Apprends à écrire

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On y est. Nous y voilà. C’est le centième article posté sur ce blog, en-dehors des critiques, des interviews et d’autres billets secondaires, et donc il est plus que temps pour moi, en ce lieu consacré à l’écriture, de me mettre à vous apprendre à écrire.

Je vous taquine. Bien sûr, vous savez déjà écrire. Pour certains d’entre vous, vous savez à peu près, comme moi, avec de grosses lacunes à combler et une belle marge de progression. D’autres s’en sortent bien mieux, que ce soit grâce à leur travail ou à leur talent, et d’autres encore sont des surdoués qui savent tous et ont tous les talents – que faites-vous sur ce blog, au fait ?

En réalité, j’aurais dû intituler ce billet « Apprends à apprendre à écrire. » Parce que oui, en littérature, comme dans toutes les autres formes d’expression artistique, il y a toujours des choses à perfectionner, des techniques à découvrir, des compétences à parfaire. Apprendre est un processus qui ne cesse qu’avec la mort. Vous souhaitez être auteur, pourquoi ne pas avoir l’ambition de devenir le meilleur auteur que vous puissiez être ?

Certains auteurs, qui ne manquent pas une occasion de défendre leur point de vue sur les réseaux, ne souscrivent pas à ce point de vue. Pour eux, la littérature est quelque chose de si personnel qu’elle échappe à tout jugement de valeur. Ils estiment que chacun doit être libre d’écrire ce qu’il veut et comme il veut, qu’il n’existe aucune règle à suivre, et que toute tentative de corriger, de conseiller un auteur, ou simplement d’émettre un point de vue est une violation de sa créativité personnelle, accueillie dès lors avec hostilité.

Selon moi, ceux qui pensent cela ont à la fois raison et tort.

Ils ont raison parce que oui, chaque personne qui écrit procède comme elle veut, choisit les mots qu’elle veut, traite les thèmes qu’elle veut et met en scène les thèmes qu’elle veut pour raconter les histoires qu’elle veut, auxquelles elle donne la structure qu’elle veut. En littérature, il n’y a pas de lois, il n’y a pas de crime, et si le but poursuivi se limite au simple plaisir d’écrire, pour son épanouissement personnel, sans chercher la satisfaction des lecteurs, personne n’a quoi que ce soit à y redire. Quand mes enfants prennent place devant le clavier d’un piano et frappent les touches au hasard, juste pour éprouver la satisfaction de faire naître des sons, je ne les gronde pas sous prétexte qu’ils ne connaissent rien au solfège.

Par contre, ce qu’ils produisent n’est pas de la musique, et ce que produirait un auteur qui écrirait n’importe comment, sans rime ni raison, ne serait pas de la littérature.

Quand Ornette Coleman a inventé le free jazz, il a commencé par prendre le temps d’étudier attentivement la théorie musicale et l’harmonie. Au final, il a fait naître un type de musique que les non-initiés auront peut-être du mal à distinguer des tâtonnements aléatoires de mes enfants, mais pour y parvenir, Coleman a dû oublier une quantité considérable de techniques et d’informations sur la musique, dans le but de s’en affranchir et de créer quelque chose de nouveau, délibérément. La liberté, mais en pleine connaissance des lois de la musique.

Un peu de la même manière, Jackson Pollock a commencé par étudier de manière très formelle la peinture murale, la sculpture et les arts folkloriques amérindiens avant de mettre sur pied, en pleine conscience, une peinture expressionniste basée sur des jets de peinture sur la toile, qui semblent aléatoire. Comme Ornette Coleman, Pollock savait exactement ce qu’il faisait, quelles règles il avait l’intention de respecter, et quelles autres il souhaitait oublier.

On le voit bien à la lumière de ces exemples : ce n’est pas un hasard si le mot « art » vient du latin « ars », qui signifie « habileté, connaissance technique. » L’art, ça n’est pas seulement faire tout ce qui nous passe par la tête. C’est s’appuyer sur le travail de celles et ceux qui nous ont précédé pour raffiner son expression, la perfectionner, lui donner la meilleure forme possible. La littérature ne fait pas exception.

