Le sujet

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Faire court. Voilà à quoi on va se consacrer dans la nouvelle série que j’entame avec ce billet. Dans la vie d’un romancier, différentes raisons se présentent qui vont l’obliger à condenser son texte et à en proposer une version raccourcie, soit en amont de l’écriture, soit une fois que le projet est terminé. C’est à cela que je vous propose de nous atteler pendant les semaines qui viennent. Et pour l’occasion, afin de me mettre dans l’ambiance, je vais tâcher de ne pas trop étaler ma prose.

La première occasion de faire court, et parfois même très court, c’est lorsqu’on définit le sujet du roman. On a déjà eu l’occasion de l’évoquer dans le premier article consacré au thème, le sujet, ou si vous préférez l’appeler ainsi, le concept, c’est la réponse à la question « de quoi ça parle ? »

Ici, votre talent pour la concision sera soumis à rude épreuve. Le sujet d’un roman peut, dans certains cas, être réduit à un seul mot. De quoi ça parle ? D’une famille, de la guerre, de solitude, d’un procès, d’un voyage, etc… Parfois, il n’y a pas besoin de davantage pour répondre à la question, et donc pour caractériser votre roman.

De la manière la plus simple et la plus directe

Dans d’autres cas, il faut une courte phrase pour exprimer le sujet du livre. Quelques mots qui vont servir à esquisser l’intrigue et les enjeux de l’histoire, de la manière la plus simple et la plus directe possible, sans nécessairement chercher à susciter l’envie chez un lecteur potentiel. Le sujet, contrairement à d’autres types de résumés, c’est une information brute, pas une opération séduction.

Le sujet de mon roman « Révolution dans le Monde Hurlant », c’est « Une jeune femme recherche son frère dans un monde parallèle à l’aube d’une révolution ». En quatorze mots, tout est dit : le démarrage du roman, mais aussi son personnage principal et son cadre. Quatorze mots, c’est déjà beaucoup. Essayez dans la mesure du possible de faire encore plus court que ça.

C’est sans doute une bonne idée de vous exercer à le faire en partant de romans populaires et bien connus. « Un ancien bagnard pourchassé par un policier sauve une petite fille de la pauvreté » : voilà les Misérables. « Un être paisible est entraîné dans une mission pour voler le trésor d’un dragon » : c’est « Le Hobbit ». « L’histoire cyclique d’une famille sur six générations », c’est le sujet de « Cent ans de solitude ».

Notons au passage qu’entre la formule en un mot et la formule en une phrase, il n’est pas obligatoire de choisir : vous pouvez très bien prendre les deux. Par exemple, « Les Misérables », de quoi ça parle ? De pauvreté. « Cent ans de solitude » ? De famille. Définir le concept de ces deux manières peut vous fournir un tableau plus conforme à la réalité de l’histoire.

Un outil précieux en amont d’un projet

Quelle que soit la formule que vous allez choisir, là, on touche au nerf d’un roman, à son expression la plus élémentaire, la plus laconique. Être capable d’exprimer les choses aussi simplement permet de bénéficier d’une clarté de vision qui va vous rendre service au cours de votre processus d’écriture.

Déjà, le sujet d’un roman, c’est un outil précieux en amont d’un projet. Alors que vous êtes en train de rassembler vos idées et votre enthousiasme, et avant que vous mettiez tout en forme en construisant un plan, prenez le temps de définir le sujet de votre histoire. Cela peut vous paraître trivial. Peut-être que vous avez l’impression de le connaître, ce sujet, et qu’il n’est pas nécessaire de le formaliser. Au contraire, il est possible que vous pensiez qu’en mettant vos idées en forme de cette manière, vous allez vous couper les ailes.

Ce ne sera pas le cas, au contraire. Comme disait Nicolas Boileau, « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément ». En réalité, les projets trop vagues qui mériteraient d’être mieux focalisés sont plus courants que les projets trop précis qu’il faudrait rendre plus lâches.

En fixant le sujet de votre roman en une phrase, vous allez vous munir d’un guide précieux, qui va vous permettre de garder le cap pendant toute l’écriture, du premier jet jusqu’à la fin des corrections. En rédigeant cette simple phrase, vous allez définir ce qui entre dans la composition de votre histoire et ce qui n’en fait pas partie. Un concept clair mène à un thème clair, une intrigue claire et des personnages clairs. Cela vous facilite également le travail de relecture : où couper, si ce n’est dans les passages qui s’écartent trop du sujet ?

Il vous permet de communiquer

Faire le choix de ne pas définir un concept écrit en amont, c’est naviguer aux instruments, et prendre le risque de se perdre en cours de route, dans les brumes de votre inspiration. Sans un sujet, votre roman peut se muer en une collection d’idées disparates, privées d’un fil rouge qui pourrait les unir. Et chercher à définir le sujet après le premier jet, par exemple, va vous réclamer beaucoup plus de travail que si vous vous y étiez pris d’entrée de jeu.

Le sujet a également une raison d’être en-dehors du processus d’écriture. Il vous permet de communiquer au sujet de votre projet en cours, afin de répondre aux questions sans trop en dire. Quand on vous demandera de quoi parle votre roman, il vous suffira d’énoncer votre sujet, tel que vous l’avez défini, et que je vous conseille d’apprendre par cœur pour faire face avec élégance à ce genre de curiosité.

En réalité, le sujet est un point de départ, que ce soit du travail littéraire ou d’une conversation. C’est aussi, on va le voir, une brique qui va vous aider à construire d’autres types de résumés, qui interviennent plus tard dans le processus.

