Critique: The Road

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Le monde est mort. Une catastrophe est survenue, qui a mis fin à toute vie végétale et animale. Seuls survivent, dans un monde sombre et poussiéreux, quelques individus qui se nourrissent des restes de la civilisation déchue, ou qui se mangent entre eux. Un père et son fils traversent un paysage désolé, descendant une route qui doit les mener en bord de mer, espérant y trouver une vie meilleure.

Titre : The Road

Auteur : Cormac McCarthy

Edition : Alfred A. Knopf (ebook)

C’est la fin. Il n’y a plus d’espoir, nul part où aller, la civilisation est un échec et les vivants sont des fantômes. C’est l’horrible point de départ du chef d’œuvre de Cormac McCarthy, qui choisit pour illustrer cette situation le point de vue d’un père qui doit malgré tout insuffler un peu d’espoir à son fils, parce que c’est ce que font les parents, même quand ça n’a pas de sens.

Pour retracer le voyage de ces deux âmes perdues, l’auteur se fait le chroniqueur de chacun de leurs petits instants, de leurs gestes infimes : comment ils s’installent pour la nuit, comment ils utilisent chaque élément de matériel à leur disposition, comment ils utilisent le moindre objet déniché pour améliorer leur quotidien, comment chaque bouchée de nourriture est précieuse et pourrait bien être la dernière. Dans ce monde où plus rien n’existe, seuls les petits gestes ont de l’importance, aussi McCarthy s’attarde sur chacun d’eux, et parce qu’il le fait avec talent et minutie, le lecteur en vient à frémir quand ses personnages pénètrent dans un bâtiment inconnu, ou à désespérer quand ils n’ont plus de nourriture.

Car comme dans ses autres romans, l’auteur ne s’intéresse qu’aux toutes petites choses et aux grandes choses, et à rien au milieu. Pas pour lui, l’héroïsme, l’action, l’aventure : il n’y a que l’infiniment petit du quotidien, et l’infiniment grand de la condition humaine, de la tragédie des individus livrés à eux-mêmes face à des dieux muets.

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Pourtant, la lecture de « The Road » est une expérience viscérale et plongée dans un suspense parfois terrifiant. C’est que chaque rencontre du père et du fils avec d’autres survivants est potentiellement la dernière : comme il n’y a presque plus rien à se partager, détrousser son prochain, ou même le manger, peuvent être les seuls moyens de survivre. Ainsi, le rôle qu’occuperaient les morts-vivants dans un récit de zombie est ici tenu par les humains – ou plutôt, tous les vivants se comportent comme des morts-vivants. Le père est prêt à tout pour protéger son fils, alors que celui-ci s’accroche à l’idée qu’il doit être possible de continuer à se comporter décemment, même face à l’apocalypse.

Cormac McCarthy, lorsqu’il a sorti son roman, a insisté pour dire qu’il ne s’agissait pas d’un récit de science-fiction, lui qui n’a jamais œuvré dans la littérature de genre. Il a tort : son roman montre ce que la littérature de l’imaginaire peut faire de meilleur, c’est-à-dire sonder le cœur des hommes dans des circonstances extrêmes. Il est symptomatique du cloisonnement du monde littéraire que ni lui, ni la critique n’aient vu ce roman pour ce qu’il était, c’est-à-dire un chef-d’œuvre de l’histoire récente de la science-fiction.

13 réflexions sur “Critique: The Road

    • Pour moi c’est l’inverse: j’ai lu le livre mais pas vu le film. Selon moi, McCarthy est un des grands stylistes de la littérature américaine contemporaine, donc ce qu’il nous fait imaginer vaut le détour, mais comme tout le reste du roman, ça n’a rien d’exaltant ou d’encourageant, c’est même tout le contraire.

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      • la même histoire, en plus bavard :

        Il y eu d’abord la terre rouge et sèche, et au, ciel, un caparaçon de nuages opaques. Rien ne bougeait, ni bête ni plante, ni vent ni eau (autant le dire de suite, il n’y avait plus trace ici bas d’aucune de ces choses là) pas même la lourde poussière acre, qui couvrait le sol durci.
        Longtemps, il ne se passa rien. Puis les lourds nuages qui masquaient le ciel se crevassèrent lentement. En tomba des gouttelettes argentées et dures qui strièrent de rais lumineuses les vapeurs fuligineuses. La pluie (appelons là ainsi, faute d’un mot plus approprié), d’abord hésitante, puis d’instant en instant plus intense, rebondissait sur le sol vitrifié en soulevant la poussière brune qui recouvrait toute chose depuis les événements.
        La première pluie. Mais qui était là pour le savoir ? Indifférente, le liquide mêlé d’acides ruissela entre les rocs brûlés et les troncs pétrifiés, simples chicots noircis qui ponctuaient la plaine rouge. Elle s’insinuait entre les craquelures de la terre durcie, creusa son chemin dans les veines du sol jusqu’aux poches d’humus enfouies loin sous la croûte recuite.
        Là, dans l’obscurité gluante, elle atteignit sans le savoir (comme l’aurait-elle pu : on parle de la pluie) sinon son but, du moins sa cible : un brin desséché et patient de lichen. Patientait ? vraiment ? disons plutôt qu’il ne mourrait pas, ne vivait pas : qu’il végétait. Comment allait-il réagir au contact des acides mêlés à l’hydrogène et à l’oxygène de l’eau et du mélange composite (déchets et nids bactériens en sommeil) que les gouttes avaient ramassé en chemin ? Mourait-il dans l’instant ? Se dissoudrait-il dans l’acide ? Allait-il, au contraire, miracle minuscule, devenir l’acte un du redémarrage dont la vie sur la planète dévastée ? Rien de tout cela : la coulée de boue s’infiltra plus bas dans le sol, libérant une poche de gaz brulant qui fuitèrent en grésillant : rien ne résista à leur passage, ni l’eau acide, ni le lichen, ni les spores durcis d’une souche de champignons calcinés. Arrivé à la surface, le souffle de l’explosion souterraine projeta le tout dans l’air désormais saturé d’eau.
        La pluie continuant sans relâche, là refroidissait le sol recuit, ici faisait sourdre des sources enfouies, là encore formant une poche d’eau trouble. Alors, sous l’effet des différences de température, l’air épais s’agita mollement, lisibles d’abord à de faibles tourbillons de poussières aigres. De l’addition des courants d’air naquit le vent, qui promena les menues poussières inertes jusqu’à un amas de boues gluantes.
        Il se passa quelque chose d’imprévu, une réaction chimique bizarre, et pollen, lichen, spores et bactéries sortis du sommeil se lancèrent aussitôt à la conquête du monde. Les premiers arrivés seraient les premiers servis !!

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      • Merveilleux! Magnifique! Merci!

        Je rêve de tout un roman dans ce genre-là, sans aucun humain, ni animal. Pourquoi pas une saga qui raconterait la vie d’une falaise de sa formation à son érosion. Du suspense! De l’action! De l’émotion!

        Aimé par 2 personnes

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