Le piège de l’Amérique

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Parmi les sources d’inspiration qui risquent de faire dérailler l’écriture d’une autrice ou d’un auteur, nous nous sommes attachés ces dernières semaines à décrire celles qui exercent une influence sur le style ou sur la forme, comme la télévision ou l’école. Ce ne sont pas, cela dit, les seuls éléments qui peuvent exercer un effet pernicieux sur la plume d’un écrivain, c’est-à-dire une influence tangible et prépondérante, mais qui reste inconsciente et non-désirée.

Certaines sources d’inspiration peuvent, sans même que nous nous en rendions compte, laisser leur marque sur le contenu-même de nos œuvres, sur les décisions artistiques les plus capitales. Et le meilleur exemple, c’est l’Amérique.

Depuis près d’un siècle, et encore davantage depuis une cinquantaine d’années, Hollywood est devenue l’Étoile polaire de la culture populaire. Ses films représentent la majeure partie des grands succès du cinéma ; ses séries télévisées sont à la fois les plus regardées et les plus appréciées ; même le jeu vidéo, désormais, constitue un segment important de la pieuvre du divertissement qui étend ses tentacules à partir des États-Unis.

Au départ, il n’y a rien de curieux à cela : comme dans n’importe quel pays, le cinéma américain ambitionne de permettre à des réalisateurs américains de fournir un point de vue américain sur la réalité quotidienne des Américains. Mais le succès gigantesque des productions venues des États-Unis, la transformation du secteur cinématographique U.S. en une gigantesque industrie d’exportation, ainsi que l’instrumentalisation de la production intellectuelle américaine en bras armé de la propagande politique, économique et sociale ont transformé Hollywood en quelque chose d’autre.

Hollywood est davantage un trou noir qu’une étoile

Hollywood est désormais davantage un trou noir qu’une étoile, un astre énorme qui attire tous les autres vers lui avant de les consumer, se nourrit des œuvres étrangères, les reformate et produit des copies qui bénéficient d’une meilleure distribution que les originaux.

Surtout, Hollywood et ses protubérances ont un effet sur notre imaginaire. Et si l’on est écrivain, il vaut mieux en être conscient. À force d’être biberonné aux séries américaines, de voir la réalité à travers le prisme des grosses productions hollywoodiennes, notre perception du monde, nos représentations sont modifiées. Les États-Unis nous apparaissent comme le lieu où tout se passe, comme l’endroit le plus naturel pour raconter des histoires. Mythifiés, des éléments narratifs comme les grands espaces américains, les gratte-ciels américains, les commissariats des grandes villes américaines, l’armée américaine, les ranchs, la Maison Blanche, Wall Street, le Pentagone, finissent par nous sembler être des passages obligés de nos histoires.

Ainsi, il n’est pas rare de se trouver en présence d’écrivains, en particulier de jeunes auteurs, qui racontent, sans même y réfléchir trop intensément, des histoires qui se déroulent aux États-Unis, même s’ils n’y ont jamais mis les pieds. Nourris parfois exclusivement par des séries et des films d’Outre-Atlantique, il ne leur viendrait même pas à l’idée de situer l’action de leur roman ailleurs que dans ce pays d’où semblent venir toutes les histoires. Une romance entre un garçon vacher des Vosges et une jeune chanteuse de Lyon leur semblera sans intérêt ; la même histoire entre un cow-boy du Wyoming et une artiste de Chicago leur paraîtra plus crédible.

C’est l’imaginaire local de toute la planète qui s’appauvrit

Cela fonctionne par contagion, d’ailleurs : pour celles et ceux qui subissent cette influence, ce sont tous les pays anglophones qui sont nimbés d’une aura supplémentaires à tous les autres. Ainsi, même une série télé dont l’action a lieu au Pays de Galles leur semblera plus cool que si elle se situait en Picardie. Cet intérêt pour l’exotisme anglo-saxon peut même, dans certains cas, être accompagné d’un mépris pour les productions françaises ou européennes, ou en tout cas d’un désintérêt absolu d’y situer leurs œuvres. Combien de romans de l’Antibois Guillaume Musso passent par New York ?