Le thème comme structure

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Afin de conclure cette série d’articles consacrés au thème en littérature, je vous propose d’examiner un cas particulier qui s’éloigne des chemins battus. Ce n’est pas le genre de réflexion susceptible d’intéresser tous les auteurs, mais peut-être qu’il va aiguillonner votre curiosité, et, pourquoi pas, nourrir de futures créations.

Tout part d’un constat : le thème, j’ai eu l’occasion de le dire ici, est l’un des piliers de la création d’un roman, aux côtés de la structure, de la narration, des personnages. Cela dit, quand ils lisent ça, la plupart des écrivains hochent la tête l’air entendu, persuadés que oui oui, le thème, c’est très bien, mais enfin ça reste en queue de liste de leurs priorités. En d’autres termes, s’il était un des Beatles, le thème serait Ringo Starr.

Et si on renversait cette hiérarchie ? Et si, délibérément, on plaçait le thème au sommet de la pile, devant les personnages, devant la structure, devant tout le reste ?

Ce n’est pas juste une vue de l’esprit ou un exercice intellectuel. Je suis moi-même principalement auteur de littérature de genre, comme le sont bon nombre des habitués de ce site, et la plupart des écrivains qui rentrent dans cette catégorie – ce n’est en aucun cas un reproche – ont une vision de la littérature très conventionnelle. Peu intéressés aux explorations formelles, ils privilégient les structures narratives classiques, et, qu’ils connaissent ou non la nomenclature précise, ils vont vous parler de la construction d’une histoire en termes d’enjeux, de tension, de suspense, d’exposition. Certains d’entre eux vont même jusqu’à affirmer que toute histoire concerne un conflit et a besoin d’un antagoniste.

Le thème, et rien que le thème

Mais ce n’est pas le cas. Dans la littérature blanche, des romans, nombreux, à succès, s’affranchissent sans complexe des structures classiques, souvent sans même que les lecteurs s’en aperçoivent. Et une des approches qu’ils utilisent consiste à se servir du thème comme structure.

Qu’est-ce que ça veut dire exactement ? C’est vrai que ce n’est pas très intuitif. Le thème est un concept nébuleux, la structure, c’est tout le contraire. Comment substituer l’un à l’autre ? Et bien justement : cette approche consiste à laisser de côté la montée de la tension que l’on trouve dans les constructions littéraires classiques, la progression des personnages, la construction du suspense, la percolation méticuleuse de l’exposition, pour leur substituer le thème, et rien que le thème.

Comment ça marche ? Dans son roman « Extension du domaine de la lutte », Michel Houellebecq met en scène un cadre moyen déprimé par son célibat. Le thème du livre, c’est les relations entre les femmes et les hommes, et l’isolement des êtres conditionné par les valeurs du libéralisme. Ce thème, l’auteur l’illustre par une série de vignettes et de scènes courtes. Il y a peu de continuité entre les scènes, qui pourraient s’enchaîner dans un ordre différent sans que cela ne nuise à la lecture. Il n’y a pas non plus d’enjeu ou de tension : le protagoniste ne change pas et ne nourrit aucune illusion sur sa capacité à révolutionner le monde. Au bout d’un moment, l’histoire s’arrête, sans avoir vraiment progressé.

L’intérêt du lecteur est maintenu par la perspective singulière que le livre propose au sujet de ce thème et par le ton sarcastique adopté par l’auteur. Tout le reste, tout ce qui nous parait si important, à nous les auteurs, est jeté à la poubelle. Et pourtant, ça fonctionne. Et pourtant, c’est bel et bien une histoire. Mais plutôt que de tenir sur les différentes fondations auxquelles nous sommes habitués, elle est en équilibre sur un unique pilotis, celui du thème.

Plus courant que ce que l’on croit

Écrire un livre « existentiel », qui ne fait que confronter un protagoniste à un thème, c’est plus courant que ce que l’on croit, à un degré ou à un autre. Paul Auster le fait dans sa « Trilogie new-yorkaise », Céline l’a fait dans « Voyage au bout de la nuit », Charles Bukowski a récidivé tout au long de sa carrière. Je suis sûr que d’autres exemples vous viennent à l’esprit. D’ailleurs, même au sein de la littérature de genre, on trouve certains exemples, comme « Les dieux incertains » de M. John Harrison ou « Dead Astronauts » de Jeff Vandermeer.

Attention, s’engager dans cette voie n’est pas donné à n’importe qui. Les règles de la construction littéraire classique n’existent pas par accident : non seulement il s’agit de méthodes éprouvées pour soutenir l’attention du lecteur, mais en plus elles font partie de la définition de ce que c’est qu’une histoire depuis toujours. Vouloir s’en passer, c’est courir le risque que le lecteur se sente perdu, qu’il ne comprenne pas où on veut en venir, et qu’il arrête sa lecture en raison de l’absence d’enjeux ou de suspense.

Rédiger une « non-histoire », guidée par le thème, réclame donc un certain nombre de précautions. D’abord, le texte doit être court. Un roman long écrit sous cette forme s’effondrerait rapidement sous son propre poids. Il s’agit de présenter son argument et ses personnages de manière succincte, et de s’en aller avant de ne plus être le bienvenu.

Les doigts sur le pouls de la société

Ensuite, le thème doit être très clair dans la tête de l’auteur, et tous les aspects du texte doivent s’y référer. L’unique intérêt de ce type de texte, c’est qu’il permet d’explorer une thématique plus en profondeur que dans un roman ordinaire, sinon, ça n’est pas la peine. Lors de l’écriture ou des corrections, retirez donc tous les aspects qui n’ont pas de rapport avec le cœur de votre livre, jusqu’à l’épure.

