Et si on continuait notre voyage au pays des unités structurelles du roman ? Après les parties, les chapitres et les paragraphes, nous voici descendus au niveau de la phrase.
Ici, je persiste à me pencher sur la phrase purement sous l’angle structurel. Il n’est pas question de style, mais uniquement de la fonction que remplit la phrase au sein d’un texte.
Une phrase, à quoi ça sert ? Comme on a eu l’occasion de le voir, l’unité de sens, dans un récit en prose, c’est le paragraphe. Un paragraphe, c’est une idée. Il en ressort qu’une phrase, c’est un fragment d’idée : ce sont les briques qui servent à construire des paragraphes.
Certaines d’entre elles contiennent des concepts entiers, d’autres des morceaux incomplets, mais quoi qu’il arrive, elles ne sont pas faites pour exister toutes seules, indépendamment du texte qui les entoure. La phrase est un animal grégaire : elle s’épanouit en groupe, mais laissez-là sortir toute seule et elle ne fera que des bêtises. Une phrase sans son contexte, c’est comme un poisson sans son océan.
Si vous le voulez bien, profitons-en pour piétiner un de vos souvenirs d’enfance. Vous vous souvenez qu’à l’école, votre professeur a lourdement insisté pour que vous compreniez qu’une phrase était invariablement constituée d’un sujet, d’un verbe et d’un complément ? Et bien ce professeur avait tort. Oubliez ce qu’il a dit. C’est peut-être valable pour l’école, mais certainement pas pour l’écriture, en tout cas pas au 21e siècle.
Oui, il est parfaitement possible d’écrire une phrase sans verbe
Une phrase, c’est ce qui est contenu entre deux points : voilà la seule définition dont nous avons besoin en tant qu’auteur.
Oui, cela signifie qu’il est parfaitement possible d’écrire une phrase sans verbe. Allez-y, ne vous gênez pas. Il ne va rien lui arriver, elle pourra s’appuyer sur les phrases qui l’entourent pour trouver son sens. Une phrase sans verbe, c’est généralement un complément de la phrase qui précède, qu’on peut comparer à une image arrêtée dans un film : on ne décrit pas une action, mais on insiste sur un détail qui fait partie de l’action. Le bruit des gouttes sur le pare-brise. Partout, une odeur de mort. L’impression d’avoir oublié quelque chose.
Oui, cela veut dire également qu’on a le droit d’écrire une phrase constituée d’un ou deux mots. Une manière d’insister sur une seule information à la fois, qui va automatiquement la rendre plus émotionnelle : Le couteau. Il arrive. Peur. Mal. Ces micro-phrases sont de pures vignettes d’émotion, déconnectées de tout aspect cérébral.
Une très longue phrase permet d’évoquer une scène suspendue dans le temps
A l’inverse, une phrase longue, voire même une phrase extraordinairement longue, va forcer le lecteur à ralentir, à se concentrer, quitte à se perdre dans un voyage de lecture dont le sens risque de s’effilocher. S’il n’est pas conseillé d’en abuser, la très longue phrase permet d’évoquer une scène suspendue dans le temps, mais que l’on prend le temps d’examiner dans le moindre détail. Il s’agit aussi d’une approche qui évoque la rêverie, ou l’hallucination.
Varier la longueur des phrases permet d’éviter la monotonie. Une succession de phrases de même longueur va finir par induire chez le lecteur un état de léthargie qui le fait peu à peu quitter le texte pour s’en désintéresser:
Cette phrase comporte cinq mots. Et voici encore cinq mots. Et pourquoi pas cinq mots? Sauf que la monotonie s’installe. Regardez ce qui se passe. On tombe dans un schéma. Ce style devient très ennuyeux. Ça ressemble à un bégaiement. Le cerveau réclame du changement.
A présent, regardez. Il suffit de varier la longueur des phrases et soudain, on se sent respirer. L’écriture devient musicale. Son rythme est plus varié et maintient notre intérêt. Tout simplement. Par moment, j’écris des phrases qui contiennent énormément de mots, de détails, et des sonorités à ne plus pouvoir qu’en faire, jusqu’à tester la patience du lecteur. J’écris également des phrases de taille moyenne. Ou courtes. Tout devient plus équilibré.
La manière dont les éléments de la phrase sont agencés va également modifier le rythme de lecture et l’impact que chaque élément peut avoir. Évitez autant que possible d’aligner une succession de phrases qui commencent toutes par le même mot – typiquement, le sujet « il » – cela rend la lecture monotone et on risque d’y perdre le lecteur.
A la place, variez la composition des phrases : bien sûr, n’hésitez pas à en commencer certaines par le sujet, c’est l’approche la plus directe et la plus digeste. Mais vous pouvez également tourner la phrase au passif, ce qui permet d’apporter un regard extérieur sur les personnages. Une autre possibilité est d’entamer la phrase par une proposition contenant un adverbe ou un participe présent, typiquement pour qualifier l’état d’esprit d’un personnage.
Ainsi, le texte suivant :
Il entra dans la chambre de ses parents. Il n’avait plus mis les pieds ici depuis bien longtemps. Il jeta un regard vers les meubles couverts de poussière. Il posa sa main sur la commode et eut le cœur rempli de nostalgie.
Gagne en dynamisme s’il est corrigé de cette manière :
Il entra dans la chambre de ses parents. Cela faisait bien longtemps qu’il n’y avait plus mis les pieds. Les meubles étaient couverts de poussière. Le cœur nostalgique, il posa sa main sur la commode.
Enfin, s’il n’y avait qu’un conseil à retenir, cela serait le suivant : la bonne phrase est celle qui donne envie de lire la phrase suivante. En écrivant, il ne faut pas considérer chaque phrase comme une unité scellée et indépendante des autres, mais comme un pas suivi d’autres pas, qui forment le parcours d’une longue promenade. Plus les phrases contiennent des éléments grammaticaux repris des phrases précédentes, plus la lecture sera fluide ; de même, plus chaque phrase génère du suspense, des attentes, des promesses au lecteur, plus la motivation de poursuivre la lecture sera grande.
Atelier : prenez un paragraphe que vous avez écrit. Réécrivez-le, mais en doublant le nombre de phrases, sans en modifier le sens. Puis réécrivez-le à nouveau, mais en une seule, longue phrase. Est-ce que le résultat est le même ? En quoi l’expérience du lecteur est-elle différente ?
Très instructif ces petites démonstrations, surtout celle sur la longueur des phrases qu’il faut alterner. J’en prends bonne note ! 🙂
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Merci! J’étais tombé il y a quelques mois sur une démonstration du même genre en anglais, et j’ai trouvé qu’il serait très utile de partager quelque chose de similaire ici. 🙂
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