L’écriture d’entraînement

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On ne compare pas la littérature au sport, en général. Déjà, l’écriture est une activité pas très physique. En plus, beaucoup d’auteurs, à tort ou à raison, préfèrent le calme feutré des bibliothèques aux clameurs des stades. Et puis vous pensez bien : quelle horreur ! Comment oserais-t-on assimiler la blanche colombe pure et immaculée qu’est la littérature à ce monde vulgaire et dégoulinant de transpiration et de corruption qu’est le sport ?

Donc voilà. Vous êtes prévenus : aujourd’hui, je compare la littérature au sport.

Parce que bien sûr, écrire, ça n’est pas une compétition. Et puis les fruits que l’on tire de ces deux arbres si différents ne nous nourrissent pas du tout de la même manière. Donc il ne me viendrait pas à l’idée de vouloir tirer un parallèle trop audacieux, et d’assimiler ces deux activités de manière trop étroite. Cela dit, il y a au moins un point où le monde du verbe rejoint celui de la sueur : on peut s’entraîner.

Sauf que quand on s’entraîne, en littérature, on le fait généralement sans s’en rendre compte. On n’y réfléchit pas en ces termes. Pourtant, c’est bien de ça qu’il s’agit.

Un auteur, c’est presque toujours d’abord un lecteur. Il passe toute une partie de sa vie à dévorer des livres, à les absorber, à s’en nourrir et à constituer ainsi la litière de ses inspirations futures. Mais il ne fait pas que le dévorer : en général, si votre inclination est d’écrire, vous allez finir par porter, en partie en tout cas, un regard analytique sur les productions des autres. Peu à peu, vous allez comprendre comment les romans sont écrits, et chaque page tournée va vous ouvrir les yeux sur des techniques et des approches que vous allez pouvoir intégrer à votre écriture. Ce n’est pas très différent de ce que fait un sportif de compétition lorsqu’il analyse les schémas tactiques de ses adversaires.

Plus on écrit, mieux on écrit

Et puis l’écriture elle-même est un entraînement. Plus on écrit, mieux on écrit : c’est en pratiquant que l’on s’améliore. Par ailleurs, plus on se met devant son clavier régulièrement, plus le geste devient facile, les automatismes se mettent en place, les performances s’améliorent. Délaissez l’écriture trop longtemps, boudez l’entraînement, et vous constaterez qu’il est difficile de s’y remettre : on n’a plus ses repères, on tâtonne, ce qui était facile devient une torture. Oui, l’écriture est un muscle.

Ce muscle, on peut l’échauffer. Je dirais même que si vous en avez le loisir, il est recommandé de le faire. Victor Hugo, dit-on, entamait chacune de ses journées en rédigeant des dizaines de vers qu’il jetait ensuite à la poubelle avant de se mettre à écrire pour de vrai (en tout cas, c’est ce qu’on m’a raconté, mais je n’en ai trouvé aucune confirmation en écrivant ce billent : qu’importe, l’histoire est jolie).

Si vous avez l’impression que vous pouvez en tirer un bénéfice, imitez cet exemple. Mais à votre manière. Avant d’entamer une session d’écriture, rédigez un court texte d’entraînement, quelques vers, un haïku, une série de lignes de dialogue, une description, n’importe quoi qui mette vos sens d’écrivain en alerte et vous place en condition d’écrire. Vous pouvez décider d’écrire la même histoire chaque jour différemment ; de rédiger un texte à l’angle étroit (feu, eau, air, chien, danse, rage, etc…), de créer un mode d’emploi imaginaire pour un objet qui vous entoure, de faire vivre des personnages à travers des mini-histoires, n’importe quoi qui agite vos doigts et mette vos sens d’écrivain en éveil.

Un rituel qui vous signale que le temps de l’écriture commence

Il est important de choisir un exercice avec lequel vous êtes à l’aise et que vous pouvez exécuter sans vous torturer les méninges : l’idée n’est pas de rajouter une contrainte supplémentaire, mais au contraire de permettre à votre créativité de s’exprimer plus librement. Si vous aimez écrire des descriptions, écrivez une description ; si les vers vous viennent naturellement, faites-vous poète ; si vous êtes de nature plus théâtrale, jetez sur le papier quelques répliques bien senties.