L’originalité est plus importante que dans un roman ordinaire, afin, une fois de plus, de retenir l’attention du lecteur. Idéalement, attaquez-vous à un thème inédit, ou peu courant, mais qui est tout de même d’intérêt général, ou qui possède une résonance particulière dans l’actualité. Cela nécessite d’avoir les doigts sur le pouls de la société, afin de mettre en lumière une vérité qui sera à la fois considérée comme évidente et surprenante.

À défaut d’un thème révolutionnaire, c’est votre approche qui peut l’être : un ton qui détonne, des personnages déconcertants, une forme particulièrement adaptée au thème choisi, peu importe. L’essentiel, c’est d’intriguer le lecteur, et de faire en sorte de maintenir cet état pendant assez longtemps pour qu’il referme le livre après l’avoir terminé (plutôt qu’avant), si possible avec une expression perplexe sur le visage.

Dix thèmes

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La théorie, je le sais bien, ça va un moment. Pour mieux saisir les enjeux, les fonctionnements et les mécanismes du thème en littérature, rien ne vaut une bonne petite mise en situation.

Dans ce billet, je vous propose d’évoquer dix thèmes utilisés régulièrement dans les romans. Peut-être vont-ils vous inspirer et vous donner envie de les adopter pour un de vos projets. Peut-être que leurs descriptions vont vous motiver à vous lancer dans une voie légèrement différente. Peut-être que les exemples inclus vont vous aider à mieux comprendre comment un auteur parvient à entremêler un thème avec l’intrigue et les personnages d’un récit. Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas, comme toujours, à me faire part de vos remarques.

Le bien contre le mal

La lutte classique entre le bien et le mal, la lumière contre l’obscurité, la vie contre la mort, l’altruisme contre la cruauté, la santé contre la maladie, le bonheur contre le malheur représente une des histoires les plus anciennes de l’histoire de la fiction. Elle sert de base à une partie des mythologies sur toute la planète, et est encore utilisée par les auteurs qui souhaitent conférer un vernis mythique à leurs récits, par exemple dans la fantasy.

Ce n’est pas parce que vous choisissez ce thème que vous êtes obligés de vous montrer simpliste. Par exemple, ce n’est pas nécessairement le bien qui doit ressortir gagnant ; le camp du bien peut être vérolé par le mal, et le camp du mal noyauté par le bien ; les définitions du bien et du mal peuvent être non-conventionnelles ; et naturellement, la lutte en question peut être interne plutôt que littérale. Par ailleurs, vous pouvez jeter tout ça à la corbeille pour faire de votre roman une exploration de systèmes de pensées éthiques : le bien vu par un personnage qui adhère aux préceptes de l’éthique kantienne face à un personnage religieux ou amoral, par exemple.

Autres thèmes similaires : la morale, la tentation, la divinité

Exemples :

« Le Seigneur des Anneaux », de JRR Tolkien

« Le Fléau », de Stephen King

« Les Bienveillantes » de Jonathan Littell

L’amour

Une émotion, qui éclot en sentiment, qui lie les êtres les uns aux autres et qui est à la fois à l’origine des plus sincères motivations et des drames les plus déchirants, l’amour est un des thèmes littéraires les plus riches et les plus fréquemment utilisés. Et pour cause, il est pratiquement inépuisable. L’amour prend les formes les plus diverses et se manifeste dans les contextes les plus variés.

En abordant ce thème, on peut rédiger une romance charmante et pleine d’innocence, un thriller sombre et violent ou un roman angoissé sur la détresse associée à la condition humaine. Bref, l’amour est une passerelle vers l’exploration des liens entre les individus, et entre l’humanité et le cosmos.

C’est un thème multiple, qui peut être décliné en sous-thèmes qui ont finalement peu de choses à voir les uns avec les autres : l’amour interdit, l’amour platonique, l’amour toxique, le premier amour, l’amour à sens unique, l’amour perdu, l’amour des parents pour leurs enfants, pour les amis, pour les animaux, etc…

Autres thèmes similaires : l’amitié, le sexe, le divorce

Exemples :

« Romeo et Juliette », de William Shakespeare

« Raison et sentiments » de Jane Austen

« Belle du Seigneur », d’Albert Cohen

La mort

S’il y a un concept qui est encore plus universel que l’amour, c’est bien la mort, puisque c’est une des rares choses qu’ont en commun toutes les créatures vivantes. Comment fait-on face à la perspective de sa propre mort ou à celle des autres, comment survit-on au deuil, qu’est-on prêt à faire pour déjouer la mort, qu’est-ce que cela implique de mettre fin à la vie de quelqu’un, comment continuer à vivre après avoir frôlé la mort, comment faire de la mort son métier, dans quelle mesure la mort agit-elle comme un révélateur de la vie : les déclinaisons sont là aussi innombrables.

La fascination qu’exerce la mort sur l’humanité représente également un jalon culturel fondamental, qui comporte toutes les théories possibles et imaginables sur la vie après la vie, l’au-delà, l’éternité et la place des pauvres mortels face à l’éternité.

La mort est un des rares aspects de l’existence qui est encore fortement ritualisé dans nos civilisations post-modernes, et qui comporte un grand nombre de symboles reconnaissables par toutes et tous. Cela permet d’ancrer un texte sur la mort dans une symbolique et des motifs qui vont avoir de la résonance auprès des lectrices et des lecteurs.

