Mes 10 règles d’écriture

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C’est un peu pompeux, de dresser une liste des dix règles d’écriture qui nous sont chères. D’abord, pourquoi dix et pas huit ou douze ? En plus, quelle autrice ou auteur pourrait sérieusement penser que cet acte infiniment complexe qu’est la création littéraire peut se résumer en si peu de mots ? On est bien d’accord.

Cela dit, de nombreux auteurs, illustres ou non, se prêtent à l’exercice et j’ai toujours trouvé ça rigolo et riche d’enseignements, en particulier quand je ne suis pas du même avis. En ce qui me concerne, j’estime avoir assez réfléchi à la création littéraire pour savoir ce qui est important pour moi, et, finalement, pourquoi ne pas présenter ça sous forme de liste ? Ce qui suit reprend énormément d’éléments déjà abordés sur ce site. Pour que votre lecture soit agréable, je n’ai pas constellé le texte de liens en tous genres, mais si vous souhaitez approfondir un point ou l’autre, ou mieux comprendre ce que je veux dire, vous trouverez la liste de tous mes articles en suivant ce lien.

Et s’il vous plaît, que vous soyez d’accord ou non, mais en particulier si vous ne l’êtes pas, rien ne me ferait plus plaisir que de connaître vos opinions. Je vous serais particulièrement reconnaissant de prendre quelques minutes pour en débattre en commentaire, je sens que ça pourrait être intéressant pour tous les visiteurs du site.

1. Lis autant que possible, aussi diversifié que possible

Oui, tu as avant tout envie de créer des histoires, et peut-être que cet élan t’a été inspiré d’abord par le cinéma ou les jeux vidéo, mais si tu choisis d’écrire, tu te situes quoi que tu en penses dans le champ de la littérature. Écrire, ça n’est pas la même chose que réaliser un film ou un jeu, et écrire un roman, ça n’est pas la même expérience qu’écrire une bande dessinée ou un poème. Cela implique des techniques et une approche spécifique, et pour apprendre à le faire, la démarche la plus simple et la plus fructueuse est de s’inspirer de celles et ceux qui le font avec un certain niveau de succès. Et même si tu es une autrice ou un auteur chevronné, continue à te frotter les méninges à tes pairs, et éloigne-toi régulièrement de tes domaines de prédilection, change de genre, lis autre chose que des romans, pour nourrir ta muse de perspectives nouvelles.

2. Note toutes tes idées

L’écriture romanesque est entièrement constituée d’idées. Il y a les grandes idées, celles qui te transportent et te motivent à te lancer dans l’ambitieux chantier d’un roman, mais il y a surtout des centaines de petites idées, et des milliers de micro-idées, dans des domaines pas nécessairement glamour, que ce soit la structure, la narration ou le choix de vocabulaire. Si tu as l’écriture en tête, tu génères probablement en permanence toutes sortes d’idées, des personnages, des tournures de phrase, des noms, des métaphores, des constructions dramatiques, dont tu ne sais que faire. Note tout, toujours, immédiatement, même si les idées ne te paraissent pas exceptionnelles. Un jour, une idée issue de ton carnet te sera utile pour un projet qui n’existe pas encore.

3. Écris tous les jours

Oui, chaque jour, il faut que tu écrives. Je sais, ça te fait faire la grimace. Tu n’as pas envie. Tu veux être libre, que l’écriture ne devienne pas une corvée. Mais en réalité, tu ne réalises pas que tu le fais probablement déjà. Parce que quand je dis « écris tous les jours », il faut que tu comprennes « imprègne d’écriture chaque instant ». Donc oui, il y a des jours où tu vas rédiger un manuscrit, mais même si tu accordes un petit congé à tes doigts, le simple fait de penser à tes projets, de les nourrir d’idées, de regarder autour de toi et de t’inspirer de ce que tu vois, de lire, d’apprendre, c’est de l’écriture. Une écrivaine, un écrivain, c’est quelqu’un qui a toujours plus ou moins la tête dans ses projets, même quand ses doigts ne sont pas sur un clavier, ou, soyons fous, autour d’une plume.

4. Apprends à ne pas t’en faire

Les autrices et les auteurs se soucient de bien faire, tout le temps, partout, à un tel point que chez certains, ça tourne à la névrose. Nous laissons la Perfection nous narguer, à jamais inatteignable dans son palais céleste, alors que nous devrions déjà être très heureux de simplement écrire de bons romans. Arrête de t’en faire autant, laisse-toi aller un petit peu. Le grand Gustave Parking a autrefois émis ce conseil qui m’a beaucoup aidé professionnellement dans un autre domaine et qui s’applique également très bien à l’écriture : pour réussir quoi que ce soit qui en vaille la peine, il faut « braver le bide », prendre le risque d’être mauvais, ridicule, imparfait. C’est la seule manière de réussir quoi que ce soit qui en vaut la peine. En plus, quand tu auras décidé de moins t’en faire, tu seras libéré de la peur de l’échec, du manque d’inspiration et du rejet.

5. Écrire de la fiction, c’est raconter une histoire

Dans un roman, tout ce qui n’est pas indispensable à l’histoire est superflu. OK, « superflu », c’est un peu exagéré, et « tout », ça fait quand même beaucoup. Mais comprends ce que j’essaye de te dire. Au coeur du roman, il y a une histoire. C’est ce qui lui donne sa raison d’être, et c’est ça, avant toute autre chose, que les lectrices et lecteurs viennent chercher. Si ce qui te motive à écrire, c’est d’inventer une langue fictive, tourner des TikTok, dessiner des cartes, rédiger de jolies phrases, faire dialoguer tes personnages sur Discord, croquer leur portrait ou tracer leur arbre généalogique, et que tu n’as pas d’idée précise de l’histoire que tu essayes de raconter, tu fais fausse route. C’est comme organiser un mariage avant d’avoir trouvé un conjoint. Réfléchis à ton histoire, fais-en ta priorité, tout le reste peut attendre et représente, au mieux, des distractions dans ce labeur considérable que constitue l’écriture d’un roman.