Procéder de la sorte peut avoir différents effets bénéfiques : il s’agit d’un rituel qui vous signale que le temps de l’écriture commence, cela peut vous aider à vaincre l’illusion de l’angoisse de la page blanche, et en écrivant sans trop vous en soucier, cela peut vous donner des idées qui vous seront utiles pour plus tard. Au passage : conservez ces écrits d’entraînement, ne faites pas comme Victor Hugo, allez savoir ce que vous allez pouvoir en faire par la suite…

Là, cela dit, on parle d’une authentique écriture d’échauffement, qui n’a aucune prétention littéraire et qui jaillit de la plume sans contrôle ni autocensure. Mais il est possible de faire preuve de davantage d’ambition. Ray Bradbury conseillait ainsi aux écrivains en herbe d’écrire une nouvelle chaque semaine, partant du principe que, en-dehors de l’entraînement que cela procure, « il n’est pas possible d’écrire 52 nouvelles de mauvaise qualité à la suite. » Donc cette approche, en plus de vous apprendre à écrire de la plus efficace des manières, devrait en principe vous permettre de produire une ou deux nouvelles de bonne qualité. À force de courir, on finit par devenir un athlète.

Il n’y a pas de mal à faire des essais

Une autre approche, c’est celle qui consiste à s’échauffer spécifiquement pour un livre en particulier, comme le sportif qui s’entraîne en vue d’un grand événement. Là, il ne s’agit pas seulement d’ouvrir son esprit à l’acte d’écrire en général, mais de s’armer pour rédiger un texte en particulier.

Certains auteurs, avant de se mettre à rédiger leur roman, et même s’ils ont déjà construit un plan efficace et imaginé des personnages, ressentent le besoin de tester la température de l’eau avant de se jeter dedans. Ponine, dont la remarque récemment laissée en commentaire sur mon blog m’a inspiré ce billet, ressent par exemple le besoin de faire parler énormément ses personnages lorsqu’elle écrit le premier jet d’un texte. Cela lui permet de trouver le ton juste, même si ensuite ces dialogues sont raccourcis dans la version finale. De même, avant de rédiger mon roman « Merveilles du Monde Hurlant », j’ai écrit une courte nouvelle pour tester le personnage principal et voir comment les idées que je m’en faisais se concrétisaient sur le papier.

Il n’y a pas de mal à faire des essais. Nous n’avons pas tous la même orientation d’esprit et certaines personnes ont besoin de mettre les idées en pratique pour se les approprier réellement. À vous de savoir, une fois la préparation de votre roman achevée, si vous vous sentez suffisamment à l’aise pour vous lancer dans la rédaction.

Si ce n’est pas le cas, ou pas tout à fait, entraînez vos idées, faites-leur faire un petit tour de piste pour voir si elles sont prêtes pour la compétition. Écrivez des dialogues pour tester les interactions entre vos personnages, faites agir votre protagoniste pour voir comment il fonctionne une fois inséré dans un texte littéraire, décrivez des aspects du décor de votre histoire – tout ce qui vous semble nécessaire pour que vous soyez à l’aise. Et une fois que vous l’êtes, vous êtes prêts à vous lancer dans votre premier jet.

⏩ La semaine prochaine: L’incipit

 

Les métaphores

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Afin de poursuivre la discussion entamée autour du style dans un billet précédent, je vous propose cette semaine de nous intéresser de près à un des outils principaux qui permettent à l’auteur de faire entendre sa voix : la métaphore (pour des raisons de simplicité, ce que j’appelle ici « métaphores » va regrouper les métaphores proprement dites avec d’autres outils similaires tels que les comparaisons, les synecdoques et les métonymies).

« Le ciel était couleur télé calée sur un émetteur hors service » : voilà la première phrase du roman Neuromancien de William Gibson. C’est un bel exemple de métaphore, qui non seulement décrit un élément de décor mais donne un premier aperçu du ton du roman et de son univers de références.