Tout cela est regrettable, parce que sous l’influence d’Hollywood, c’est l’imaginaire local de toute la planète qui s’appauvrit. Si on préfère raconter des histoires qui se situent en Amérique, on prive nos pays, nos régions, de récits qui pourraient aller nourrir un monde de représentations plus diversifiées. Plus on raconte d’histoires extraordinaires sur Manhattan, plus Manhattan devient magique et inspire d’autres histoires. Moins on raconte d’histoires extraordinaires sur Fréjus, Anvers, Dijon ou Lausanne, moins ces endroits excitent notre imagination. C’est un cercle vicieux. Une partie de l’action du roman « Frankenstein » de Mary Shelley se déroule en Suisse : aujourd’hui, il y a fort à parier que tout cela serait déplacé dans le New Jersey.

C’est cela, le piège de l’Amérique, et cela va bien au-delà du simple choix du lieu où se situe l’action d’un roman. En se laissant influencer par Hollywood, on donnera les premiers rôles de nos romans à des personnages américains, on préférera les Bryan et les Jessica aux Barnabé et aux Josiane, on mentionnera le MIT ou la CIA avant l’EPFL ou la DGSE, on accompagnera nos histoires de bandes-son venues d’Outre-Atlantique. On verse parfois dans une sorte de fétichisme monomaniaque, où les États-Unis sont traités comme le pays par défaut de toutes les histoires.

Dans un effort d’assimilation, certains auteurs vont jusqu’à adopter des pseudonymes aux consonances américaines

Dans un effort d’assimilation qui prête parfois à sourire, certains auteurs vont jusqu’à adopter des pseudonymes aux consonances américaines, et à donner à leurs histoires des titres en anglais. Attention à la publicité mensongère : la « Jessica Granger » qui a signé le thriller « The Faceless Curtain » que vous venez de lire, s’appelle peut-être Marie-Louise Pinard et n’a jamais quitté le Larzac. À titre personnel, je suis d’avis qu’un roman écrit en français devrait avoir un titre en français, et je me méfie des auteurs qui disent ne pas être capables de trouver un intitulé qui leur convient dans leur propre langue maternelle.

L’influence venue des États-Unis peut même pousser des auteurs à commettre des erreurs factuelles. Certains sont si marqués par le portrait que Hollywood offre du système judiciaire américain qu’ils en viennent à s’imaginer que c’est ainsi que l’on rend la justice dans toute la planète. Tout ce qu’ils connaissent des métiers de policier, d’avocat, de médecin, de président, d’espion, c’est ce qu’en montrent les productions américaines, quitte à se tromper gravement lorsque la réalité locale, comme souvent, est très différente.

Célébrons l’Amérique dans ce qu’elle a de meilleur, apprécions sans rougir ses productions lorsqu’elles nous plaisent. Mais sachons marquer la limite : les États-Unis n’ont pas besoin de nous pour nourrir leur légende. Et si nous mettions plutôt notre créativité au service des lieux où nous vivons, ou alors d’un exotisme moins convenu ?

L’interview: Gen Manessen

Première interview à être publiée sur ce blog, celle de Gen Manessen, auteure autodidacte d’un roman autopublié, intitulé « Colorado Vibrato » et qui nous emmène dans les grandes plaines des Etats-Unis sur fond de romance.

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Tu présentes ton premier roman, « Colorado Vibrato », comme « une saga moderne dans le Grand Ouest américain. » Pourquoi le choix de ce décor ?

J’aime l’Ouest américain. Ses paysages et son grand ciel me parlent. Impossible de rester indifférent à sa grandeur. C’est le décor parfait pour une histoire d’amour.

Qu’est-ce qui est venu en premier ? L’amour de l’écriture ou l’amour des Etats-Unis ?

