Pendant quelques semaines, je vais délaisser sur ce blog ma série d’articles thématiques « Éléments de décor », pour reprendre les bases.
L’idée est simple : il s’agit de se rappeler que, lorsqu’on a décidé de consacrer une partie de son temps à l’écriture, lorsqu’on a l’ambition d’être auteur, et même si on a accumulé une solide expérience, on a toujours des choses à apprendre, chacun de nous. Et oui, cet apprentissage peut même toucher à des questions fondamentales, comme celle de l’identité. Avant d’écrire, il faut savoir qui on est, ou en tout cas, à quel type d’auteur on correspond.
Certains, et c’est leur droit, objecterons qu’au contraire, écrire, c’est quelque chose de simple, qui ne nécessite aucune introspection particulière. Les mots nous démangent, on les couche sur le papier, et voilà, il n’y a rien de plus à comprendre. Ce sont nos préférences qui donnent à l’expérience sa validité, et la nature comme la qualité du résultat sont entièrement subjectives.
En ce qui me concerne, j’estime que c’est un peu court. Oui, on prend la plume parce qu’on en ressent le besoin, on écrit pour le plaisir, et c’est très bien, mais c’est n’est après tout que la première partie de la démarche. La seconde concerne les lecteurs. Parce qu’on n’écrit pas dans le vide. Pourquoi écrit-on ? Pour qui écrit-on ? Que souhaite-t-on apporter à celles et ceux qui nous lisent qu’ils n’obtiennent pas déjà en lisant d’autres auteurs ?
Cette réflexion est loin d’être anecdotique. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici : il n’y a pas d’auteur sans lecteur. L’idée même d’être lu fait partie de la définition de l’écrivain. Il ne s’agit pas d’une activité égoïste, que chacun poursuit dans son coin, sans interagir avec qui que ce soit : écrire est une expression, une transmission entre une personne et une autre. Et cette personne, celle qui prend la peine de se pencher avec bienveillance sur le produit de notre travail, la moindre des choses serait de ne pas lui faire perdre son temps.
C’est sans doute un peu douloureux de l’admettre, mais à notre époque, il y a déjà beaucoup trop d’auteurs, beaucoup trop de livres. Rendez-vous compte : 68’000 titres sont publiés chaque année en France. Oui, ça fait 180 par jour. Il y en a probablement un ou deux qui sont sortis depuis que vous avez commencé à lire cette chronique. Le constat est implacable : la plupart des auteurs ne sont pas lus, ou très peu. Nombreux sont ceux qui n’ont pour ainsi dire pas de lectorat au-delà d’un cercle restreint d’amis.
Cela oblige un écrivain à se livrer à un examen de conscience, qui commence avant même qu’il entame la rédaction de son manuscrit et qui se poursuit bien après la publication : qu’est-ce que j’apporte, moi, qui n’existe pas déjà ? Dans cette masse énorme de bouquins en tous genres, qu’est-ce qui permet de me distinguer des autres ? Votre roman, c’est impératif, il ne faut pas qu’il ait pu être écrit par quelqu’un d’autre que vous, sinon, eh oui, autant lire la prose de quelqu’un d’autre.
Cela peut paraître évident, mais ça ne l’est pas tant que ça. Certains, après tout, et ils sont nombreux, attrapent le virus de l’écriture par imitation. En deux mots, ils ont envie de refaire un peu les mêmes trucs qu’ils aiment lire. Certains s’adonnent à la fan fiction, et situent délibérément leurs œuvres dans le sillages de leur écrivain favori. Mais d’autres livrent de pâles copies de ce qui les a fait vibrer, et c’est ainsi qu’on se retrouve avec d’innombrables décalques de Harry Potter ou de Lestat le Vampire. On rentre dans le domaine de la littérature-écho, vérolée par les clichés, les stéréotypes et les emprunts en tous genres. Comme le disait Laurent Barthes, « Le stéréotype peut être évalué en termes de fatigue. Le stéréotype, c’est ce qui commence à me fatiguer. D’où l’antidote : la fraîcheur du langage. » En d’autres termes : un lecteur préférera toujours l’original à la copie, et sera rarement rassasié par l’œuvre d’un auteur qui n’apporte rien de nouveau. Il faut être un tout petit peu plus ambitieux que ça.