Le mot « métaphore » vient du grec ancien « μεταφέρω », qui signifie « transporter » ou « transférer. » Cela signifie qu’une métaphore « transfère » du sens d’un concept à un autre en laissant entendre qu’ils sont semblables ou équivalents (Oui, cela signifie que le mot « métaphore » est lui-même une métaphore). En d’autres termes, ce que ça implique, c’est que la métaphore nous permet de prendre un terme et de le décrire à-travers toutes les implications et le champ lexical d’un terme complètement différent.

Ajoutez une métaphore bien trouvée et les mots se mettent à parler le langage de nos émotions

La métaphore est un ingrédient indispensable dans la grande soupe d’un roman : bien choisie, elle peut en relever la saveur et rendre inoubliable un passage qui serait sans cela resté banal. Vous vous en êtes sans doute déjà aperçus en relisant une description dans un de vos textes et en la trouvant terne, ordinaire, sans intérêt. Ajoutez-y une métaphore bien trouvée et les mots se mettent à parler le langage de nos émotions.

Ce n’est pas étonnant : l’être humain pense en métaphores. Notre cerveau est une machine à comparer les concepts les uns aux autres. Bien sûr que nous voyons des visages et des animaux se dessiner dans les nuages : à chaque instant, nous cherchons des ressemblances et des points communs entre l’univers dans lequel nous évoluons et la somme des expériences que nous avons accumulée. Les pieds de la chaise, la bretelle d’autoroute, les ailes de l’avion : nous sommes constamment en train de nommer des choses en les comparant avec d’autres choses. Lorsque l’écrivain utilise une métaphore ou une comparaison, il ne va donc pas simplement faire usage d’une figure de style, d’une astuce littéraire : il va s’adresser à ses semblables en utilisant le langage qu’ils comprennent le mieux.

Pour un auteur, il y a de nombreux moyens formels d’utiliser une métaphore ou une comparaison. Mettons que nous nous soyons mis en tête de tirer un parallèle entre un vieillard et une tortue. Ça n’est pas très sympathique, mais imaginons-le malgré tout. Il existe d’innombrables formulations qui vont nous permettre d’exprimer ce lien :

La manière dont ce vieillard se déplace me fait penser à une tortue.

Ce vieillard se déplace comme une tortue.

Ce vieillard est comme une tortue.

Tel une tortue, ce vieillard se déplace.

Ce vieillard est une tortue.

Cette tortue se déplaçait.

Cette tortue est un vieillard.

Ce vieillard est l’incarnation d’une tortue, l’image de la tortue, l’essence de la tortue.

Comme les chameaux marchent l’amble, ce vieillard marchait tortue.

De la manière dont ce vieillard se déplaçait, on lui aurait facilement imaginé une carapace sur la tête et une feuille de salade dans la bouche.

Le pas chélonien du vieillard.

Etc…

On le comprend bien, les métaphores peuvent servir à établir des liens entre toutes sortes de choses. À titre d’exemple, une métaphore peut relier une personne à une autre personne (« Arrête de faire ton Caliméro ! »), une personne à un animal ou à une plante (« Thérèse est un chêne »), un animal ou une plante à une personne (« Avec les années, ces vignes sont devenues mes sœurs »), une personne à une chose (« Je suis un roc »), une chose à une personne (« Londres est une Lady »), une personne à un concept (« Elle était l’incarnation de la confusion »), un concept à une personne (« La vieillesse est une amie perfide »), un concept à un animal ou à une plante (« Nos souvenirs étaient des squales mangeurs d’hommes »), etc…

Il faut qu’elles enrichissent le sens d’un texte sans le trahir

Qu’est-ce qui fait qu’une métaphore fonctionne ? Pour qu’elles apportent quelque chose à un texte ou à une description, il faut qu’elles en enrichissent le sens sans le trahir. Une bonne métaphore suggère un monde de connotations en quelques mots et peut élargir le sens du mot auquel elle se rapporte, tout en stimulant l’imaginaire du lecteur. Elle sera d’autant plus efficace si elle frappe l’imagination et présente des connections évidentes au sujet, mais y ajoute également des différences importantes (par exemple quand on compare un objet à une chose vivante), ainsi que des détails qui peuvent être tangibles et intangibles.