6. Les personnages sont la partie la plus importante de l’histoire

Le plus important, comme je viens de le dire, c’est l’histoire, et le plus important dans l’histoire, ce sont les personnages. Comment le prouver ? C’est simple : sans eux, l’histoire n’existe pas. On peut retirer le décor, la structure, le thème, le message, le style, le ton, tous ces éléments vont de toute manière exister dans le cerveau du lecteur même si on ne les inclut pas délibérément, mais sans personnages, il n’y a aucune raison de raconter une histoire. Sans eux, il n’y a rien. La raison pour laquelle les humains, depuis toujours, prennent place autour d’un feu de camp et se racontent des trucs, c’est parce qu’ils veulent être confronté à leur propre humanité, mêlée à l’imaginaire, et la fiction, comme l’a écrit le regretté David Foster Wallace, « ça parle de ce que c’est qu’être un putain d’être humain ». Oui, même les histoires sur les robots et les elfes. Donc fais-nous rentrer dans leur tête, donne-leur de la substance et du relief.

7. La bonne phrase, c’est celle qui donne envie de lire la suivante

Et le bon chapitre, celui qui donne envie de lire le suivant ; et le paragraphe, celui qui donne envie de lire le suivant ; et le mot, celui qui donne envie de suivant. C’est pour moi le principe stylistique le plus important : quand tu rédiges un texte narratif, ton but doit être de faire en sorte que les lectrices et les lecteurs ne puissent pas lâcher ton bouquin. Pour cela, il faut les tenir en haleine, écrire de manière propulsive, se débarrasser de tout ce qui freine, générer du suspense, laisser des questions ouvertes et y apporter juste assez d’éléments de réponse pour qu’il soit presque insoutenable physiquement d’interrompre sa lecture. Les romans ne sont pas là pour engendrer des citations amusantes, sorties de leur contexte : leurs phrases ne sont pas faites pour exister indépendamment, mais pour s’encastrer les unes dans les autres, s’enchaîner pour former un récit poignant et addictif.

8. Écris, puis réécris, puis réécris encore

Réécris, en clair, jusqu’à ce que tu ne saches plus comment faire pour améliorer le résultat final. Oui, je suis tout à fait conscient que je contredis ce que j’ai affirmé au numéro 4, quand je t’ai suggéré de laisser de côté tes envies de perfection. Mais là, ce que je t’encourage à faire, c’est à travailler, et à être conscient qu’une fois que tu as terminé ton premier jet, ton boulot ne fait que commencer. Selon moi, les corrections, la réécriture, c’est considérablement plus important que l’écriture initiale, que ce soit au niveau du temps que ça demande, comme au niveau de l’impact que ça finit par avoir dans le résultat final. Donc bosse ton manuscrit jusqu’à la nausée, jusqu’à ce que tu ne puisses plus supporter d’en lire les phrases, mais naturellement, sans perdre de vue que la perfection reste malgré tout hors d’atteinte.

9. Le produit final n’est pas le roman, c’est la rencontre entre le roman et le lecteur

Il n’y a pas qu’un seul cerveau en fonctionnement autour d’un roman, il y en a deux. Le tien, et celui de la personne qui te lis. Ça serait dommage de n’en utiliser qu’un seul des deux. Ce qu’il faut comprendre, c’est que tes mots ne vont pas simplement être reçus et compris tels quels. La réalité de ton histoire va être construite presque autant par le lecteur que par toi. Cela permet de restreindre une partie des descriptions, en prenant conscience que celles et ceux qui abordent le texte vont s’imaginer les choses un peu à leur manière, quoi que tu écrives. Cela permet aussi de se montrer subtil : le lecteur est parfaitement capable de se forger une opinion sur un personnage ou une situation à partir des faits, sans avoir à être explicite. Tu peux aussi retourner la situation et jouer sur les attentes de celle ou celui qui te lit pour lui faire peur, l’amuser ou la surprendre.

10. On n’apprend à écrire un livre qu’une fois qu’on l’a terminé

Les romans ne sont jamais vraiment finis, on se contente de les laisser partir. Bien souvent, c’est une fois qu’ils sont sous presse qu’on s’aperçoit de certaines failles et qu’on réalise qu’un aurait pu faire les choses de manière différente. C’est normal : une histoire est comme une énigme qu’on résout tout en la racontant, elle suit ses propres règles et ce n’est qu’en l’ayant terminée qu’on réalise comment on aurait dû s’y prendre. Ce n’est pas grave. Ai-je mentionné que la Perfection est hors d’atteinte ? Prend acte des leçons apprises pour ton projet suivant, et attends-toi à de nouvelles difficultés et de nouveaux apprentissages à chaque roman.

Apprends qui tu es

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Pendant quelques semaines, je vais délaisser sur ce blog ma série d’articles thématiques « Éléments de décor », pour reprendre les bases.

L’idée est simple : il s’agit de se rappeler que, lorsqu’on a décidé de consacrer une partie de son temps à l’écriture, lorsqu’on a l’ambition d’être auteur, et même si on a accumulé une solide expérience, on a toujours des choses à apprendre, chacun de nous. Et oui, cet apprentissage peut même toucher à des questions fondamentales, comme celle de l’identité. Avant d’écrire, il faut savoir qui on est, ou en tout cas, à quel type d’auteur on correspond.

Certains, et c’est leur droit, objecterons qu’au contraire, écrire, c’est quelque chose de simple, qui ne nécessite aucune introspection particulière. Les mots nous démangent, on les couche sur le papier, et voilà, il n’y a rien de plus à comprendre. Ce sont nos préférences qui donnent à l’expérience sa validité, et la nature comme la qualité du résultat sont entièrement subjectives.

