Comment, en tant qu’artiste, parvenir à se servir de la connexion entre les êtres pour vaincre l’aliénation de notre époque ? Comment, en tant que public, peut-on établir une connexion authentique avec les oeuvres qui enrichisse notre vie ? Voici deux des questions au coeur de ce court essai signé par cette figure bien connue des mondes du rap et de la poésie au Royaume-Uni.
TITRE : On Connection
AUTEUR : Kae Tempest
EDITEUR : Faber (ebook)
Régulièrement, j’arrive à la conclusion que pour ne pas mourir d’asphyxie émotionnelle et intellectuelle, il est nécessaire que je lise autre chose que des bouquins de fantasy. Non pas que j’aie quoi que ce soit contre ce genre, bien au contraire, mais j’ai parfois besoin d’aller voir ailleurs pour m’aérer la tête. Sur ma trajectoire, la dernière fois que ça s’est produit, j’ai trouvé cet essai signé par une personnalité que j’affectionne, active dans le domaine de la musique, du roman, du théâtre, de la poésie.
Si je l’évoque ici, c’est pour trois raisons. D’abord parce que je critique tout ce que je lis ; ensuite parce que si ça me fait du bien à moi, de ventiler mes synapses, peut-être en sera-t-il de même pour vous ; enfin, et surtout, Tempest dévoile dans ce livre une partie de son processus créatif, et quand on écrit, il est toujours utile de découvrir comment s’y prennent les autres.
« Un sot ne voit pas le même arbre qu’un sage » disait William Blake. L’auteur romantique anglais est cité en tête de chaque chapitre de ce livre, et s’il en va ainsi des sages et des arbres, il en va également des poètes et du processus créatif. Kae Tempest cite également abondamment le Livre Rouge de Carl Gustav Jung, où le psychologue se livre à une descente en profondeur dans les méandres de son propre psychisme. Blake et Jung, deux âmes torturées, deux parrains pour ce livre qui ont su explorer sans tabou les parallèles entre les ouragans de l’âme et ceux du cosmos.
Pourtant, « On Connection » n’a rien d’un livre tortueux, c’est même l’inverse : il est rafraichissant comme un grand verre d’eau. Kae Tempest y évoque des sujets essentiels pour l’époque, comme par exemple la manière dont un individu peut prendre ses distances avec la léthargie et le cynisme engendrés par notre époque consumérisme, et pourquoi il peut malgré tout être salutaire de se réfugier dans un certain engourdissement des sens ; la perspective de l’artiste face à l’humanité et le regard qu’il porte sur les petits gestes et les histoires microscopiques qui se déroulent sous ses yeux, qui viennent ensuite nourrir ses oeuvres ; comment on peut apprendre à être un meilleur lecteur, plus disponible émotionnement face à l’oeuvre que l’on découvre ; comment s’immerger dans la créativité peut nous rapprocher les uns des autres ; pourquoi les mots, et en particulier les mots déclamés devant un public, ont le potentiel de nous toucher davantage que n’importe quoi d’autre.
L’auteur évoque ces questions profondes et complexes avec une grande clarté, de la grâce et une science de la phrase simple qui donne constamment envie de lire le texte à voix haute. En découvrant certains chapitres, on se sent parfois saisi d’une vive émotion, celle qui naît de la découverte de vérités qui paraissent immédiatement évidentes, ou de la confirmation de certains de nos soupçons sur l’existence. Pourtant, en s’éloignant du livre, ces moments s’éloignent comme après un rêve, ce qui paraissait couler de source redevient complexe, et s’il reste quelque chose des réflexions de l’artiste, ce sont moins des solutions à appliquer telles quelles, et davantage l’espoir qu’une connexion entre les êtres reste possible dans ce monde fragmenté et éternellement distrait.
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