Ici, on ne parle même pas nécessairement d’originalité. Peut-être que votre roman ne contient aucune idée qui sorte du lot, peut-être, par exemple, qu’il s’appuie sur tous les clichés de la fantasy, ou sur ceux du roman noir. Malgré tout, un écrivain de talent parviendra parfois à transcender la banalité de ses idées, pour en tirer le meilleur. Même aujourd’hui, au 21e siècle, alors que ces concepts sentent le défraîchi depuis une éternité, on peut encore écrire de bons romans nains/elfes/dragons, laser/martiens/fusées ou détective/gangsters/femmes fatales.
Parce que ce qui compte, en définitive, ce n’est pas l’originalité d’un roman, c’est la singularité de l’auteur. Un écrivain n’a, en-dehors de ça, rien d’autre à offrir qui en vaille la peine. N’importe qui de persévérant est capable de rédiger un roman, après tout. Mais vous êtes le seul à pouvoir écrire votre roman, personne d’autre que vous n’a votre vision. Un auteur, c’est quelqu’un qui voit des choses que les autres ne voient pas, qui perçoit le monde d’une manière qui lui est propre et qui parvient à coucher tout ça sur le papier de manière à partager cette singularité avec d’autres. Et parfois, celle-ci parvient à toucher du doigt une forme d’universalité qui est la marque des grands écrivains.
Encore faut-il comprendre qui vous êtes, et ce que vous avez de spécifique à offrir. Posez-vous la question : qu’est-ce qui vous rend unique ? Qu’est-ce que vous êtes le seul à voir ? Qu’est-ce que vous réussissez à faire que vos contemporains n’accomplissent pas aussi bien que vous ?
Ça ne sont pas forcément de grandes choses, ça peut être un détail, une manière de tourner les phrases, un centre d’intérêt particulier. Votre singularité peut aller se loger dans votre style, dans vos idées, dans vos personnages, dans la construction de vos intrigues, dans la manière dont vous percevez l’humanité et les rapports entre les gens, dans les thèmes qui vous sont chers.
Alors ce qui est unique chez vous, localisez-le, identifiez-le, entretenez-le, développez-le. C’est important de se poser ces questions avant de commencer à écrire. Cela dit, c’est un processus. Certains passent leur vie à chercher. Et même une fois que vous saurez qui vous êtes en tant qu’écrivain, cela ne signifie pas que vous pouvez vous reposer sur vos lauriers, au contraire : faites fructifier votre potentiel, améliorez-le, trouvez-vous d’autres singularités afin d’échapper à la stagnation. Être écrivain, en-dehors d’un loisir, peut ainsi devenir une fascinante aventure intérieure, à la découverte de soi.
Certains auteurs souffrent de ce qu’ils appellent le « syndrome de l’imposteur » : ils ne se sentent pas à leur place, ont l’impression que ce qu’ils écrivent n’intéressera personne. L’introspection est le remède : apprenez qui vous êtes, quel genre d’auteur vous êtes, et vous ne vous sentirez plus jamais comme un imposteur – et vos lecteurs non plus.
⏩ La semaine prochaine: Apprends à lire
Très bel article, Julien. Très touchant. Je crois qu’au fond, comme pour tout ce que l’on entreprend dans la vie, tout est affaire de sincérité. Et c’est cette sincérité, cette part authentique de lui-même que l’écrivain laisse filtrer à travers ses écrits, que le lecteur ressent précisément.
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Oui, c’est d’ailleurs paradoxal, dans la mesure où les auteurs sont des prestidigitateurs, des illusionnistes qui rendent vraies des choses inventées de toute pièce.