En ce qui me concerne, j’estime que c’est un peu court. Oui, on prend la plume parce qu’on en ressent le besoin, on écrit pour le plaisir, et c’est très bien, mais c’est n’est après tout que la première partie de la démarche. La seconde concerne les lecteurs. Parce qu’on n’écrit pas dans le vide. Pourquoi écrit-on ? Pour qui écrit-on ? Que souhaite-t-on apporter à celles et ceux qui nous lisent qu’ils n’obtiennent pas déjà en lisant d’autres auteurs ?

Cette réflexion est loin d’être anecdotique. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici : il n’y a pas d’auteur sans lecteur. L’idée même d’être lu fait partie de la définition de l’écrivain. Il ne s’agit pas d’une activité égoïste, que chacun poursuit dans son coin, sans interagir avec qui que ce soit : écrire est une expression, une transmission entre une personne et une autre. Et cette personne, celle qui prend la peine de se pencher avec bienveillance sur le produit de notre travail, la moindre des choses serait de ne pas lui faire perdre son temps.

C’est sans doute un peu douloureux de l’admettre, mais à notre époque, il y a déjà beaucoup trop d’auteurs, beaucoup trop de livres. Rendez-vous compte : 68’000 titres sont publiés chaque année en France. Oui, ça fait 180 par jour. Il y en a probablement un ou deux qui sont sortis depuis que vous avez commencé à lire cette chronique. Le constat est implacable : la plupart des auteurs ne sont pas lus, ou très peu. Nombreux sont ceux qui n’ont pour ainsi dire pas de lectorat au-delà d’un cercle restreint d’amis.

Cela oblige un écrivain à se livrer à un examen de conscience, qui commence avant même qu’il entame la rédaction de son manuscrit et qui se poursuit bien après la publication : qu’est-ce que j’apporte, moi, qui n’existe pas déjà ? Dans cette masse énorme de bouquins en tous genres, qu’est-ce qui permet de me distinguer des autres ? Votre roman, c’est impératif, il ne faut pas qu’il ait pu être écrit par quelqu’un d’autre que vous, sinon, eh oui, autant lire la prose de quelqu’un d’autre.

Cela peut paraître évident, mais ça ne l’est pas tant que ça. Certains, après tout, et ils sont nombreux, attrapent le virus de l’écriture par imitation. En deux mots, ils ont envie de refaire un peu les mêmes trucs qu’ils aiment lire. Certains s’adonnent à la fan fiction, et situent délibérément leurs œuvres dans le sillages de leur écrivain favori. Mais d’autres livrent de pâles copies de ce qui les a fait vibrer, et c’est ainsi qu’on se retrouve avec d’innombrables décalques de Harry Potter ou de Lestat le Vampire. On rentre dans le domaine de la littérature-écho, vérolée par les clichés, les stéréotypes et les emprunts en tous genres. Comme le disait Laurent Barthes, « Le stéréotype peut être évalué en termes de fatigue. Le stéréotype, c’est ce qui commence à me fatiguer. D’où l’antidote : la fraîcheur du langage. » En d’autres termes : un lecteur préférera toujours l’original à la copie, et sera rarement rassasié par l’œuvre d’un auteur qui n’apporte rien de nouveau. Il faut être un tout petit peu plus ambitieux que ça.

Ici, on ne parle même pas nécessairement d’originalité. Peut-être que votre roman ne contient aucune idée qui sorte du lot, peut-être, par exemple, qu’il s’appuie sur tous les clichés de la fantasy, ou sur ceux du roman noir. Malgré tout, un écrivain de talent parviendra parfois à transcender la banalité de ses idées, pour en tirer le meilleur. Même aujourd’hui, au 21e siècle, alors que ces concepts sentent le défraîchi depuis une éternité, on peut encore écrire de bons romans nains/elfes/dragons, laser/martiens/fusées ou détective/gangsters/femmes fatales.

Parce que ce qui compte, en définitive, ce n’est pas l’originalité d’un roman, c’est la singularité de l’auteur. Un écrivain n’a, en-dehors de ça, rien d’autre à offrir qui en vaille la peine. N’importe qui de persévérant est capable de rédiger un roman, après tout. Mais vous êtes le seul à pouvoir écrire votre roman, personne d’autre que vous n’a votre vision. Un auteur, c’est quelqu’un qui voit des choses que les autres ne voient pas, qui perçoit le monde d’une manière qui lui est propre et qui parvient à coucher tout ça sur le papier de manière à partager cette singularité avec d’autres. Et parfois, celle-ci parvient à toucher du doigt une forme d’universalité qui est la marque des grands écrivains.

Encore faut-il comprendre qui vous êtes, et ce que vous avez de spécifique à offrir. Posez-vous la question : qu’est-ce qui vous rend unique ? Qu’est-ce que vous êtes le seul à voir ? Qu’est-ce que vous réussissez à faire que vos contemporains n’accomplissent pas aussi bien que vous ?

Ça ne sont pas forcément de grandes choses, ça peut être un détail, une manière de tourner les phrases, un centre d’intérêt particulier. Votre singularité peut aller se loger dans votre style, dans vos idées, dans vos personnages, dans la construction de vos intrigues, dans la manière dont vous percevez l’humanité et les rapports entre les gens, dans les thèmes qui vous sont chers.

Alors ce qui est unique chez vous, localisez-le, identifiez-le, entretenez-le, développez-le. C’est important de se poser ces questions avant de commencer à écrire. Cela dit, c’est un processus. Certains passent leur vie à chercher. Et même une fois que vous saurez qui vous êtes en tant qu’écrivain, cela ne signifie pas que vous pouvez vous reposer sur vos lauriers, au contraire : faites fructifier votre potentiel, améliorez-le, trouvez-vous d’autres singularités afin d’échapper à la stagnation. Être écrivain, en-dehors d’un loisir, peut ainsi devenir une fascinante aventure intérieure, à la découverte de soi.

