Critique: « Le Prix » – Antoinette Rychner

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Ce sculpteur n’a qu’un rêve : obtenir le Prix, celui qui validera son talent, le fera éclater à la face du monde, lui procurera enfin cette consécration dont il rêve, la reconnaissance de ses pairs et la confirmation que tous ses efforts à suer dans son atelier n’ont pas été vains. En attendant, d’autres que lui obtiennent la récompense tant convoitée et tout n’est pour lui qu’obstacles sur le chemin qui mène au Prix : sa femme qu’il aime mais qui s’obstine à tout ramener au réel, son fils Mouflet à qui il ne trouve aucun intérêt, l’inspiration qui ne vient pas, et les autres artistes, coupables à ses yeux d’avoir trop de talent ou pas assez. Il s’entête et continue à produire ses « Ropf », des sculptures mi-vivantes, mi-artisanales qui poussent sur son nombril.

L’auteure nous propose de passer ce roman en compagnie d’un protagoniste pas franchement sympathique de premier abord : mesquin, égoïste, négligent, il est une pelote de paradoxes, convoite la reconnaissance d’autrui mais fuit tout contact social, crache à la figure de ceux dont il dépend, demande à être compris mais a si peu de compréhension à offrir en retour. Peu à peu pourtant, sa carapace se fendille et on se surprend à l’apprécier, malgré ses défauts, parce que le talent d’Antoinette Rychner nous le fait voir pour ce qu’il est : un humain, tout cassé en-dedans, mais capable de tendresse et d’éclairs de génie.

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On dit que si les gens savaient comment on fabrique les saucisses, ils n’en mangeraient plus. « Le Prix » fait le pari inverse. C’est un roman sur l’art qui nous en montre les aspects les moins séduisants : le travail, les échecs, les petites jalousies, les égos fragiles et tout l’édifice de hasard et de temps perdu qui fait que, parfois, quelque chose se produit qui nous bouleverse. A travers son personnage-sculpteur, l’auteure nous parle d’écriture, d’une manière parfois un peu démonstrative, mais avec tant de justesse qu’on se retrouve happé.

Grâce au don d’observation d’Antoinette Rychner, tous ces sentiments si familiers, tous ces thèmes que nous incarnons au quotidien – la frustration, le couple, l’ambition – sont dépeints si justement que ça a l’air simple (mais ça ne l’est pas). Pour nous faire partager l’univers mental du sculpteur, l’auteure fait le choix du réalisme magique et crée un univers situé à mi-chemin entre le fantastique et la métaphore, drôle et onirique, où la femme du sculpteur n’est décrite que par un vocabulaire maritime (extraordinaire scène d’accouchement !) et où les Ropf chantent pour ceux qui savent les percer à jour.

Ceci est un chef-d’œuvre.

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