Cité sur franceinfo.fr

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Dans le cadre d’un article très intéressant sur la place des personnages féminins dans la littérature fantasy, j’ai eu le plaisir de répondre aux questions de la rédaction numérique de France Info, et je suis cité dans le sujet que vous pouvez lire en suivant ce lien, parmi des noms prestigieux. J’y parle de Tim Keller, l’héroïne de mes romans du « Monde Hurlant ». Bonne lecture !

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Les personnages principaux

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Créer des personnages est un des piliers de l’écriture romanesque, sans doute aussi important que de bâtir une intrigue. Pourtant, alors que la construction de l’histoire est une question technique et fastidieuse, celle des personnages est plus instinctive, reposant sur l’observation et l’expérience humaine de l’auteur. Bref, c’est plus rigolo à faire.

Pourtant, ne nous y trompons pas : même s’ils se ressemblent, un personnage n’est pas une personne, et ce qui est valable pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Il existe des techniques qui permettent de tirer le meilleur de cette étape de l’écriture, et je vous propose de nous y attarder dans ce billet et les suivants.

Par souci de clarté, et même si en pratique la division entre les deux n’est pas toujours tranchée, je vais me pencher tout d’abord sur les personnages principaux, pour examiner la semaine prochaine les personnages secondaires, qui ne fonctionnent pas tout à fait de la même manière.

Les personnages principaux, protagonistes ou pas, antagonistes ou pas, sont les agents de l’intrigue, des machines à histoires, ceux dont on raconte les aventures et sur qui les événements ont le plus d’impact. Comme le lecteur passe beaucoup de temps à leurs côtés – et parfois même dans leur tête – ils sont plus complexes que les autres et nécessitent plus d’attention de la part d’un écrivain. Voici quelques règles à garder en tête à leur sujet.

Les personnages principaux sont définis par leurs actes

Un personnage est ce qu’il fait. Personnage = action. S’il n’y a qu’une seule leçon à retenir, c’est celle-là. Votre protagoniste a peut-être un look d’enfer, la langue bien pendue et une tragique histoire personnelle, mais la seule chose que les lecteurs vont retenir à son sujet, ce sont ses actes (avec la précision tout de même que dans certains cas, parler, c’est agir).

Ainsi, lorsque vous souhaitez définir ce qui fait l’originalité d’un personnage, ne le faites pas à travers des descriptions ou des anecdotes, mais à travers des scènes où il agit. Ne gaspillez pas le temps du lecteur à nous dire que votre détective est un casse-cou, montrez-le en train de grimper dans une voiture en marche. Ne vous contentez pas d’affirmer que la duchesse a un sens moral chancelant, faites-lui accepter un pot de vin.

Par ailleurs, la passivité empoisonne le récit. Un personnage principal doit agir et emmener toute l’histoire avec lui. Ce n’est pas une feuille charriée par le courant, c’est un saumon qui remonte la rivière : il agit, il mène le bal, il influence le déroulement de l’histoire.

 

Les personnages principaux sont compréhensibles

Il n’est pas indispensable que les personnages principaux soient sympathiques : les lecteurs sont tout à fait capables d’accepter de suivre les aventures d’individus peu recommandables, d’anti-héros, voire de monstres abominables (il y en a même qui préfèrent ça).

Par contre, aussi épouvantables soient-ils, il faut qu’ils soient compréhensibles : leurs motivations d’agir doivent être claires, et même si on désapprouve leurs actes, il est impératif que l’on comprenne pour quelle raison ils agissent comme ils le font. Il faut que les rouages de leurs mécaniques internes soient visibles, en tout cas en partie.

C’est le secret de séries télé comme Breaking Bad, qui nous font adopter le point de vue de personnages franchement ignobles : même quand on n’est pas de leur côté, même quand on les désapprouve, ce qui les motive à agir est toujours parfaitement clair.

Cela dit, même si les lecteurs sont prêts à tout pardonner à des personnages monstrueux pour autant que ceux-ci soient convaincants et bien construits, ils ont beaucoup plus de peine à tolérer des personnages agaçants. Donc gardez à l’esprit que si votre protagoniste n’a pas de sens moral, accorde peu d’intérêt à la vie humaine et est prêt à tout écraser sur son passage pour atteindre ses objectifs, cela gênera probablement moins le lecteur que s’il est capricieux, querelleur, mièvre, radoteur ou pleurnichard.

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Les personnages principaux ont un arc narratif

La fonction d’un personnage principal dans l’intrigue n’est pas fixe. Elle évolue au cours du récit. Comme on a eu l’occasion de le voir auparavant, une histoire, c’est un récit au cours duquel le personnage change. Au fil des pages, les personnages importants d’un roman vont en apprendre plus sur eux-mêmes, changer de statut et d’opinions, et ressortir différents de leurs expériences. Un personnage principal qui ne change pas n’a aucun intérêt.