Certains auteurs souffrent de ce qu’ils appellent le « syndrome de l’imposteur » : ils ne se sentent pas à leur place, ont l’impression que ce qu’ils écrivent n’intéressera personne. L’introspection est le remède : apprenez qui vous êtes, quel genre d’auteur vous êtes, et vous ne vous sentirez plus jamais comme un imposteur – et vos lecteurs non plus.

⏩ La semaine prochaine: Apprends à lire

 

Pour soutenir un auteur, parlez de ses livres

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Le plus grand service qu’on peut rendre à un auteur dont on a apprécié les livres, c’est d’en parler autour de soi.

C’est une vérité qui concerne tous les écrivains, et en particulier les plus modestes, ceux qui ne peuvent pas bénéficier d’un énorme appareil marketing et qui doivent s’appuyer sur le bouche-à-oreilles et la bonne volonté de leurs lecteurs. Il n’y a que de cette manière que l’information se diffuse, que les curiosités s’éveillent, que ceux qui n’avaient pas entendu parler d’un roman peuvent y être sensibles, s’y plonger, et, peut-être, en parler à leur tour.

Il est précieux d’en parler dans son entourage, naturellement. Mais à notre époque, il est tout aussi important de le mentionner en ligne. Pour un auteur, par exemple, un avis sur Amazon vaut de l’or – et certaines promotions sur le site ne sont accessibles aux ouvrages que s’ils ont recueilli un certain nombre de critiques.

Pas besoin de grands discours: quelques mots peuvent suffire, comme on le voit dans l’illustration astucieusement placée ci-dessus. Cette petite attention, c’est quelque chose que tous les auteurs apprécient et qui a des effets mesurables sur le succès ou l’échec d’un roman.

Vous avez lu « La Mer des Secrets »? Si vous avez quelques minutes devant vous, je vous serais très reconnaissant de laisser un mot sur une ou plusieurs des plateformes suivantes:

Sur Amazon

Sur le site de l’éditeur

Sur Goodreads

Sur Babelio

Sur Booknode

Sur Livraddict

Naturellement, je prêche pour ma paroisse, mais si vous aimez les livres, il s’agit d’une excellente habitude à prendre en général, quel que soit l’autrice ou l’auteur.

Et puis, au delà de l’aspect promotionnel, pour un auteur, il est enrichissant d’avoir des retours de ses lecteurs, parce que cela ne peut que le motiver, et, en cas de critique, à le pousser à faire mieux la prochaine fois !

Exposition: quelques astuces

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Comme dans tous les autres domaines de la création littéraire, une fois qu’on a maîtrisé les bases de l’exposition, il reste de la marge pour s’amuser et pour y injecter un peu de créativité, voire pour essayer des techniques qui sortent des sentiers battus.

Ci-dessous, vous trouverez un certain nombre d’approches qui vont un peu dans toutes les directions. Certaines d’entre elles vont peut-être vous correspondre et vous donner envie de les essayer. Vous trouverez également des conseils pratiques qui viennent préciser des points abordés dans les billets précédents consacrés à l’exposition ou au décor. En général, il s’agit soit de réduire la place occupée par l’exposition dans votre roman, soit de la rendre plus digeste pour vos lecteurs.

Apprendre à la traquer

Pour traquer sans relâche le genre d’exposition qui va plomber votre histoire, encore faut-il être attentif à certains signes. Comme toutes les maladies, l’exposition peut être repérée par des symptômes. En sachant les diagnostiquer lors des corrections de votre manuscrit, vous rendrez un service à vos lecteurs.

Un de vos personnages se lance dans un monologue où il parle de ses origines ? Il explique longuement son opinion au sujet de quelque chose qui n’est pas directement lié à votre intrigue ? Deux individus ont une longue conversation au sujet de choses qu’ils devraient déjà savoir ? Toute action est suspendue le temps que l’on décrive une espèce animale, une organisation, un drapeau, ou autre chose qui serait plus à sa place sur Wikipedia que dans un roman ? Rien ne se passe pendant plusieurs pages parce que d’énormes paragraphes plein d’explications ont pris la place de tout le reste ? C’est signe qu’il est temps de sortir le scalpel, d’amputer cette tumeur et de cautériser la plaie.

L’outrexposition

Pour certains auteurs, l’exposition est comme une drogue. Ils sont tellement enthousiasmés par le monde qu’ils ont inventé qu’ils souhaitent en révéler autant que possible à leurs lecteurs, même si, au passage, leur histoire doit en souffrir, alourdie par toutes ces explications. Si c’est votre cas, il existe une technique simple pour se désintoxiquer progressivement : se goinfrer.

En deux mots, il s’agit pour l’auteur de ne pas se retenir du tout. Vous avez élaboré un monde très complexe, plein de détails et d’inventivité ? Intégrez-le pleinement à votre roman, et sautez sur toutes les occasions que vous pouvez pour mentionner toutes les anecdotes et aspects remarquables liés à votre décor. Votre personnage croise une escouade de Chevaliers Nazatéens ? Ne manquez pas d’expliquer qu’ils portent des armures en forme de griffon, afin de commémorer la mémoire de leur fondateur, le Maréchal Nazate, surnommé « Le Griffon » en raison de son nez aquilin. Franchement, faites-vous plaisir.

Par contre, à la relecture, une fois que vous aurez constaté que votre histoire est paralysée par le poids des détails accumulés, comme les coquillages sur la coque d’un bateau, vous serez gentils de me débarrasser tout ça. Vous vous êtes fait plaisir, vous avez évacué ça de votre système, à présent il est temps de penser à vos lecteurs et à votre histoire, et de couper tout ce qui n’est pas nécessaire, c’est-à-dire pratiquement tout. L’anecdote sur les armures ? On s’en passera.

Le réservoir à exposition

Une autre approche pour combattre la même tendance fonctionne de la manière exactement inverse. Oui, écrivez tout ce que vous souhaitez au sujet de votre univers de fiction, par contre ne polluez pas votre histoire avec ça. Constituez un fichier distinct, voire plusieurs, toute une encyclopédie si vous voulez, avec des cartes, des arbres généalogiques et toutes ces choses que les auteurs de fantasy aiment tellement, et consacrez-y autant de temps que vous le souhaitez si ce genre d’activité vous amuse.