Autres thèmes similaires : la vieillesse, l’éternité, la valeur de la vie

Exemples :

« L’étranger » d’Albert Camus

« Phèdre » de Jean Racine

« La nostalgie de l’ange » d’Alice Sebold

La vengeance

Qu’est-ce qui peut motiver un individu à commettre des actes qu’il aurait pu croire impensables et à trahir toutes les valeurs qui lui semblaient fondamentales ? La vengeance répond à cette définition. C’est un acte qui est, par essence, dramatique, parce qu’en règle générale, une intrigue qui traite de ce thème commencera et se terminera par une transformation pour les protagonistes. Elle contient également, en son cœur, un conflit entre deux individus antagonistes (ou davantage).

Mais la vengeance ne doit pas être uniquement considérée comme un élément de structure dramatique : la choisir comme thème ouvre des possibilités bien plus intéressantes. Un récit qui traite de vengeance va se consacrer à évoquer la manière dont cet acte constitue une force plus destructrice que le pardon, les choix moraux qu’elle implique, ou comment une revanche menée à bien apaise rarement l’âme tourmentée de celui qui la commet.

Plat qui se mange froid, la vengeance, c’est aussi l’occasion d’écrire des romans au long cours, montrant comment une personne flouée peut ourdir des machinations pendant des décennies.

Autres thèmes similaires : le sacrifice, la colère, le fanatisme

Exemples :

« Le conte de Monte Cristo » d’Alexandre Dumas

« Les hauts de Hurlevent », d’Emily Brontë

« Dune » de Frank Herbert

La rédemption

C’est, au fond, presque l’inverse de la vengeance. Alors que la vengeance traite d’un acte commis par une personne flouée qui cherche à obtenir réparation, souvent de manière violente, auprès de l’individu qui lui a fait du tort, la rédemption traite des efforts entrepris par un individu qui a mal agi, et qui cherche à obtenir le pardon pour ses actes. Là aussi, on a affaire à un thème transformatoire par définition, puisque le protagoniste cherche à changer son propre fonctionnement ou la manière dont il est perçu par la société (ou les deux).

Tout le monde n’est pas capable de procéder à un changement de cette ampleur, aussi il est possible d’aborder le thème de la rédemption à travers la chronique d’un échec ou d’un demi-succès. Et même quand cela fonctionne, cela passe souvent par des sacrifices, l’acte rédempteur par essence étant le sacrifice de sa propre vie.

Un autre aspect intéressant du thème, c’est qu’il permet d’explorer le bien, le mal, et la manière dont on tend à ranger les individus dans ce genre de catégorie. Une histoire qui traite de rédemption verra une personne considérée comme mauvaise déployer des efforts pour devenir une bonne personne. Où se situe la frontière ? Et est-ce un changement de perception ou quelque chose de plus fondamental ?

Autres thèmes similaires : l’oubli, la transformation, la descente aux enfers

Exemples :

« Les misérables » de Victor Hugo

« Les cerfs-volants de Kaboul » de Khaled Hosseini

« Un chant de Noël » de Charles Dickens

Le pouvoir

Exercer une influence sur les autres, modeler la société, décider du sort d’autres personnes sans que ceux-ci aient voie au chapitre : le pouvoir est un thème intéressant parce qu’il met en perspective l’individu et la société, voire la civilisation. C’est un thème aussi personnel que social, qui permet tous les jeux de contraste entre le niveau particulier et le niveau général.

Le pouvoir est également un sujet protéiforme, en cela qu’il peut changer du tout au tout en fonction de l’angle que l’on choisit d’aborder. Le pouvoir subi par l’individu situé tout en bas de l’échelle sociale est différent du pouvoir absolu vu par la personne qui le possède, ou par celui qui tente de l’acquérir, ou encore par celui qui est en train de le perdre.

Une facette de ce thème qui fascine particulièrement les romanciers, c’est la manière dont le pouvoir corrompt et met à mal les valeurs des êtres, quelles que soient leurs intentions de départ. L’exercice du pouvoir absolu, tyrannique, écrase l’individu et sert de ferment à toute la littérature dystopique.

Autres thèmes similaires : l’ambition, la corruption, la responsabilité

Exemples :

« Le rouge et le noir » de Stendhal

« La ferme des animaux » de George Orwell

« Macbeth » de William Shakespeare

La survie

Au verso du thème de la mort se trouve le thème de la survie. Toutes les créatures vivantes sont animées par des mécanismes qui les poussent à échapper au danger et aux périls en tous genres, donc il n’y a rien d’étonnant à réaliser qu’il s’agit d’un des thèmes majeurs de la littérature.

Une histoire centrée sur le thème de la survie va la plupart du temps mettre en scène un individu ou un groupe face à une menace extérieure, que celle-ci vienne de l’environnement, de la civilisation humaine, qu’il s’agisse d’une maladie, d’une catastrophe naturelle ou d’un puissant ennemi ou groupe d’ennemis. La nature de cette menace va conditionner la manière dont le thème est abordé : un roman consacré à un personnage qui tente de s’échapper d’une nature hostile pour retourner à la civilisation sera radicalement différent d’un récit postapocalyptique où aucune échappatoire n’est disponible.

Une histoire de survie tend à révéler la nature profonde de des personnages : ce qui reste d’eux une fois qu’ils ont abandonné toutes leurs ressources et tous leurs espoirs. Certains exposent leur noirceur profonde, d’autres révèlent des ressources insoupçonnées.

