Après avoir passé en revue les données de base du combat et de la manière dont un écrivain peut lui donner vie sur la page, je vous propose encore deux petits billets pour détailler deux situations qui sont récurrentes, dans tous types de littérature : le combat au corps-à-corps et le combat à distance.
Comme dans tous les articles qui précèdent dans cette série consacrée à la guerre, je n’ai aucune prétention de connaître quoi que ce soit à la réalité des techniques de combat : ce n’est pas le propos. Il s’agit simplement ici de prendre note de quelques réalités qui pourraient venir nourrir les scènes de bagarre dans les romans que vous souhaiteriez écrire. Si vous souhaitez en apprendre davantage sur l’escrime et les arts martiaux, vous trouverez ailleurs de bien meilleurs professeurs.
Qu’est-ce qu’on entend exactement par « combat au corps-à-corps » ? En deux mots, il s’agit tout simplement de toute forme d’engagement physique où les participants, pour pouvoir s’atteindre mutuellement, sont obligés de s’approcher les uns des autres assez près pour prendre le risque d’être touchés eux aussi. En clair, dans un corps-à-corps, les combattants sont assez proches pour se toucher, pour se saisir, qu’ils se battent à l’arme blanche ou à mains nues.
De ce constat découle la règle principale de tout engagement au corps-à-corps : par définition, pour tenter de blesser son adversaire, on doit s’exposer à être blessé soi aussi.
C’est la danse du corps-à-corps : défense, offensive, riposte
Quand on porte un coup, on augmente les risques d’en recevoir. Lorsque l’on passe à l’offensive, on réduit son potentiel défensif, on baisse sa garde, on expose son corps aux coups adverses. Il en découle qu’un combat au corps-à-corps est constitué de phases où chacun adopte une posture défensive, se protégeant avec son arme ou à l’aide d’un bouclier dans le but de se préserver autant que possible des attaques adverses. Entre ces phases interviennent des moments où les combattants voient poindre une opportunité de passer à l’offensive et qu’ils tentent une attaque. Ce faisant, ils deviennent plus vulnérables et s’exposent à une riposte immédiate. C’est la danse du corps-à-corps : défense, offensive, riposte.
À cela s’ajoute encore une autre possibilité : l’esquive. Un auteur risque d’être tenté de ne concevoir un combat au corps-à-corps que comme un choc entre plusieurs combattants, qui frappent chacun à leur tour. Mais ils oublient que le face-à-face s’inscrit dans un lieu, dans un espace, et qu’en plus de l’option qui consiste à se protéger des coups de l’adversaire, il y a celle où le combattant tente de les éviter, de se trouver ailleurs que sur la trajectoire d’une arme. En réalité, dans un combat, les participants se trouvent constamment en mouvement, et pour peu que rien ne restreigne leur mobilité, ils ne vont pas arrêter de tenter d’éviter le contact avec leur adversaire. L’option « esquive » est donc toujours présente, moins comme une quatrième possibilité que comme une manière de sortir du cycle défense-offensive-riposte pendant quelques temps. C’est encore plus vrai dans le cas où l’un des participants ne cherche pas l’engagement, mais tente au contraire de fuir la bagarre, toute possibilité de s’éloigner de ses adversaires étant alors une bonne option à prendre.
Une lutte au corps-à-corps, ce sont en premier lieu des enjeux
Au fond, pour mettre en scène un combat, c’est tout ce dont un auteur a besoin. Le vocabulaire technique de l’escrime et des arts martiaux peut occasionnellement être utilisé pour mettre du piment dans la description d’un corps-à-corps, mais comme on a déjà eu l’occasion d’en parler, le risque est que l’usage du jargon ne fasse que détourner l’attention du lecteur des réels enjeux du combat.