Par contre, le contact entre le texte de votre roman et ce réservoir à exposition est interdit. Pas d’emprunt, pas de copier-coller, pas de citation. Si votre histoire nécessite que vous fassiez référence à un aspect de votre univers, faites-le, d’une manière aussi brève que possible, puis refermez le réservoir à double tour avant d’en stériliser l’ouverture pour qu’aucune contagion ne soit possible. Traitez votre monde comme un agent pathogène qui ne doit pas être autorisé à contaminer votre histoire.

La clause du besoin

Pour limiter l’exposition, fixez-vous un critère simple et diablement efficace : celui du besoin. Ne laissez dans votre roman que les explications qui ont besoin d’être là, sans quoi votre histoire est incompréhensible. Pas ce qui vous fait plaisir, pas ce qui vous intéresse, pas ce dont vous avez envie : uniquement ce dont votre narratif a besoin, même si pour cela vous devez vous faire violence.

Vous serez étonné de constater à quel point il y a peu d’information qui est indispensable à la compréhension d’une histoire. Les lecteurs sont capables de comprendre les enjeux dramatiques d’une scène à partir de très peu d’indices. Le héros est poursuivi par une foule de gros types en colère qui veulent lui faire la peau pour se venger ? Est-ce réellement nécessaire de savoir comment ces poursuivants s’appellent, de quel groupe ils font partie, ou même la nature du différend ? Doit-on rappeler, à ce sujet, que dans « Le Procès » de Franz Kafka, le lecteur n’apprend jamais de quoi Joseph K. est accusé ?

La nature des relations entre les personnages, c’est important ; les actions des protagonistes sont importantes. Tout le reste, presque tout ce qui constitue le décor, en réalité, ça n’est pas grand-chose de plus que de la décoration. L’action d’abord, les explications ensuite : voilà une règle simple à observer quand on écrit un roman. Et bien souvent, on découvre que les explications ne sont en réalité pas aussi nécessaires que nous le pensions.

Arriver tard, partir tôt

Une approche astucieuse qui permet de se passer d’exposition, c’est de laisser à celle-ci aussi peu d’espace vital que possible pour proliférer. Une bonne manière de s’y prendre réside dans la façon dont on découpe les scènes. Ne laissez pas de graisse, coupez tout près du muscle : commencez les scènes aussi tard que possible pour que l’intrigue soit compréhensible, et interrompez-les aussi vite que possible.

De cette manière, vous ne laisserez pas le temps à l’exposition de montrer le bout de son nez. Le héros poursuivi par une bande d’enragés dont on parlait plus haut ? Entamez cette scène en plein milieu de la course-poursuite, et mettez-y un terme dès que le protagoniste parvient à échapper à ses poursuivants. De cette manière, vous aurez épargné au lecteur de longues explications sur les causes et les conséquences de cette séquence, alors qu’en réalité, seule l’action elle-même a de l’importance, en l’occurrence.

L’exposition comme la révélation d’une énigme

Pour rendre l’exposition plus digeste, c’est souvent une question de savoir avec quels autres ingrédients vous avez l’intention de la mélanger. Mettons que, très tôt dans votre roman, vous installiez une question dans l’esprit du lecteur – voire même toute une série de questions. Pourquoi le Professeur Küng a une large cicatrice sur le front, qu’il semble vouloir dissimuler ? Et que s’est-il passé entre lui et la directrice Kellner pour qu’ils ne communiquent plus que via des intermédiaires ?

Si les questions que vous parvenez à susciter chez le lecteur sont suffisamment intéressantes, celui-ci ne sera plus allergique à l’exposition. Au contraire : il sera demandeur, parce que dans ce cas, l’exposition sera devenue la réponse à des questions qu’il se pose déjà et dont il est curieux de connaître la réponse.

Parfois, il ne s’agit même pas d’une énigme, mais simplement d’une thèse. Entamez votre roman par une phrase du genre « Cette ville n’avait plus rien à voir avec ce qu’elle était auparavant » et vous lancerez les lecteurs sur la trace de tous les indices qui confirment ou qui infirment cette théorie.

L’exposition mystère

Parfois, il n’y a pas de réponse. Accueillez le mystère.

Celui qui veut tout savoir

Pour vous faciliter la vie lorsque vous estimez devoir introduire une grande quantité d’information dans l’esprit de vos lecteurs, appuyez-vous sur un allié. Il suffit qu’un de vos personnages, si possible même le protagoniste de votre histoire, soit un assoiffé de connaissance. Débrouillez-vous pour en faire quelqu’un qui a besoin de tout savoir, qui veut toutes les réponses, qui démontre en toutes circonstances une envie inextinguible de comprendre tout ce qui se passe autour de lui. Si vous pouvez vous appuyer sur un personnage de ce genre, il vous sera plus facile de justifier une bonne partie de l’exposition que vous infligerez aux lecteurs.

C’est encore mieux, naturellement, si cet individu affamé de savoir doit lutter pour obtenir les réponses à ses questions. À ce moment-là, on quitte l’exposition proprement dite pour entrer dans le conflit, et le conflit c’est le drame, et le drame c’est l’intérêt du lecteur, et l’intérêt du lecteur c’est magnifique.

Si vous ne voulez pas transformer votre protagoniste en Madame-Je-Sais-Tout, pourquoi ne pas opérer la même manœuvre, mais avec un personnage proche, qui sera à même de répondre à ses questions en cas de besoin.

La mini-exposition

Si vous ne parvenez pas à vous débarrasser de l’exposition, essayez au moins d’en réduire la taille. Vous n’arrivez pas à vous faire exterminateur, devenez rétrecisseur de tête. Interdiction de consacrer des paragraphes entiers à expliquer des trucs qui n’intéressent que vous : fixez-vous une limite arbitraire, par exemple deux phrases par page, si possible des phrases courtes. Vous n’y arriverez pas toujours, et ça n’est pas bien grave, mais ça vous fera adopter de bons réflexes. Mieux vaut une formule courte et mémorable qu’une longue explication que personne ne va lire.