En général, on peut même affirmer qu’un personnage principal intéressant a deux arcs narratifs : un extérieur et un autre intérieur. Il va poursuivre un but tout au long du roman, pour parvenir finalement (ou non) à le réaliser, et en parallèle, il va suivre un cheminement intérieur dont il va sortir changé, ayant appris une leçon au sujet de lui-même. Dans certains cas, le personnage à la fin du roman a peu de choses à voir avec ce qu’il était au début, même s’il n’est pas indispensable d’atteindre de telles extrémités.

Les personnages principaux occupent une niche

Même si les différents personnages principaux de votre roman sont développés, riches et plein de contrastes, il n’en reste pas moins qu’ils vont occuper un rôle spécifique dans l’intrigue, un rôle qui peut changer au cours de l’histoire, mais dont l’auteur doit être conscient. Il est crucial d’éviter les doublons, c’est-à-dire les situations dans lesquelles deux personnages remplissent la même fonction, qui peut être résumée par les mêmes mots. Si deux de vos personnages principaux sont des « indics sarcastiques », de « braves chevaliers » ou des « femmes au foyer désespérées », à moins que votre objectif soit justement de les comparer l’un à l’autre, il faut agir : lorsque cela se produit, mieux vaut fusionner les personnages ou en modifier un afin qu’il soit plus distinctif.

Dans sa série de romans de science-fiction humoristique Le Guide galactique, Arthur Adams présente dès le départ un personnage nommé Ford Prefect, un type cool et excentrique qui a pas mal roulé sa bosse dans l’univers. Juste après, il un introduit un autre personnage, Zaphod Beeblebrox, un type encore plus cool, plus excentrique et qui connait encore mieux l’univers. Ford est éclipsé et ne trouve plus jamais sa place dans le narratif. Ne faites pas comme Arthur Adams (sauf bien sûr si vous voulez devenir un auteur à succès).

Les personnages principaux ont des liens

Pour définir un personnage, il faut s’intéresser à lui et à ce qui se passe à l’intérieur de sa tête, bien entendu. Mais il est tout aussi crucial de se pencher sur celles et ceux qui l’entourent, les personnes qu’il aime, celles qu’il déteste, le genre de rapports qu’il entretient avec elles, comment ceux-ci se construisent et se dégradent. Un personnage principal se situe au cœur d’un réseau de relations humaines complexes qui aident le lecteur à mieux comprendre qui il est.

L’affection prend parfois des destinations imprévisibles, et les gens peuvent haïr des individus qui leur ressemblent et qui sont plutôt recommandables, et avoir des coups de cœur pour des individus qui se situent aux antipodes d’eux, moralement et socialement.

Ainsi, votre protagoniste sera plus intéressant s’il entretient des sentiments puissants, positifs ou négatifs, vis-à-vis de certains personnages secondaires, à plus forte raison s’ils sont inattendus. Votre chevalier au grand cœur a peut-être d’admirables qualités morales, mais si vous lui flanquez un repris de justice comme meilleur ami, il gagnera en profondeur. Autres exemples : un homme cruel mais sincèrement amoureux d’une femme admirable, ou un personnage honnête mais dévoré de jalousie pour quelqu’un qu’il estime plus privilégié que lui.

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Les personnages principaux ont des failles

Nos défauts nous donnent plus de caractère que nos qualités. Il ne s’agit pas d’un jugement de valeur : bien sûr, les gens fiables, honnêtes, généreux ou hospitaliers sont formidables, mais d’une certaine manière, ils incarnent la norme, la manière dont on est supposé se comporter en société. Dès lors, les défauts, les failles, tout ce qui vient ébrécher la surface trop lisse d’une personnalité, va automatiquement rendre un personnage plus mémorable. Il est important d’en tenir compte en créant un personnage de roman.

Attention cependant à ne pas tomber dans le piège du défaut qui tombe de nulle part. Un protagoniste valeureux et honnête ne va pas devenir plus intéressant parce que vous décidez qu’il est allergique au pollen ou qu’il a la phobie des araignées. Pour qu’une faille enrichisse un personnage, il faut qu’elle s’insère dans ce que l’on connait déjà de lui, en particulier si elle vient compliquer les buts qu’il poursuit. Une faille est d’autant plus riche qu’elle vient prendre sa place dans l’évolution du personnage et mettre un peu de sel dans ses relations avec les autres.