Autres thèmes similaires : la civilisation contre la nature sauvage, l’instinct, l’apocalypse

Exemples :

« La Route » de Cormac McCarthy

« Sa majesté des mouches » de William Golding

« Seul sur Mars » d’Andy Weir

La justice

En tant que thème littéraire, la justice matérialise l’idée selon laquelle un comportement vertueux mérite une récompense, et que le vice mène à la punition. Par ailleurs, la justice est également sociale : il s’agit alors de s’intéresser au principe selon lequel tous les êtres humains ont des droits égaux et peuvent prétendre à un standard minimal de condition de vie, et à ne pas subir de mauvais traitement sans avoir commis de faute.

Les romans qui sont consacrés à ce thème cherchent donc à répondre à des questions comme « Qu’est-ce qui est juste ? », « Comment lutter contre l’injustice ? », « Qu’est-ce qui constitue une punition acceptable ? ». Ils abordent à la fois le sentiment d’être confronté à l’injustice, qui peut naître dans le cœur d’un individu, mais aussi la manière dont une société organise son système judiciaire et les punitions qui l’accompagnent.

La justice et l’injustice, il faut le noter, ne sont pas uniquement des notions liées à l’appareil juridique. Elles touchent à la philosophie, à l’éthique, à la culture, mais aussi à l’économie, partant du principe que, par exemple, la hiérarchie sociale née des inégalités de revenus peut mener elle aussi à des injustices.

Autres thèmes similaires : l’égalité, la pureté, la loyauté

Exemples :

« Germinal » d’Emile Zola

« Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur » de Harper Lee

« Le procès » de Franz Kafka

La guerre

J’ai déjà eu l’occasion de consacrer une quantité d’articles invraisemblable à la guerre. En tant que thème littéraire, celle-ci permet de confronter les personnages – tous les personnages – au pire événement de leur existence. La guerre voit la société toute entière, mais aussi les relations entre les êtres, la décence la plus élémentaire, et parfois l’espoir lui-même, disparaître, sans que l’on puisse savoir quand ou même si tout cela va réapparaître un jour. Parce que le conflit et la remise en question sont partout, cela en fait le thème littéraire par excellence.

Pour aborder le thème de la guerre, il n’est même pas forcément nécessaire de situer l’action du roman au cœur du conflit. On peut très bien s’en éloigner dans l’espace et s’intéresse au sort des civils, ou dans le temps et se focaliser sur la période qui précède ou qui suit un conflit armé. Un livre qui parle de la guerre ne doit d’ailleurs pas nécessairement mettre en scène la guerre, et peut très bien se contenter de l’évoquer à travers ses stigmates, ses séquelles ou ses racines.

Autres thèmes similaires : la catastrophe, la famine, la crise

Exemples :

« A l’ouest rien de nouveau » d’Erich Maria Remarque

« La guerre éternelle » de Joe Haldemann

« Abattoir 5 » de Kurt Vonnegut

La famille

La famille est la plus petite forme de société humaine. Constituée d’individus unis, parfois en tout cas, par la génétique, par un vécu commun, et par une affection réciproque, elle ne constitue pas pour autant un groupe nécessairement fonctionnel. Même les familles les plus unies comprennent des membres qui ne peuvent pas se supporter, et il suffit parfois que survienne une crise, un deuil, une affaire d’argent pour découvrir que l’unité familial n’était qu’un vernis qui craquelle rapidement.

En d’autres termes : la famille rajoute une couche de complication à tous les drames humains existants, raison pour laquelle il s’agit d’un thème éminemment littéraire. La famille exacerbe les émotions : elle rend les joies partagées plus grandes, les triomphes plus doux, mais elle peut aussi transformer les peines en tragédies.

Comme toutes les histoires qui tournent autour d’une communauté, un roman dont le thème est la famille va donner l’occasion à un auteur de s’interroger sur la place de l’individu au sein de celle-ci, et des compromis qu’il doit faire pour continuer à exister. Les liens entre parents et enfants, entre frères et sœurs, qui continuent à exister même s’ils se détériorent, constituent une exception dans les relations humaines, qui mérite d’être approfondie.

Autres thèmes similaires : la transmission, la communauté, le passage à l’âge adulte

Exemples :

« Les quatre filles du Docteur March » de Louisa May Alcott

« Le Parrain » de Mario Puzzo

« Cent ans de solitude » de Gabriel Garcia Marquez

Les instruments du thème

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Dans les billets précédents de la série, nous avons cherché à définir le thème, puis exploré différents aspects du roman auxquels ceux-ci s’appliquent. Cette semaine, je vous propose de retourner la question, pour nous intéresser à différents outils littéraires qui peuvent vous aider à exprimer votre thème de manière créative et intéressante.

En effet, il n’est pas exclu que ce que vous avez lu sur le sujet jusqu’ici vous paraisse un peu abstrait, et pas pratique du tout à utiliser. J’aurai beau vous suggérer d’imbiber la structure narrative de votre histoire avec votre thème, je ne peux pas vous en vouloir si vous me répondez : « Je veux bien, mais je fais comment ? »

Naturellement, les approches sont innombrables. Néanmoins, les quelques pistes que je vous propose ci-dessous devraient vous permettre de mettre le pied à l’étrier. Il s’agit de moyens simples d’évoquer un thème, sans que cela vous complique la vie ou que cela semble artificiel.

