
Jusqu’ici, dans cette série d’articles sur les arcs narratifs et la manière de les construire pour qu’ils soient efficaces, je me suis montré prudent. D’une certaine manière, je me suis contenté d’évoquer des notions comme la préparation, les retombées et le mérite comme des outils analytiques, qui permettent d’estimer après coup si un arc produit ou non l’effet escompté. Mais il est possible de se montrer considérablement plus ambitieux, et c’est ce que je vous propose ici : et si on renversait complètement la proposition, et qu’on se servait du mérite comme d’un outil de construction de l’intrigue ?
Jusqu’ici, sur ce blog, en parlant de construction narrative, j’ai évoqué des notions formelles assez classiques, d’autres moins classiques, et vous ai suggéré de marier tout ça dans un document de préparation qui s’appelle le plan. Mais dans cet article, je vous propose d’essayer une approche complètement différente, qui part des arcs narratifs eux-mêmes pour bâtir votre roman.
L’idée, c’est que chaque scène-clé de votre histoire, chaque personnage, vient s’inscrire dans un ou plusieurs arcs narratifs différents. Ceux-ci comprennent une préparation profonde, une préparation dramatique et une préparation instantanée, qui produit des retombées qu’on espère méritées. Je les ai surnommées des « pyramides » à plusieurs reprises.
Dressez une liste de tous les arcs narratifs majeurs
Donc voici la proposition : plutôt que bâtir votre narratif dans l’ordre chronologique, en y insérant vos arcs narratifs, un peu par tâtonnements, faites exactement l’inverse. Construisez séparément chaque pyramide, puis disposez-en les différents étages au fil de votre histoire, de manière à constituer un récit cohérent.
Voici comment faire. Alors que votre histoire est encore en cours d’élaboration, dressez une liste de tous ses arcs narratifs majeurs. Vous prenez votre personnage principal, vous considérez les péripéties et les transformations qui l’attendent, les enjeux internes et externes qui vont se dresser sur sa route au cours de votre récit, et vous en prenez note. Vous faites de même pour votre antagoniste et pour tous les autres personnages majeurs.
Une fois que c’est fait, pour chacun de ces arcs narratifs, vous vous munissez, par exemple, d’une feuille de papier. Et vous y notez toutes les scènes dont vous allez avoir besoin pour établir la préparation profonde, la préparation dramatique, plus la scène (en principe) qui couronne la préparation instantanée.
Une fois que vous avez achevé ce travail pour tous les personnages de votre liste, vous avez constitué une sorte de « liste de courses », où figurent toutes les scènes-clé de votre récit. Reste à présent à les agencer dans l’ordre pour constituer un narratif cohérent. Décidez de la meilleure organisation possible, tenez compte du tempo nécessaire à ce que les retombées d’un arc narratif soient optimales, prévoyez des scènes intercalaires, afin de donner un peu de liant à l’ensemble, et voilà, vous avez une première ébauche de plan.
Attaquez-vous à la constitution de votre plan
À ce stade, normalement, vous allez réaliser que certains arcs narratifs manquent dans l’organisation de votre histoire, qu’ils sont plus importants que vous l’avez suspecté, ou que vous prenez seulement conscience du fait que leur présence se justifie. Pas de panique : c’est tout à fait normal. Ajoutez-les simplement à votre histoire en faisant usage de la même technique qu’auparavant, donc en dressant la liste des scènes dont vous avez besoin, avant de les intégrer dans le narratif encore en pleine coagulation.
Une fois que vous avez l’impression d’avoir tout incorporé, attaquez-vous à la constitution de votre plan, en fonction de vos besoins et de vos habitudes. À noter que même si vous faites partie de ces autrices ou auteurs casse-cou qui n’établissent pas de plan, le fait de dresser une liste des scènes-clé qui vont être nécessaires à vos arcs narratifs peut constituer une aide, même si vous changez d’avis en cours de route.
Cette manière de construire une histoire présente plusieurs avantages. Le premier, c’est qu’il place les personnages et leur évolution au cœur de vos préoccupations. L’occasion de se rappeler qu’une histoire, c’est un récit au cours duquel le personnage principal change, et que les préoccupations autour du décor, du message ou du style, aussi importantes soient-elles, passent au second plan.
Deuxième avantage : en posant les choses à plat de cette manière, vous n’allez oublier aucune des scènes importantes au succès de vos arcs narratifs, et en principe, vous devriez éviter de vous retrouver avec des événements immérités. Les vrais éléments constitutifs de votre histoire, comme des pièces mécaniques dans une voiture, sont démontés, analysés, puis remontés, avant même de prendre place au sein de votre structure.
Et ça, c’est le troisième avantage : la transparence. Avec cette approche, il n’existe pas de mystère sur le fonctionnement des axes majeurs de votre histoire, puisqu’ils existent de manière synthétique, séparément de l’ensemble, et que vous pouvez y retourner quand vous le voulez pour consulter votre construction. Ainsi, à l’étape des relectures et corrections, si quelque chose cloche, il vous sera facile de dénicher ce qui manque, ce qu’il y a en trop, ou ce qui pourrait être tourné autrement pour que ça fonctionne.