Les personnages principaux ont une manière de parler distinctive

Si un personnage existe à travers ses actes, il existe également à travers sa manière d’agir et de s’exprimer. Chaque personnage a une voix qui lui est propre, un niveau de langage spécifique, des tics, des expressions favorites, des habitudes. Certains sont très bavards et multiplient les monologues, d’autres ne parlent que s’ils y sont obligés, d’autres encore passent leur temps à poser des questions. Même s’il vaut mieux éviter de tomber dans la caricature, qui peut vite agacer (dans ce domaine, monsieur Jar-Jar, il est facile d’en faire trop), en réfléchissant à sa manière de s’exprimer, on pourra lui donner une dimension supplémentaire. En plus, si tous vos personnages principaux s’expriment de manière distincte, vous simplifierez considérablement la compréhension des dialogues.

S’exprimer, ça n’est pas seulement parler, d’ailleurs. Prenez le temps se penser au langage corporel de votre personnage principal : certains sont très tactiles, d’autres soulignent leurs pensées de gestes théâtraux, d’autres encore ne bougent pas d’un pouce. Là aussi, allez-y mollo, les lecteurs repèrent très vite quand un auteur décrit les mêmes gestes encore et encore. Donc oui, votre personnage peut se lisser nerveusement la tresse quand elle est nerveuse, mais par pitié, pas à chaque fois.

Les personnages principaux ont des opinions

En jetant les bases de votre roman, vous aurez peut-être l’impression qu’un personnage compréhensif, ouvert et d’accord avec tout le monde va paraître sympathique, mais en fait pas du tout. Ce genre de personnage est toxique pour l’intérêt du lecteur : pour fonctionner et stimuler l’intérêt, un personnage doit avoir des convictions et des opinions tranchées, qu’il est prêt à défendre avec passion. Mieux vaut désapprouver les actes du protagoniste que d’y rester indifférent.

En deux mots : un personnage principal a du tempérament. S’il n’en a pas, s’il est transparent et inconsistant, il sera vite éclipsé par les autres personnages qui l’entourent et qui ont plus de relief que lui.

Les personnages principaux ont un nom distinctif

La priorité quand on nomme les personnages principaux d’un roman, c’est de faire en sorte qu’on ne puisse pas les confondre les uns avec les autres. Si votre lecteur a du mal à savoir qui est qui, vous êtes mal barrés.

Dans sa série « La Quête d’Ewilan », Pierre Bottero a souvent recours aux mêmes sonorités pour nommer ses personnages : Ewilan, Edwin, Ellana, Elea, Elicia. Attention : le nom d’un personnage, ça n’est pas qu’une série de lettres, c’est aussi une image sur la page, que le lecteur identifie sans même y penser. Facilitez-lui la vie en donnant à vos personnages principaux des noms qui commencent par des lettres différentes, en particulier s’ils sont amenés à se côtoyer. De cette manière, ils seront visuellement et phonétiquement distincts.

Un nom peut aussi contribuer à définir un personnage, à travers la signification du nom de famille, l’aspect désuet ou moderne d’un prénom, ou par exemple en faisant usage de certaines sonorités plutôt que d’autres. Un personnage de combattant paraîtra plus crédible s’il est baptisé « Raknag » plutôt que « Trifougnet » (mais la crédibilité n’est pas nécessairement le but que vous recherchez).

Par ailleurs, il peut être très utile de donner un surnom à certains de vos personnages principaux, pour éviter les répétitions. Pensez-y lorsque vous les concevez : il peut s’agir d’un sobriquet affectueux (« Pupuce »), d’un titre (« Le terrible »), ou d’un simple descriptif professionnel, ethnique ou autre (« le cambrioleur », « le Gascon », « l’adolescente », « le rouquin »)

Les personnages principaux ont des contradictions

Une manière simple et efficace de donner de la profondeur à un personnage, tout en le dotant d’un conflit intérieur qui peut être potentiellement résolu au cours de l’histoire, c’est de définir deux choses : ce qu’il souhaite et ce dont il a besoin. C’est tout simple à faire et ça permet de créer une personnalité distinctive en deux traits de pinceau.

Tous autant que nous sommes, nous avons rarement assez de recul pour nous rendre compte de ce qui est bon pour nous, de ce qui nous rend meilleur et nous permet de progresser, préférant bien souvent privilégier la satisfaction immédiate de nos désirs. C’est dans cette contradiction entre les souhaits et les besoins que vont se loger toutes sortes de choses savoureuses…

Un personnage pourra passer son temps à courir après ses désirs pour tenter de les satisfaire, alors que s’il prenait conscience de ce dont il a besoin, il réaliserait que cela se trouve juste à côté de lui… C’est un classique de la comédie romantique : le personnage féminin est attirée par le Mauvais Garçon (souhait) et prend beaucoup de temps à réaliser que le Mec Sensible est ce qu’il lui faut pour être épanouie (besoin). On retrouve ça aussi dans les romans d’aventure, où le personnage principal rêve de gloire (souhait) mais doit se résoudre à faire un important sacrifice personnel (besoin).