Le conflit

En deux mots : faites en sorte que vos personnages soient en conflit les uns avec les autres. On a déjà eu l’occasion d’en discuter ici, le conflit, c’est un moteur crucial de l’intrigue d’un roman, certains considèrent même qu’il s’agit d’une composante fondamentale de n’importe quelle histoire.

Ce que je vous propose de considérer ici est d’une portée un peu moins titanesque, cela dit. Il s’agit simplement d’intégrer dans votre récit des conflits entre personnages qui soient liés à votre thème (ou à vos thèmes, si vous aimez vous compliquer la vie). En effet, même si ce n’est pas toujours le cas, une bonne partie des grands thèmes de la littérature ont trait à la nature profonde de l’être humain, au fonctionnement de la civilisation, à la destinée de l’univers. Bref, ce sont des questions très importantes, sur lesquelles différents individus peuvent nourrir des opinions différentes, ou en tout cas, avoir un vécu différent.

Cette dialectique est féconde, parce qu’elle vous permet d’examiner votre thème sous plusieurs angles différents, de comparer ceux-ci, et même de les confronter. Vous voulez écrire un roman bouleversant centré autour de la notion de bien et de mal ? Et si vos personnages avaient des perspectives antagonistes au sujet de l’éthique, et que votre récit permettait de les frotter l’une à l’autre, ainsi qu’à la réalité. Un personnage adepte de l’utilitarisme, un kantien et un individu amoral, opposés les uns aux autres, vont vous permettre de creuser le thème en profondeur.

La tension

Sœur du conflit, la tension est la racine de toute histoire, encore davantage que le conflit. On peut se représenter le conflit comme une des conséquences de la tension, une forme de matérialisation. La tension est une sensation, qui renvoie à une incertitude, à une préoccupation, génératrice de suspense. La tension peut mener au conflit et le conflit génère à son tour de la tension.

La notion de suspense est donc centrale pour comprendre la tension, mais il y a aussi un autre concept qui vous permet de comprendre à quoi cela correspond au sein d’un récit : le mot « problème ». Une histoire, c’est ce qui se passe quand des personnages ont un problème qui génère de la tension, se matérialise par des enjeux et éventuellement par un conflit, et ce que font ces personnages pour abaisser le niveau de tension.

Cette notion fonctionne très bien elle aussi pour entrelacer les thèmes au sein de votre récit. Simplement, lorsque vous planifiez votre histoire, arrangez-vous pour que la principale source de tension ait un rapport direct avec votre thème. Vous pouvez carrément opter pour le thème en lui-même, aussi brut que possible (la tension de votre roman sur la guerre, par exemple, provient de la guerre elle-même). Une autre option simple, c’est que le problème se niche dans l’inverse du thème. Ainsi, dans une histoire sur le courage, l’origine de la tension peut prendre la forme de la peur.

Sans forcément prendre la forme d’un conflit entre deux personnes, examiner des dipôles tels que oubli/mémoire, amour/haine ou liberté/contrainte peut faire merveille. Cela permet, en tout cas, de mettre en scène votre thème dans un contexte concret, aisément identifiable par le lecteur.

Actions et choix

Descendons encore d’un cran dans la hiérarchie de la construction littéraire, pour réaliser de manière encore plus concrète que le thème peut venir se nicher dans n’importe quelle action, et, de manière spécifique, dans les choix de vos protagonistes.

Non, cela ne signifie pas que chaque décision prise par vos personnages doit avoir un lien avec le thème. Mais vous pouvez voir chaque choix majeur du récit, les plus déchirants, ceux dont les enjeux sont les plus importants, comme une opportunité idéale d’illustrer votre thème. Dans une histoire qui parle de famille, si les principaux dilemmes qui attendent vos personnages principaux n’ont pas trait à la famille, ce sont des occasions manquées.

Le thème ne doit pas nécessairement guider chaque instant d’un roman. Par contre, en coulisses, posez-vous les deux questions suivantes. Premièrement : les choix qu’implique mon thème sont-ils suffisamment exploités dans mon récit ? Et deuxièmement : pour chaque choix majeur, y a-t-il une manière de le lier, même indirectement, au thème ?

Motifs

Un motif, en littérature, c’est une image, une figure, un geste, une phrase, un détail récurrent. Si ça se contente d’être ça, un aspect qui revient dans l’histoire, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. Si en revanche, vous vous appuyez là-dessus pour illustrer votre thème, ça peut faire merveille. Dans « Moby Dick », le motif de la baleine blanche est central, et représente l’obsession de vengeance qui ronge le capitaine Achab, jusqu’à prendre la place centrale, au cœur de ses préoccupations. Là, le thème est pratiquement matérialisé par le motif. Dans certains cas, la connexion peut être un peu plus lâche. Le signe de Zorro, ce «Z » qui marque ses adversaires corrompus, est un motif qui vient se connecter au thème de la justice présent dans les histoires de Johnston McCulley.

Attention tout de même : utilisé avec lourdeur, sans subtilité ou avec trop d’insistance, un motif peut plomber votre récit et plonger l’exploitation du thème dans le ridicule. Dans votre roman sur le deuil, si votre héroïne porte le gant de son défunt époux, et que vous passez tout le texte à la décrire en train de frotter de manière mélancolique toutes sortes d’objets de sa main gantée, peut-être qu’il serait judicieux de balancer votre manuscrit à la poubelle.

Symboles

Alors que les motifs existent dans l’univers du roman de manière concrète et ont une signification littérale, les symboles sont des instruments littéraires qui connectent la réalité de cet univers a une interprétation littéraire ou allégorique. En d’autres termes, ce sont des objets, des images, des personnages, des lieux, ou n’importe quel autre élément, qui sont utilisés pour représenter quelque chose d’autre.