« C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé » : la dernière phrase de « Gatsby le magnifique » de Francis Scott Fitzgerald est une métaphore qui fonctionne parce qu’elle repose sur une image forte (la progression des barques contre le courant), qui fonctionne comme un parallèle direct avec le concept de base (le cheminement de notre mémoire et le mouvement des barques), en y ajoutant des connotations supplémentaires (la fragilité d’une barque chahutée par les courants).

Mais si certaines métaphores fonctionnent, il y en a d’autres qui s’enlisent ou qui explosent en vol.

Le premier piège est la métaphore qui ne frappe pas l’imaginaire, ou qui renvoie à un concept difficile à comprendre. Si j’écris une phrase comme « La justice est un léopard à rayures vertes et jaunes », c’est peut-être assez joli, mais on ne comprend pas où je veux en venir, ni ce que j’essaye d’exprimer au sujet de la justice. Mieux vaut trouver une image moins alambiquée (« la justice est un léopard en chasse ») qui n’emmènera pas le lecteur faire du hors-piste dans son imaginaire.

Ne faites pas comme les commentateurs sportifs

Attention également aux métaphores croisées. Parfois, on utilise une expression courante sans se rendre compte qu’il s’agit d’une métaphore, et on y ajoute une métaphore supplémentaire, pas forcément de même teneur, ce qui force l’imagination du lecteur à faire le grand écart. « Le monde du travail est une jungle où chacun essaye de parvenir le premier sur la ligne d’arrivée » compare le boulot à la fois à un milieu naturel et à une compétition sportive, ce qui fait beaucoup. En général, il n’y a la place que pour un seul univers de référence dans une phrase, donc si vous tenez absolument à rajouter une seconde métaphore, situez-la dans le contexte de la première : « Le monde du travail est une jungle où les animaux les plus féroces dévorent les plus inoffensifs. » Les commentateurs sportifs sont particulièrement adeptes de métaphores croisées et il n’est pas rare de les entendre lâcher des phrases telles que « Le stade est un champ de bataille où chaque artiste a du mal à garder le cap en attendant le coup de sifflet de l’homme en noir. » Ne faites pas comme eux.

Autre piège : le cliché. Gérard de Nerval a écrit que « Le premier qui compara la femme à une rose était un poète, le second un imbécile. » Lorsqu’une image a été trop entendue, trop utilisée, son parfum s’évente et sa force d’évocation disparaît. Écrire aujourd’hui qu’un personnage est « Rusé comme un renard » ou « Têtu comme une mule » ne frappe pas l’imagination, n’apporte rien au texte et risque même de faire décrocher le lecteur. Il n’y a rien à gagner à écrire « Il pleuvait des cordes. » Si vous ne trouvez pas une métaphore neuve et efficace, n’utilisez pas de métaphore.

Ces bêtes-là ont besoin d’espace pour vivre

Attention également à ne pas surcharger la phrase de métaphores. Ces bêtes-là ont besoin d’espace pour vivre. Elles prennent de la place dans l’imaginaire du lecteur et ne peuvent pas y déployer leurs effets si elles sont saucissonnées entre deux autres métaphores. Faites preuve de mesure, et évitez s’il vous plaît des phrases « Sapins de Noël » du genre : « Telle un fauve, la nuit cannibale tomba sur moi à la manière d’une pluie d’encre, alors qu’un sommeil meurtrier taillait mes songes endoloris en charpie. » Une métaphore maximum par phrase, c’est une assez bonne règle à observer, en général.

Et au fond, pourquoi pas zéro métaphore ? Ce n’est pas à recommander à tous les auteurs, mais pourquoi ne pas décider de renoncer totalement, l’espace d’un projet d’écriture tout du moins, à faire usage de cet outil ? Pourquoi ne pas opter pour un style purgé de toute image métaphorique, pour des phrases qui décrivent les choses et les gens tels qu’ils sont, sans aucune comparaison. Un tel pari minimaliste peut obliger un auteur à faire preuve de créativité et à se pencher sur son style avec un œil critique.

⏩ La semaine prochaine: les enjoliveurs de phrases