Si vous écrivez, vous êtes dans la même situation que moi : des dizaines de milliers d’auteurs sont meilleurs que vous. La probabilité que vous soyez un prodige, dont l’œuvre est une germination spontanée, inégalée et imperfectible, est très proche de zéro. Dans le passé, des génies en ont oublié plus sur la littérature en un mois que vous n’en apprendrez pendant toute votre vie. Pourquoi ne pas se hisser sur les épaules de ces géants pour, grâce à eux, voir un peu plus loin ?

Oui, l’humilité, c’est aussi, parfois, une qualité qui peut aider un auteur.

Jetez donc un œil attentif aux différents conseils que l’on peut trouver au sujet de la littérature. Pour l’essentiel, ils se recoupent assez souvent. Apprenez à charpenter une intrigue, ce que c’est qu’un personnage, à quoi sert un thème, comment se débrouiller avec l’exposition. Prenez connaissance de quelques principes célèbres de l’écriture, comme « Montrer plutôt que raconter », « Tue tes chouchous » ou encore le fameux « Fusil de Tchekhov. » Jetez un coup d’œil à ma liste d’articles : j’ai abordé la plupart de ces sujets. D’autres que moi en ont parlé et en parlent encore, mieux ou différemment.

Ces principes, ces techniques, existent parce qu’ils fonctionnent. Ils ont été mis à l’épreuve par des milliers de romanciers, dans des milliers de romans, et ont donné de bons résultats. Comme le contrepoint ou la théorie des couleurs, dans d’autres arts, elles constituent des bases solides sur lesquelles vous pouvez asseoir votre créativité et en libérer tout le potentiel.

Toutes ces règles, prenez en connaissance, apprivoisez-les, essayez-les, tordez-les, ignorez-les si vous le devez. Il ne s’agit pas des commandes d’un langage informatique : ce sont des suggestions, des sentiers tracés dans la jungle de la créativité, qui permettent de se repérer et de tracer son propre chemin. D’autres cultures, d’autres époques, avaient une esthétique différente et avaient foi en d’autres règles, et même les créateurs d’aujourd’hui s’autorisent à tordre le cou aux vaches sacrées, au besoin : les mythes antiques n’ont ni descriptions, ni dialogues ; les contes n’ont rien qu’on puisse réellement identifier comme des personnages ; il existe apparemment des feuilletons chinois comme « Doupo Cangqiong » dans lesquels chaque personnage est partie prenante dans quatre ou cinq intrigues différentes, ce qui paraît un peu confus à nos yeux d’occidentaux ; lorsque le scénariste Russel T. Davies a repris la série britannique « Doctor Who », il a délibérément piétiné la règle du « fusil de Tchekhov » à plusieurs reprises, sortant des révélations de son chapeau, parce qu’il estimait que parfois, la surprise doit l’emporter sur la construction dramatique.

Bref, les lois de la littérature sont davantage un genre de lignes de conduite que de véritables règles. Mais elles ne sont pas arbitraires pour autant et ne sortent pas de nulle part. S’astreindre à les suivre, c’est bien souvent un moyen de repérer les failles d’un texte et de parvenir à les combler, bref, de mieux écrire, et de satisfaire encore plus les lecteurs.

Si vous avez l’ambition d’ignorer une de ces règles, de la trahir ou de la modifier, ne le faites pas par ignorance, mais en toute connaissance de cause, en anticipant ce que cette décision aura comme conséquences sur votre texte, afin de produire l’effet que vous désirez. Oui, on peut très bien rédiger une histoire sans personnages, sans dialogue, sans structure, sans thème, ou tout est raconté et où l’action est constamment interrompue pour laisser la place à de l’exposition, mais il faut le faire délibérément. Et si votre texte ne fonctionne pas, s’il est bancal, s’il est incompréhensible ou déplaît aux lecteurs, reprenez-le et demandez-vous si certaines des lois que vous avez choisi de briser n’étaient pas, finalement, nécessaires.

⏩ La semaine prochaine: Apprends à accepter la critique

6 réflexions sur “Apprends à écrire

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