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Entièrement d’accord avec ce qui est dit dans l’article. Pour écrire il faut se poser la question « qu’est-ce qui est important pour moi de dire ? » et « Pourquoi est-ce important? ». J’ai une amie qui n’écrit que pour elle-même. Elle n’envoie pas ses romans à des éditeurs — elle n’en éprouve pas le besoin — elle ne cherche pas à être lue (pas même par moi qui le lui ai proposé). Moi, c’est tout le contraire. J’écris parce que je veux apprendre l’Histoire à mes lecteurs, l’Histoire du féminisme, l’Histoire des républicains — et aussi parce que je veux faire rire mes lecteurs — l’humour est pour moi primordial — et poser des questions, faire réfléchir, sur l’égalité, l’utopie et sa réalisation, la politique, la religion, la manipulation… Tous sujets qui me paraissent primordiaux. J’écris donc pour des lecteurs, mais pour autant, je ne trouve pas d’éditeur. Je pense que mes romans sont trop politique (je sais par les refus circonstanciés que j’ai reçu que le problème n’est pas l’écriture) ou peut-être trop bizarres. Ce qui me ramène à ce que je disais la dernière fois à propos des clichés : je crois que les éditeurs n’aiment pas la singularité.
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Le grand public a peu d’intérêt pour les iconoclastes: ceux-ci sont obligés, pour se faire entendre, de parler un peu plus fort que les autres. Dans ton cas, peut-être que l’autoédition est une meilleure solution que le formatage des maisons d’édition.
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Et je voudrais rajouter qu’écrire des romans humoristiques sans trouver d’éditeur c’est comme se raconter des blagues à soi-même. Au bout d’un moment c’est lassant.
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A reblogué ceci sur Les perles de l'icono.
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Un article très juste, même si ces questions peuvent faire un peu peur de premier abord (coucou le syndrome de l’imposteur !)
Finalement je pense que j’écris parce que je n’ai pas trouvé de roman qui raconte exactement le genre d’histoire que j’ai envie de lire. Bien sûr, mon but est d’être lue, mais je dois avouer que je m’amuse déjà énormément juste en écrivant.
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Le plaisir est la meilleure des motivations ! Cela dit, écrire réclame de la patience et comporte des phases fastidieuses. J’ai la conviction que la plupart des auteurs obéissent à d’autres élans, en plus du plaisir d’écrire.
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C’est sûrement vrai, mais jusqu’ici je n’ai pas rencontré de phases suffisamment difficiles pour me donner envie d’abandonner (en tout cas, pas sur ce projet). Et puis je crois que c’est dans ma nature de vouloir inventer des histoires, même si je voulais arrêter je crois que j’en serais pas capable ^^’
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Je te comprends à 100%! 😊
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Une bonne question, mais une réponse pas évidente… Par curiosité, que répondrais-tu toi-même ?
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Pour moi l’introspection que je mentionne ici est un processus, qui n’aboutit pas nécessairement à une réponse que l’on peut expliquer en quelques mots.
Cela dit, puisque tu me poses la question, pourquoi est-ce que j’écris? Parce que les idées en tous genres me traversent l’esprit constamment, et si je ne les purge pas en les utilisant dans l’écriture, elles marinent dans ma tête et me rendent malheureux. J’écris parce que j’en ai besoin.
Quelle est ma singularité? Etablir des connexions entre des concepts éloignés. Un peu plus que d’autres auteurs, je parviens à mêler des idées qui ne sont pas souvent utilisées ensemble pour produire des résultats nouveaux. J’ai énormément de points faibles en tant qu’auteur – sur lesquels je ne cesserai jamais de travailler – mais dans la plupart de mes textes, je suis capable de proposer à la curiosité des lecteurs quelques idées propres à les intriguer ou à les déconcerter.
L’avantage d’être un quadragénaire, cela dit, c’est qu’on aborde toutes les questions liées à l’identité et à l’introspection avec davantage de sérénité que quand on est plus jeune.
