Critique: Abzalon

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La planète Ester sera bientôt détruite par son soleil: c’est une certitude et une simple question d’années. Pour éviter que ses riches cultures disparaissent sans laisser de trace, les habitants d’Ester doivent découvrir une autre planète où ils pourront s’établir. Pour répondre à cette urgence, les dirigeants conçoivent l’idée d’envoyer, pour un voyage qui doit durer des décennies, les Esteriens les plus endurcis à bord d’un vaisseau spatial, l’Esterion. Cinq mille Deks, des prisonniers ultraviolents vont ainsi partager l’espace avec cinq mille Kroptes, des religieux fondamentalistes.

Titre: Abzalon

Auteur: Pierre Bordage

Editeur: L’Atalante (ebook)

L’idée qui sert d’intrigue centrale à ce roman est riche et intrigante. Faire voyager, côte à côte, loin de toutes leurs racines, une horde d’endurcis violents, tous des hommes, et les rescapés d’une civilisation austère, majoritairement des femmes, fait marcher l’imagination et c’est sans doute un des meilleurs points de départ pour un roman de science-fiction que j’ai pu découvrir ces dernières années.

L’univers qui sert de toile de fond à l’histoire n’a rien à lui envier: une religion de clones immortels rigoristes qui consignent leur pensée sur papier; des êtres semi-artificiels qui ont fait de la sociologie une science prédictive; une société qui renonce à toute technologie et où les femmes, très majoritaires, ne sont guère plus que des esclaves: les pages du livre regorgent d’idées étonnantes, davantage, en fait, que le roman n’en a réellement besoin. On a l’impression d’être dans un Dune à la française et c’est une des grandes qualités d’Abzalon.

Hélas, toute cette richesse, l’auteur semble ne pas toujours quoi en faire. À titre d’exemple, l’univers du roman comporte un grand nombre de groupements religieux, aux croyances très différentes les unes des autres. Mais plutôt que contraster leurs différents points de vue, leurs valeurs, leur vision du monde, Pierre Bordage préfère ranger les hommes de foi dans deux catégories : les fanatiques et les apostats. Soit on est rendu fou par la foi, soit on l’abandonne, comme si l’auteur n’avait pas la moindre idée de ce qui peut pousser un individu vers la religion.

Ce n’est pas un cas isolé. Dans le roman, tous les différends de nature idéologique sont à peine esquissés, se résumant à des conflits armés et des sabotages. On aurait pu rêver, dans une histoire qui fait cohabiter femmes et hommes dans un endroit confiné, que le roman aborde des thèmes liés au genre, mais on ne fait que les effleurer. En-dehors de la quête de la liberté, qui fait office de thème central dans le roman, Bordage ne se passionne pas pour ce qui peut motiver les humains à agir.

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On observe la même tendance au niveau des personnages. Ceux-ci sont bien esquissés et plutôt attachants, mais ils se résument à des stéréotypes, sans profondeur ni surprises. Le couple central, Ellula et Abzalon, c’est la Belle (un peu rebelle) et la Bête (un peu sensible) : ils se marient juste après s’être rencontrés, on ne sait pas trop pourquoi, sans doute parce qu’ils savent qu’ils sont les protagonistes du roman. L’auteur tente de faire d’Ellula une figure féministe, elle qui milite pour sa liberté et celle des autres femmes, mais se contredit en la privant presque complètement de libre-arbitre et en incluant plusieurs scènes de violence sexuelle décrite avec une fascination presque fétichiste. De ce point de vue, on reste avec l’impression d’un texte un peu daté.

La construction du récit m’a également fait froncer les sourcils. Plutôt qu’entamer le roman par le début du voyage spatial, il faut traverser plusieurs dizaines de pages pour en arriver là et faire la connaissance des personnages, dans ce qui ressemble à un prologue trop long. On est impatient d’en venir au fait, et même si cette première partie a le mérite d’introduire certains personnages et certaines situations, on se demande si une partie n’aurait pas pu être raccourcie ou inclue sous la forme de flashbacks.

Quant à la dernière partie du roman, qui raconte de manière sommaire la fin du voyage de l’Esterion, elle est constituée de vignettes dont l’action est espacée, parfois de plusieurs années. Plutôt qu’en profiter pour nous montrer comment la société à bord du vaisseau évolue, se transforme et mute sur le long terme, l’auteur préfère s’intéresser à des destins individuels au sein d’une société qui ne change pas beaucoup. Toute cette partie du roman n’est faite que de péripéties décousues, des crises résolues quelques pages après leur apparition, et qui n’ont que peu d’impact sur l’intrigue. Quand l’Esterion se fait envahir par des serpents venimeux, par exemple, j’ai eu l’impression d’être en présence de remplissage, des scènes qui ne viennent de nulle part et qui ne servent à rien, alors que j’aurais préféré que l’on explore davantage l’évolution de cette société aux origines si improbables.

En deux mots: Pierre Bordage est un conteur merveilleux et un bâtisseur d’univers admirable. Par contre, en tant que roman, Abzalon m’a laissé sur ma faim.

 

Une réflexion sur “Critique: Abzalon

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