Ce sont deux amours totalement différents. J’aime raconter des histoires et il se fait que j’ai laissé flotter mon imagination avec pour toile de fond les plaines et les canyons. Je ne pense pas que je me limiterai aux USA. Ecrire n’a pas de frontières.

Tu ne vis pas là-bas. Est-ce que tu as été tentée de commencer par écrire sur des sujets qui font davantage partie de ta vie quotidienne ?

Non, je n’ai pas décidé, c’est venu comme cela. J’imagine que ma vie quotidienne ne m’inspire pas de la sorte.

Se lancer dans l’écriture d’un roman, ça réclame de la volonté et de la patience. Qu’est-ce qui t’a donné envie de t’y mettre ? Comment est-ce que tu es arrivée au bout ?

J’ai d’abord voulu écrire une nouvelle. J’ai noirci un carnet, j’ai ensuite saisi mon PC. Je me suis laissée porter. Je découvrais quelque chose que je ne connaissais pas. J’avais juste écrit des poèmes quand j’étais enfant. J’ai travaillé le soir tard et ensuite la nuit. Le matin je corrigeai les écrits de la veille. J’ai appris par moi-même, seule. Tout ce que j’ai observé m’a fait grandir. Il m’a poussé des antennes sur la tête. Je me suis mise à observer les gens et à noter çà et là des mots, des expressions. Et petit à petit mon histoire s’est étoffée.

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Ton héroïne Mona est une femme forte et passionnée. Quelle part de toi as-tu mise en elle ?

Ce n’est pas une autobiographie. Mais je suis quelqu’un de passionné… Comme elle. Elle agit souvent sans trop se poser de questions, moi aussi.

Quelle est ta définition du romantisme ?

Le romantisme ? C’est un mouvement dans l’art, je pense… Rien à voir avec un roman.

Le roman devrait comporter deux suites. Pourquoi ? Tu ne pouvais pas te résoudre à dire au revoir à tes personnages ?

Oui, j’ai été bien orgueilleuse d’annoncer deux suites. J’écris la seconde pour le moment. L’inspiration ne manque pas, mais le temps : oui !

Ton roman est auto-édité. Est-ce un choix ? A quoi ont ressemblé tes démarches pour publier ce livre ?

J’ai envoyé fièrement des manuscrits à des grandes maisons d’édition. J’ai reçu des réponses mais « je ne suis pas dans la ligne d’édition de leurs prestigieuses maisons. » Alors j’ai fait de l’auto édition.

C’est un regret?

Non. Quand on a l’habitude d’aimer  » faire différemment des autres » on ne peut pas se payer le luxe d’avoir des regrets. Ce serait trop simple…

Pourquoi avoir choisi de signer « Gen Manessen » ? Le plaisir de lire ton vrai nom sur la couverture d’un livre, ça ne te tentait pas ?

J’aime le nom d’auteur que je me suis choisi. Comme cela je n’indispose pas ma famille.

Un conseil, une suggestion à ceux qui te lisent et qui ont envie d’écrire?

Ceux qui vont lire mon roman vont découvrir qu’il est inégal mais qu’à la moitié cela se précipite et je deviens bien meilleure. Suggestion à ceux qui n’ont jamais écrit : établissez votre fil rouge et ensuite écrivez des chapitres en fonction de vos humeurs. Du triste quand vous êtes tristes et du gai quand vous êtes gai. Suivez votre élan et relisez-vous. Beaucoup. Trouvez 2 ou 3 personnes pour vous suivre et vous encourager. Cela fait du bien.

« Il faut croire en soi-même malgré les preuves contraire » a écrit Kent Haruf, auteur né au Colorado. Est-ce que tu suis une maxime similaire ?

J’en ai des tas, des maximes… Celle-là qui me conseille de croire en moi me rappelle que je reste ma meilleure amie. J’ai essuyé des critiques avec mon roman et c’est normal. Mais j’ai une flamme, en moi, qui brûle si fort. On ne me fera pas taire !

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