📖 La semaine prochaine: les personnages secondaires

Critique: L’île du destin

Titre: La Quête d’Ewilan – L’île du destin

Auteur: Pierre Bottero

Editeur: Rageot Editeur (version ebook)

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Après avoir lu les deux premiers tomes, sur lesquels j’ai rédigé des critiques postées sur ce blog, il me restait à lire celui-ci pour me forger une opinion complète sur La Quête d’Ewilan.

Inutile de s’étendre sur ses qualités: ce sont les mêmes que celles des autres romans de la série, avec le style de l’auteur, sa belle imagination et ses personnages plein de caractère. de ce point de vue, le roman est une réussite.

Du point de vue de la construction, c’est moins convaincant. Pierre Bottero a conclu un peu hâtivement la quête de ses personnages à la fin du deuxième tome, ce qui donne à celui-ci des airs d’appendices, comme s’il racontait des aventures moins importantes. On a droit à notre compte d’aventures, bien sûr, mais on sent que l’auteur et les personnages sont moins motivés qu’auparavant. La preuve: une dizaine de chapitres s’écoulent avant que le narratif entre dans le vif du sujet et que l’horripilante Camille et ses amies s’occupent enfin de la quête qui va les occuper pendant le reste du roman.

L’auteur défait d’une main ce qu’il a fait de l’autre

Pas étonnant d’ailleurs que l’histoire mette tant de temps à démarrer, quand on songe que le début du livre est consacré à remettre en circulation des personnages que Bottero a un peu précipitamment rangé dans l’armoire à la fin du tome précédent. Tout cela donne une impression d’indécision de la part de l’auteur, qui défait d’une main ce qu’il a fait de l’autre. Par ailleurs, cela confirme que rien de permanent ne saurait arriver à ses personnages principaux, qui sont régulièrement sauvés ou remis en selle, sans jamais avoir à payer le prix de leurs erreurs ou de leurs décisions.

Si on ajoute à cela un final dans lequel nos héros sont sauvés d’un mauvais pas par, non pas un, mais deux deus ex machina, cela fait de ce troisième tome le plus mauvais de la série, qui laisse une impression bâclée et confuse, malgré ses qualités.

Deux mots encore de l’édition intégrale de « La Quête d’Ewilan »: parmi les originalités de cette intégrale: une nouvelle qui sert d’introduction. Elle est très habilement écrite, mais sa lecture est à déconseiller à celles et ceux qui, comme moi, sont agacés par le personnage de Camille. Elle s’y montre ici plus insupportable que jamais.

Egalement au menu: quelques textes dans lesquels l’auteur revient sur l’écriture et la construction du récit. On y trouve quelques informations intéressantes, mais le tout est présenté sous la forme d’interviews fictives et rédigé dans un style curieusement ampoulé. Tout cela aurait gagné à un peu plus de simplicité.

Enfin, la lecture de l’intégralité de la trilogie d’un seul trait permet de réaliser à quel point certaines sonorités sont favorisées par Bottero lorsqu’il nomme ses personnages: Ewilan, Edwin, Ellana, Elea, Elicia, ou encore Salim, Siam, Chiam. Tout cela reste anecdotique, mais peut parfois plonger le lecteur dans la confusion.

Critique: « Les frontières de glace »

Titre: La Quête d’Ewilan – Les frontières de glace

Auteur: Pierre Bottero

Editeur: Rageot Editeur (version ebook)

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C’est parce que plusieurs lecteurs et critiques avaient comparés mon roman aux œuvres de Pierre Bottero que j’ai eu envie de me forger ma propre opinion. Charmé mais pas emballé par le premier tome de la Quête d’Ewilan, j’ai malgré tout souhaité lire le deuxième.