Une lutte au corps-à-corps, ce sont donc en premier lieu des enjeux : deux ou davantage de participants qui entrent dans le combat avec des objectifs en tête, des choses à perdre et à gagner ; c’est aussi un contexte, avec un lieu et un moment qui peuvent avoir une influence sur le déroulement du combat ; et se surimposant à cela, il y a une succession de décisions tactiques basées sur l’offensive, la défensive et la mobilité, et les conséquences de ces tentatives, que l’on se gardera si possible de décrire coup par coup ; enfin, il y a le génie de l’auteur, capable de briser cette routine et de faire intervenir, au milieu du combat, des éléments inattendus comme un belligérant qui tente de mordre son adversaire, un vol de pigeons qui traverse la rue et sépare les duellistes, une corne de brune qui les prend par surprise et leur fait lâcher leurs armes, un nuage de fumée épaisse qui survient et plonge l’issue de la bagarre dans l’incertitude.
Pour lutter au corps-à-corps, il faut des armes et leurs caractéristiques vont avoir une influence déterminante sur le déroulement du combat. Pour faire simple, un auteur peut considérer que toute arme blanche peut être définie par les critères suivants. Ce qui est enrichissant pour un romancier, c’est que chacun des choix décrits ci-dessous a tendance à privilégier un aspect du combat et à en sacrifier un autre. En fonction de son équipement, un combattant va par exemple mettre en avant la mobilité au dépens de la protection, ou l’inverse.
Le type de dégâts causés
Perçants, contondants, lacérants, brûlants, immobilisants, etc… Cela conditionne les blessures infligées, mais aussi la manière dont les combattants doivent agir au cours du combat pour faire mal à l’ennemi. Essayer de transpercer l’adversaire avec le bout pointu d’une rapière, cela ne réclame pas le même type de mouvement que tenter de les découper avec le tranchant d’un sabre ou de les cogner avec la partie métallique d’une masse d’arme.
La portée et la taille de l’arme
Plus l’arme est longue, plus elle permet de toucher un adversaire éloigné et donc de se préserver des attaques adverses, mais plus il est difficile de manœuvrer, en particulier dans un espace exigu. Avec une épée longue, on peut tenir en respect un adversaire armé d’un poignard dans des conditions normales, mais en intérieur, l’épéiste se retrouve désœuvré face à la plus grande mobilité de son opposant. Une hallebarde permet d’éloigner l’ennemi sur un champ de bataille, mais si celui-ci parvient à s’approcher au-delà du bout pointu, elle n’est guère plus efficace qu’un grand bâton.
Mettre en scène un combat dont les participants ont des armes de longueurs différentes peut créer une situation tactique riche en retournements de situations : c’est une option à garder en tête.
Le poids et la maniabilité
Certaines armes sont lourdes et réclament une force importante pour les maintenir en mouvement, sans même parler de frapper l’adversaire. Comme souvent dans le combat au corps-à-corps, c’est donnant-donnant : utiliser une arme lourde, c’est renforcer l’impact des coups et donc la gravité des blessures causées, dans la mesure où, comme nous l’enseigne la physique, c’est la masse déplacée qui donne de l’énergie aux armes blanches. Mais en échange, la personne qui utiliserait ce genre d’arme se fatiguerait plus vite, et elle ne pourrait pas frapper aussi souvent.
Je vous renvoie au combat cinématographique, dans « Le Retour du Roi », où Eowyn et Merry, armés d’épées courtes, combattent le Roi Sorcier, équipé d’un gigantesque fléau d’arme. Il peut à peine le soulever et ses attaques sont espacées, mais il parait évident que si un seul de ses coups atteint sa cible, celle-ci sera écrabouillée.
La capacité à parer
Si l’épée et ses variantes constituent des armes de corps-à-corps si populaires dans la fiction comme dans la réalité, c’est parce qu’elles permettent d’attaquer de différentes manières, d’estoc et de taille, mais aussi qu’elles sont assez efficaces pour parer les coups adverses. Ce n’est pas le cas de toutes les armes. Les armes d’hast, en particulier, celles qui sont constituées d’un manche en bois qui se termine par une partie métallique, sont moins pratiques à utiliser lorsqu’il s’agit de bloquer les attaques de l’adversaire : le manche n’est pas conçu pour dévier les impacts, et pire, il peut être brisé par un choc trop violent.