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Entièrement d’accord avec cet article. Et la réponse n’est pas simple ; d’ailleurs je pense qu’elle n’est pas figée dans le temps et qu’on en découvre d’autres morceaux en écrivant.
La question n’appelait probablement pas de réponse en commentaire mais je me dis que c’est une bonne occasion d’essayer pour moi de la formuler. Alors j’y vais.
Côté motivation. Il y a évidemment le plaisir d’écrire mais au final je crois que je préfère encore lire qu’écrire. Par contre ma « vraie » motivation est d’essayer de changer le monde (oui oui rien que ça…). C’est sûrement trop ambitieux mais j’essaye de faire ma part. Et c’est pour ça que j’écris de la science-fiction, alors que ce n’est pas forcément ce que je lis le plus : parce que je suis convaincue que l’humanité a besoin d’imaginer d’autres mondes possibles pour changer l’actuel. Nous avons besoin de sortir des rails, et pour ça la SF est un outils formidable et qui laisse plus de liberté que le journalisme ou, dans mon cas, le syndicalisme. Quand je milite et que j’explique des revendications, je dois prouver qu’elles sont crédibles à relativement court terme. Je n’ai pas cette contrainte en SF.
Quand à ma singularité, je pense qu’elle est de faire la synthèse entre plein de bribes d’informations (innovations technologiques, monde du travail, collapsologie, jardins partagés, logiciels libres, ce que mes enfants m’apprenne de moi, etc) et de construire un futur sur ces différentes sources.
Voilà désolée pour le commentaire à rallonge, et surtout merci, ça m’a permis de mettre des mots sur des sensations diffuses.
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N’hésite pas, tous les commentaires sont les bienvenus, quelle que soit leur longueur ! Et si en plus ça t’a aidé, je suis sûr que ça aidera ceux qui le liront ensuite.
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Je trouve ça hyper intéressant et je suis entièrement d’accord avec tout ce qui est dit. Sans l’avoir vraiment posé, d’instinct, je pressentais déjà moi-même quelques petites choses. C’est ce qui fait passer du « j’écris parce que j’ai envie, par loisir » au « je transmet un message » et même si ce dernier se fait toujours par l’envie et loisir, c’est essentiel de passer cette marche pour continuer à être motivé.
Merci beaucoup, comme d’habitude !
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Finalement, je pense que c’est la même chose dans un peu toutes les occupations. Si tu fais du VTT, même en amateur, il va falloir, au bout d’un moment, que tu prennes ça au sérieux, que tu t’entraînes régulièrement, que tu travaille ta condition physique, etc… Dans l’écriture, même quand elle reste un loisir, il n’y a pas de raison de s’impliquer moins que ça, même si notre préparation est plus intérieure.
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Ecrire c’est créer un monde, dénoncer les injustices.
C’est transmettre et sécuriser des savoirs.
C’est fuir un travail vide de sens, une vie morose et ses perspectives à l’égyptienne, pour se consoler…
«Ecrire permet souvent de hiérarchiser ses peines et de réorganiser sa vie.» (dixit Christophe André)
Ecrire c’est partager des émotions, des sentiments, vouloir émouvoir, partager…
C’est aussi prendre enfin le contrôle de quelque chose dans sa vie… et abandonner ce contrôle au lecteur.
C’est un acte de foi.
Ecrire c’est espérer qu’on nous comprendra, croire que l’on peut donner de la joie, alléger les peines et conjurer les peurs.
C’est une rébellion contre l’inertie, la misère, l’absence, la bêtise et le manque de de bol.
Ecrire c’est témoigner, chercher du respect, de l’amour, sa rédemption…
Ecrire c’est vivre l’instant, cet instant présent qui rappelle le passé en créant, peut-être, un avenir…
C’est voyager dans le temps, de son vivant et parfois même après sa mort.
Ecrire c’est donner et se donner…
Simplement pour exister un peu plus qu’hier et un peu moins que demain.
(pardon, j’ai un peu grandiloqué)
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