J’ai bien fait: il est bien meilleur. le roman garde tout ce qui fonctionnait dans le premier: un imaginaire rafraîchissant, un univers séduisant, des personnages attachants, un style fluide, mais y ajoute d’autres éléments qui font de ce volume le meilleur de la série. Certaines images sont très marquantes, pleines d’imaginaire et de poésie: l’Arche et la Dame en particulier. Par ailleurs, le récit est bien mieux construit, avec de vrais enjeux, une montée en puissance progressive, une tension narrative bien amenée, et un final éblouissant qui offre une conclusion idéale à l’histoire (dommage, il y a un tome après celui-ci…)

Le livre n’est cependant pas sans défauts. Camille, la fille parfaite qui n’a jamais tort et ne rencontre aucune difficultés, est toujours aussi difficile à apprécier en tant que protagoniste. On se rend compte d’ailleurs que l’auteur, qui n’a pas pensé à donner des limites naturelles à ses pouvoirs au début de la trilogie, est obligé d’en inventer de nouvelles, arbitraires, pour qu’elle connaisse tout de même quelques difficultés de temps en temps.

Mais le plus gros point noir du roman, c’est que Pierre Bottero manque cruellement d’idées pour introduire des moments de danger et de conflit dans le récit. Régulièrement, nos héros sont attaqués par des monstres, soldats et bêtes qui viennent de nulle part, la rencontre est suivie d’un combat et les gentils finissent par triompher sans pertes ni sacrifice. A force, cette succession de scènes interchangeables de combat finit par lasser, et on souhaiterait davantage d’originalité de la part de l’auteur.

Il s’agit malgré tout d’un livre réussi et plaisant, malgré quelques défauts.

Critique: « D’un monde à l’autre »

Titre: La Quête d’Ewilan – D’un monde à l’autre

Auteur: Pierre Bottero

Editeur: Rageot Editeur (version ebook)

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C’est parce que, en tant qu’auteur, on a plusieurs fois comparé mon roman à l’oeuvre de Pierre Bottero en général et à Ewilan en particulier que j’ai été tenté de découvrir ce cycle que je ne connaissais pas du tout.

Un premier constat s’impose: « D’un monde à l’autre » n’a pas volé son très grand succès. C’est un livre plein de charme et de personnalité, qui développe un monde et un imaginaire très personnels et qui, pourtant, semblent immédiatement familiers. L’auteur a un style fluide, agréable, concis mais jamais sec, occasionnellement ambitieux dans ses choix de vocabulaire pour un ouvrage qui se destine en particulier à un jeune public. La plupart des personnages sont attachants, vivants, distincts les uns des autres et de leurs interactions naissent la plupart des grandes joies de lecture que recèle ce livre. Ces qualités permettent à elles seules de faire de ce roman une réussite, et de passer sur les aspects moins séduisants du texte.

On peut repérer des familiarités avec d’autres textes: l’étrange voyage de la jeune fille rappelle des classiques comme « Trois coeurs, trois lions » de Poul Anderson. Quant à ses compagnons, ils sont très semblables à ceux des « Chroniques de Prydain » de Lloyd Alexander. Des comparaisons qui doivent être comprises comme des éloges, car le roman n’a rien à envier à ces glorieux prédécesseurs.

« Camille connaît tout et sait tout faire, est sage, aimée de tous et ne se trompe jamais »

Parmi les points faibles: le personnage central, celui de Camille, est le plus remarquable. Elle est un trou noir au coeur du livre, un protagoniste aussi difficile à aimer pour le lecteur qu’il est apprécié des autres personnages. Camille connaît tout et sait tout faire, est sage, aimée de tous, ne se trompe jamais, ne présente aucune faille et, n’ayant aucun défaut, ne change pas et n’apprend aucune leçon au cours du roman. Difficile de suivre les aventures d’un individu dont on comprend vite que rien ne va l’atteindre et qu’elle n’évoluera en aucune manière. le fait que son descriptif soit une accumulation de clichés n’aide pas: bien sûr elle est l’Elue, bien sûr elle est plus puissante que tous les autres, bien sûr elle a des parents adoptifs qui ne l’aiment pas parce qu’ils sont trop méchants, bien sûr elle a les yeux violets. Comme le protagoniste donne au roman une partie de sa forme, les défauts de Camille sont ceux de « D’un monde à l’autre »: dans ce narratif, cette jeune fille représente un point de repère, une sorte de bien absolu, et celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec elle sont nécessairement dans l’erreur. A force, cette perfection devient risible et même irritante.

Le roman souffre également de petits défauts de construction, sans doute dû au découpage en trilogie. En particulier, toute la dernière partie qui a lieu dans notre monde fait l’effet d’un pétard mouillé: il s’agit d’une digression, qui permet (vaguement) d’introduire un personnage qui n’a aucune conséquence immédiate sur l’intrigue. Toute cette partie pourrait être coupée sans rien changer à l’histoire, et le choix de l’y laisser condamne la fin du livre à l’enlisement (ou donne envie de découvrir la suite, c’est selon).

Malgré quelques points noirs, ce roman représente un agréable moment de lecture, captivant et attachant quoi qu’imparfait.