C’est d’ailleurs comme ça que les gens conçoivent la plupart des choses dans le monde réel : si on devait leur demander de décrire un pays, une personne, une organisation, ils vous sortiraient probablement une seule phrase, qui contient au maximum deux informations. (« Le gars de la compta ? C’est le maniaque qui aligne ses crayons, non ? », « Je vous présente la Nouvelle Église du Cosmos : ils s’affichent comme une religion honorable mais en vrai ils adorent juste les soucoupes volantes. »)

Si vous estimez que cette approche manque de subtilité, vous n’avez pas tort mais ça n’est pas grave. C’est sur la longueur que vous allez pouvoir apporter de la finesse, à travers l’intrigue et les actes des personnages. Nul besoin d’apporter au lecteur toutes les nuances possibles et imaginables dès l’instant où vous introduisez un nouveau concept. Bâtissez votre décor brique après brique dans l’esprit du lecteur.

L’exposition comme histoire

On l’a dit : ce qui est embêtant, avec l’exposition, c’est qu’elle interrompt la narration pour la remplacer par des explications. Ce n’est pas du tout une fatalité, cela dit. Et si vous décidiez de traiter votre exposition comme une histoire en elle-même, avec introduction, montée en intensité dramatique, résolution, et toutes ces autres choses délicieuses qui vont avec les histoires bien racontées ?

En d’autres termes, plutôt qu’expliquer, montrez à vos lecteurs ce que vous souhaitez leur transmettre dans le cadre d’une véritable scène. Il peut s’agir d’un insert au milieu d’un chapitre, qui nous transporte dans d’autres lieux, d’autres temps et avec d’autres personnages, voire même, de manière très classique, d’un simple flashback, soit une scène qui montre aux lecteurs ce qui s’est passé avant le temps principal du récit. De cette manière, vous enjambez les principaux problèmes posés par l’exposition.

Cela dit, même si cette approche est élégante, il ne faut pas en abuser : impossible d’expliquer de cette manière chaque aspect de votre décor, sans quoi vous allez continuellement interrompre votre histoire avec des digressions et vos lecteurs vont perdre le fil. À moins que vous ne souhaitiez rédiger le « Tristram Shandy » du 21e siècle, mieux vaut avoir la main légère avec cette technique, et se limiter à un à trois usages sur l’ensemble du roman.

Au moins, faites en sorte qu’on s’amuse

Si vraiment, vous avez le sentiment que votre roman ne peut pas se passer d’exposition, et qu’aucune des techniques passées en revue ci-dessus pour limiter les dégâts ne parvient à vous convaincre, la moindre des obligations que vous devez à vos lecteurs est de rendre celle-ci aussi divertissante à lire que possible. En clair : si vous forcez votre lectorat à s’envoyer contre sa volonté une grosse masse d’explications, faites au moins un effort pour rendre celle-ci digeste, voire même aussi amusante à lire qu’il est humainement possible.

C’est ce que fait Arundhati Roy dans cet extrait du « Dieu des petits riens », un passage si brillamment écrit qu’on en oublie qu’il s’agit de pure exposition :

« Murlidharan était nu comme un ver, à l’exception d’un sac en plastique cylindrique que quelqu’un lui avait enfoncé sur la tête et qui lui faisait une toque de cuisinier transparente à travers laquelle il continuait de voir défiler le monde, vision certes imparfaite et déformée, mais nullement limitée. L’eût-il voulu qu’il aurait été bien incapable d’enlever son couvre-chef : il n’avait plus de bras. Il se les était fait arracher par un obus à Singapour en 1942, une semaine à peine après s’être enfui de chez lui pour s’engager dans les unités combattantes de l’armée indienne. »

Pas d’exposition

C’est la dernière possibilité que j’aborde dans ce billet, l’aboutissement de toutes les autres, et en même temps la plus radicale : pourquoi ne pas renoncer complètement à l’exposition ?

Ce choix est plus compliqué à mettre en œuvre pour un auteur que déconcertant pour le lecteur. Ce dernier s’y retrouvera forcément si les enjeux dramatiques sont clairs : pour lui, peu importe les origines du contentieux entre deux personnes, la nature exacte de leur lien où la manière dont ceux-ci prennent pied dans le monde de fiction qui leur est présenté. Seuls comptent les relations présentes entre les personnages, la manière dont ils agissent et les conséquences de leurs actes.

Ainsi, écrire un roman qui ne fait référence à aucun contexte en-dehors de ce qui est directement observé par les personnages au sein de l’histoire n’est pas si difficile. En revanche, pour que ça fonctionne, il est nécessaire de tout prévoir en amont, et surtout, de se cantonner à un type d’intrigue capable de supporter cette absence de décor. Oui, vous pouvez raconter sans exposition le parcours de mort d’un pistolero au sein d’un désert post-apocalyptique. En revanche, si vous ambitionnez de rédiger une histoire autour des intrigues de palais à la cour de Louis XIV, vous allez avoir besoin d’exposition, et même de beaucoup d’exposition.

Mais songer à y renoncer complètement reste une option viable, ne serait-ce qu’à titre d’exercice intellectuel. Parce que cela vous force à vous demander, chaque fois que vous avez recours à cette technique, si c’est vraiment nécessaire. Libre à vous de contester la pertinence de ma statistique, mais dans quatre cas sur cinq, les choses dont vous pensez qu’elles nécessitent une explication pourraient s’en passer.

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L’exposition

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Ingrédient indispensable mais redouté de tout roman et de toute fiction, l’exposition peut être définie comme l’outil littéraire qui permet de transmettre au lecteur des informations sur le monde, les événements, les personnages, ou tout autre élément nécessaire à comprendre l’histoire. Impossible de s’en passer pour qui souhaite rendre son intrigue compréhensible. De même, une bonne partie du décor va se matérialiser à travers l’exposition, raison pour laquelle je prends la peine d’évoquer cette question ici, dans le prolongement de billets consacrés au worldbuilding.

