Critique : Les Tombeaux d’Atuan

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De l’enfance au début de l’âge adulte, la trajectoire d’Arha, forcée dès son plus jeune âge de devenir l’unique prêtresse d’une religion sans fidèles, cloîtrée dans un lieu reculé de l’île d’Atuan, sur le monde de Terremer, et dont la rencontre avec un voleur va bouleverser sa vie.

Titre : Les Tombeaux d’Atuan

Autrice : Ursula K. Le Guin (traduction Philippe Hupp)

Editeur : Le Livre de poche (ebook)

Comment écrire la suite d’un livre quand on n’a pas planifié d’en écrire une ? On serait bien inspiré d’imiter l’exemple d’Ursula K. Le Guin avec ce deuxième roman de la série « Terremer ».

Dans le premier volume, l’autrice nous faisait miroiter que son personnage principal, le magicien Epervier, était promis à une existence jalonnée de moments exceptionnels, mais le récit s’interrompait bien avant la plupart de ceux que son narrateur avait rapidement esquissé. Dans ces circonstances, la voie paraissait toute tracée : il suffisait de continuer là où le tome 1 s’était interrompu, et de servir aux lectrices et aux lecteurs une nouvelle fournée d’aventures à travers l’archipel de Terremer, jalonnée de tours de magie et de contemplations maussades sur l’existence humaine. Franchement, ça s’écrit tout seul.

Le Guin n’a pas fait ça du tout. Ce qu’elle a fait, c’est de prendre le premier roman et de le retourner comme une chaussette.

Alors que « Le Sorcier de Terremer » racontait les premières années de la vie d’un jeune homme, « Les Tombeaux d’Atuan » fait de même, mais avec une jeune femme ; le premier se déroulait dans un univers masculin, tout en liberté, le second dans un univers féminin, où tout est contrainte ; le premier nous emmenait dans une série de voyages dépaysants à travers des îles très variées, le second se passe presque intégralement dans un lieu clos ; le premier nous présentait un monde sans dieux où la magie était omniprésente, le second un monde sans magie où la religion est partout ; le premier racontait le conflit d’un individu contre sa propre arrogance, le second la libération face à une tradition séculaire. Ce faisant, l’autrice confère à son monde de Terremer une profondeur insoupçonnée, et nous le dévoile comme un instrument capable de raconter toutes sortes d’histoires différentes. Comme sa protagoniste, elle refuse de faire ce qu’on attend d’elle et rejette toutes les contraintes, même celles qu’elle aurait pu s’imposer à elle-même.

Vess-Atuan

« Les Tombeaux d’Atuan » est un roman feutré, renfermé sur lui-même, avec peu de lieux et peu de personnages. On n’aurait aucune peine à en tirer une pièce de théâtre, c’est d’ailleurs selon moi stupéfiant que ça ne soit pas le cas, tant ça serait facile et conduirait vraisemblablement à un résultat intéressant. Il y a beaucoup de dialogues, les décors sont toujours un peu les mêmes, et l’autrice fait preuve de tant de minimalisme et met un tel point d’honneur à distinguer différentes qualités de silence et à contraster profodnes ténèbres et glorieuse lumière qu’on croirait qu’elle est une inconditionnelle de Peter Brook.

Il est particulièrement intéressant de retrouver ici Epervier, le personnage principal du « Sorcier de Terremer », dans un rôle secondaire, plus mûr et plus serein que lorsque nous l’avons quitté. Ironiquement, Ursula K. Le Guin lui offre ici le prolongement de ses aventures esquissé dans le premier volume, mais plutôt que de lui faire vivre des aventures épiques, il joue ici un rôle peu glorieux, et ses hauts-faits nous sont racontés indirectement, comme un pied-de-nez à nos attentes de lecteur. S’il est là, c’est surtout pour jouer le rôle du catalyseur dans les changements que traverse Arha. Certains critiques ont regretté que celle-ci ait besoin de l’intervention d’un personnage masculin pour traverser cette étape-clé de son existence, mais selon moi elle reste à tous moments aux commandes de sa propre trajectoire, et son tempérament comme ses valeurs sont bien trempés et en font une protagoniste complexe et qui ne doit rien à personne, peut-être davantage que son homologue masculin.

« Les Tombeaux d’Atuan » constitue le modèle à suivre pour une suite réussie dans la littérature de l’imaginaire. C’est peut-être bien la suite la plus réussie de l’histoire de la fantasy. Le roman est l’égal du premier par la qualité, mais différe de lui en toute chose ou presque, et étend ainsi l’univers esthétique de Terremer bien au-delà de ce qu’on pouvait soupçonner. Considéré comme une oeuvre à part entière, c’est un livre qui happe le lecteur, qui, une fois le volume refermé, emportera toujours un peu de son silence et de ses ténèbres avec lui.

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