À la lecture de cette définition, on se rend bien compte à quel point on a affaire à des instruments précieux quand il s’agit d’évoquer le thème d’un roman. De toutes les techniques qui sont à la disposition d’une romancière ou d’un romancier, l’usage des symboles est la plus directe, parce qu’elle permet d’insérer une notion venue du monde des idées dans le monde de la fiction.

« Hamlet » de William Shakespeare est une pièce qui parle de la mort et de la futilité de l’existence humaine. Il s’agit de son thème principal. Un thème qui est reflété par plusieurs figures qui servent de symboles au cours de l’intrigue : un crâne, une tombe, des fossoyeurs, du poison, etc… Toute la pièce est jalonnée d’éléments symboliques qui ouvrent à une double interprétation thématique des scènes dans lesquels ils apparaissent.

La mise en garde est la même que pour les motifs : n’en faites pas trop. Saupoudrer votre texte de quelques symboles bien choisis va lui conférer de la profondeur. Mais si vous dépassez les limites, vous risquez de basculer dans le grotesque, où la lecture de votre histoire va se transformer en un jeu de piste risible, à la recherche de sens cachés.

Genre

On a eu l’occasion d’évoquer le genre en long et en large sur ce site. J’ajoute ici rapidement qu’il peut également être utilisé comme un instrument de propagation du thème. Car après tout, un genre, c’est une catégorie d’œuvres littéraire, caractérisée par une série de marqueurs thématiques, de préoccupations et de figures récurrentes. Par le simple choix d’un genre, on peut déjà cheminer en direction d’un thème, si on le souhaite.

C’est tout simple : si on souhaite par exemple aborder le thème de l’amour dans un roman, le simple fait de l’inscrire délibérément dans le genre de la romance va offrir un cadre prêt à accueillir confortablement son développement. De la même manière, un récit de guerre va permettre de se pencher sur le thème de la guerre, une histoire judiciaire, au thème de la justice.

Et si vous êtes, comme tant d’auteurs, d’un naturel contradictoire, vous pouvez choisir de faire exactement le contraire, et de créer un contraste entre le genre et le thème. Là, il s’agit de s’attaquer à un roman policier sur le thème de l’amour, ou à une romance consacrée au thème de la justice. Pas sûr que cela puisse être considéré comme un « instrument » du thème, puisque ça va vous compliquer la vie. Mais cela peut malgré tout déboucher sur un résultat intéressant et original.

Enraciner le thème

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Le thème, c’est l’axe d’une histoire, disais-je récemment sur ce site. C’est son cœur, son point d’ancrage, et c’est également une donnée qui va entrer en résonance avec tous les autres éléments constitutifs de la construction narrative et leur conférer de la cohérence.

Quand on le dit comme ça, croyez-le, j’en suis conscient, ça peut paraître abstrait. Alors pour bien comprendre, mettons-nous en situation. Et cherchons à comprendre cette semaine comment une autrice ou un auteur peut enraciner un thème dans son livre, comprenez : comment il peut l’intégrer à tous les étages de l’élaboration littéraire ? C’est une réflexion que chacun peut mener dans son coin, que ce soit au sujet de la structure narrative du livre, de ses enjeux dramatiques, du décor du roman ou de ses personnages.

Le thème et la structure

Voilà deux mots que l’on n’a pas l’habitude de voir très souvent associés l’un à l’autre. Le thème et la structure constituent deux éléments constitutifs de la création littéraires, mais ils se situent aux antipodes l’un de l’autre. Le thème, c’est la substance de l’histoire, sa saveur, la pépite de sens qui rayonne à tous les niveaux de l’œuvre ; la structure, c’est l’architecture de l’histoire, la manière de séquencer les événements et de les enchaîner.

Pourtant, il suffit de reformuler cette proposition pour lui donner un relief différent : le thème, c’est ce qu’on raconte, alors que la structure, c’est comment on le raconte. En le disant comme ça, on se rend bien compte que les deux sont inextricablement liés.

Comment connecter ces deux concepts, dans ce cas ? Lorsque j’ai rédigé des articles sur la structure romanesque, j’ai mentionné un certain nombre de schémas traditionnels qui permettent de construire une histoire. Le plus classique, baptisé la « pyramide de Freytag », postule qu’on a affaire à une montée progressive de l’intensité dramatique jusqu’à un point culminant, suivie par une résolution, au cours de laquelle l’intensité baisse peu à peu.

Un auteur qui souhaiterait coupler aussi efficacement que possible son thème à ce type de structure n’aurait qu’à garder à l’esprit cette structure pyramidale, et s’arranger pour que l’usage du thème soit calqué sur ce schéma. Ainsi le roman commencerait par une phase d’exposition du thème, où on le découvrirait et qu’on prendrait la mesure de son importance dans le récit. Il culminerait par un événement-clé où l’énoncé du thème devient crucial à l’histoire. Et il se terminerait par une partie finale où la résolution de l’intrigue est liée au thème.

Ainsi, un roman dont le thème serait la rédemption pourrait commencer par une série de scènes où le lecteur est amené à découvrir en quoi les personnages principaux ont besoin de rédemption et ce qu’ils font pour l’obtenir. Le point de rupture de l’histoire peut coïncider avec un moment où le protagoniste obtient la rédemption qu’il convoitait, ou au contraire, voit cette chance s’éloigner définitivement, ou alors à un tournant où il commet un acte décisif dans le but d’obtenir cette rédemption. Enfin, le troisième pan de la pyramide peut explorer les conséquences de l’obtention ou de la non-obtention de la rédemption.