L’exposition pose un problème facile à comprendre mais délicat à résoudre avec élégance. En deux mots : afin que le lecteur comprenne ce qui se passe dans l’histoire, l’auteur a besoin de lui transmettre un certain nombre d’informations. Mais pour éviter de le barber avec des détails qui n’apparaîtront pas immédiatement comme pertinents, il souhaite communiquer ces informations sans donner l’impression que c’est ça qu’il est en train de faire. C’est un peu comme au lycée, quand vous souhaitiez dire à quelqu’un qu’il faisait battre votre cœur, mais sans lui dire, parce que c’est trop la honte.

Précisément, si l’exposition risque d’être perçue comme rébarbative, c’est en raison de son côté scolaire. Il s’agit d’expliquer des choses au lecteur, un lecteur qui s’engage dans la lecture d’un roman pour vivre à travers les personnages, pour ressentir des émotions, pour être dépaysé, pour être intrigué, amusé, mais certainement pas pour qu’on lui fasse la leçon. Mal amenée, l’exposition consiste à interrompre le narratif pour le remplacer par des informations, dont, qui plus est, le lecteur ne percevra pas immédiatement l’utilité. Si l’on s’y prend avec lourdeur ou si l’on fait preuve de maladresse, l’exposition peut tuer un roman.

L’exposition consiste à transmettre au lecteur des éléments du décor indispensables à comprendre l’intrigue

Hélas, elle est presque toujours indispensable. Pour que les événements du roman aient un impact, il est nécessaire d’en faire comprendre les enjeux, et pour y parvenir, il faut à un moment les rendre explicites. Votre histoire met en scène un employé d’une mairie qui détourne de l’argent public ? Afin que le lecteur comprenne les difficultés d’une telle entreprise, il faut s’intéresser au fonctionnement des finances municipales, et afin que les enjeux émotionnels soient clairs, il faut se pencher sur la vie du fonctionnaire et sur ce qu’il risque de perdre s’il se fait prendre. En deux mots : l’exposition, ça consiste à transmettre au lecteur des éléments du décor indispensables à comprendre l’intrigue. On ne peut généralement pas s’en passer complètement.

Une fois qu’on a dit ça, il faut bien se rendre compte qu’il existe plein de façons différentes d’amener les choses, des plus maladroites aux plus habiles. Idéalement, la bonne exposition doit être invisible tout en étant mémorable : le lecteur ne réalise même pas que vous venez de lui transmettre une information cruciale pour la bonne compréhension de l’histoire, mais il la retient malgré tout.

Heureusement, il existe des techniques qui permettent de faire passer la pilule dans la plupart des cas. Le premier aspect à considérer, pour que l’exposition soit naturelle, c’est le contexte. Imaginez que vous rencontrez un de vos amis et qu’il se mette à vous expliquer que le champignon le plus dangereux pour l’homme sous nos latitudes est l’amanite phalloïde. Vous allez probablement trouver sa conversation un peu étrange. À présent, représentez-vous le même ami qui tient les mêmes propos alors que vous dégustez tous les deux une bonne plâtrée de champignons. L’anecdote est un peu inattendue, mais elle ne sort pas de nulle part. Enfin, troisième cas de figure : vous êtes dans la forêt en train de cueillir des champignons et votre ami vous empêche de cueillir une amanite en vous expliquant le risque mortel que vous encourez. Là, non seulement il a une bonne raison de vous en informer, mais il vous rend service en le faisant. La transmission d’information est naturelle et un lecteur qui découvrirait la scène n’y trouverait rien d’insolite.

Il y a des limites à la quantité d’informations qu’une scène peut contenir

Une information pertinente n’est jamais déplacée. Reste à créer les conditions qui la rendent pertinente. Hélas, plutôt qu’attendre le bon moment ou de créer les conditions idéales, beaucoup d’auteurs sont trop pressés et ils se contentent de chercher le premier prétexte qui se présente pour balancer à la tête du lecteur toute l’exposition qu’ils estiment nécessaire.

Vous en avez certainement déjà fait l’expérience dans un roman où, alors qu’on introduit un nouveau personnage, on apprend dans la foulée comment il s’appelle, ce qu’il fait dans la vie, d’où il vient, ses liens avec tous les personnages, son opinion sur différents sujets, ainsi qu’une référence à ce mystérieux accident de bateau qui l’a laissé amnésique. Trop, c’est trop : il y a des limites à la quantité d’informations qu’une scène peut contenir. Il faut agir avec davantage de naturel.

Apprenez à être patient et à avoir le cran d’attendre le moment opportun pour l’exposition d’un aspect de votre intrigue. Toutes les informations mentionnées ci-dessus peuvent être ventilées en plusieurs scènes : le protagoniste peut d’abord croiser ce personnage en vitesse, après quoi on l’informera qu’il s’agit du directeur des ressources humaines de l’entreprise où se situe l’action du roman ; dans une autre scène, il fera formellement sa connaissance, apprendra son nom, et celui-ci mentionnera peut-être ses relations avec d’autres personnages de l’histoire (« Je parie que Donna et Robert vous ont raconté que j’étais complètement cinglé, pas vrai ? Toujours à comploter, ceux-là ») ; enfin, dans une scène plus tardive, le protagoniste s’apercevra par lui-même de ses trous de mémoire (quant au mystérieux accident de bateau, est-il indispensable de le mentionner, pour la bonne compréhension de votre histoire ?)

Quand un personnage doit continuellement se faire expliquer des choses simples, le lecteur va finir par le prendre pour un idiot.

