claire de la journée-type d’un membre des forces de l’ordre. Ensuite, à l’adolescence, le cynisme et les expériences personnelles lui donneront peut-être un point de vue plus critique vis-à-vis de la profession. Cela dit, à chaque âge, si l’on prend la peine de lui expliquer les choses dans le détail, il pourra sans doute saisir l’essentiel.

Les enfants ressentent les émotions autrement

Pour un enfant, tout est important. Faire la part des choses ne figure généralement pas dans ses priorités. S’il estime avoir été victime d’une injustice, être incompris ou généralement vivre une situation désagréable, il ne manquera pas de le faire savoir. Tous ne l’expriment pas de la même manière, mais en général, toutes les douleurs sont absolues pour un enfant, en particulier les plus jeunes d’entre eux, quitte à laisser de côté la raison et la tempérance.

Alors qu’un adulte apprendra à faire l’inventaire des désagréments, et à donner à chacun d’entre eux sa juste place, un enfant risque de se laisser envahir par le chagrin, et de donner à celui-ci une forme explosive. Au contraire, certains se terrent dans le mutisme ou se font fuyants. En général, si un personnage d’enfant était adulte, une bonne partie de ses réactions seraient considérée comme excessive.

L’imagination et les enfants

Comme l’a si brillamment démontré Boulet dans un de ses « Carnets », la fabuleuse imagination des enfants tient davantage du mythe que de la réalité. En réalité, comme toute personne qui a déjà eu l’occasion de côtoyer des enfants peut en attester, ceux-ci ne sont pas ces merveilleuses éponges à fantaisie, jamais rassasiés de féerie et d’idées neuves : ce qui leur plaît, c’est la répétition des choses familières. Fondamentalement, un enfant, c’est quelqu’un qui peut regarder « Cars » ou « La Reine des Neiges » trente fois de suite. Et si on leur demande d’inventer quelque chose de neuf, la plupart du temps, ils vont combiner des éléments et des personnages connus.

En particulier, c’est ce qu’on observe dès qu’ils sont scolarisés. L’école est le ferment du conformisme. Les très jeunes enfants, au contraire, sont capables de générer des associations d’idées aléatoires en flux continu, qui tiennent moins d’un imaginaire structuré que d’un rêve enfiévré.

Bref, c’est à retenir quand on souhaite mettre en scène des personnages mineurs : ceux-ci sont des consommateurs gourmands d’imaginaire, mais rarement des producteurs.

Le langage des enfants

En ce qui concerne la conversation de tous les jours, les enfants ne parlent pas de manière très différente des adultes. Si vous demandez à une fille de onze ans ce qu’elle a mangé à midi, sa description va beaucoup ressembler, du point de vue du vocabulaire, à un récit similaire produit par sa maman de quarante ans.

Les principales différences résident plutôt dans la construction du discours : un enfant, comme il manque de perspective, a davantage de mal qu’un adulte à hiérarchiser les informations les plus pertinentes. Bien souvent, il les livres pèle-mêle, sans les classer ni les connecter les unes aux autres. En grandissant, il apprendra progressivement à structurer ses propos.

Pour le reste, quand on écrit les dialogues d’un personnage mineur, les règles ne sont pas très différentes de celles d’un personnage majeur : n’abusez pas de ses particularités. Évitez à tout prix de lui attribuer un langage bébête, de lui donner des tics de vocabulaire, de mal lui faire prononcer certains mots ou pire, d’intégrer un zozotement dans les dialogues. Les enfants ne parlent pas comme ça : il est conseillé de les écouter un peu avant de se mettre à écrire.

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