Dans une structure de type picaresque, une série de péripéties enchaînées, l’occasion est belle de décliner le thème de différentes manières à chaque fois, à la manière d’un conte moral, et de proposer au lecteur un panorama d’approches différentes autour de cette proposition centrale. « Le Magicien d’Oz », de L. Frank Baum, est par exemple une série d’aventures qui illustrent chacune le thème du roman : « Qu’est-ce qui fait la valeur d’une personne ? »

Enfin, si vous optez pour une intrigue sans structure, avec des enchaînements de type « donc » et « mais », la manière de procéder la plus fructueuse consiste à garder en tête le thème à chaque enchaînement, et de chercher à déterminer s’il est possible de mettre en lumière cet aspect thématique lors de ces points-charnières.

Le thème et les enjeux

Relier thème et enjeux, c’est établir un lien entre deux pans différents de la construction d’un roman. Si le thème concerne la substance de l’histoire, d’une manière très fondamentale, les enjeux, comme on a eu l’occasion de le voir, servent d’articulations à l’intrigue et permettent de faire comprendre au lecteur ce qui se joue dans le récit, sur un plan dramatique.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que oui, un enjeu est un élément qui construit le récit et lui donne une charge émotionnelle, et quand on en saisit les tenants et les aboutissants, ont peut céder à la tentation de l’intégrer de manière un peu mécanique au roman (« Oh non ! Si cet indicateur dépasse 100 gigawatts, tout l’immeuble va exploser ! »), mais il est possible de lui donner une résonance supplémentaire si on l’intègre au thème. Imaginez un roman qui traite des relations mère-fille. Il est tout à fait possible de faire en sorte que cette thématique fasse directement partie des enjeux de certaines scènes (« Si je n’invite pas ma mère à sélectionner ma robe de mariée, elle va m’en faire le reproche jusqu’à la fin de mes jours, mais si je l’invite, c’est moi qui vais devenir folle. »)

En règle générale, les enjeux constituent des portes d’entrées qui permettent facilement d’illustrer les thèmes d’un récit de manière concrète. En procédant de cette manière, vous passez de la théorie à la pratique presque sans fournir d’efforts. En plus, si vous poursuivez ce type de réflexion au sujet de tous les enjeux qui jalonnent votre histoire, votre réflexion autour du thème va conférer une grande cohérence aux moments-clés du roman.

Le thème et le décor

Le décor, on a eu l’occasion d’en parler assez longuement sur ce site, c’est le worldbuilding, soit le souci porté à imaginer l’univers fictif dans lequel évoluent les personnages, mais qui n’est pas directement lié à eux, ou à l’intrigue. Et bien une manière d’établir une connexion plus solide entre ces éléments d’arrière et d’avant-scène, c’est de faire appel au thème.

En d’autres termes, le décor peut servir de chambres d’échos au thème, voire même l’illustrer directement. Si vous rédigez un roman sur le thème du regret, n’hésitez pas à jalonner les lieux où il se situe d’œuvres inachevées et d’occasions qui n’ont pas été saisies. Le protagoniste qui n’a pas su saisir sa chance avec la femme de sa vie peut par exemple vivre dans une maison qu’il n’a jamais terminé de peindre, ou alors il ne cesse de travailler sur la même pièce de musique, en modifiant constamment la composition sans jamais être satisfait du résultat.

Parfois, ces décalques directs du thème, trop littéraux, peuvent être un peu lourdingues, donc à vous de trouver le bon équilibre. Mais si c’est bien mené, se servir du décor pour illustrer le thème peut donner l’impression d’un récit enchanté, où toute la chair littéraire de l’histoire est animée d’un seul élan.

Le thème et les personnages

Appliquer le thème aux personnages, c’est presque trop évident. En réalité, c’est à eux que l’on pense en premier lorsqu’on réfléchit aux manières d’inscrire le thème dans un récit. Après tout, une histoire, c’est une série d’événements qui arrivent à des personnages, et qui tournent autour d’un thème. Donc le véhicule naturel du thème, c’est bien là qu’il faut aller le chercher. Si vous explorez dans votre roman le thème de l’amour, il serait très étonnant que votre protagoniste ne tombe pas amoureux, ou ne soit pas concerné par la vie amoureuse d’une manière ou d’une autre.

Donc ça, c’est évident. Ce qui l’est moins, c’est que vous pouvez étendre ce principe à tous vos personnages, pas seulement à celui qui est concerné le plus directement. Chacun d’entre eux peut être considéré comme une facette différente d’un prisme, qui est porteur d’une interprétation distincte du thème.

Dans « Uranus », Marcel Aymé décrit les règlements de compte de la période de l’épuration dans l’après-guerre. Ses nombreux personnages reflètent tous de manière différente le thème de l’occupation, qu’ils soient des héros, des lâches, des menteurs, des salauds ou des inquisiteurs auto-proclamés. Ils fonctionnent donc comme des agents incarnés du thème, qui permettent, par leurs actes, d’en explorer toute la profondeur.

Vous n’êtes pas obligés d’opter pour une approche aussi extensive que celle-ci, mais pour le moins, posez-vous la question : votre thème, de quelle manière chacun de vos personnages s’y rapporte ? La réponse vous permettra de faire coup double, et d’approfondir à la fois les figures qui peuplent votre roman, et sa construction thématique.