Parmi les méthodes qui permettent d’amener cette exposition sans que ça se remarque trop, on peut mentionner le dialogue. On vient d’en avoir un exemple avec l’histoire de l’amanite phalloïde. Quelqu’un explique quelque chose à quelqu’un d’autre, et le lecteur, qui est témoin de la scène, reçoit ces informations au même moment. Si c’est amené avec élégance, il s’agit d’une manière simple et efficace de parvenir à ses fins.

Cela nécessite toutefois qu’il existe une asymétrie du niveau de connaissances parmi les personnages. Typiquement, pour une raison ou pour une autre, le protagoniste sera un peu largué, et ceux qui l’entourent devront lui expliquer toutes sortes de choses. Voilà pourquoi, dans les littératures de l’imaginaire, on compte tellement de personnages principaux qui sont des petits nouveaux (Harry Potter), des individus qui ont vécu une vie isolée (Frodo) ou qui débarquent carrément d’un autre monde (Alice).

Naturellement, cette option fonctionne moins bien pour expliquer au lecteur des choses que, dans l’univers de votre roman, tout le monde sait (« Comme tu le sais fort bien, Luke, notre galaxie est contrôlée par un implacable Empire Galactique. ») Par ailleurs, soyez vigilants : quand un personnage doit continuellement se faire expliquer des choses simples, le lecteur va finir par le prendre pour un idiot.

En-dehors du dialogue, une excellente approche pour amener de l’exposition de manière naturelle, c’est par l’intrigue elle-même. De l’action, ça vaut toujours mieux qu’une explication. Votre histoire se situe dans un pays contrôlé par une dictature militaire où les femmes sont traitées comme des citoyens de second plan ? Ne le dites pas à vos lecteurs, montrez-le : mettez en scène des défilés militaires et montrez à quel point vos personnages féminins ont du mal à se faire entendre. Les lecteurs ne sont pas des imbéciles : s’ils voient comment votre monde fonctionne, vous n’aurez pas besoin de le souligner ostensiblement avec de longues explications. C’est le bon vieux principe du « Montrer plutôt que raconter. » Même si vous êtes fiers du monde que vous avez créé, résistez à l’envie d’expliquer chaque détail de manière démonstrative : vous êtes écrivain, pas guide touristique.

Il suffit d’augmenter légèrement l’intensité d’un conflit pour que vos personnages s’envoient à la figure des éléments d’information

Une astuce qui fait des miracles pour rendre l’exposition invisible, c’est le conflit. Si deux personnages ont des intérêts divergents, un contentieux, des comptes à régler, s’ils font partie de deux organisations rivales, cela vous fournit une série d’excellents prétextes pour apprendre toutes sortes de choses au lecteur au sujet de ces personnages, et, plus largement, du décor. Il suffit d’augmenter légèrement l’intensité d’un conflit, sous la forme d’une dispute par exemple, pour que vos personnages s’envoient à la figure des éléments d’information qu’ils connaissent parfaitement, mais qu’ils rappellent dans le cadre de leur argumentaire (« Je te rappelle que mon mari a un cancer du poumon ! Oui, bien sûr que je dois passer du temps à l’hôpital, imbécile ! »)

Imaginons que, dans votre roman, vous mettiez en scène deux sœurs dont l’une est policière et l’autre, directrice d’une entreprise privée de sécurité, et que les conceptions divergentes de leurs métiers les ont amenés à entretenir au fil des années une rivalité conflictuelle. Rien que sur ce postulat de base, vous avez un socle sur lequel bâtir de l’exposition pour révéler, par contraste, qui sont ces deux femmes, ce qui les sépare et ce qui les réunit, le fonctionnement de la brigade de police et celui de l’entreprise de sécurité, ainsi que les dynamiques familiales qui se sont construites autour de cet antagonisme. Le lecteur, captivé par le potentiel dramatique de la situation, ne s’apercevra même pas que vous êtes en train de lui fourguer de l’exposition en douce…

Autre source majeure d’exposition : la documentation. C’est tout bête mais tout ce qui peut être utilisé pour informer les gens dans la vie de tous les jours peut aussi servir à livrer de l’exposition dans un roman : les affiches, les articles de journaux, les émissions de radio, les lettres, les textos, les courriels, factures, panneaux indicateurs, prescriptions médicales, dépositions, journaux intimes, blogs, graffitis, etc… Tout ce qui peut potentiellement contenir des infos précieuses peut être simplement décrit comme n’importe quel élément de décor et apporter au lecteur des indications nécessaires à la compréhension du roman.

Le narrateur peut communiquer directement des informations au lecteur

Enfin, il faut mentionner, après les sources extérieures, les sources intérieures. En deux mots : le narrateur peut communiquer directement des informations au lecteur. Je conseille de ne pas trop abuser de cette approche, cela dit, qui risque d’aboutir à un résultat très artificiel et renvoie à une manière d’aborder la littérature qui est passée de mode au début du 20e siècle.

S’il s’agit d’une narration à la 1e personne, il va falloir justifier vis-à-vis du lecteur que le narrateur-protagoniste (si on a bien affaire à ce genre de cas de figure), consacre du temps à expliquer par écrit des éléments de décor qui doivent lui apparaître à lui comme des évidences (« Je me rendis aux bureaux de ComStar, l’agence spatiale mondiale pour laquelle je travaillais. ») À moins d’y mettre du doigté, cela risque de réveiller l’incrédulité du lecteur. Cela dit, un narrateur au ton confessionnel, ou qui adresse son texte à un autre personnage, peut rendre viable cette démarche.

Si on a affaire à un narrateur omniscient à la troisième personne, c’est encore pire. Certains auteurs choisissent d’émailler la narration d’anecdotes, voire de les reporter en notes de bas de page (« Il avait une odeur de wukfor, un de ces ruminants à six pattes autour desquels toute l’économie des tribus zürl tournait depuis des siècles »). Ces inserts ont toute leur place dans le Guide du Routard, mais elles sont selon moi déplacées dans un texte littéraire, où elles interrompent le cours du narratif et nuisent à l’immersion des lecteurs.

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