Lorsque vous concevez votre combat, réfléchissez aux possibilités défensives offertes par le choix d’armes de vos belligérants. Certaines d’entre elles les exposent davantage que d’autres. Bien sûr, il est possible de compenser ce qui peut apparaître comme un désavantage tactique : le combattant dont l’arme n’est pas conçue pour la parade pourra choisir de s’équiper d’un bouclier, il aura aussi la possibilité de revêtir une lourde armure pour encaisser les coups, au prix de sa mobilité, ou alors au contraire il pourra choisir d’éviter tout ce qui alourdit, pour privilégier la mobilité et donc l’esquive.
Au-delà de ces questions d’équipement, une notion importante lorsque l’on met en scène un combat au corps-à-corps, c’est la fatigue. Une bagarre à poings nus réclame déjà une certaine énergie, c’est donc encore plus le cas d’un duel entre des hommes vêtus de lourdes armures et portant d’énormes épées. Même pour des individus en très bonne condition physique, un combat peut être vu comme une gestion rigoureuse de ressources physiques qui prennent un certain temps à se reconstituer : comment vais-je parvenir à terrasser mon adversaire suffisamment vite pour que j’émerge vainqueur avant que l’épuisement ne me mette en danger ?
Un combat peut se terminer sur un simple accord
Dans la mesure du possible, des combattants expérimentés vont privilégier les accrochages courts, efficaces, en tentant d’obtenir des résultats aussi vite que possible, même s’ils doivent pour cela y sacrifier un peu de panache et d’élégance. Dans un univers imaginaire, un adversaire qui ne se fatiguerait pas, comme un mort-vivant, pourrait opter pour une tactique défensive destinée à épuiser son adversaire jusqu’au moment où celui-ci montre des signes de faiblesse.
D’ailleurs, justement : encore deux mots de la fin du combat. Un corps-à-corps peut se terminer par la mort d’un des combattants, ou celle de tous les représentants d’un des camps en présence. Mais il ne s’agit pas de l’unique option. Pour commencer, cette catégorie de conflits inclut les bagarres à coups de poing, et celles-ci s’achèvent rarement par un décès : ils s’arrêtent généralement quand quelqu’un est à terre, incapable de se battre. Voilà une issue tout à fait acceptable : terrasser son adversaire, lui donner une bonne leçon, le rendre incapable de poursuivre le combat, peut largement suffire et constitue une conclusion tout à fait satisfaisante à ce genre de scène dans un contexte littéraire. De même, un ennemi peut être blessé sans que ses plaies soient mortelles : le vainqueur le laisse inconscient ou en train de saigner et se désintéresse de son sort, même s’il y a de bonnes chances qu’il parvienne à se remettre d’aplomb après avoir reçu des soins appropriés.
Un combat peut aussi se terminer sur un simple accord : l’un des participants réalise qu’il ne peut pas l’emporter et il décide de se rendre et de laisser son adversaire décider de son sort. La plupart du temps, il sera capturé, ce qui peut relancer l’intrigue dans une direction inattendue. Un combat peut prendre fin de cette manière parce que la situation rend évidente la victoire de l’un des camps : c’est le cas par exemple si un combattant a été désarmé ou se trouve à la merci de l’arme adverse, sans possibilité de s’en sortir. De manière générale, réfléchissez aux différentes manières dont un combat au corps-à-corps peut se terminer : la mort est la moins intéressante d’entre elles.
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Toutes ces réflexions sur l’écriture du combat au corps-à-corps et des combats en général me donnent envie de relire Dino Buzzati, c’est lui qui m’a le plus impressionné dans ce domaine. La nouvelle s’intitule « Teddy Boys » si je ne m’abuse, et elle se trouve dans Le K (titre du recueil)
En tout cas merci aussi pour ces articles là, Julien. Une belle mine d’informations qui pourraient s’avérer précieuses…
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